Convergence et dispersion - Revue des sciences sociales
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un contraste logique avec l'autre, devient la condition de sa réalisation (2). Convergence et dispersion * Proximité et distance chez Georg Simmel Patrick WATIER Faculté des Sciences Sociales, Laboratoire de Sociologie régionale * C e texte est u n e version m o d i f i é e d e la c o m m u nication p r é s e n t é e lors d e la j o u r n é e «Actualité d e G. Simmel» à l'institut G o e t h e d e Paris le 18.11.1986. (1) S o z i o l o g i e Duncker et H u m b l o t , 1908, p . 5 7 (2) Philosophie de la Mode F a s h i o n texte, 1 " en anglais. International Quarterly 10 (1904) p . 2 9 7 in Lévine... en Allemand, Philosophie der Mode 1 9 0 5 , enrichi en 1911 d a n s Philosophische Kultur. (3) Philosophe de la mode ib. p . 2 9 6 in Lévine D ans Soziologie, Simmel dit que Notre attitude pratique et théorique envers toutes sortes de phénomènes nous amène simultanément à être à l'intérieur et à l'extérieur d'eux (1). On trouve ici en un résumé condensé les thèmes de la proximité et de la distance qui jouent à notre sens un rôle fondamental dans la sociologie compréhensive de G. Simmel. En effet si l'ensemble des descriptions et des analyses contenues dans Soziologie sont liées à des oppositions, à des antagonismes, nous avons là une catégories qui vaut tant pour la vie courante que pour la connaissance, une catégorie purement descriptive et en même temps une catégorie qui rend la connaissance possible. La proximité et la distance auraient donc un statut supérieur à tous les autres antagonismes, que ce soient le moi et le monde, le sujet et l'objet, l'individu et la société, la stabilité et le mouvement, les contenus et les formes, l'union et la désagrégation, le secret et la parure, la connaissance et la discrétion, l'homme et la femme : toutes ces oppositions fonctionnent sur le modèle de la désagrégation et de l'union, c'est-à-dire comme deux fonctions fondamentales réunies de manière inséparable et où l'une des deux, quoique ou parce qu 'elle forme - 6 3 - Si l'on suit ce dualisme, on voit également combien il est utile pour la compréhension des relations individu/société, qui reste toujours un des grands problèmes de la sociologie actuellement, notamment à travers la question du rapport entre la construction du social par les individus et des individus par le social. Mais pour que la question puisse se poser en ces termes cela suppose bien que soit pris en compte le second à priori qui indique que la vie sociale n'aborde pas l'individualité toute entière, et postule ainsi l'existence d'un quant-à-soi qui est au fondement des pratiques de duplicité et de détournement dans la vie courante. Que cet aspect puisse aisément être montré au niveau des relations que certains proposent de nommer sociétales ne fait pas le moindre doute ; mais ce que ce quant-à-soi opposé à l'individu social produit également, c'est la vie sociale comme champ de bataille, du fait de ces deux principes antagonistes que sont les demandes de la société et la résistance que l'individu leur oppose. Dans ce champ de bataille chaque arpent est obstinément contesté, et dès lors il faut aussi concevoir les institutions sociales comme des traités de paix dans lesquels l'antagonisme permanent des deux principes a été réduit extérieurement à une forme de coopération (3). Notons que, contrairement à un reproche qui a pu lui être fait, Simmel ne néglige pas le macro-social, sa sociologie p r e n d également en compte comme nous le voyons ici les institutions et ne se limite pas aux formes p u r e m e n t relationnelles du social. Mais nous voyons également que le conflit suppose la coopération et vice-versa. Nous voudrions aussi souligner que le caractère anhistorique des analyses simmeliennes est un mauvais procès, car Simmel insiste souvent sur la spécificité et la particularité de ce m o n d e soulignant que c'est non seulement l'existence d'éléments antagonistes qui le caractérisent mais surtout le fait que c'est au milieu même de ces contrastes et de cette agitation perpétuelle que se trouve la délivrance et la conciliation alors que jusqu 'ici celles-ci ne pouvaient être atteintes qu 'en se réfugiant en dehors de ces contrastes et de cette agitation (4). Simmel ne pouvait faire de la contrainte et de l'extériorité les caractéristiques essentielles du fait social. Ou, pour le dire en d'autres termes, que la contrainte et l'extériorité sont en conflit permanent avec ce qu'il nomme la part extra-sociale de l'individu. Le caractère heuristique de ces principes saute aux yeux, et le garder présent à l'esprit aurait évité bien des pronostics hasardeux sur le narcissisme intégral, l'isolement généralisé, qui prennent la place des discours sur la reproduction et les diverses formes de sociologisme. Ce que Simmel nous propose comme fondement, qu'il faut bien appeler philosophique, c'est de considérer que dans tous les domaines de l'existence nous ne saisissons le sens et la valeur d'un élément, d'un simple élément que dans sa relation ou mieux comme sa relation à un autre. Les deux éléments cependant ne subsistent pas dans cet état de relativité, souvent l'un des deux en alternance avec l'autre, se transforme en absolu qui soutient et gouverne la relation (5). C'est ainsi qu'il est possible de tenir ensemble la dialectique individu/ société (6). (4) La religion et les contrastes de la vie, p . l 6 5 , in Mélanges (5) Le relatif et l'absolu dans le p r o b l è m e des s e x e s . (6) J e n e d é v e l o p p e pas ici, mais la c o n c e p t i o n d e la socialisation et des formes d e socialisation est aussi à p r e n d r e en c o m p t e d a n s cette totalité, p u i s q u e la société n'est q u e le t e r m e général p o u r la totalité des r a p p o r t s mutuels q u e les individus entretiennent. Sondern Gesellschaft ist nichts als die Zusammenfassung oder der allgemeine Name fur die Gesamtheit dieser speziellen Wechselbeziehungen P h i l o s o p h i e d e s G e l d e s , D u n c k e r u n d H u m b o l t 1900, p . 145. (7) La c o n q u ê t e du p r é s e n t , p . 7 7 , voir aussi la n o t i o n d'd'agent double c h e z G o f f m a n . L'erreur d'interprétation qui, du nombre des conflits et de leur importance, tiraient des conclusions et des prévisions sur la révolution, est l'exact pendant de l'erreur des adeptes de l'ère du vide et du narcissisme intégral. Dans les deux cas un monisme causal et une représentation unidimensionnelle des individus et des activités sont à l'œuvre. Le dualisme simmelien, ici encore, permet de relativiser le problème en insistant sur le caractère social et extra-social de l'individu. Dans le premier cas de figure, tout se passait comme si, du fait de la participation à des groupes particuliers, ceux-ci englobaient totalement l'individu et le restreignaient - 6 4 - par exemple à son statut de gréviste, de militant politique ; dans le second, l'accent mis sur l'individu et l'individualité tend à faire oublier que persistent et existent des formes d'associations proprement sociales (certaines nouvelles, c o m m e les réseaux télématiques, de bouffe, de sexe, de drogue, pour prendre un exemple rapide, qui débouchent sur des formes de communalisation particulière). Ce que Simmel permet de penser, ce sont ces transitions fluides entre deux pôles, pôles qui jouent en quelque sorte le rôle des idéaux-types dans la sociologie de Weber ; à une logique du tout ou rien se substitue une modulation des formes d'interaction. Si apparemment le groupe était plus investi, l'individu extra social n'en était pas moins présent, de la m ê m e manière que l'accentuation apparente de l'individualité ne signifie pas une solitude généralisée ou un individualisme régnant sans contrepoids. G. Durant dans son archéotyp o l o g i e avait insisté sur le contradictoriel propre aux structures de l'imaginaire ; et, s'appuyant sur ces deux auteurs, M. Maffesoli a pu montrer sous les mêmes termes de contradictoriel ou de duplicité cette harmonie conflictuelle sans laquelle la société ne serait pas possible : C'est par la duplicité plus ou moins consciente, que les individus apparemment intégrés à l'ordre social gardent un quant-à-soi qui leur permet de survivre aux diverses impositions de cet ordre. Il est dans cela impossible de comprendre la perdurance de l'humble vie quotidienne (7). Reconnaître, décrire cette harmonie conflictuelle ne consiste d'ailleurs pas à le légitimer ; ainsi Simmel montre qu'il y a une différence entre la société parfaite et la société parfaite, dans ce style paradoxal qui lui est propre, l'accentuation passant du n o m à l'adjectif, qui la qualifie. Mais pour préciser cette discussion qui porte sur le thème de la société, reprenons un passage de Wie Ist Gesellschaft môglich : Si nous analysons le contenu de son existence, nous voyons qu 'elle n 'est pas seulement en partie sociale et en partie individuelle, mais qu'elle participe aussi d'une sorte d'unité fondamentale, déterminante et irréductible que nous ne pouvons désigner autrement que comme synthèse ou la coexistence de deux caractères antinomiques de l'homme, celui qui en fait un membre, un produit et une part de la société et celui qui lui est opposé, qui repose sur son autonomie d'être humain unique et qui lui fait voir sa vie centrée autour de sa propre personne et de ses propres intérêts (8). (8) S o z i o l o g i e , p . 4 1 (1908). S o u l i g n o n s ici le parallèle a v e c l ' h o m o d u p l e x d e D u r k h e i m . (9) T o u r a i n e p . 2 0 , Les transformations de l'analyse sociologique. (10) E. Morin p . 5 6 , Sociologie de la sociologie. (11) D ' o ù la q u e s t i o n s o u l i g n é e par Geertz : c o m m e n t utiliser l'analogie du t e x t e via l'inscription d e R i c œ u r p o u r analyser les relations entre le s e n s et les a c t i o n s ? O u le va-et-vient e n t r e le portrait c o m m e totalité et les différents traits qui le constituent p o u r r e p r e n d r e une analogie simmellienne (in Der Portràt). Le c o n c e p t d'interaction r é c i p r o q u e qui voit d a n s la relation la m i s e e n relation du tout et d e la partie p e r m e t d ' é c h a p p e r à l ' o p p o s i t i o n h o l i s m e / i n d i v i d u a l i s m e m é t h o d o l o g i q u e qui tous d e u x hypostasient un des termes, qui d è s lors n'est q u ' u n e fiction la société d ' u n e part. L'individu d e l'autre (cf. P. Watier, Présentation g é n é r a l e d e G. S i m m e l : la s o c i o l o g i e et l ' e x p é r i e n c e d u m o n d e m o d e r n e , Méridiens, Klincksieck, 1986). (12) G. S i m m e l , S o z i o l o g i e , o p . cité, p . 3 5 4 . (13) B r û c k e u n d Tùr, p . l . Or, cette antinomie et cette unité, tenues ensemble, renvoient au tragique de l'existence humaine telle que Simmel la décrit par ailleurs ; mais ce sont également des catégories fondamentales pour le sociologue, qui lui évitent d'hypostasier ou le Social ou l'Individuel ; de ne définir l'individu que c o m m e un jouet à l'intérieur du social, toute la sphère psychique étant perçue sur le modèle d'une absorption par le social ; ou bien de ne voir que l'individu. Ici encore l'actualité de Simmel peut-être notée : cette mise en cause de la représentation holiste et de la représentation individualiste est bien saisie notamment par Touraine et Morin dans le numéro des Cahiers internationaux de Sociologie intitulé Bilans Sociologiques II. Touraine insiste sur la capacité de distanciation de l'auteur (9) par rapport à des systèmes de reproductions sociales et culturelles et sur la nécessaire interaction réciproque entre ces systèmes et l'acteur. Edgar Morin, reprenant cette notion de distanciation, retrouve les thèmes de l'essence de la philosophie qui pour Simmel servait à caractériser le philosophe et les applique au sociologue qui doit avoir conscience qu 'il n 'est qu 'un fragment de la société mais loin de n 'être qu 'une partie de ce tout, le tout se trouve présent en lui d'une certaine façon (10). En ce sens d'ailleurs l'interprétation des actions requiert ce que l'on a n o m m é le cercle herméneutique qui va des parties au tout et du tout aux parties (11). Cette distanciation est bien entendu liée à l'individuation croissante qui en est comme la condition de possibilité, -65 - mais cette individuation ne pousse pas simplement l'individu à se refermer sur ce sacré personnel, c'est elle qui permet ce que Simmel appelle ces amitiés différenciées qui nous mettent en relation avec un individu en terme d'affection, avec un autre pour des motifs intellectuels avec un troisième à partir d'impulsions religieuses et avec un quatrième en termes d'expériences communes (12). Individualisation qui ici encore est en relation réciproque avec la société, la taille des groupes et le nombre d'affiliations possibles. Ainsi la sociologie de Simmel montre une relation réciproque à l'œuvre dans toutes les formes de socialisation : le secret, la discrétion n'exist e n t q u ' e n r e l a t i o n a v e c la connaissance et la parure, l'Etranger s'oppose et en même temps participe du même être que le résident et le voyageur, l'individualité de l'être pour soi s'oppose à l'être pour les autres, mais l'être pour soi n'existe que pour les autres et vice versa, l'amour est possession et non possession, l'a priori, les catégories d'une part et l'expérience d'autre part, mais celle-ci venant jouer pour assouplir, modifier ceux-ci. Cette manière d'envisager les formes comme limites et les transitions fluides qui courent entre elles et les contenus, ces fils qui se tissent, se détissent, se renouent, voilà autant d'éléments qui illustrent le rôle du dualisme et de l'action réciproque et que résume cette phrase souvent citée : L'image des choses extérieures se présente à nous en un double sens : c'est que la nature peut nous apparaître comme si tout était lié ou comme si tout était séparé (13). J'avais proposé le terme de séparation liante emprunté à Lévinas pour rendre compte analogiquement et de manière oxymorénée des antinomies de la sociabilité et de l'indivualité. En ce sens cette figure de réthorique ne veut que soutenir le caractère tensionnel de la sociologie de Simmel qui repose sur la relation réciproque entre la forme et l'expérience. Comme l'ont montré W. Jankélevitch à propos de la philosophie de la vie et J. Freund pour la sociologie, la forme chez Simmel est liée à l'expérience. Ici encore son épistémologie est fondée sur le va-et-vient dans son existence lui est le plus personnel, le plus souvent nous constatons une forme préexistante que nous avons remplie de notre manière entre formes et contenus ou mieux à]hê expériences qui agissent en retour sur la forme. Le terme de formisme proposé parM. Maffesoli permet de mettre en évidence la plasticité, le caractère fongible, des à priori nécessaires à la connaissance. Dans ce cadre, comme le souligne Simmel il s'agit d'assouplir les à priori dans le cadre de la connaissance historique et de la connaissance de la société, et ceci en intégrant l'impact en retour des contenus sur les formes de connaissance, car le savoir n'est pas une adéquation définitive à son objet. Ainsi que le signalait W. Jankélevitch, le seul fait réel c'est la relation complexe mouvante, multiforme d'un objet qui n'est connu que modèle pétri, découpé dans l'étoffe de la nature parles catégories subjectives, avec un sujet qui à son tour se transforme et se développe sous l'action des contenus objectifs que lui-même assimile : la seule réalité en somme c'est la vie, la vie ondoyante, fluide et progressive du connaître qui se cherche, tâtonne et peu à peu resserre son emprise sur l'objet (14). (14) W. Jankélevitch, G. Simmel, P h i l o s o p h i e d e la vie, R.M, et M, 1 9 2 5 , p . 2 2 0 . (15) C o m m e n t la s o c i é t é est-elle p o s s i b l e ? (l6)Lebensanschaùng, p.37. (17) ib., p . 3 7 . (18) L e b e n s a n s c h a ù n g , p . 7 9 . Mais il faut bien en quelque sorte prendre appui sur des éléments stables et la compréhension se souvenant du secret de l'autre s'appuyera sur la typification comme le font les individus dans la vie courante mais se souviendra que celle-ci est fragmentaire. Appliquant ce principe aux prob l è m e s de la p h i l o s o p h i e d e l'Histoire, Simmel retrouve les questions soulevées par W. Dilthey et cherche à fonder la possibilité d'un intérêt général et objectif à travers l'expérience qu'un individu prend de l'histoire, de l'art, de toute réalité. En dernier ressort la théorie de la compréhension repose sur le type humain qui enveloppe tout individu, dessine les contours dans lesquels va se glisser sa personnalité. Il est très rare qu 'un homme détermine sa manière d'être uniquement à partir de ce qui - 6 6 - pèttôMèh. Comme nous le soulignions cidessus, c'est cette forme, sous la figure de type, que la connaissance cherche à atteindre, et ce faisant peu importe que l'individu comme l'individualité propre soit atteignable, et même que cette méconnaissance soit u n à priori intrinsèque de la connaissance, voire de toute interaction sociale (15). Dans tout tempérament s'exprime un type et nous l'atteignons en généralisant des traits, en procédant par typification. Mais cette typification est inéluctablement fragmentaire et cela selon un double registre : non seulement nous ne sommes que des fragments de types culturels généraux et sociaux que nous incarnons, mais encore nous sommes aussi des fragments du type que nous sommes uniquement nousmêmes (16). Nous retrouvons ici le va-et-vient de l'action réciproque à travers les différents plans de vie, des mondes entre lesquels nous circulons chacun d'eux représente la totalité du monde en rapport à un principe différent : mais de chacun notre vie n 'utilise qu 'un fragment à un moment donné (17). Simmel ainsi fournissait comme W. James un des points de départ de la sociologie phénoménologique de Schutz dont on sait tout l'intérêt pour les quesions de la construction sociale de la réalité. Si la compréhension sociologique comme l'ensemble du savoir ne saurait être que typification et fragmentaire (bruckstùckhaft) le relativisme de Simmel suppose à la fois la possiblité de l'intelligibilité et sa négation au moins partielle. Nous ressemblons tous au joueur d'échecs : s'il ignorait les conséquences qui résultent d'un coup avec ce degré de probabilité qui suffit dans la pratique, le jeu serait impossible : mais il ne le serait pas moins si ce pouvoir de prévision allait à l'infini (18). (19) Les p r o b l è m e s d e la p h i l o s o p h i e d e l'histoire, p.178. (20) W. J a n k é l e v i t c h , o p . c i t . P . 2 3 8 . (21) S o z i o l o g i e , p . 5 5 , Ricœur, p . 5 5 , d é v e l o p p e dans son a p p r o c h e d e la relation entre Science et idéologie, une dialectique d e l'appartenance et d e la m i s e à distance qui p a r t a g e d e s notations d e G. S i m m e l . Sciences et Idéologie in Du t e x t e à l ' a c t i o n p . 3 0 3 - 3 3 1 , Seuil, 1986. (22) Ib., p.337. (23) H a m b u r g e r J . , Préface à la P h i l o s o p h i e d e s S c i e n c e s a u j o u r d ' h u i , D u n o d , 1986. La connaissance oscillera ainsi entre savoir scientifique et interprétation artistique et, comme le soulignait R. Aron à propos de Dilthey, la compréhension est beaucoup plus proche de la vision d'un artiste, elle est vraie parce qu'elle exprime la signification du modèle, c'est-à-dire les caractères typiques susceptibles d'intéresser tous les hommes. Dans les problèmes de la Philosophie de l'histoire, Simmel montre que la compréhension est comparable à l'activité du peintre qui crée une totalité, une structure, une articulation des éléments qui prennent sens les uns par rapport aux autres (19), et elle y réussit parce qu'elle est soumise aux mêmes contraintes celles de la proximité et de la distance. Le modèle de référence sera artistique, car Comme la valeur esthétique a été projetée très loin du moi, elle atteint plus communément que les autres ce plan optimum au niveau duquel l'objectivité atteint son maximum d'autonomie compatible avec la survivance des éléments subjectifs et la vie subjective son minimum d'intensité compatible avec l'existence des éléments objectifs (20). Maniant ces mêmes catégories de la proximité et de la distance, qui s'impliquent mutuellement, la compréhension suppose le partage et l'éloignement. Dans Soziologie, Simmel précisait ainsi les conditions de la compréhension : Seulement là où nous sommes proches, à l'intérieur nous sommes égaux et nous comprenons, mais seulement là où la distance préexiste aux contacts immédiats à tous les sens du mot nous avons le détachement et l'objectivité qui sont également nécessaires à la connaissance et à la compréhension. Ce dualisme de la proximité et de la distance est inhérent pour ainsi dire aux formes fondamentales de notre vie (21). Je voudrais pour conclure signaler en dehors des sciences sociales proprement dites les convergences qui se font jour actuellement. La sociologie de Simmel manie les points de vue, les angles d'approches, insistant sur - 6 7 - l'information nécessaire du donné. Aucun savoir psychologique n'est une pure duplication de son objet mais dépend ainsi que le savoir de la nature des formes que l'esprit connaissant lui applique et à travers lesquelles il informe le donné (22). Ces convergences que je signale, minent ce q u ' o n a pu appeler le réalisme totalitaire, et J. Hamburger, dans la préface à la Philosophie des Sciences aujourd'hui, indique quctes raisons s'accumulent pour penser que cette étrange condition de la connaissance humaine est une condamnation sans appel de notre espoir instinctif d'apercevoir l'objet en soi, indépendamment de notre approche. Ce que nous appelons la réalité n 'est qu'une synthèse humaine approximative bâtie à partir d'observations diverses et de regards discontinus (23). Patrick Watier