Les Amis de la Terre Bouches-du-Rhône/Provence Monsieur le
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Les Amis de la Terre Bouches-du-Rhône/Provence Monsieur le
Les Amis de la Terre Bouches-du-Rhône/Provence Monsieur le Président, Messieurs les Membres de la Commission d'enquête Objet : Enquête publique rejets Altéo Les Amis de la Terre des Bouches-du-Rhône tiennent à vous faire part des remarques suivantes : 1/ Depuis 1993, l'usine a jeté plus de 10 milliards d'euros à la mer En 1993, dans un rapport daté du 5 novembre, l'Inspecteur des Installations classées indiquait en conclusion (page 5), qu' «Aluminium Péchiney étudie depuis de nombreuses années des solutions alternatives : - le retour du stockage à terre avec ses inconvénients ; - le recyclage des résidus » Cela correspond au discours des responsables de Péchiney qui avaient indiqué aux associations, au début de l'année 1993, que le problème des boues rouges serait réglé dans les 5 ans (donc pour 1998). Les associations avaient alors demandé à l'entreprise de cesser tout rejet sans attendre. Or, depuis cette époque, l'arrêté préfectoral du 1 er juillet 1996 (non fourni à l'enquête publique) a permis le rejet de 6 350 000 de tonnes de boues rouges dans la mer Méditerranée. Dans ces rejets, en application de l'arrêté préfectoral du 1 er juillet 1996 (encore une fois non présenté à l'enquête publique), 593 125 tonnes de titane, considéré comme un métal rare, pouvaient être rejetées en mer sur la période allant de 1996 au 31 décembre 2015. Le prix du titane (fourchette basse) s'élève à 5 €/kg. Ainsi, pendant cette période, le montant gaspillé pour le titane s'élève à près de 3 milliards d'euros. En même temps, 500 000 tonnes d'aluminium, au prix de 15 €/kg, sont allées dans la fosse de Cassidaigne : c'est ainsi un capital de plus de 7 milliards d'euros qui a été perdu car les rejets en mer ne permettent plus de récupération, alors qu'un stockage à terre - qui a certe un coût plus élevé laisse l'ouverture à toute récupération, dès lors que les techniques sont au point. C'est ce que prévoyait Péchiney en 1993 et c'est ce que s'apprète à faire l'entreprise canadienne Orbite qui développe un processus permettant de récupérer l'aluminium restant dans les boues rouges (après extraction de l'alumine par le procédé Bayer) et qui vient de s'associer avec Véolia pour les traiter (http://www.lesaffaires.com/bourse/nouvelles-economiques/orbite-s-associe-au-geant-francaisveolia-pour-traiter-les-boues-rouges/553848). Ceci devrait réjouir les partisans de l'économie circulaire, comme le député François-Michel Lambert, et les amener à faire pression sur Altéo. Par ailleurs, et sans prendre en compte tous les autres composants de ces boues que l'on devrait retrouver (selon un rapport de l'ICC) dans l'arrêté préfectoral initial du 23 mai 1966 (arrêté que nous n'avons pu retrouver et qui n'apparaît pas dans le dossier soumis à enquête publique), nous vous indiquons que des laboratoires sur Gardanne ont travaillé sur la récupération du gallium (30 à 80 grammes par tonne de bauxite pour un prix de 400 € par kg) et ont montré qu'une récupération annuelle de 10 tonnes permettait une vente de 4 millions d'euros! (pourtant, avec la fermeture de Metaleurop, les laboratoires de Gardanne ont abandonné cette piste). Ainsi, si le stockage à terre a un coût (environ 10 M€/an), le développement d'activités de récupération en traitant ces boues rouges - que ce soit par l'usine elle-même ou en vendant ces terres à des entreprises chargées du recyclage- étaient créateur d'emplois tout en permettant des bénéfices substantiels pour l'entreprise. Mais les responsables n'en ont cure car ce qu'ils recherchaient étaient le profit immédiat de leurs actionnaires (le rejet en mer ne coûte que 1,6 M€/an) plutôt que d'approfondir la récupération de métaux, dont certains sont rares, gage cependant de profits plus substantiels, mais à long terme. 2/ Altéo a volontairement truqué le dossier déposé à l'enquête publique Dans le cadre de l'étude d'impact présentée à l'enquête publique, le bureau d'études Safege a effectué une analyse multi-critères en ce qui concerne le choix de la solution retenue. De l'analyse de 6 situations présentées (cf. page 23 du résumé non technique de l'étude d'impact), nous comparerons seulement les deux situations concernant le rejet en rivière (la Luynes) après épuration et le rejet en mer (plus de détails peuvent être trouvés dans le tome 2 partie 1 de l'étude d'impact, pages 41 et 55). Cette grille multi-critère prend en compte des critères économiques et des critères environnementaux auxquels le bureau d'étude a affecté un certain nombre de points, allant de 0 à -9. Bien que cette affectation, arbitraire, puisse être contestable, nous n'en discuterons pas. Cependant, en procédant par comparaison, nous constatons que : - il a été affecté - 9 points pour la construction du réseau qui irait de l'usine à la rivière pour des perturbations environnementales lors des travaux alors que la Luynes se trouve à proximité de l'usine et qu'elle passe là dans une zone fortement artificialisée, ce qui paraît fortement exagéré ; par contre pour le rejet en mer il n'y a pas de pénalité : or, si la conduite existe, il y a peut-être certains tronçons à changer comme l'indique le rapport de l'inspection des installations classées de 2012 (pour l'année 2011) faisant état d'une usure du tronçon dans le secteur du Mussuguet, usure qui pourra se reproduire dans d'autres secteurs, la conduite ayant maintenant 50 ans. - plus grave, en cas de rupture de canalisation : - 9 points sont ôtés au rejet en rivière pour une canalisation très courte et qui n'aura aucun impact en cas de rupture alors qu'une rupture sur les 55 km de la canalisation qui va à la mer n'est affectée que de 3 points négatifs !? - en ce qui concerne les critères technico-économiques, le rejet en rivière est imputé de - 9 points car il faudrait un investissement de 20 M€ et un coût annuel de fonctionnement de 11 M€ pour obtenir la qualité de rejet imposée par l'arrêté ministériel du 2 février 1998 tandis que le rejet en mer n'aurait qu'un investissement de 1M€ et un coût de fonctionnement de 1,6 M€ pour rejeter en prenant en compte la dérogation demandée par Altéo afin de ne pas respecter l'arrêté ministériel de 1998 ! Ainsi, si Altéo peut respecter l'arrêté ministériel en réalisant une station d'épuration dans l'usine avant de rejeter les eaux dans la Luynes, ils doivent être capables de réaliser la même station d'épuration avant de rejeter les eaux en mer. Pourtant ils écrivent qu'il n'est pas possible d'épurer aux normes de cet arrêté ministériel avant le rejet en mer ! L'autorité environnementale, l'administration de la DREAL, chargées de contrôler et d'exprimer un avis sur ce dossier ne notent pas cette contradiction : ne l'ont-ils pas vu ou bien, obnubilés par « la sauvegarde de l'emploi » mise en avant par l'entreprise, ont-ils volontairement fermé les yeux ? Et Altéo demande cette dérogation pour 5 paramètres dont l'arsenic (afin de rejeter 34 fois plus que la norme ministérielle de 1998) et l'aluminium avec près de 250 fois la norme ministérielle qui est de 5 mg/litres. En rejetant ainsi 1226 mg/litre, cela correspond, avec un rejet de 270 m3/heure, à un rejet en mer d'environ 3000 tonnes d'aluminium/an, soit un gaspillage de 45 M€ par an, tout cela pour dépenser le moins possible à court terme alors que la récupération de cet aluminium apporterait non seulement des emplois, mais des bénéfices supérieurs à l'entreprise, mais ceci à plus long terme. On peut donc constater que le rejet en mer avec dérogation est la solution de facilité pour l'entreprise et la moins onéreuse à court terme, ceci au détriment de l'environnement et de l'emploi. 3/ Non respect des conventions internationales Dans son article 8, la Convention de Barcelone, qui fit l'objet d'une directive européenne du 25/07/1977, se penche sur les pollutions d'origine tellurique, dont les pollutions amenées par des réseaux. Cette convention n'a cependant pas perturbé le préfet des Bouches-du-Rhône qui, par arrêté du 24 mai 1978, impose (dans l'article 50 d) des seuils pour 6 paramètres seulement, dont le pH, entre 6 et 9 (actuellement Altéo demande d'atteindre un pH de 12,4!), la DBO5 limitée à 30 mg/l (maintenant Altéo demande 80 mg/l), les Matières en Suspension (MES) à 30 mg/l (et on en est maintenant à 35 mg/l), la DCO, pour 90 mg/l (et Altéo demande 800 mg/l). A l'analyse de cet arrêté, on peut constater que : - soit les prescriptions du 24/05/1978 n'ont pas été appliquées et l'ICC n'a pourtant pris aucune sanction ; - soit ces prescriptions ont été appliquées et il n'y a donc pas lieu d'accroître les limites maximales de ces 4 normes de rejet (pH, DBO5, DCO et MES) puisque l'entreprise a pu les respecter jusqu'à ce jour. Pour compléter la Convention de Barcelone, et préciser un peu plus les normes de rejet, l'Union Européenne, par directive 83/101/CEE du 28 février 1983 a pris un « protocole relatif à la protection de la mer Méditerranée contre la pollution d'origine tellurique ». les articles 5 et 6 de ce protocole amènent les États à interdire tout rejet toxique, persistant ou bioaccumulable en ce qui concerne notamment le mercure (il en est actuellement rejeté 20 kg/an) et le cadmium (actuellement 400 kg rejetés par an), les substances radioactives et les composés organophosphorés et organohalogénés. Ainsi depuis 1983, des rejets toxiques ont continué en violation avec un protocole international. En ce qui concerne l'article 6, qui touche d'autres paramètres comme le titane, l'étain, le cuivre, le nickel, les cyanures, l'arsenic… le rejet ne peut être « autorisé que par les autorités nationales compétentes ». Ainsi les limites de rejet, si rejet a lieu, doivent être fixées par le Ministère de l’Écologie, du Développement Durable et de l’Énergie. 4/ L’État, au lieu de faire appliquer le principe constitutionnel de pollueur-payeur, soutien financièrement le pollueur-gaspilleur ! Alors que la redevance « Eau » qu'aurait du payer l'entreprise à partir de 2012 devait s'élever à 13 M€ par an, l’État, par l'intermédiaire de la loi de finances rectificative de 2012, a décidé de réduire le montant annuel de cette redevance à 2,5 M€, soit 5 fois moins : - sans imposer à l'entreprise la moindre contrepartie en matière de dépollution, - sans demander les bilans de l'entreprise pour vérifier les bénéfices et leur affectation. De plus, une subvention de 15 M€ a été accordée à Altéo pour la création de filtre presse, avec seulement une menace de remonter la taxe eau à 10 M€ s'il n'y a « pas d'engagement à terme ». La Cour des Comptes ne s'y est pas trompé en offrant un encart particulier à l'usine Altéo dans son rapport 2015 (page 78) et en indiquant que les pollueurs sont insuffisamment taxés. Mais les services de l’État ne semblent pas l'écouter !. Afin d'amener Altéo à investir rapidement dans un traitement qui devrait être conforme au minimum à la norme de rejet ministérielle de 1998, il n'est pas possible d'autoriser Altéo, comme certains le préconisent, notamment le Parc National des Calanques, à déverser encore ses rejets en lui demandant uniquement de faire un effort, ou en limitant dans le temps des rejets avec dérogation. Déjà en 2012, le comité de suivi scientifique en présentant son rapport au CODERST, avait étudié l'analyse multicritères d'Altéo et les différentes possibilités de traitement pour permettre le respect des normes, mais Altéo n'a rien fait depuis. Aussi, si on veut vraiment qu'il réalise rapidement les installations nécessaires, il faut imposer à Altéo, à partir du premier janvier 2016, un paiement annuel de 30 M€ en application du principe pollueur-payeur, au titre de la redevance eau, de la TGAP ou de ce principe constitutionnel. Cette somme correspond au prix de la station de traitement, évalué par Altéo dans le cadre de l'analyse multicritères et au coût de fonctionnement annuel. Cette imposition annuelle ne pourra être rendue que lors de la mise en place d'un traitement conforme et seulement pour la dernière année d'imposition : ainsi si le traitement ne devient conforme qu'au bout de 4 ans, Altéo aura versé 120 M€ et on lui remboursera la dernière année, soit 30 M€. Avec un gain de 45 M€ pour la récupération annuelle des 3000 tonnes d'aluminium, Altéo aura alors un intérêt financier fort légitime pour réaliser les équipements de dépollution ! En conclusion : - Notant que l'article 4 de l'arrêté préfectoral du 01/07/1996 indique la «cessation de tout rejet en mer au 31 décembre 2015 » et n'indique pas la cessation uniquement du rejet de résidus, - Notant que l'arrêté ministériel du 02/02/1998 indique, en application des articles 32 et 33, que doivent être utilisées les meilleures techniques disponibles, que celles-ci existent car elles vont être développées au Canada, - Notant que les pouvoirs publics doivent enfin faire appliquer le principe de pollueur-payeur, Nous demandons : - L'interdiction totale de rejet, liquide et solide, en mer à partir du 1/01/2016 ; - L'application d'une imposition annuelle de 30 M€, payable d'avance, au titre de pollueurpayeur, pour tout rejet liquide à partir du 1/01/2016 ; - La création d'une commission indépendante de suivi de site pour l'usine Altéo et ses dépendances, afin de réduire et de prévenir toute pollution, y compris pour le site de la décharge de Mange-Garri, et que les personnes et associations ayant participé à l'enquête publique puissent désigner, parmi elles, au moins 25% des membres de la commission ; Le 20/09/2015 Pour Les Amis de la Terre Bouches du Rhône Véronique Sinou Co-présidente