réactionnaires dans l`école

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réactionnaires dans l`école
RÉACTIONNAIRES DANS L’ÉCOLE
Les ennemis
de nos ennemis…
La lutte contre la politique gouvernementale en matière d’éducation, il y a quatre ans, a laissé des traces aussi
inattendues que délétères : sans doute obnubilés par la personnalisation du combat et aveuglés par la nécessité de “battre Allègre”, certains d’entre nous se sont parfois laissés entraîner dans une politique de “front
commun” en étant peu regardants sur les orientations et les motivations de nos “alliés” du moment.
M
ais aujourd’hui, ces derniers sont encore là, et
bien là, et prêts à
monopoliser le discours
sur l’école. On assiste
en effet à un déferlement, et pas
seulement à droite, de remises en
question de l’école actuelle au profit d’un retour à “l’école d’autrefois” et aux “bonnes vieilles
méthodes”. Fillon n’a plus qu’à
se laisser porter sur la vague pour
en appeler à la dictée et aux récitations et déclarer dans le Figaro
Magazine du 11 septembre, interrogé à l’occasion d’un “pèlerinage”
à l’école-musée du Grand
Meaulnes : “le savoir est chose
sacrée”. Tout un programme.
Il est temps de réagir, de réaffirmer, de défendre et de promouvoir nos positions et nos propositions, et d’appeler un chat un chat.
Et un réactionnaire un réactionnaire, où qu’il prétende se situer
sur l’échiquier politique ou syndical. Si nous avons appris à
dénoncer et à combattre les
tenants du libéralisme et de la
marchandisation de l’école, notre
vigilance ne doit pas pour autant
être en défaut face aux assauts
réaction
Enfin un outil de lutte
contre la décentralisation !
• Pour comprendre les enjeux de cette
décentralisation,
• Pour savoir ce qui va changer pour
les TOS,
• Pour contrer la propagande des chefs
et du gouvernement ainsi que le tissu de
mensonge appelé “L’avenir des TOS : 50
questions-réponses” (disponible sur le
site Internet du ministère),
La fédération Sud éducation publie une
brochure d’information et de lutte contre
la décentralisation : “La décentralisation
contre le service public, les statuts, les
personnels”. Elle est disponible au prix
de 2 euros.
Sont également disponibles gratuitement :
• une affiche (format A2 : 59,4 cm X
42 cm) contre la décentralisation
• Un 4 pages expliquant succinctement
ce qui va changer pour les TOS si on
laisse passer ça.
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réactionnaires de ces défenseurs
autoproclamés de “l’école républicaine”. Tous les procédés et les
artifices de la démagogie populiste sont en effet à l’œuvre :
◆ D’abord, pour préparer le terrain, rien de tel qu’une bonne
dose de nostalgie médiatisée :
après Etre et Avoir, “le” film dans
lequel certains ont voulu voir
l’école d’autrefois, c’est Le pensionnat de Chavagnes, l’émission
de télé-réalité pour les jeunes des
banlieues favorisées, censée
reconstituer les conditions d’un
pensionnat des années 50. Et pour
les plus mûrs —on n’osera pas dire
blets—, l’occasion de passer le certificat d’études comme autrefois,
de décrocher “le” diplôme de
grand-papa avec Vive le certif !, le
livre qui propose cent sujets de
jadis !
toujours : “J’apporte aussi des
informations, cachées, muselées.”
Fanny Capel dans Le Figaro Magazine : “c’est l’institution tout
entière qui, depuis l’école primaire, orchestre l’insupportable
privation du savoir”. Jouer au petit
village gaulois assiégé : “ Pendant
vingt ans, l’Education nationale
m’a empêché de faire mon
métier” (Le Bris)
◆ Ensuite, jouer les Savonarole ou
les Chevaliers blancs. Marc Le
Bris : “J’ai écrit ce livre pour alarmer les parents, pour qu’ils sauvent leurs enfants en faisant le travail de l’école à la maison.” Cette
prétention à “sauver” est d’ailleurs
le principe récurrent de tous les
sites créés depuis 4 ans : Sauver
l’école, Sauver les Lettres, Sauver les
maths…
◆ Et bien sûr afficher son “bon
◆ Dans le même temps, crier au
loup et annoncer “la” catastrophe : plus c’est gros, plus ça
marche. Et là, les titres chocs ne
manquent pas : le Journal d’une
institutrice clandestine de Rachel
Boutonnet en septembre 2003,
L’École à la dérive - Ce qui se passe
vraiment au collège, d’Évelyne
Tschirhart en janvier 2004, Qui a
eu cette idée folle un jour de casser
l’école ? de Fanny Capel en mars
2004, Et vos enfants ne sauront pas
lire... ni compter de Marc Le Bris
en avril 2004…
Evidemment, les magazines qui
interviewent ces auteurs ne sont
pas en reste, jouant sur le catastrophisme et l’émotionnel : “Pourquoi nos enfants ne savent plus
lire, ni écrire” titre Madame Figaro
du samedi 28 août 2004. Mais ils
n’ont pas toujours besoin de forcer le trait : les pamphlétaires euxmêmes donnent dans le démesuré : “au niveau littéraire et
scientifique nous sommes en
situation de catastrophe culturelle”, proclame dans Le Figaro Littéraire Marc Le Bris.
◆ Pour être sûr de son effet, affo-
ler les parents par livres et médias
interposés : Marc Le Bris explique
dans un entretien à La Voix du
Nord : “Mais le pire c’est la lettre
désespérée que j’aie reçue de ce
papi hier matin. —Monsieur,
qu’est-ce que je peux faire ? Mon
petit-fils a huit ans, il rentre en
CE2 et personne ne lui a appris
les lettres !”
◆ Bien sûr, éviter de dénoncer un
adversaire clairement défini —tel
ministre, tel gouvernement, telle
politique— mais développer la
théorie du complot. Marc Le Bris
Éducation / Le journal / numéro 10 / décembre 2004 janvier 2005
sens” : ce sont des conceptions
“idéologiques” qui ont détruit
l’enseignement ; “les travaux systématiques ont été remplacés par
des théories” (Le Bris). Ainsi de la
prétendue “méthode globale”
d’apprentissage de la lecture, ou
même de la “semi-globale” : “Elle
part du même principe en mettant les enfants devant des mots
entiers, on veut leur faire découvrir
par eux-mêmes le code alphabétique, au lieu de le leur donner à
apprendre. Là est la cause de
l’échec.” (Le Bris). Et voilà pourquoi votre fille est muette…
Le bon sens et un peu de sentimentalité : “Expliquez à votre
enfant qu’on va apprendre avec
la méthode de maman. Et achetez
une méthode Boscher.” La dite
méthode, bien que datant de
1907, se vend à 80 000 exemplaires chaque année. A moins
que ce ne soit parce qu’elle date
de 1907…
Faire, parfois, dans l’humour, la
dérision, pour mettre le “bon
peuple” des rieurs de son côté ;
c’est quasiment une constante
des “témoignages” des “jeunes
professeurs” soudain devenus
auteurs : Mara Goyet dans son
Collèges de France tiré en 2003 à
plus de 50 000 exemplaires est
représentative de cet humour
mordant et cynique, au détriment
de ses pauvres élèves de cette
Seine-Saint-Denis où elle est arrivée, ce qui fait dire au sociologue
Stéphane Beaud que “Collèges de
France est une forme d’ethnocentrisme de classe”.
◆ Enfin, entrer en résistance. Par-
don, en Résistance. Rachel Boutonnet : “Je suis une jeune insti-
tutrice : ma troisième année d’enseignement vient de se boucler.
Je sais, le terme de «clandestine»
peut faire sourire. Pourtant, j’insiste. J’efface soigneusement le
tableau quand je quitte ma classe
pour qu’on ne voie pas trace de
mon travail, je fais recouvrir de
papier kraft les manuels avec lesquels mes élèves apprennent à lire
—et que j’ai achetés sur mes
deniers. Je tais soigneusement mes
convictions et beaucoup de mes
méthodes. Elles n’ont pas l’heur
de plaire à certains de mes collègues et, en tout cas, elles répugnent franchement aux membres
de l’Inspection.” Et quelles
méthodes ! La méthode Boscher
encore.
On pourrait trouver que ce n’est
pas nouveau : des pamphlétaires
de droite avaient depuis des
années ouvert la voie. En 1999
le reporter Thierry Desjardins,
adjoint au directeur général du
Figaro, publiait déjà Le scandale de
l’Éducation nationale —Ou pourquoi
(et comment) l’école est devenue une
usine à chômeurs et à illettrés ?
La nouveauté aujourd’hui, et elle
est fondamentale, c’est que pratiquement tous ces ouvrages ont
comme caractéristique d’être rédigés par des enseignants —ça
donne un cachet “authentique”,
souvent jeunes, et membres pour
la plupart des deux associations
Reconstruire l’école et/ou Sauver les
Lettres, nées comme bien d’autres
collectifs lors de la lutte contre
Allègre. Que dans ces associations
se retrouvent des gens qui se réclament (ce qui n’empêche pas certains de se répandre dans Le
Figaro…) d’une école républicaine,
de la laïcité, du service public, qui
dénoncent volontiers la marchandisation de l’école (voir l’encart Sauver les Lettres). Que s’y
retrouvent des gens de gauche,
parfois syndiqués dans des syndicats eux aussi classés à gauche ;
que la Gauche Républicaine les
apprécie et que les Comités
REPERE (REsistance Pour une
Ecole REpublicaine) considèrent
Reconstruire l’Ecole comme des
“amis”. Ils n’en sont pas moins
dangereux.
Car, d’abord, les seules “solutions”
qu’ils proposent avec acharnement, LA solution, c’est encore et
toujours le retour aux “bonnes
vieilles méthodes” : il y a quatre
ans, les premiers “sauveteurs” voulaient sauver la dissertation.
Aujourd’hui, c’est “la dictée
d’autrefois”, la “récitation”, la
“méthode Boscher de lecture syl-
labique” qui sont prônées et mises
en exergue. Il y a là soit un mensonge soit un fantasme : l’école
d’autrefois n’était pas plus qu’aujourd’hui une école “pour tous”.
Leur point commun, c’est leur
focalisation sur la “transmission
des savoirs” et leur hargne contre
tout ce qui ressemble à de la
recherche pédagogique, comme
si elle traduisait quelque désarroi
devant des évolutions qui ne correspondent pas à leurs schémas
préétablis, qui leur fait chercher
un bouc émissaire et fantasmer
sur un âge d’or mythique.
Car, ensuite et surtout, le passage
de la réaction pédagogique à la
régression sociale et politique n’est
jamais loin. S’il ne s’agissait que
de méthodes pédagogiques, on
pourrait en sourire. Mais ce qui
transpire derrière tous ces pamphlets, c’est la pauvreté de leurs
analyses politiques et sociales, leur
incapacité à envisager une transformation de l’école, leur rejet in
fine de cette démocratisation que
nous appelons de nos vœux.
Il suffit d’écouter Le Bris, qui, âge
et formation syndicale aidant, va
plus loin que les “jeunes profs”,
exposer plus en détails “sa” solution : abroger la loi Jospin de 1989
car c’est un “crime contre l’enfant”, rétablir “l’orientation vers
les CAP à la fin de la 5ème”, ouvrir
“des classes spécialisées”. Ce
membre actif de l’association Sauver les Lettres a au moins un admirateur : le ministre Fillon, qui,
d’après Le Monde du 14 septembre, l’a lu pendant les vacances
avec le livre de Mara Goyet et qui
a trouvé dans ces deux ouvrages
“un fond de vérité”…
Non, vraiment, ces gens là
ne défendent pas
la même école que nous.
Sud éducation Puy de dôme