hépatite par toxique..
Transcription
hépatite par toxique..
THÈME FORMATION PERMANENTE ATTITUDES CLINIQUES TECHNIQUE PRODUITS VÉTÉRINAIRES Le foie Chez les carnivores domestiques, les intoxications à l’origine d’affections hépatiques ne sont pas fréquemment décrites, mais sont probablement sous-diagnostiquées. Néanmoins, certains xénobiotiques, toxiques et médicaments, peuvent être à l’origine d’hépatotoxicité, notamment par le biais de la production de métabolites hépatotoxiques. Les affections hépatiques d’origine toxique et médicamenteuse chez les carnivores domestiques Toxic and drug-induced hepatic disorders in domestic carnivores H. POULIQUEN* * Unité de pharmacologie et toxicologie ENVN Atlanpôle - La Chantrerie BP 40706 44307 NANTES CEDEX 03 Article reçu en juillet 2000 Résumé Summary Les affections hépatiques d’origine toxique et médicamenteuse chez les carnivores domestiques ’hépatotoxicité résulte, soit d’une action directe du xénobiotique parental (non biotransformé par l’animal), soit, plus souvent, de la production de métabolites hépatotoxiques. Les affections hépatiques aiguës se caractérisent principalement par des lésions hépatiques de surcharge (stéatose, etc.), de cholestase, de dégénérescence et/ou de nécrose. Les affections hépatiques chroniques sont, quant à elles, à l’origine de lésions hépatiques de stéatose, de fibrose et/ou de cirrhose [16]. L’action toxique des xénobiotiques sur le foie est décrite en mettant en avant le rôle des biotransformations hépatiques, puis les xénobiotiques responsables d’affections hépatiques aiguës et chroniques sont successivement présentés. Seuls les principaux xénobiotiques responsables d’accidents d’hépatotoxicité chez le chien et le chat sont évoqués dans cet article. L Les affections hépatiques aiguës Généralités : signes cliniques et lésions Les affections hépatiques aiguës d’origine toxique et médicamenteuse sont rarement décrites chez le chien et chez le chat. Elles se développent suite à l’ingestion ou l’administration unique d’une quantité élevée de xénobiotique (tableau 1). Les signes cliniques observés ne sont pas spécifiques [6, 26] : ictère, signes digestifs et nerveux et troubles de l’hémostase. Certains paramètres biochimiques sanguins [26] sont généralement modifiés (tableau 2). LE POINT VETERINAIRE, vol. 31, n° 211, novembre-décembre 2000 • Les affections hépatiques aiguës se développent suite à l’ingestion ou l’administration unique d’une quantité élevée de xénobiotique : algues bleues, aflatoxines, champignons supérieurs, Lantana, palmiers Sago, phosphore et phosphures, fer, composés phénoliques, médicaments. Les signes cliniques et les lésions histologiques hépatiques ne sont pas spécifiques. L'autopsie met en évidence un foie de taille normale ou légèrement augmentée, des hémorragies (pétéchies et ecchymoses), une congestion et un œdème pulmonaire. Les maladies hépatiques chroniques se développent suite à l’ingestion ou l’administration réïtérée de faibles quantités de xénobiotiques : aflatoxines, plantes du genre Indigofera, cuivre, médicaments. Les signes cliniques ne sont pas spécifiques. L’autopsie met en évidence un foie atrophié ou hypertrophié, souvent décoloré et de surface irrégulière, et un liquide d’ascite jaune clair en faible quantité. (4 photos, 2 tableaux, 33 références). Mots-clés : hépatotoxicité, intoxication, toxicologie, appareil digestif, chien, chat, carnivores domestiques. • Acute hepatic disorders may be caused by ingestion or a single administration of a large quantity of a xenobiotic (exogenous substance) such as bluealgae, aflatoxins, fungi, Lantana, Sago palms, phosphorus and phosphides, iron, phenolic compounds, or medicines. Clinical signs and hepatic histology are non-specific. On post-mortem, lesions found include a liver of normal size or slightly larger, haemorrhages (petechial and ecchymotic), and also congestion and pulmonary oedema. Repeated ingestion or administration of small amounts of xenobiotics such as aflatoxins, plants of the genus Indigofera, copper, or medicines causes toxic and drug-induced chronic hepatic disorders. Clinical signs are non-specific. Post-mortem lesions include an atrophied or hyperplasic liver, which is often discoloured and has an irregular surface, and there is a small amount of yellow ascitic fluid (4 photos, 2 tables, 33 references). Keywords: hepatotoxicity, poisoning, toxicology, gastro-intestinal system,dog, cat, domestic carnivores. Point Vét., 2000, 31 (211) 563-569 19 (563) Notes : * Eclatement du noyau de la cellule en débris basophiles. ** Condensation de la chromatine du noyau de la cellule, qui devient homogène et uniformément colorée. t biotoxines t toxiques L’autopsie permet de mettre en évidence [1, 16, 32] : - un foie de taille normale ou légèrement augmentée, de couleur plus ou moins pâle et de consistance souvent diminuée ; - des hémorragies (pétéchies et ecchymoses) qui siègent sur les séreuses, notamment de l’endocarde et de l’épicarde, et au niveau du tube digestif et de la vésicule biliaire. Ces hémorragies sont liées aux effets des métabolites toxiques excrétés dans la bile, à une consommation excessive de facteurs de la coagulation suite maladies hépatiques aiguës • algues bleues (= cyanobactéries) • aflatoxines • aflatoxines • champignons supérieurs (amanite phalloïde) • plantes (lantana, palmiers Sago) • plantes (Indigofera) minéraux • phosphure • fer organiques • composés phénoliques (crésols et xylophène) t toxiques t médicaments maladies hépatiques chroniques • cuivre • paracétamol • mébendazole • diéthylcarbamazine • oxibendazole + diéthylcarbamazine • halothane et méthoxyflurane • carprofène Algues bleues ou cyanobactéries • glucocorticoïdes • antiépileptiques • sulfonamides-triméthoprime • griséofulvine • naproxène • érythromycine • kétoconazole • méthotrexate • acétate de mégestrol Tableau 1. Causes des principales maladies hépatiques d’origine toxique et médicamenteuse chez le chien et chez le chat [4, 22]. En gras : les plus fréquentes. t ictère t signes digestifs t signes nerveux t ascite t hémorragies t signes urinaires t paramètres maladie aiguë maladie chronique possible possible uniquement dans les formes cholestatiques vomissements, diarrhée, coliques anorexie, vomissements, diarrhée, décoloration des selles maigreur coma, abattement, tourner en cercle, troubles du comportement, hypermétrie, convulsions convulsions, troubles du comportement, ataxie, amaurose absent possible hémorragies digestives, purpura se révélant lors d’une ponction veineuse ou d’une biopsie absents polyuro-polydipsie biochimiques sanguins ALAT phosphatases alcalines gammaGT acides biliaires albumine bilirubine totale ↑(↑) (↑) (↑) ↑↑ → (↑) ↑↑(↑) ↑↑(↑) ↑↑(↑) ↑↑(↑) (↓) ↑(↑) Tableau 2. Principaux signes cliniques et principales variations des paramètres biochimiques sanguins lors de maladies hépatiques aiguës et chroniques chez le chien et chez le chat [6, 26]. En gras : les signes cliniques les plus fréquents. (↑) parfois augmenté ; (↓) parfois diminué ; → normal. 20 (564) à des ruptures de capillaires sinusoïdes, et à une incapacité du foie lésé à remplacer ces facteurs de la coagulation ; - une congestion et un œdème pulmonaire. D’une part, une quantité élevée de métabolites toxiques et de produits de dégradation de la fibrine peut quitter le foie pour gagner les poumons. D’autre part, les poumons possèdent leurs propres enzymes d’oxydation et sont donc également susceptibles de transformer un toxique parental peu toxique en métabolites plus toxiques. Les lésions histologiques hépatiques ne sont pas spécifiques et n’ont donc qu’une faible valeur diagnostique et pathogénique. Les lésions de dégénérescence et de nécrose hépatiques sont caractérisées par des lésions des hépatocytes (dégénérescence granuleuse, dégénérescence vacuolaire, stéatose, accumulation de pigments biliaires, caryorrhexie*, pycnose**), un œdème des espaces de Disse, la présence de cellules inflammatoires et l’activation des cellules de Kupffer [1, 16, 32, 33]. Certaines algues bleues ou cyanobactéries, notamment des genres Microcystis, Anabaena et Aphanizomenon, peuvent être à l’origine d’intoxications graves chez les carnivores domestiques (principalement chez le chien) qui boivent l’eau des lacs, des étangs ou des ruisseaux [9, 11, 15]. Après une période de forte chaleur, notamment lorsque les concentrations de l’eau en ions phosphate et nitrate sont élevées, ces algues s’accumulent à la surface de l’eau : c’est le phénomène du “bloom algal”. Elles contiennent une toxine polypeptidique libérée lors de leur destruction, soit dans l’eau, soit dans l’estomac des animaux. La toxine pénètre dans les hépatocytes en utilisant les systèmes de transport des acides biliaires et ne nécessite pas d’être métabolisée pour exercer son action hépatotoxique. Elle agit en désorganisant la membrane cytoplasmique des hépatocytes, ce qui est à l’origine des lésions de dégénérescence et de nécrose de ces cellules. L’action de cette toxine pourrait également être renforcée par celles de bactéries saprophytes présentes dans l’eau de certains lacs, étangs et ruisseaux. Les signes cliniques observés, outre une dyspnée parfois sévère, sont principalement digestifs et nerveux. Lors d’évolution suraiguë ou aiguë, la mort peut survenir en quelques minutes à quelques heures. Lors d’évolution subaiguë, la mort survient en plusieurs jours, parfois après la survenue d’un ictère. Les lésions hépatiques de dégénérescence et de nécrose sont associées à des lésions de congestion des intestins, des reins et des poumons. Le diagnostic de certitude repose sur l’identification de l’algue dans l’eau et le contenu stomacal de l’animal. Aflatoxines Les aflatoxines constituent un groupe de mycotoxines produites principalement par Aspergillus flavus, Aspergillus parasiticus et Penicillium puberu- H. POULIQUEN lum [9, 16, 19, 22]. Elles sont des produits du métabolisme de ces champignons, les principales étant les aflatoxines B1, B2, G1 et G2. L’aflatoxine la plus étudiée est l’aflatoxine B1, en raison de sa relative abondance et de sa toxicité hépatique. Les carnivores domestiques peuvent s’intoxiquer en ingérant du pain, des aliments industriels ou des déchets domestiques, contaminés par des champignons produisant des quantités élevées d’aflatoxines. Chez le chien, la dose létale moyenne de l’aflatoxine B1 après une administration orale unique est de l’ordre de 1 à 2 mg/kg de poids vif. A cette dose, les aflatoxines et certains de leurs métabolites exercent leur toxicité, principalement en inhibant la synthèse des protéines et de l’ARN. Les jeunes animaux sont plus sensibles que les adultes et peuvent mourir en quelques heures. La lésion nécropsique prédominante est une nécrose hépatique massive et hémorragique. Le diagnostic de certitude repose sur l’identification du champignon, ainsi que sur l’identification et le dosage des aflatoxines dans l’aliment. Champignons supérieurs Certains champignons, notamment les amanites, au premier rang desquelles l’amanite phalloïde (Amanita phalloides), peuvent être à l’origine d’intoxications chez les chiens et chez les chats qui les ingèrent [9, 22]. Ces champignons contiennent de nombreuses toxines, dont la phalloïdine, et sont à l’origine de signes digestifs sévères pouvant conduire à la mort de l’animal en un à quatre jours. Une gastroentérite, ainsi qu’une dégénérescence et une nécrose hépatique et rénale, sont notées lors de l’autopsie. Lantana Le lantana ou fausse verveine (Lantana camara) est une plante d’ornement de la famille des verbénacées qui peut être à l’origine d’intoxications chez les chiens et chez les chats qui mâchent et ingèrent les feuilles du végétal [16]. Elle contient notamment deux triterpènes cholestatiques, les lantadènes A et B, responsables d’une nécrose hépatique et d’une paralysie de la vésicule biliaire. Outre les signes digestifs, le tableau clinique est dominé par un ictère. La durée d’évolution de l’intoxication varie de deux jours à deux semaines. Les lésions de dégénérescence et de nécrose hépatique sont associées à une cholestase des canalicules biliaires (principalement dans les zones périlobulaires) et à une néphrose tubulaire non spécifique. Palmiers Sago Certains palmiers ornementaux, notamment les palmiers Sago (Cycas sp, Macrozamia sp), peuvent être à l’origine d’intoxications chez les chiens et les chats qui mâchent et ingèrent leurs feuilles [16]. Ces palmiers contiennent un glycoside, la cycasine, et induisent des signes digestifs sévères, plus rarement une parésie, voire une paralysie. La mort peut survenir après une courte période de coma. Une gastroentérite ainsi qu’une nécrose hépatique, parfois massive, sont retrouvées à l’autopsie. Phosphore et phosphures Les carnivores peuvent s’intoxiquer au phosphore en ingérant des comprimés fumigènes à base de phosphure d’aluminium, destinés à la lutte contre les taupes [9, 16, 22]. A pH acide (notamment dans l’estomac des carnivores), le phosphure d’aluminium se transforme en phosphure d’hydrogène volatil, qui est le principal responsable de l’action toxique. Le mécanisme d’action hépatotoxique des phosphore et phosphure est mal connu. S’il est clair qu’un mécanisme de toxification métabolique n’est pas en cause, l’hypothèse d’une peroxydation des lipides membranaires des hépatocytes est évoquée. Dans tous les cas, la synthèse protéique est rapidement diminuée et les lipides s’accumulent dans le cytoplasme des hépatocytes. Quelques heures après l’ingestion apparaissent des vomissements, des coliques, et un ballonnement abdominal dû à la libération de phosphure d’hydrogène dans l’estomac. Si l’animal survit à cette phase aiguë, des signes d’ictère et des signes nerveux apparaissent et conduisent généralement à la mort de l’animal, environ cinq jours après l’ingestion. A l’autopsie, un ictère, une surcharge hépatique, rénale et myocardique en lipides, ainsi qu’une nécrose hépatique parfois légère sont notés. Le diagnostic de certitude repose sur l’identification et le dosage de l’ion phosphure dans le contenu stomacal. Outre un traitement symptomatique, il peut être intéressant de procéder à un lavage gastrique à l’aide d’une solution aqueuse de bicarbonate de sodium à 5 p. cent, de manière à limiter la production de phosphure d’hydrogène à partir du phosphure d’aluminium. Fer Les rares intoxications par le fer relatées chez les carnivores domestiques sont d’origine médicamenteuse (surdosage thérapeutique) ou phytosanitaire (ingestion de sulfate de fer utilisé notamment comme anti-mousse dans le traitement des pelouses) [16, 22]. Le fer, en catalysant la peroxydation des lipides membranaires des hépatocytes et des cellules musculaires, est responsable d’une libération massive de potassium dans la circulation générale et parfois d’une mort subite de l’animal, en raison de la cardiotoxicité de l’ion potassium. Les signes cliniques sont digestifs et généraux (collapsus cardiovasculaire, état de choc et coma) lors d’ingestion de sulfate de fer ; ils sont essentiellement généraux lors d’un surdosage thérapeutique en fer. Outre les lésions inflammatoires digestives observées uniquement lors de l’ingestion de sulfate de fer, le foie est le siège de lésions de nécrose. L’accumulation d’hémosidérine peut en outre être mise en évidence dans les cellules parenchymateuses de nombreux tissus. LE POINT VETERINAIRE, vol. 31, n° 211, novembre-décembre 2000 21 (565) Note : *** Médicament à usage humain. Le diagnostic de certitude repose sur le dosage du fer dans le sérum ou le foie. Outre un traitement symptomatique, il peut être intéressant, dans les cas les plus graves, d’administrer, de la déféroxamine (Desféral®***) à la posologie de 20 mg/kg par voie intraveineuse ou intramusculaire : la déféroxamine forme avec le fer des complexes hydrosolubles et atoxiques, facilement éliminés par les urines de l’animal. Composés phénoliques (crésol et xylophène) Les composés phénoliques sont principalement contenus dans des produits insecticides destinés aux traitements des bois et des locaux [5]. Ces produits insecticides contiennent une faible quantité d’insecticide et une quantité élevée de composés phénoliques, utilisés comme véhicule. Chez les carnivores domestiques, les rares intoxications surviennent suite à l’application de ces produits sur l’animal, par accident, ou plus souvent par ignorance du propriétaire. Le chat est plus sensible que le chien aux dérivés phénoliques. Outre les signes cliniques locaux dus au contact avec le toxique (érythème, œdème, voire alopécie), des signes cliniques généraux, essentiellement digestifs et nerveux, apparaissent très rapidement. Si l’évolution est subaiguë, des signes d’ictère, d’ascite et d’anémie peuvent également survenir. Les lésions hépatiques sont uniquement des lésions de nécrose centrolobulaire sévère. Il est possible d’identifier et de doser les composés phénoliques dans le contenu stomacal et le foie par la technique de chromatographie en phase gazeuse. Médicaments Des accidents d’hépatotoxicité aiguë dus à des médicaments sont rarement décrits chez les carnivores domestiques [4]. • Le paracétamol est un toxique hépatique intrinsèque qui forme des métabolites électrophiles hépatonécrosants [4, 17]. Le chat est environ trois fois plus sensible que le chien à son action toxique. Les animaux manifestent principalement une prostration, de la cyanose, de la dyspnée, de la tachycardie, des vomissements, une hypothermie et un œdème de la face et des membres. L’évolution est fréquemment mortelle à partir de 125 mg/kg de poids vif. Outre le traitement symptomatique, le traitement spécifique repose sur l’administration, d’une part de N-acétylcystéine***, précurseur du glutathion, qui permet d’inactiver les métabolites toxiques du paracétamol (140 mg/kg puis 70 mg/kg toutes les 6 heures pendant 36 heures par voie orale ou intraveineuse), d’autre part d’acide ascorbique qui permet de réduire la méthémoglobinémie (30 mg/kg toutes les 6 heures pendant 36 heures par voie orale ou intraveineuse). • Le mébendazole, la diéthylcarbamazine, ainsi que l’association oxibendazole-diéthylcarbamazine, peuvent être chez le chien à l’origine d’une nécrose hépatique centrolobulaire sévère, liée à la production d’un métabolite toxique. 22 (566) Les signes cliniques apparaissent généralement dans les deux semaines qui suivent leur administration et conduisent fréquemment à la mort de l’animal [4, 8, 10, 12, 24]. • Le carprofène, anti-inflammatoire non-stéroïdien, peut être à l’origine d’une nécrose hépatocellulaire de nature idiosyncrasique. Les signes cliniques (inappétence, vomissements et ictère) apparaissent entre 3 et 180 jours après le début du traitement et régressent généralement après son arrêt et l’instauration d’un traitement symptomatique. • Les anesthésiques gazeux, notamment l’halothane, le méthoxyflurane et le fluothane, peuvent parfois provoquer des hépatites foudroyantes de nature idiosyncrasique (peut être immunologique) chez le chien, le plus souvent après plusieurs expositions [4, 29]. Affections hépatiques chroniques Généralités : signes cliniques et lésions Les maladies hépatiques chroniques d’origine toxique et médicamenteuse se développent suite à l’ingestion ou l’administration réitérée (pendant plusieurs mois) de faibles quantités de xénobiotiques. Elles sont toutefois rares chez les carnivores domestiques. Les signes cliniques observés ne sont pas spécifiques [6, 26] : ictère, signes digestifs et nerveux, ascite, polyuro-polydipsie et troubles de l’hémostase. Certains paramètres biochimiques sanguins [25] peuvent être modifiés. L’autopsie [1, 16, 33] permet de mettre en évidence : - un foie atrophié ou hypertrophié, souvent décoloré, irrégulier et déformé par des nodules d’hyperplasie plus ou moins nombreux (aspect de “foie clouté” ou de “foie ficelé” dans les cirrhoses) ; - un liquide d’ascite jaune clair en faible quantité, qui peut parfois former un caillot peu organisé et non adhérent. Les lésions histologiques hépatiques observables lors d’intoxications chroniques sont plus spécifiques que celles qui accompagnent les intoxications aiguës. Les lésions d’hépatite interstitielle chronique sont caractérisées par une nécrose périlobulaire et intralobulaire, associée à une infiltration lympho-plasmocytaire périportale et intralobulaire diffuse. Les lésions de fibrose débutent en région péri-portale, avant de s’étendre à l’ensemble du lobule hépatique, et sont caractérisées par une inflammation chronique et une fibrose, éventuellement associée à des nodules d’hyperplasie (cirrhose) [1, 16, 32, 33]. Aflatoxines Les carnivores domestiques peuvent s’intoxiquer en ingérant de façon répétée et prolongée du pain, des aliments industriels ou des déchets domestiques, faiblement contaminés par des H. POULIQUEN champignons produisants des aflatoxines [9, 16, 19, 22]. Chez l’animal, les aflatoxines sont métabolisées par les mono-oxydases hépatiques en de nombreux métabolites, toxiques ou non. L’action toxique des aflatoxines est principalement due aux liaisons entre ses métabolites toxiques et des macromolécules (acides nucléiques et nucléoprotéines surtout). Les effets toxiques incluent donc carcinogenèse, tératogenèse, inhibition mitotique et immunosuppression. Une exposition répétée et prolongée à de faibles concentrations d’aflatoxines n’est responsable que d’une baisse de croissance chez le jeune, et d’une hypertrophie modérée du foie qui ne s’accompagne pas de signes cliniques. Une exposition répétée et prolongée à des concentrations plus élevées d’aflatoxines peut être responsable de lésions de nécrose hépatique. La trame réticulinique du foie étant atteinte, des phénomènes de cicatrisation se mettent en place et aboutissent à une fibrose. Des phénomènes de régénération sont souvent associés à cette fibrose, avec la formation de nodules d’hyperplasie conduisant à une cirrhose (photo 1). Photo 1. Lésion hépatique de cirrhose caractérisée par l’association de fibrose et de nodules d’hyperplasie (cliché Unité d’anatomie pathologique de l’ENVN). Photo 2a. Plantes du genre Indigofera Les légumineuses du genre Indigofera contiennent un acide aminé toxique, l’indospicine, analogue structural de l’arginine, connu pour son hépatotoxicité chez de nombreuses espèces animales [16]. Cette intoxication est idiosyncrasique : son mécanisme d’action semble être lié, soit à une inhibition compétitive de l’arginine, soit plus vraisemblablement à une médiation immunitaire. Des chiens se sont intoxiqués en mangeant pendant plusieurs semaines de la viande de cheval ayant pâturé sur des terrains sur lesquels se trouvaient des végétaux du genre Indigofera. Lorsque ces chiens présentent des signes cliniques (anorexie, prostration et ictère), les lésions hépatiques associent une fibrose périlobulaire associée à une cholestase. Les chiens meurent après avoir montré des signes d’encéphalopathie hépatique et des hémorragies spontanées. Photo 2b. Photos 2a et 2b. Lésion d’hépatite chronique active provoquée par le cuivre chez un chien de race dobermann. Le foie, hypertrophié et coloré en vert par les pigments biliaires (photo 2a), présente une fibrose avec des cellules inflammatoires (au centre) et une nécrose (en bas à droite) (photo 2b) (x 25) (cliché Unité d’anatomie pathologique de l’ENVN). fibrose avec cellules inflammatoires Cuivre Chez les chiens de races bedlington, west highland white terrier, sky terrier et dobermann, l’intoxication chronique par le cuivre est une anomalie congénitale héréditaire qui correspond à une carence d’excrétion du cuivre, à l’origine d’une accumulation de ce métal dans les hépatocytes [13, 16, 20, 27, 30, 31]. Le cuivre s’accumule alors dans le foie alors que les concentrations en cuivre de l’alimentation ne sont pas excessives. Il semble que ces races de chiens aient davantage de mécanismes de fixation du cuivre dans leurs lysosomes hépatocytaires que les moutons. Les jeunes chiens âgés de moins de six ans présentent de la prostration, des vomissements, de l’anorexie et une déshydratation. Les chiens âgés de plus de six ans montrent une anorexie, LE POINT VETERINAIRE, vol. 31, n° 211, novembre-décembre 2000 foyer de nécrose Photo 3. Foie d’un chien ayant reçu un traitement anormalement prolongé aux glucocorticoïdes. Le foie est friable et décoloré en raison de la surcharge glycogénique (cliché Unité d’anatomie pathologique de l’ENVN). 23 (567) une perte de poids, des vomissements occasionnels, de la diarrhée, un ictère, de l’ascite et une hépatoencéphalie. En phase terminale, la méthémoglobinémie est élevée. Les lésions d’hépatite interstitielle chronique évoluent spontanément vers la cirrhose. Elles sont souvent décrites comme des lésions d’hépatite chronique active, en raison de la présence d’une faible infiltration périportale de cellules inflammatoires et d’une nécrose sévère (photos 2a et 2b). Il semble plutôt que les infiltrats inflammatoires correspondent à une réaction au renouvellement rapide des hépatocytes. Les concentrations hépatiques en cuivre sont très élevées, fréquemment supérieures à 1000 à 2000 µg/g de foie sec. Médicaments Les accidents d’hépatotoxicité chronique dus à des médicaments sont plus rares chez les carnivores domestiques que chez l’homme [4]. • L’hépatotoxicité aux glucocorticoïdes est connue chez le chien [2, 23]. Généralement bénigne, elle peut être à l’origine d’une polyuropolydipsie, d’une polyphagie, d’une hépatomégalie et d’une augmentation de témoins sériques de souffrance hépatique (à l’exception des gammaGT). Le foie est friable et décoloré et présente des lésions de vacuolisation cytoplasmique, avec une accumulation de glycogène et de lipides (photo 3). • Les antiépileptiques, notamment le phénobarbital, la phénytoïne et la primidone, peuvent être à l’origine d’hépatotoxicité chez le chien, lors de traitements à long terme [3]. Généralement, ils provoquent l’apparition d’un profil sérique de souffrance hépatique, sans effets cliniques notables. Parfois, ils peuvent être à l’origine d’une insuffisance hépatique sévère avec anorexie, dépression, perte de poids et ascite. L’administration des anti-épileptiques nécessite donc une surveillance de la fonction hépatique et une adaptation posologique a minima (recherche de la plus faible posologie efficace). Les signes cliniques et les lésions sont généralement spontanément réversibles à l’arrêt du traitement. • L’association sulfonamides-triméthoprime (notamment l’association sulfadiazine-triméthoprime) peut être responsable chez le chien de la survenue d’une dermite, d’une polyarthrite, de Références 1 - AMDUR MO, DOULL J, KLAASSEN CD. Toxic responses of the liver. In: Casarett and Doull’s toxicology, 4th Edition, Pergamon Press Eds, New York, Etats-Unis, 1991:334-353. 2 - BADYLAK SF, VAN VLEET JF. Tissue gammaglutamyl transpeptidase activity and hepatic ultrastructural alterations in dogs with experimentally induced glucocorticoid hepatopathy. Am. J. Vet. Res. 1982;43:649-655. 3 - BUNCH SE, CONWAY MB, CENTER SA et coll. Toxic hepatopathy and intrahepatic cholestasis associated with phenytoin administration in combi- 24 (568) fièvre, d’ictère et d’hépatite, parfois nécrotique [7, 28]. Les chiens de races dobermann et pinscher y seraient particulièrement sensibles : une diminution de la détoxification des métabolites hydroxylaminés des sulfonamides a été mise en évidence chez environ 50 p. cent de ces animaux. • La griséofulvine est un toxique hépatique intrinsèque, notamment après plusieurs mois d’administration quotidienne chez le chat. Les signes cliniques associent des signes nerveux, une anémie, une leucopénie et parfois une hépatopathie. Les jeunes animaux y sont particulièrement sensibles [18]. • D’autres médicaments ont également été rapportés comme étant potentiellement hépatotoxiques après une administration réitérée chez le chien et chez le chat : - le naproxène***, anti-inflammatoire non stéroïdien destiné à l’homme [14] ; - l’érythromycine, à l’origine de quelques accidents de type cholestatique chez des chiens de race beagle [4] ; - le kétoconazole, à partir de la dose de 60 mg/kg/j [4] ; - le méthotrexate*** [25] ; - l’acétate de mégestrol [4]. Conclusion Chez les carnivores domestiques, les affections hépatiques consécutives à l’action de xénobiotiques apparaissent comme des accidents rares, de nature intrinsèque ou idiosyncrasique. Elles sont peut-être sous-diagnostiquées, en raison notamment de l’absence de signes cliniques spécifiques et du manque fréquent de renseignements relatifs aux circonstances des intoxications. D’une manière générale, il existe des animaux à risques, notamment les individus déficients ou suréquipés en une ou plusieurs voies métaboliques, ce qui rend les affections hépatiques d’origine toxique et médicamenteuse fréquemment imprévisibles. En outre, l’emploi de certains médicaments potentiellement hépatotoxiques chez le chien et le chat doit s’accompagner d’une surveillance de la fonction hépatique des animaux. L’hépatotoxicité des médicaments sera mieux connue en France, après la mise en place effective de la pharmacovigilance vétérinaire. n nation with other anticonvulsivant drugs in three dogs. J. Amer. Vet. Med. Assn. 1987;190(2):194198. 4 - BUNCH SE. Hepatotoxicity associated with pharmacologic agents in dogs and cats. Vet. Clin. N. Amer. - Small Anim. Pract. 1993;23(3):659-670. 5 - COPPOCK RW, MOSTROM MS, LILLIE LE. The toxicology of detergents, bleaches, antiseptics and disinfectants in small animals. Vet. Human. Toxicol. 1988;30(5):463-473. 6 - COTARD JP. Les affections hépatiques chez le chien et le chat. Rec. Méd. Vét. 1993;169(numéro spécial 11/12):999-1006. 7 - CRIBB AE, SPIELBERG SP. An in vitro investiga- H. POULIQUEN tion of predisposition to sulphonamide idiosyncratic toxicity in dogs. Vet. Res. Comm. 1990;14(3):241252. 8 - DICKINSON EO, THORNBURG LP. Investigating reports of adverse reactions to a DEC-OBZ anthelmintic. Vet. Med. 1988;83(10):1092-1100. 9 - GFELLER RW, MESSONNIER SP. Handbook of small animal toxicology and poisonings, Mosby Eds, St. Louis, Missouri, Etats-Unis, 1998:405. 10 - GUILDI G, DEGNA MT, PIZZIRANI C et coll. Liver function of dogs during mebendazole therapy. Bull. Assoc. Ital. Vet. Picc. Anim. 1984;23:2933. 11 - HARDING WR, ROWE N, WESSELS JC et coll. Death of a dog attributed to the cyanobacterial (blue-green algal) hepatotoxin nodularin in South Africa. Tydskr. S. Afr. Vet. Ver. 1995;66(4):256-259. 12 - HARDY RM, O’BRIEN T, ADAMS LG et coll. Periportal hepatitis associated with the use of a heartworm-hookworm preventive (diethylcarbamazepine-oxibendazole) in 13 dogs. J. Amer. Vet. Med. Assn. 1989;25(6):419-429. 13 - HAYWOOD S, RUTGERS HC, CHRISTIAN MK. Hepatitis copper accumulation in Skye terriers. Vet. Pathol. 1988;25:408-414. 14 - HOLM B. Warning against naproxen. Svensk Veterinartidning. 1988;40:675-676. 15 - HOOVER JP, SMITH TA. Investigating a case of suspected cyanobacteria (blue green algae) intoxication in a dog. Vet. Med. 1995;90(11):1028-1032. 16 - UBB KVF, KENNEDY PC, PALMER N. In: Pathology of Domestic animals, 4th Edition, Academic Press eds, San Diego, California, EtatsUnis, 1993:382-402. 17 - KOLF-CLAUW M, KECK G. L’intoxication par le paracétamol chez les carnivores. Prat. Méd. Chir. Anim. Comp. 1992;27(4):569-577. 18 - LENARDUZZI RF, VARNS GM. Adverse reactions of cats treated with griseofulvin, fenthion and praziquantel. Modern. Vet. Pract. 1986;7:153. 19 - LIGGETT AD, COLVIN BM, BEAVER RW et coll. Canine aflatoxicosis : a continuing problem. Vet. Human. Toxicol. 1988;28(5):428-429. 20 - LUDWIG J, OWEN CA Jr, BARHAM SS et coll. The liver in the inherited copper disease of Bedlington terriers. Lab. Invest. 1980;43(1):82-87. 21 - MACPHAIL CM. et coll. Hepatocellular toxicosis associated with administration of carprofen in 21 dogs. J. Amer. Vet. Med. Assn. 1998;212(12):18951901. 22 - MURPHY M. Hepatic system. In: A field guide to common animal poisons, Iowa State University Press eds, Ames, Iowa, Etats-Unis, 1996:114-123. 23 - PETIT C. Foie et médicaments. Prat. Méd. Chir. Anim. Comp. 1992;27(6):783-789. 24 - POLZIN DJ, STOWL M, O’LEARY TP et coll. Acute hepatic necrosis associated with the administration of mebendazole to dogs. J. Amer. Vet. Med. Assn. 1981;179(10):1013-1016. 25 - POND EC, MORROW D. Hepatotoxicity associated with methotrexate therapy in a dog. J. Small Anim. Pract. 1982;23:659-666. 26 - RALLIS TS, ADAMAMA-MORAITOU KK. Diagnostic evaluation of liver diseases in dogs and cats. Bull. Hellenic Vet. Med. Soc. 1996;46:109-120. 27 - SU LC. A defect of biliary excretion of copper in copper-laden Bedlington terriers. Am. J. Physiol. 1982;243:G231-G236. 28 - THOMSON GW. Possible sulphamethoxazoletrimethoprim induced hepatic necrosis in a dog. Can. Vet. J. 1990;31:530. 29 - THORNBURG LP, ROTTINGHAUS GB, GLASSBERG L. Drug-induced hepatic necrosis in a dog. J. Amer. Vet. Med. Assn. 1993;183:327-328. 30 - THORNBURG LP, SHAW D, DOLAN M et coll. Hereditary copper toxicosis in West highland white terriers. Vet. Pathol. 1986;23(2):148-154. 31 - TWEDT DC, STERNLIEB I, GILBERTSON SR. Clinical, morphological and chemical studies on copper-toxicosis of Bedlington terriers. J. Amer. Vet. Med. Assn. 1979;175:269-275. 32 - VIALA A. Mécanisme et manifestations de l’action des toxiques au niveau hépatique. In: Eléments de toxicologie, Tec & Doc Lavoisier Eds, Paris, France, 1998:75-80. 33 - WEXLER P. Liver. In: Encyclopedia of toxicology, Vol. 2, Academic Press eds, San Diego, California, Etats-Unis, 1998:253-261. LE POINT VETERINAIRE, vol. 31, n° 211, novembre-décembre 2000 Points forts à retenir u Chez les carnivores domes- tiques, les intoxications à l’origine d’affections hépatiques ne sont pas fréquemment décrites, mais sont probablement sous-diagnostiquées. u Les affections hépatiques aiguës se caractérisent principalement par des lésions hépatiques de surcharge (stéatose, etc.), de cholestase, de dégénérescence et/ou de nécrose. u Les affections hépatiques chroniques sont à l’origine de lésions hépatiques de stéatose, de fibrose et/ou de cirrhose. Remerciements à Jérôme Abadie, assistant d’enseignement et de recherche contractuel en anatomie pathologique à l’ENVN, et à Eric Sachot, ingénieur d’études contractuel à l’ENVN, pour leur avis éclairé sur cet article. l 25 (569)