Une bouleversante petite voleuse C`était le soir de Noël, je marchais

Transcription

Une bouleversante petite voleuse C`était le soir de Noël, je marchais
Une bouleversante petite voleuse
C’était le soir de Noël, je marchais rapidement tout en soufflant sur mes mains glacées
pour les réchauffer. Toutes les maisons étaient illuminaient, je distinguais derrière les rideaux
la lueur du sapin, je percevais les rires et les chants. Partout, on respirait la joie et la bonne
humeur. Il fallait que je me dépêche si je ne voulais pas être en retard chez ma tante. Toute la
famille y était allée en avance pour aider aux préparations, moi, je m’étais dit que j’allais faire
un tour en ville avant, histoire de goûter pleinement la joie et la magie de Noël. J’ai toujours
adoré Noël, les cadeaux, les contes… On peut dire que la vie m’avait gâté, j’étais toujours
noyé dans la masse de cadeaux et trempé sous les embrassades de la famille. Je songeais à ce
qu’on allait m’offrir cette fois, peut être la tablette que je demandais à grand cris depuis des
mois ou…
Ce que je vis me glaça. Que faisait-elle seule, assise dans une encoignure ? Je m’approchais et
m’accroupis devant elle. Je remarquais qu’elle faisait craquer des allumettes et semblait parlé
à quelqu’un que je ne voyais pas. Je posais ma main sur son genou, elle sursauta.
-
N’est pas peur, je ne te veux aucun mal, chuchotais-je en la voyant reculer.
Ses longs cheveux blonds étaient recouverts d’une pellicule de flocon de neige. Ses grands
yeux bleus me scrutaient, comme si elles cherchaient à voir au plus profond de mon âme. Elle
ne prononça pas un mot pourtant je compris qui elle était. La petite fille aux allumettes. Mon
conte préféré, celui où l’héroïne est malheureuse un soir de Noël. Elle meurt mais au fond,
que pouvait-elle faire d’autre, elle était délivrée, elle sortait de son existence de misère.
Pourtant, cette histoire laisse un goût amer dans la bouche, c’est trop dur de voir souffrir
quelqu’un de si petit. Sans réfléchir, je soulevais l’enfant et la portais jusque chez moi. Je
l’installais dans le fauteuil et lui frictionnait les pieds. Je lui offris du chocolat chaud et… elle
sourit. Ses petites lèvres roses s’étiraient pour me laisser voir de jolies dents blanches. Je
baisais le front de la petite fille et la resservit. Je lui donnais ce qui se trouvait dans le
réfrigérateur, c'est-à-dire un reste de soupe, des pâtes et une glace. Elle mangea le tout sans se
plaindre, sans rien dire du tout.
-
Comment t’appelles-tu ?
Elle ne répondit pas, se contentant de lécher la glace qu’il y avait sur ses doigts. Je n’insistais
pas, si elle ne voulait pas le dire, je ne la forcerais pas. Je jouais avec elle à des jeux enfantins
comme les petits chevaux et elle rit. Son rire parcourut mes entrailles, ce rire me réchauffait,
c’était une sensation étrange…je ne saurais pas la décrire avec exactitude. Tout ce que je
savais c’est que je voulais l’entendre rire encore et encore. Je lui donnais des truffes au
chocolat, ceux que ma mère avait préparés pour le lendemain. De toute façon, cette petite fille
méritait de manger des choses sucrées plus que nous, elle n’avait que la peau sur les os. Elle
posa une main sur mon bras, et l’autre sur ma joue. Ce contact froid, c’était comme un glaçon
sur moi, pourtant, il ne faisait pas froid à l’intérieur… Elle saisit son paquet d’allumette une
nouvelle fois et se remit à les craquer, une par une, son visage exprimait une immense
déception lorsqu’elles s’éteignaient. Alors je lui tendis mon briquet bleu turquoise avec des
tâches de peintures que j’avais faîtes, je lui en montrais le fonctionnement. Elle parut
émerveillée. J’eus l’impression que pendant un cours instant, elle se réchauffait mais ce
n’étais qu’une illusion. Bientôt, elle grelotta, et je ne pus rien y faire. J’augmentais le
chauffage, l’enroulait dans des dizaines de couvertures, l’allongée dans mon lit… Rien n’y fit.
Plus le temps passait, plus elle avait froid, moins je parvenais à la réchauffer. Je faisais tout ce
qui était en mon pouvoir et finis même par verser des larmes de frustration. J’avais compris ce
qu’il se passait, je savais que je n’y pouvais rien mais je ne pouvais m’empêcher de
persévérer. Je ne voulais pas baisser les bras. Je refusais d’abandonner la petite fille. Elle
devait vivre, elle devait être heureuse… Je me couchais près d’elle et la serrais dans mes bras.
Je serrais de toutes mes forces et sentais le souffle irrégulier de la petite fille dans mon cou.
Ses lèvres bleuissait, ses doigts frigorifiés se placèrent sur mon col, elle s’agrippait à moi.
C’était proche. Elle le sentait. Et, moi aussi. Elle chuchota d’une voix tremblotante :
-
Hildegonde.
Il me fallut quelques minutes pour comprendre qu’elle venait de me révéler son prénom, un
nom que personne ne mentionnait jamais dans les contes. Cette gamine était privée d’une
identité concrète, la résumant seulement au fait qu’elle vendait des allumettes. Elle me
chuchota que sa grand-mère l’attendait. Sa respiration devint de plus en plus irrégulière puis
elle partit dans un dernier soupir. Elle souriait. Je me mis à la secouer, à la supplier de revenir,
j’avais essayé de changer son destin, de déjouer le conte et pourtant… Je lui avais consacré
du temps, je lui avais donné à manger, de quoi se réchauffer… Je pleurais, mouillant les
haillons de la petite fille. J’avais demandé à ma mère de changer l’histoire lorsque j’étais tout
petit, et elle avait refusé. Elle ne pouvait pas, Andersen s’en serait retourné dans sa tombe.
Moi j’avais sincèrement essayé et j’avais complètement échoué.
Petit à petit, le corps de la fillette disparut. Je me mis à la recherche de mon briquet mais je ne
le trouvais nulle part. Hildegonde l’avait emporté avec elle. Quelque part, ça me soulageait,
elle ne mourrait plus jamais de froid.
Depuis ce jour, je ne peux fêter Noël sans une pensée pour Hildegonde, la petite fille
aux allumettes. Chaque fois que le Père-Noël passe, moi, je me sens abandonné, la joie de
Noël avait disparu. Jusqu’au jour où j’ai trouvé le briquet dans un paquet cadeau sous le sapin
familial, il y avait également un petit mot à l’intérieur, un petit mot qui me fis sourire : « Je
n’en ai pas besoin, je t’ai pris quelque chose de beaucoup plus précieux : ton cœur »
Je serais le mot contre moi, décidemment, Hildegonde était une bouleversante petite
voleuse !