Cher Bertrand, C`est d`amoureux de Paris à amoureux de

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Cher Bertrand, C`est d`amoureux de Paris à amoureux de
Cher Bertrand,
C’est d’amoureux de Paris à amoureux de Paris que nous t’adressons
cette lettre, puisque c’est de cette belle façon que tu as déclaré ta
candidature. Ainsi nous pensons que tu sauras entendre et donner
suite à nos propositions car elles ne sont pas d’abstraites machines,
mais, comme tu le reconnaîtras, un écho qui monte de nos quartiers
eux-mêmes. Comme contribution à ta campagne, nous avons cherché
à en dégager le sens politique, principalement sur trois questions :
* les cultures populaires contemporaines à Paris,
* une nouvelle articulation entre le Paris Capitale et le Paris quartier,
* la politique culturelle de la ville proprement dite.
Paris paie le prix des années RPR et de la mondialisation. La vie
quotidienne des Parisiens est fortement perturbée par la flambée
immobilière, le phénomène de gentrification, ce processus
d’embourgeoisement de la ville. Il transforme ses quartiers soit en «
muséegalerie- marchande » (pour le centre), soit en quartiers cossus
(pour les faubourgs et même pour les arrondissements populaires).
Cette situation frappe une ville qui ne s’était pas encore relevée de la
guerre sociale que la droite a livré constamment aux « parigots » : La
Reynie, Haussmann ou Thiers ont été largement relayés par la droite
bétonnière des « 30 Glorieuses ». Paris en paye aujourd'hui le prix et
doit compenser la destruction de quartiers moteurs des mouvements
artistiques et politiques comme Montparnasse, l’éloignement de pôle
d’activités comme les Halles ou la perte de 500 000 habitants entre
1962 et 1975 etc... et c’est aujourd’hui le terreau populaire de la
culture qui est atteint.
Dans le contexte d’une société qui se tourne toujours plus vers les
écrans et tend vers la déshumanisation, les cultures vivantes jouent un
rôle de premier plan pour vivre ensemble. Or, la vitalité culturelle de la
capitale émane de sa vie de quartier, du Paris populaire et irrigue
ensuite de la façon que l’on sait la création et le rayonnement de Paris.
Vidé de ses 80 « Paris Quartier », le « Paris Capitale » court le risque de
devenir un produit vide dans les rayons du grand marché mondial.
Notre conviction est que les politiques de combat menées par ton
équipe dans les domaines du logement social ou de la voirie, de la
petite enfance etc... si positives soient-elles, ne peuvent équilibrer ces
tendances lourdes que si elles s’appuient davantage sur la vitalité
culturelle des Parisiens. Bien sûr nous revenons de loin, mais le
doublement du budget de la culture que tu as voulu nous permet
maintenant de passer à une autre étape, le renouveau culturel de Paris.
C’est un art de vivre parisien qui doit répondre à cette époque de
mutations. Sous la pression de la mondialisation, les Parisiens
innovent. D’anciens « titis » (nés à Saint-Flour ou à Tunis) et de
nouveaux « poulbots » (parigots aux racines culturelles bambaras ou
bretonnes) inventent des solutions républicaines de sociabilité et
d’intégration des cultures du monde. L’on voit le vieux fond de culture
populaire (caf’conc’, petites salles de spectacles, arts de la rue, artiste
de rue...) toujours vivant malgré les interdictions préfectorales, se
combiner avec les nouvelles pratiques et l’avant-garde (repas de
quartiers, bars culturels, portes ouvertes d’ateliers, squats d’artistes
etc...). Cette émulsion autour des arts permet une intégration, une
sociabilité de proximité, la rencontre avec autrui, si nécessaire dans la
solitude urbaine. Elle favorise l’émergence de sens pour appréhender le
monde et ses mutations. C’est à notre avis la grande richesse du Paris
d’aujourd’hui et de demain. Entre le mode de vie froid des banlieues
riches et celui, très chaud, des banlieues pauvres, les quartiers
périphériques de l’Est et du Nord de Paris, en particulier, portent un art
de vivre qu’on gagnerait à étendre plutôt qu’à rétrécir. À l’aune de ces
cultures de proximité, le XVIe arrondissement est un quartier pauvre et
la Goutte d’Or un quartier riche ! C’est tout un mouvement qui
demande un autre regard de la part des politiques et — pour être très
honnête avec toi — qui l’attend toujours plus impatiemment depuis ton
élection. En effet, cet enthousiasme des nouveaux quartiers populaires
se heurte à deux écueils : d’une part, un manque de reconnaissance
officielle, de l’autre, les interdictions préfectorales de plus en plus
nombreuses qui pèsent sur la rue, les petits lieux, les bars culturels
etc...
QUELQUES EXEMPLES ?
Les bars musicaux et culturels premiers maillons d’une chaîne
culturelle.
C’est dans ces petites salles que s’opère un tri entre pratiques
amateurs et professionnelles. À ces pépinières d’artistes, on doit, à la
fin des années 90, la renaissance des bars à chanson et le dynamisme
actuel de la jeune scène (Bénabar, Sanseverino, Bihl, BabX etc..).
Pourtant, la plupart ont dû renoncer à leur programmation, frappés par
les nombreuses interdictions qui frappent les cafés chantants (la Loi
Voynet sur le bruit leur a porté un coup très dur). Ces petits lieux
souffrent en outre d’une quasi-absence d’interlocuteur du fait de
l’éloignement de la mairie centrale et du peu de pouvoir des mairies
d’arrondissement. Quelque peu méprisée, « la culture de comptoir »
est aussi lieu de rencontre artistique pour le prix d’une bière, de la
sociabilité de proximité et joue un rôle dans l’intégration des cultures
du monde. La ville doit reconsidérer ce phénomène et trouver les
formes d’accompagnement et de soutien (labellisation, concertation
avec la Préfecture, réflexion sur la place de la fête et le respect du
voisinage avec les habitants ou les conseils de quartier).
Les squats artistiques lieux ressources pour les quartiers.
Les squats d’artistes représentent un bon exemple d’une question
sujette à malentendus lorsqu’elle n’est abordée que du point de vue du
« Paris Capitale ». Certes la ville peut toujours repérer et accompagner
un lieu innovant. Mais les squats ne relèvent pas indistinctement de
l’émergence ou des nouveaux territoires de l’art. En effet, la plupart
(pas tous !) ont aussi une vraie valeur d’usage pour les quartiers qui les
accueillent.« Poil à gratter », ils répondent à des besoins urbains variés:
Lieux d’accueil de parcours atypiques, d’expérimentation urbaine, de
monstration pour les arts plastiques ou pour le spectacle vivant, lieux
de débats ou d’expositions, mais aussi espaces libres qui répondent à
une grande pénurie urbaine : faire la fête. Ils permettent
d’expérimenter des formes de vie collectives qui prennent à rebroussepoil la plupart des excès d’une société de consommation individualiste.
Même si leur nature est éphémère, il faut pourtant souligner que de
nombreux lieux restent en déshérence. La ville doit se saisir de la
question des squats et collectifs culturels, sous un angle nouveau, en
partant d’une réflexion sur les besoins des habitants et sur le sens des
activités culturelles de proximité.
Arts de la rue.
Orgues de barbarie ou groupes chantants, artistes de rue ou
saltimbanques sont quasi systématiquement frappés d’amendes et
d’interdits préfectoraux. Cela, en vertu d’un texte d’exception
napoléonien, l’Arrêté des consuls du 12 messidor de l’an VIII, qui
rejette dans une même suspicion mouvements ouvriers et culturels.
Aujourd’hui encore, cela se concrétise par des PV pour « Danse entre
passants », « Cris et vocifération sur la voie publique » (chansons).
Cette situation est insupportable. La mairie doit jouer pleinement son
rôle vis-à-vis de la Préfecture afin de permettre le développement des
animations sur le pavé parisien.
La fête à Paris et les nuits de Paris.
Paris a rayonné jusqu’aux années 50 comme reine des plaisirs et des
nuits en s’appuyant sur sa culture populaire. Les interdictions ont pris
le pas sur les plaisirs et les libertés. Le fameux « couvrefeu Chirac », la
fermeture des bars à 2h du matin notamment, a fait beaucoup de mal.
La difficulté de faire la fête à Paris touche particulièrement les jeunes.
Comment faire la fête à Paris lorsqu’on habite une chambre de bonne,
quand on a un petit budget, quand on veut se retrouver à plus de 5
ou 6... ? Paris peut redevenir une référence de la fête, la politique
culturelle doit viser au réveil des nuits. Avec peut-être comme à Lille,
des Maisons Folies, ces salles des fêtes prêtées par la ville aux
habitants ? Quid de tous les squats expulsés (et toujours vides...) qui
permettaient les fêtes à plusieurs centaines ? La ville doit aussi
sauvegarder la relative tolérance dont jouissent les quartiers populaires
quand la ville s’embourgeoise.
Au travers de ces quelques exemples, les besoins des Parisiens
s’expriment pour trouver des lieux à prix convenable, pour faire la fête
et se rencontrer autour d’évènements culturels de proximité, prendre
part aux choses du monde, exercer leur citoyenneté et leur créativité...
Aux défis et aux besoins de cette bouillonnante créativité dont
l’expression est aujourd’hui très entravée, nous te proposons de
répondre en choisissant de faire de la POLITIQUE CULTURELLE une des
priorités fortes de ton prochain mandat. Elle pourrait, selon nous, se
développer SUR TROIS AXES:
1- L’implication au côté des INITIATIVES DE TERRAIN.
Le premier axe doit marquer une confiance pour les initiatives des
Parisiens. Cela doit se traduire par une forte politique de
reconnaissance et de soutien aux petits lieux (salles de spectacles, bars
culturels, squats d’artistes, lieux ressources etc...) et aux petits
événements (activités culturelles hors les murs, dans les bars, les arts
de la rue, itinérance, micro festivals, fêtes etc...). Un soutien accru aux
lieux intermédiaires, petits théâtres, petits cinémas, salles de concert à
taille humaine etc... Malgré des programmations audacieuses entre
culture de référence et créativité au quotidien, ceux qui existent encore
sont exsangues.
Tous ces micro-lieux sont à la culture ce que les squares sont à la
politique d’espaces verts : une offre de proximité. Les lieux
intermédiaires jouent un rôle complémentaire à celui des grands
équipements de référence. Reliés à eux par une politique intelligente,
ils pourraient leur apporter des publics neufs (peu enclins à franchir
certaines barrières symboliques) et accompagner le repérage d’artistes
émergeants et ce parce que la valeur de ces petits lieux se conjugue
avec leur proximité. Il y a donc une vraie démarche d’intérêt public à
les soutenir.
Parallèlement aux soutiens conséquents ou pérennes, une politique
souple de financement est indispensable, ainsi qu’une politique de
micro-crédits pour les structures émergentes (création graphique, arts
numériques, festivals pointus etc...). C’est en favorisant l’emploi
culturel innovant sous toutes ses formes que nous donnerons au
paysage parisien sa vitalité pour les vingt prochaines années.
La rémunération des artistes doit aussi faire l’objet d’une solide
réflexion. Il faut permettre le développement des parcours d’artistes
professionnels trop souvent contraints de jongler avec le RMI. Faut-il
tendre vers le respect d’un droit de monstration pour les artistes
plasticiens, renforcer une politique d’achat et de diffusion, repenser la
question des ateliers d’artistes ?
Indépendamment du soutien aux lieux, comment soutenir la
rémunération des artistes du spectacle qui s’y produisent ? Peut-être
par une charte avec les petits lieux soutenus par la Ville, par un
accompagnement de la diffusion etc.. ? Les besoins énormes de
l’éducation culturelle, notamment pour les enfants, ouvrent aussi des
pistes. Par ailleurs certains arts, comme la bande dessinée, le Jazz, l’art
lyrique par exemple, paraissent un peu oubliés et demandent un geste
fort. D’une manière générale, c’est toute une diversité de phénomènes
culturels qui demande à faire l’objet d’une politique attentive et
respectueuse de ses différentes dimensions : pépinière d’artiste en
développement, émergence, animation conviviale et pratiques
amateurs. Chaque acteur culturel quel que soit son niveau doit pouvoir
apprécier concrètement l’intérêt que la mairie lui porte.
2 - Un investissement politique fort dans le MAILLAGE DU
TERRITOIRE, la COORDINATION, la MISE EN RELATION,
L’INFORMATION.
La première mission d’une politique culturelle, c’est de faire le lien
entre les artistes, l’offre existante, et tous les publics, pas seulement
les 10% de la population qui fréquentent les établissements. Dans le
cas précis de Paris, si l’on prétend toucher les habitants, la taille de la
ville impose de ne pas raisonner à la seule échelle de la Capitale. Pour
cela, il s’agit d’abord d’inventer une nouvelle articulation entre le Paris
Capitale et le Paris quartier. Une solution originale de pilotage et de
coordination doit être trouvée au niveau de la Mairie de Paris pour
mettre en lien tous les acteurs : L’effort budgétaire initié pour les
mairies d’arrondissement demande à être amplifié. Les services
culturels de la ville, les grands équipements structurants et des
petits lieux, mais aussi les établissements scolaires ou les comités
d’entreprise doivent être incités à proposer autre chose que de
l’entertainement. Et d’une façon générale tous « les passeurs »
culturels éducation populaire, associations, réseaux de quartier, qui
doivent être sollicités et soutenus.
3 - Une EVALUATION et une REDEFINITION DE L’OFFRE
CULTURELLE de la mairie.
Enfin, l’offre culturelle de la ville doit être considérablement musclée. Il
s’agit d’abord de faire un audit de l’existant, une évaluation des
dispositifs, des lieux et des besoins. L’équipement de chaque
arrondissement, dont la population équivaut à celle d’une grande ville
de province, doit, à terme, pouvoir leur être comparé. De même que
l’on n’imagine pas une politique de transport se limiter à une politique
d’image, la politique culturelle doit avoir pour objectif de devenir
une réalité pratique, concrètement vécue par tous, un service aux
habitants destiné à les relier à l’offre culturelle. Pour être effective cette
politique culturelle doit non seulement disposer des équipements
nécessaires, mais encore aller chercher les publics partout où ils se
trouvent.
Bien entendu une politique de gauche ne peut s’exonérer d’une vraie
réflexion sur le sens de son action et ses contenus. Dans le sillage de
la tradition socialiste et de l’émergence du fait territorial (60% du
financement de la culture en France) les politiques culturelles des villes
de gauche connaissent un mouvement passionnant dans lequel nous
souhaitons voir Paris s’impliquer et prendre toute sa place. Comme
elles, notre politique culturelle doit être vigilante à bien se différencier
du marché (qui sombre dans le divertissement commercial) et inscrire
son action dans les valeurs cardinales de l’humanisme : volonté
d’émancipation des citoyens, ouverture sur le monde... Un engagement
qui ne doit pas se faire en opposant la liberté de l’artiste qui s’affirme
dans la création, à la liberté du politique, qui s’affirme, elle, dans la
responsabilité de ses choix, mais plutôt en travaillant à leur rencontre
autour de projets de territoire. Il s’agit de faire éclore du pavé parisien
les nouvelles avant-gardes artistiques, qu’elles proviennent de la
banlieue proche ou du bout du monde. Pour ces questions, la
formation des personnels culturels comme la prise de conscience des
responsables politiques représente également un enjeu fort.
Premières des priorités et condition élémentaire du partage de la
culture, l’éducation artistique — des enfants comme des adultes — que
tu as déjà mis en place doit largement s’amplifier. Les petits Parisiens
dès l’école pourraient bénéficier comme d’autres enfants dans
certaines villes, d’un « passeport culture » les amenant à fréquenter
des ateliers éducatifs et créatifs de toutes les disciplines. Dans le
même esprit, l’offre des bibliothèques doit être étoffée et les
activités qu’elles proposent étendues au public adulte. Parallèlement
aux outils de médiation indispensables, il faut instaurer une vraie
politique tarifaire pour les citoyens en difficulté à l’image de
la politique de gratuité des musées mise en place.
Dans les propositions que nous te faisons, cher Bertrand, nous ne
négligeons pas le rôle de la communication, mais nous estimons
qu’elle doit être menée au service des politiques d’intérêt public. À
ceux qui voudraient remettre au premier rang de leurs conseils, les
nécessités d’une politique d’image liée à la culture, nous suggérerions
d’apprécier que nous ne sommes plus dans les années 80. À l’heure de
l’hyper médiatisation, les héros parisiens d’aujourd’hui sont dans les
quartiers, car c’est aussi dans la proximité que s’appréhende un
monde devenu trop complexe. C’est à ce niveau que la valeur de
l’action publique doit pouvoir s’apprécier concrètement.
C’est par leurs quartiers singuliers que les Parisiens appréhendent
Paris. C’est du rayonnement durable des quartiers que dépend le
rayonnement de Paris, auquel tu es tant attaché. Les adhérents de la
section culture, en attirant ton attention sur des propositions concrètes
à cette échelle, insistent sur le fait que la campagne qui s’ouvre se
jouera à ce niveau-là, et que la principale difficulté sera de ne pas
laisser s’y installer un hiatus. C’est aussi pour t’aider face à ce défi-là
que nous avons rédigé ces propositions.
Bien amicalement à toi
Pour les adhérents et les sympathisants de la section culture
David Langlois-Mallet, chargé du groupe de travail Paris à la section
culture.
François Adibi, secrétaire de la section culture, délégué national à la
culture du PS.