la triple image de la femme dans la cousine bette de balzac

Transcription

la triple image de la femme dans la cousine bette de balzac
UNIVERSITE CHAHID CHAMRAN D'AHVAZ
FACULTE DES LETTRES
DEPARTEMENT DE FRANÇAIS
Mémoire de maîtrise
LA TRIPLE IMAGE DE LA FEMME
DANS
LA COUSINE BETTE DE BALZAC
Par:
Somayé KECHAVARZ
Directeur de recherche:
Monsieur le Docteur Mas'oud Nazri-Doust
Professeur consultant:
Monsieur le Docteur Hassan Foroughi
Juin 2010
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Au nom du Créateur des beautés
3
A toutes les femmes afin qu'elles soient elles-mêmes
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Remerciements
Au terme de ce mémoire, la première personne que je tiens à remercier est
Monsieur le Docteur Mas'oud Nazri-Doust qui a su me laisser la liberté
nécessaire d'accomplir mes recherches, tout en y gardant un il critique et avisé.
Il m'a écoutée, critiquée; il m'a permis de réfléchir sur les questions qui
m'intéressent tout en m'aidant à surpasser mes doutes et mes angoisses, en sorte
que non seulement j'ai pu mieux approfondir le texte mais encore descendre en
moi-même, ce qui m'a révélé une dualité. Ses remarques implacables, parfois
même insufflées d'humour, mais toujours infiniment justes, m'ont forcé à me
surpasser et à donner le meilleur de moi-même. C'est pour cette raison que
j'aime penser que la triple image de la femme, n'est pas une étude littéraire mais
une étude personnelle. Je lui exprime ma très profonde gratitude pour son
dynamisme, son efficacité et sa patience tout au long de mes trois années
d'études.
J'aimerais également remercier Monsieur le Docteur Hassan Foroughi pour avoir
suivi mes travaux et m'avoir inculqué une discipline et une rigueur de travail
sans lesquelles je n'aurais pu mener bien ce travail à terme. J'ai été sensible à ses
remarques lors de la lecture de mon mémoire qui m'ont permis d'apporter des
améliorations à sa qualité formelle. Je le remercie pour la disponibilité qu'il a
manifestée à l'heure de résoudre toutes mes questions, pour la gentillesse et tous
les conseils qu'il m'a donnés durant mes études de maîtrise.
Je souhaite évidemment remercier ma famille pour son soutien constant tout au
long de mes études.
Enfin, pourquoi ne pas le dire, dans cette épreuve où seuls le courage et les
connaissances ne suffisent pas, la force qui donne l'impulsion ne peut provenir
que de Dieu.
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Résumé
Nom de l'étudiant: Kechavarz
Prénom: Somayé
Titre du mémoire: La triple image de la femme dans La Cousine Bette de Balzac.
Directeur de recherche: Dr. Mas'oud Nazri-Doust
Professeur Consultant: Dr. Hassan Foroughi
Niveau d'études: Maîtrise Discipline: Langue et littérature Françaises
Spécialité: Littérature
Université: Chahid Chamran
Faculté: Lettres et sciences humaines
Date de Soutenance: Juin 2010
Nombre de pages: 150
Mots clés: La femme, le mythe, l'amour, la séduction, Paris, la bourgeoisie,
l'aliénation.
Résumé :
La Cousine Bette est considéré comme le dernier chef-d' uvre de Balzac. Parmi
les romans de la première moitié du XIXe siècle, ce long roman a une place à
part. Le jeune homme, souvent ambitieux, est un personnage omniprésent de la
littérature du XIXe siècle. Par exemple, Le Rouge et le Noir, La Peau de
chagrin, La Chartreuse de Parme, Le Père Goriot et les Illusions perdues. À
côté de ces romans, La Cousine Bette fait figure d'exception, dans la mesure où
le personnage éponyme est une femme d'un certain âge, et où les jeunes gens
sont assez fades. La Cousine Bette est donc, un roman de la femme. Mais,
Bette, c'est le premier portrait de femme profondément destructrice, rancunière
et laide que Balzac ait produite.
Ce mémoire a pour objet l'étude des personnages féminins de La Cousine Bette
de Balzac. Au cours de cette recherche, trois images des femmes sont
analysées: l'image mythologique, l'image psychologique et l'image
sociologique. L'objectif principal de ce mémoire est d'étudier le pouvoir
féminin dans ce roman. A cette fin, nous avons analysé les personnages
féminins en les comparant avec les grandes déesses grecques. Puis, nous avons
étudié la psychologie des femmes du roman. Pour cette étude, nous avons
d'abord représenté les types que Balzac a créés, ensuite nous avons traité les
différents types d'amour chez ces femmes, selon la psychologie moderne. Pour
montrer l'influence de la société sur le caractère de ces femmes, nous avons
finalement abordé l'image sociologique des personnages féminins. Ainsi, nous
avons montré l image générale de la société parisienne du roman, puis, nous
avons traité les types sociaux et les situations des femmes dans cette époque.
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TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION ....................................................................... 8
CHAPITRE I: L'IMAGE MYTHOLOGIQUE ...... 18
1.1 LE TYPE VIERGE ................................................ 19
1.1.1 Artémis, Bette ............................................................ 19
1.1.2 Athéna, Bette .............................................................. 26
1.2 LE TYPE VULNERABLE .................................... 32
1.2.1 Déméter et Perséphone, Adeline et Hortense ............ 33
1.2.2 Héra, Hortense ........................................................... 42
1.3 LE TYPE ALCHIMIQUE ...................................... 49
CHAPITRE II: L'IMAGE PSYCHOLOGIQUE .... 61
2.1 LES TYPES BALZACIENS .................................. 62
2.1.1 Types des femmes vicieuses ...................................... 62
2.1.2 Types des femmes vertueuses .................................... 69
2.1.3 Type intermédiaire ..................................................... 71
2.2 LES TYPES D'AMOUR ........................................ 74
2.2.1 L'amour humain .......................................................... 74
2.2.2 L'amour divin ............................................................. 84
2.2.3 L'amour de l'hétaïre .................................................... 86
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CHAPITRE III: L'IMAGE SOCIOLOGIQUE ...... 98
3.1 L'EMBOURGEOISEMENT DU MONDE ............ 99
3.1.1 Le mouvement historique de l'époque........................ 99
3.1.2 Le monde enlaidi ....................................................... 103
3.2 PARIS, L'ORIGINE DU VICE ..............................113
3.2.1 Un décor omniprésent ............................................... 113
3.2.2 La ville de tous les dangers ....................................... 118
3.3 LE MARIAGE EN QUESTION ............................128
CONCLUSION .......................................................... 136
BIBLIOGRAPHIE .................................................... 145
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INTRODUCTION
«J'ai tout à inventer pour La Cousine Bette», écrit Honoré de Balzac à Mme
Hanska, le 20 juin 1846. En effet, nous pouvons trouver les sources
d'inspirations de Balzac pour ce roman dans sa vie privée et dans son époque.
La Cousine Bette est l'un des romans les plus touffus de Balzac. Le roman
soumet le lecteur à un rythme haletant et plein de suspense. Ce long roman (132
chapitres) est à l'origine un roman-feuilleton, paru pour la première fois dans Le
Constitutionnel du 8 octobre au 3 décembre 1846, publié en volume en 1847.
Ce roman s'intègre parfaitement à ce vaste ensemble logique et organisé
qu'est La Comédie humaine. Balzac l'intègre dans les Études de m urs, les
Scènes de la vie parisienne. Ce roman n'est pas prévu dans le plan initial de
Balzac. Mais, le principe du retour des personnages permet d'intégrer La
Cousine Bette dans La Comédie humaine.
La Cousine Bette fait également partie d'un autre ensemble, beaucoup
moins vaste, celui des Parents pauvres. Balzac construit, en effet, un diptyque
qui comprend La Cousine Bette d'une part, Le Cousin Pons de l'autre.
Lorsque Balzac écrit ce roman en 1846, il vieillit et connaît les affres
d'une union incertaine avec Mme Hanska. Mais son angoisse, loin de le
décourager, lui donne une force et une vigueur supplémentaires, une urgence
dans son écriture, qui font de La Cousine Bette l'un des rares chefs-d' uvre
écrits d'une seule traite par leurs auteurs. En effet, ce roman est considéré de
façon unanime comme le dernier chef-d' uvre de Balzac.
En général, parmi les autres romans de la première moitié du XIXe siècle,
La Cousine Bette a une place à part. Au XIXe siècle, le genre romanesque se
caractérise surtout par sa diversité. C'est la souplesse qui définit principalement
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les romans, qui peuvent avoir des formes, des longueurs ou des sujets très
différents. Voici quelques exemples représentatifs de la variété de la production
romanesque du début du XIXe siècle.
Nous pouvons mentionner un type de roman, moins réaliste, le roman noir
ou roman gothique, inspiré de la littérature anglaise, comme Le Château
d'Otrante (1764) d'Horace Walpole. Nous y trouvons des châteaux fantastiques
et des aventures terrifiantes et presque surnaturelles.
Héritier du XVIIIe siècle, le roman sentimental évoque les états d'âme et
les sentiments d'un couple amoureux, dont l'union est empêchée par de
nombreux obstacles. Ce sont souvent des romans écrits par des femmes, comme
Valérie, de Mme de Krüdener (1804). Les héros sont très conventionnels et peu
surprenants.
Dans la même lignée, mais plus réussis et novateurs, nous trouvons les
romans personnels qui sont typiquement romantiques: l'auteur exprime ses états
d'âme moraux et sentimentaux par l'intermédiaire de l'histoire d'un jeune homme
qui lui ressemble fortement. C'est le cas par exemple de Chateaubriand, dans
René, en 1802, et de Musset, dans La Confession d'un enfant du siècle, en 1836.
Le jeune homme est un personnage omniprésent de la littérature du XIXe
siècle, comme le montre la parution, à moins d'un an d'intervalle, de deux
romans dont les héros sont les jeunes gens: Julien Sorel dans Le Rouge et le Noir
de Stendhal (paru en novembre 1830), et Raphaël de Valentin dans La Peau de
chagrin de Balzac (paru en août 1831).
Le récit des aventures d'un jeune homme qui cherche à trouver sa place
dans la société et dans la vie envahit la littérature. C'est un grand thème
romantique, puisque les romantiques prennent conscience du bouleversement de
la société dans l'histoire.
Nous trouverons des jeunes gens, souvent ambitieux, dans Lucien Leuwen
(1834, roman inachevé) et dans La Chartreuse de Parme (1839) de Stendhal,
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dans Le Père Goriot (1834-1835) et les Illusions perdues (1837-1843) de
Balzac; plus tard, l'aventure sociale sera tournée en dérision par le personnage
de Frédéric Moreau dans L'Éducation sentimentale (1869) de Flaubert.
À côté de tous ces romans dont les protagonistes sont des jeunes gens, La
Cousine Bette fait figure d'exception, dans la mesure où le personnage éponyme
est une femme d'un certain âge, et où les jeunes gens, comme nous le verrons,
sont assez fades.
Comme la plupart des titres des romans de Balzac, La Cousine Bette est
un titre modeste qui semble annoncer une petite histoire intimiste ou privée.
Balzac n'a guère le titre épique. Il aime les prénoms, les suggestions familiales,
locales, moralisantes ou ironiques qui le plus souvent semblent vouloir cerner ou
viser quelque micro-climat du réel et de la vie: Le Père Goriot, L'Illustre
Gaudissart, Illusions perdues, Un grand homme de province à Paris, Le danger
des mystifications (Un début dans la vie), La Muse du département.
Mais à la lecture, souvent, tout change, et on l'a bien, la fresque ou
l'épopée, mais à partir de cet élément fondamental du réalisme dont la théorie est
faite dès 1830 dans une note de la première édition des Scènes de la vie privée:
le détail. Pas de Paris à vol d'oiseau. Mais, le livre lu, et c'est tout un univers qui,
vraiment, se découvre et se constitue.
Il est d'ailleurs caractéristique que Balzac, si souvent, soit parti d'un
projet de nouvelle et que ce ne soit qu'en écrivant que son
uvre ait pris ses
proportions vraies. Madame Bovary (1857) de Flaubert peut être lu comme
n'allant pas plus loin
et c'est l'un de ses sens
que Mme Bovary et que
l'image à la rigueur ironique et dérisoire d'un monde sans signification.
Mais, La Cousine Bette
et c'est là son sens
conduit à définir et cerner
de l'hallucinant qui, pour déjà perdre da sa force annonciatrice et pour ne
pouvoir être un mur des siècles quelconque devant quoi rêver, n'en demeure pas
moins, en cette veille de catastrophe qu'est 1846-1848, comme un pan d'histoire.
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D'ailleurs, La Cousine Bette est une histoire de famille. Les personnages
principaux appartiennent, de près ou de loin, à la même famille. Il y a tout
d'abord la baronne Adeline Hulot, son époux le baron Hector Hulot et leurs
enfants Hortense et Victorin. Puis monsieur Célestin Crevel et sa fille Célestine,
l'épouse de Victorin; la courtisane Valérie Marneffe qui se marie, après la mort
de son mari, avec Crevel. Un sculpteur, le comte Wenceslas Steinbock, l'époux
d'Hortense. Et la dernière, mais non la moindre, la fameuse cousine Bette, la
cousine d'Adeline.
Nous avons aussi un narrateur omniprésent et omniscient. Il assume et
même exhibe une omniscience qui lui permet de guider le lecteur pas à pas dans
la compréhension de l'histoire. Il montre toujours qu'il connaît l'intrigue mieux
que le lecteur.
Trois parties distinctes composent La Cousine Bette. Après une assez
longue introduction qui met en place les personnages et fait démarrer l'intrigue,
le milieu du roman expose de façon précise les événements principaux dans
quelques grandes scènes. Puis, une troisième partie raconte, de façon assez
rapide, le rétablissement de la situation des Hulot. Pour comprendre la
construction du roman, il faut être attentif à l'alternance entre les scènes
racontées en détail et les longues périodes temporelles résumées par le narrateur.
Lisbeth Fischer, surnommée la cousine Bette est appelée à Paris par
Adeline Hulot, femme admirable qui supporte les infidélités de son mari le
baron Hulot. Aigrie, laide (monstrueuse même), jalouse d'Adeline et de sa
beauté, Lisbeth fera de la baronne Hulot sa victime.
La fille d'Adeline, Hortense, épouse le comte Wenceslas Steinbock, dont
la cousine Bette prétend qu'il était son amoureux car elle lui avait porté secours.
Dans sa rage, elle pousse une de ses voisines d'immeuble, Valérie Marneffe, une
courtisane, dans les bras du baron Hulot, puis dans ceux du comte Wenceslas.
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La famille Hulot s'en trouve presque détruite, mais, alors que les affaires
de Bette semblent florissantes, et qu'elle est sur le point d'épouser le maréchal
Hulot, frère du baron Hulot, nous découvrons de frauduleuses opérations
financières menées par le baron Hulot dont le scandale éclabousse toute la
famille, en premier lieu le vieux maréchal Hulot qui meurt, s'estimant
déshonoré.
Tandis que la famille Hulot sombre dans la misère, une intervention de
madame Nourrisson fera périr d'un mal mystérieux la perverse Valérie
Marneffe. Le baron Hulot préfère disparaître; il vit dans un faubourg sous des
nomes d'emprunt, non sans prendre pour compagnes de jeunes adolescentes que
la cousine Bette lui procure pour le tenir éloigné de sa femme. Mais, Adeline
Hulot récupère enfin son mari et, devant le bonheur retrouvé de la famille, la
cousine Bette meurt de rage.
Cependant, le baron Hulot n'est en rien amendé et ses nouvelles infidélités
provoquent la mort d'Adeline. L'incorrigible baron Hulot s'est assuré les faveurs
d'une fille de cuisine, et la baronne surprend une conversation où il annonce à
cette fille que, bientôt veuf, il pourra l'épouser et la faire baronne. Promesse qui
se réalise, car ce dernier coup achève la baronne, qui meurt après avoir pardonné
à son mari: celui-ci épousera la cuisinière.
Il est assez inattendu qu'un personnage comme la cousine Bette ait un rôle
si important. D'une part, c'est une femme, et Balzac n'a généralement pas
l'habitude de mettre une femme au premier rang de ses études parisiennes.
D'autre part, cette femme est une vieille fille, à la fois laide et pauvre, ce qui est
inhabituel pour un lecteur de romans du XIXe siècle.
La Cousine Bette est donc, un roman de la femme. Balzac commence par
là en 1830 (Scènes de la vie privée, les diverses nouvelles qui doivent constituer
La femme de trente ans, 1831-1833) et il s'est vite acquis les admirations d'un
nombreux public féminin qui se sent compris. Sainte-Beuve ne manque pas,
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dans un article célèbre de 1834, d'insister avec quelque perfidie sur cette
spécialité d'alcôve et sur ce rôle de confesseur et de confident du plus fécond de
Balzac.
Les femmes balzaciennes d'alors sont des mal mariées aspirant au
bonheur. Par Mme de Mortsauf (Le Lys dans la vallée, 1836) le thème et le
personnage doivent se constituer, dans des ensembles plus vastes et plus
ambitieux que les nouvelles de 1830-1832 jusqu'à Véronique Graslin (Le Curé
de village, 1839-1841) et Dynah de la Baudraye (La Muse du département,
1843).
Adeline et sa fille ferment la marche. Mais elles n'ajoutent guère. Bette,
par contre, c'est le premier portrait de femme profondément destructrice,
rancunière et laide que Balzac ait produite. Même madame de Saint-Estève
(Illusions perdues et Splendeurs et misères des courtisanes, 1838-1847) a
quelques caractéristiques émouvantes. La cousine Bette n'en a aucune. Cette
vieille fille, c'est bien d'une sauvage qu'il s'agit.
Il y a bien, en 1832, Mlle Gamard, la vieille fille des Célibataires
(premier titre du Curé de Tours, 1832) puis surtout, en 1836, Rose Cormon, La
vieille fille qui donne son titre au premier roman de Balzac paru en feuilleton.
Mais ces deux personnages sont bien loin d'être centraux dans l'univers
balzacien. Ils se développent, de plus, selon deux directions bien différentes:
Mlle Gamard est l'être sec, une image de l'inutilité et de la stérilité sociale, mais
la Rose Cormon est tout au contraire une créature sensible qui reprend certains
traits de la grassouillette madame Vauquer du Père Goriot.
Vieille fille sèche et odieuse, ou vieille fille concupiscente: Balzac n'est
guère aller plus loin dans l'exploration. Bette est différente; elle n'est jamais
caricaturale. Qu'elle doive des traits à la mère du romancier, à madame Valmore
et à la tante Rosalie (la tante de madame Hanska), c'est chose aujourd'hui
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démontrée. Mais Bette est bien par-delà le modèle ou l'anecdote. Elle est une
monstruosité psychologique et plutôt, elle représente une condition particulière.
D'ailleurs, La Cousine Bette est, nous semble-t-il, un titre assez étonnant
pour ce roman. En effet, il est difficile de considérer que Bette Fischer en est le
personnage principal, car ce sont les péripéties que rencontre la famille Hulot
qui sont racontées le plus longuement. L'étude de la composition de La Cousine
Bette montre clairement qu'il n'y a pas un seul personnage principal dans ce
roman. Le roman présente une galerie de caractères qu'ils prennent la valeur des
types humains. Même si le narrateur est omniprésent et très directif, le
foisonnement que l'on trouve dans La Cousine Bette (celui des personnages
comme celui des intrigues) permet au lecteur de garder une certaine liberté dans
son interprétation du texte.
Ainsi, en lisant La Cousine Bette, nous pouvons accorder plus ou moins
d'importance à tel ou tel aspect du roman. Un lecteur sera sensible au thème de
la jalousie, un autre à celui de la représentation sociale, un autre encore
s'intéressera davantage aux aspects les plus originaux de l'écriture balzacienne
comme son écriture hyperbolique, parfois à la limite de la caricature.
L'importance accordée à chacun de ces aspects peut d'ailleurs varier si un
même lecteur lit plusieurs fois le roman au cours de sa vie. Sans changer le sens
du texte, chaque lecteur y trouve des éléments qui le saisissent personnellement.
Ainsi, la richesse foisonnante de l' uvre de Balzac suscite la curiosité du lecteur
et rend cette uvre ouverte aux diverses interprétations. Or, pour les raisons que
nous venons de donner jusqu'ici, le thème que nous choisissons pour étudier est
la femme.
De plus, dans La Comédie humaine, Balzac s'intéresse beaucoup au sort
de la femme, à sa psychologie, à sa place dans la société. En effet, la femme
occupe dans La Comédie humaine une place privilégiée et sa délicatesse y est
dépeinte tendrement. Frantz André Burguet dans sa préface aux Etudes de
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femmes de Balzac dit: «LA phamme, mot magique, [ ]. Obsession première de
Balzac, dans sa vie et dans son
uvre, parce que la femme est amour, et aussi
argent1».
Ce qui est intéressant, c est que Balzac en tant qu'homme, peut bien
analyser les différents côtés de la personnalité féminine. Il parle à propos des
personnages féminins d'une façon que nous avons l'impression qu'il connaît
toutes leurs réactions surtout dans leurs relations avec les hommes. Par exemple,
dans La Cousine Bette le narrateur dit: «La maladie est un des paravents que les
femmes mettent le plus souvent entre elles et l'orage d'une querelle2» ou «Les
femmes persuadent toujours aux hommes de qui elles ont fait des moutons qu'ils
sont des lions, et qu'ils ont un caractère de fer3». Même, il dit les phrases
générales: «La femme, est un être inexplicable4», «Les femmes savent tout par
instinct5».
Dans cette recherche, nous voulons montrer l'image des femmes du
roman. En effet, ce mémoire se donne pour objectif de déceler le pouvoir
féminin du roman. Nous voulons répondre à cette question: La Cousine Bette,
est-il un roman du pouvoir féminin? À cette fin, trois images sont explorées et
mises en
uvre: l'image mythologique, l'image psychologique et l'image
sociologique. Nous nous efforcerons de montrer comment ces trois images de
femmes éclairent le pouvoir féminin du roman.
Dans le premier chapitre, nous montrerons la personnalité des
personnages féminins. Pour cela, nous analyserons ces femmes sous la forme
des mythes grecs. Dans le deuxième chapitre, nous envisagerons les
comportements des femmes du roman. Pour cette étude, nous représenterons
d'abord les types que Balzac a créés, ensuite nous traiterons les différents types
1
. H. de Balzac, Etudes de femmes, Paris, 1971, p. 7.
. H. de Balzac, La Comédie humaine, tome 5, ( La Cousine Bette), Paris, 1966, p. 71.
3
. Ibid., p. 73.
4
. Ibid., p. 79.
5
. Ibid., p. 89.
2
16
d'amour chez ces femmes, selon la psychologie moderne. D'ailleurs,
l'interprétation psychologique d'une
uvre littéraire peut se compléter par une
approche sociologique pour montrer l'influence familiale et sociale sur les
personnages. Georges Lukacs dans son Balzac et le réalisme français dit que
dans l' uvre de Balzac les personnages se développent au-delà de la volonté de
l'auteur, selon la dialectique interne de leur existence sociale et psychologique1.
Donc, dans le troisième chapitre, nous aborderons l'image sociologique des
personnages féminins.
Ainsi, pour analyser les femmes du roman, il faut être attentif à leur triple
image, d'abord à leur propre nature, puis leurs comportements et leurs types
psychologiques et aussi la société où elles vivent et leur situation dans cette
société.
Dans La Cousine Bette, Balzac peint les personnages avec la compétence
du psychologue et l'époque avec les scrupules de l'historien du présent. Il fait
preuve ainsi des qualités d'observation psychologique et de celles du parfait
historien de son époque nécessaires selon lui à la création de la fiction
romanesque. Nous en profiterons pour examiner la peinture des caractères.
Par exemple, Balzac cherche à expliquer les bizarreries du caractère de la
cousine Bette, en particulier sa jalousie monstrueuse, par les manies étranges
qu'elle contracte avec le temps. Il s'agit de voir si cette explication de ce
personnage va révéler le talent de l'auteur pour peindre un personnage hors du
commun et surtout détecter la genèse de cette ranc ur morbide qui laisse
deviner le drame qu'elle va créer dans son entourage. Quant à l'époque, elle
transparaît avec la rigueur d'un historien soucieux de montrer la condition d'une
vieille fille au temps de Louis-Philippe à Paris, soumise à la tyrannie de la mode.
L'histoire du roman, c'est le triomphe d'une haine primaire dans le cadre
parisien d'une époque où les passions amoureuses sont exacerbées par un régime
1
. Cité par J. Kahnamouipour, N. Khattate, La critique littéraire, Paris, 1995, p. 96.
17
social de contraintes et de convenances artificielles souvent ruineuses. En effet,
Balzac écrit le récit du protagonisme de la passion des valeurs chez un
personnage face à l'antagonisme de la passion des valeurs chez d'autres
personnages dans le cadre d'une certaine époque dans une ville donnée avec le
souci majeur d'être l'historien de l'actualité.
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CHAPITRE I
L'IMAGE MYTHOLOGIQUE
La mythologie grecque fait la part belle à la généalogie complexe des dieux et
des déesses olympiens et de leurs descendants. Ils appartiennent à une famille.
Dans ce chapitre, nous tentons de donner un aperçu des grandes déesses
du mont Olympe (Artémis, Athéna, Déméter, Perséphone, Héra et Aphrodite), et
nous verrons qu'elles ne sont pas des entités abstraites, mais des êtres doués de
vie, de qualités et de défauts, peu différents du commun.
Nous voulons également montrer les caractères et les comportements
importants de chaque déesse, puis nous étudierons les femmes du roman (Bette,
Adeline, Hortense et Valérie) qui se comportent comme ces divinités et
pourraient être à l'image d'elles.
En effet, nous nous efforcerons d'étudier la personnalité des personnages
féminins de La Cousine Bette, qui est une histoire de famille, et faire une
comparaison avec la personnalité de ces déesses pour montrer le pouvoir
féminin du roman.
Pour cette étude et cette comparaison, nous divisons ces déesses et ces
personnages en trois groupes: le type vierge, le type vulnérable et le type
alchimique. Pour le type vierge, nous traiterons la personnalité d Artémis,
d Athéna et de Bette; Déméter, Perséphone, Héra, Adeline et Hortense seront
abordées pour le type vulnérable; et enfin, Aphrodite et Valérie seront affrontées
pour le type alchimique.
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1.1 LE TYPE VIERGE
Le premier groupe est le type vierge. Ce type de personnage représente
l'indépendance et l'autosuffisance des femmes. Contrairement à d'autres types, le
type vierge n'est pas sensible aux sentiments amoureux. Les attachements
affectifs ne le détournent pas d'arriver à son but. La virginité de ce type montre
une partie de sa personnalité qui lui permet de rester toujours autonome et
indépendante des hommes et de leur exigence.
1.1.1 Artémis, Bette
La personnalité d'Artémis dans le monde grec est singulièrement complexe. Elle
possède, en effet, le double visage de la compagne des animaux sauvages et de
la chasseresse. De plus, elle est la déesse de la nature sauvage et aussi celle de la
lune. Nous allons analyser d'une manière générale, chacun des traits de cette
déesse, pour présenter la femme Artémis du roman.
Pour commencer, nous mentionnons qu'Artémis est la déesse de la chasse.
On la représente le plus souvent, courte vêtue, armée d'un arc et des flèches
d'or1. «D'une manière générale, elle est responsable des morts soudains: ses
flèches sont toujours précises, foudroyantes de rapidité et mortelles2».
En effet, Artémis est une archère sans faute qui chasse des animaux
sauvages. Elle est constamment accompagnée d'une troupe d'animaux, surtout
d'une biche, d'une meute de chiens, d'un sanglier et d'une lionne. Cette déesse est
l'incarnation des caractères de beaucoup d'animaux non apprivoisés3.
1
P. Brunel, Dictionnaire des mythes littéraires, Paris, 1988, p. 171.
. J. Schmidt, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Paris, 2005, p. 25.
3
. J. Sh. Bolen, Goddesses in everywoman: a new psychology of women, traduit en persan par Azar Yousefi,
Téhéran, 1386, p. 65.
2
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Pour comparer cet aspect d'Artémis avec le personnage du roman, Lisbeth
Fischer, nous choisissons l'un de ses premiers portraits que le narrateur décrit:
Paysanne des Vosges dans toute l'extension du mot, maigre, brune, les cheveux
d'un noir luisant, les sourcils épais et réunis par un bouquet, les bras longs et forts,
les pieds épais, quelques verrues dans sa face longue et simiesque, tel est le
portrait concis de cette vierge1.
Nous pourrions constater que ce portrait peu flatteur insiste sur l'animalité
du personnage, une animalité qui se trouve dans son surnom. Elle est appelée
«Bette», et éprouve les mêmes sentiments pulsionnels qu'une bête. Des
expressions à double sens soulignent cette similitude: «ces malheurs de famille
[ ] domptèrent la Bette2», «elle ne domptait que par la connaissance des lois3»
ou «cette fille avait peur en effet de toute espèce de joug4». Ici les mots
«domptèrent» ou «joug» nous suggèrent l'analogie de cette «sauvage Lorraine,
quelque peu traîtresse5», avec les animaux.
D'ailleurs, elle est comparée à tous les animaux les plus dévalués: «parfois
elle ressemblait aux singes habillés en femmes6». Bette est stupidement obstinée
et elle est d'un «entêtement de mule7». La cousine Bette, en effet, est assimilée à
à une chèvre. Elle se dit elle-même «une vieille bique comme moi8», et se
demande : «qui peut aimer une vieille chèvre?9» ; le baron Hulot lui dit:
«Bonjour la Chèvre!10». Le narrateur fait cette similitude: «Cet esprit rétif,
capricieux, indépendant, l'inexplicable sauvagerie de cette fille [ ] lui méritait
le surnom de Chèvre que le baron lui donnait en riant11».
1
. H. de Balzac, La Cousine Bette, op. cit., p. 20.
Ibid.
3
. Ibid., p. 22.
4
. Ibid., p. 20.
5
. Ibid., p 22.
6
.Ibid.
7
Ibid., p. 21.
8
. Ibid., p.24.
9
. Ibid., p. 22.
10
. Ibid., p. 25.
11
. Ibid., pp. 21-22.
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