« Ces soldats sont obligés de participer à une guerre illégale»
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« Ces soldats sont obligés de participer à une guerre illégale»
18_01_07.qxd 17/01/2007 19:06 Page 2 ÉVÉNEMENT 2 Lesnouveaux déserteursaméricains ÉTATS-UNIS . Trente ans après le Vietnam, quelque 300 soldats auraient déjà trouvé refuge au Canada pour ne pas combattre en Irak ou ne pas y retourner. Trois d’entre eux témoignent. D l Attachés à leur pays, ces soldats ne veulent pas participer à une guerre injuste. l Leur avocat réclame le statut de réfugiés politiques. l Des vétérans du Vietnam leur manifestent leur soutien. « résistants à la guerre » (1), ces soldats américains réfugiés au Canada pour échapper à la guerre d’Irak. Des couvertures et des matelas, des jouets dans un carton, une caisse de tracts, des affiches pacifistes et des lettres d’encouragement sur les murs: la pièce est un pittoresque mélange de matériel militant et de dons de sympathisants aux familles des déserteurs. Rivé au téléphone, Lee Zaslofsky, soixante-deux ans, coordonne la campagne. Avec une poignée de bénévoles, il organise l’accueil et l’hébergement des nouveaux arrivants, les manifestations, les conférences, les soutiens, la collecte des fonds (2). Il résume son combat, lancé en 2004 quand les premiers déserteurs sont arrivés à Toronto: «L’essentiel, c’est qu’ici, personne ne va leur tirer dessus, et personne ne va leur dire de tirer sur d’autres gens.» ILS RISQUENT CINQ ANS DE PRISON On est loin des 50000 jeunes Américains qui s’étaient réfugiés au Canada pour échapper à la conscription et à la guerre du Vietnam. À l’époque, le premier ministre Pierre-Eliott Trudeau avait déclaré son pays «refuge contre le militarisme ». Mais le flot est régulier. Depuis l’invasion de l’Irak, en 2003, 300 soldats américains auraient déserté vers le Canada anglophone, à Toronto et à Vancouver, après avoir servi en Irak ou en Afghanistan, ou avant d’y être envoyés. Une MARK PETERSON/REDUX/REA Toronto (Canada), envoyée spéciale. ans une rue charmante et délabrée du quartier asiatique de Toronto, se dresse le bâtiment du Syndicat des travailleurs de la métallurgie. Au bout d’un couloir, un petit bureau encombré. C’est la Campagne d’appui aux 24 avril 2006, à New York, des membres dune association de vétérans de la guerre en Irak manifestent contre le conflit. fraction des 8000 soldats qui, selon le Pentagone, auraient quitté leur poste depuis le début de l’invasion de l’Irak, en 2003, et dont la plus grande partie vit clandestinement aux États-Unis. Si le Code de jus- tice militaire américain prévoit, en théorie, la peine de mort pour les déserteurs en temps de guerre, en réalité, ces jeunes soldats risquent cinq ans de prison aux États-Unis. La désertion au Canada « Ces soldats sont obligés de participer à une guerre illégale» Rencontre avec Jeffry House, avocat à Toronto. Il défend une trentaine de combattants qui ont déposé une demande de réfugié politique. C ombien de ces déserteurs défendezvous?xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx Jeffry House. Une quarantaine de soldats ont demandé le statut de réfugié dans tout le pays, et je m’occupe d’une trentaine d’entre eux. Au total, nous estimons que 300 déserteurs sont présents au Canada. Un grand nombre a trouvé une autre solution que la demande d’asile. Certains vivent ici illégalement, d’autres sont arrivés grâce à un visa étudiant, d’autres encore ont épousé une citoyenne canadienne. Quels sont vos arguments pour appuyer leurs demandes dasile? Jeffry House. Nous affirmons que ces soldats sont obligés de participer à une guerre illégale. D’abord l’intervention en Irak viole la charte des Nations unies. Ce n’est pas une guerre défensive, et elle n’a pas été approuvée par le Conseil de sécurité de l’ONU. Ensuite, les ÉtatsUnis poursuivent une politique de tor- ture des prisonniers qui viole la troisième convention de Genève (de 1949, relative au traitement des prisonniers de guerre – NDLR). Il est clair que les États-Unis n’ont pas l’intention de se conformer à ce texte. Nous savons que les soldats en Irak sont amenés à arrêter des personnes, les mettre sur des camions qui peuvent ensuite être conduits vers des centres de torture. Ils ne devraient pas avoir à faire cela. Ces arguments ont-ils déjà permis à un soldat dobtenir lasile au Canada? Jeffry House. Pas à des soldats américains refusant de servir en Irak. Mais ces arguments ont déjà convaincu dans le cas d’un soldat de l’armée irakienne qui a refusé de participer à l’invasion du Koweit en 1990 parce que cette guerre violait les lois internationales. Sur cette base, il a obtenu le statut de réfugié. C’est pourquoi nous sommes confiants que nous finirons par gagner. L H U M A N I T É . Les demandes de deux de vos clients ont été rejetées par le bureau canadien de limmigration, et par la cour fédérale. Vous avez fait appel devant une cour supérieure. Pensez-vous que la proximité entre le gouvernement canadien Harper et ladministration Bush vous rend les choses plus difficiles? Jeffry House. Non, parce que la justice canadienne est indépendante du pouvoir politique. Mais si un tribunal déclarait que la guerre en Irak est illégale, les conséquences politiques seraient considérables. Bien entendu, les juges ne sont pas censés prendre en compte cette réalité. Pour nous, ces dossiers posent une question de principe, et c’est à elle qu’ils doivent répondre. Ils ne doivent pas chercher par tous les moyens à éviter cette réalité : l’ensemble des soldats américains devaient être autorisés à se réfugier au Canada. Entretien réalisé par L. B. J E U D I 1 8 J A N V I E R n’est pas une partie de plaisir, même si les jeunes soldats louent la chaleur de l’accueil que leur fait la population. Le gouvernement conservateur de Stephen Harper, proche de Bush, les tolère. Les lois canadiennes sur l’immigration sont plus dures qu’il y a trente ans, et l’armée américaine est aujourd’hui une armée de métier. Ce qui rend la position de ces déserteurs au Canada plus compliquée, déplore un de leurs sympathisants: «Après tout, personne ne les a forcés à s’engager dans l’armée, et ils savaient qu’ils pouvaient participer à une guerre.» UNE DÉCISION QUI ENGAGE LEUR VIE Ceux qui déposent une demande d’asile reçoivent un permis de travail et accèdent au système de santé. Mais la procédure est longue (voir cicontre). L’euphorie des premiers mois passée, «c’est généralement plus difficile pour certains, la famille leur manque, leurs problèmes d’avant l’armée ressurgissent. C’est une décision qui engage leur vie», explique Lee Zaslofsky, lui-même un ancien déserteur américain de l’époque du Vietnam. Certains des premiers arrivés ont décidé de repartir, avec des résultats variables. Darrell Anderson, par exemple, a été 2 0 0 7 rendu à la vie civile à l’automne dernier aux termes d’un accord avec le camp militaire de Fort Knox, au Kentucky. Il participe aujourd’hui aux activités du mouvement antiguerre aux États-Unis. Kyle Snyder aussi souffrait du mal du pays: avec le même avocat et un accord identique, l’armée a voulu le réintégrer dans son unité. Lee Zaslofsky avance une explication: «Son unité, contrairement à celle de Darrell, était stationnée aux États-Unis.» Le jeune homme a déserté une deuxième fois. Ivan Brobeck, lui, a été traduit devant une cour martiale en décembre après s’être rendu. «Il achèvera sa peine de soixante-deux jours de prison début février et il écope d’un renvoi pour mauvaise conduite, ce qui n’est pas bon pour son avenir, explique Lee Zaslofsky. Nous leur recommandons de ne pas repartir, à moins qu’ils soient prêts à affronter l’armée et la prison. Et ça, ils ne le méritent pas.» Lucy Bateman (1) La War Resisters Support Compaign. (2) La campagne d’appui regroupe une quarantaine de groupes, organisations syndicales et religieuses, associations de défense des droits de l’homme et de partis de gauche.