Paradoxes 5

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Paradoxes 5
Jean-Paul Delahaye
CRISTAL UMR cnrs 9189
Le paradoxe de Simpson
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Jean-Paul Delahaye
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Une manifestation est organisée devant le bureau du président de l'université.
Un groupe d'étudiantes dépose une pétition signée par de nombreuses étudiantes et... quelques étudiants.
- L'étude des résultats des examens de cette année montre que:
Les filles ont un meilleur pourcentage de réussite que les garçons à la licence de Physique.
Les filles ont un meilleur pourcentage de réussite que les garçons à la licence de Biologie.
Pourtant en globalisant les résultats de deux licences,
les filles sont moins nombreuses en proportion que les garçons à obtenir leur licence
et cela bien qu'il y ait au total exactement le même nombre de candidats filles que de candidats garçons
«Une manipulation sexiste des résultats a donc été faite. Nous exigeons sa correction immédiate !»
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Le président de l'université est bien ennuyé.
Il fait attendre les étudiants et demande à ses services de vérifier les résultats et les calculs.
Aucune erreur n'est trouvée
- il est parfaitement vrai que les filles ont un meilleur pourcentage de réussite que les garçons
aux examens de la licence de Biologie (55,5% contre 40%),
ainsi qu'aux examens de la licence de Physique (100% contre 89%).
- Pourtant en regroupant les résultats des deux licences, le pourcentage de réussite des filles est moins bon
que celui des garçons (60% contre 84%).
Il n'y a absolument aucune erreur.
Que se passe-t-il ? Cela est-il possible ?
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Solution
Oui, c'est tout à fait possible. Exemple d'une situation où 100 candidates filles et 100 candidats garçons.
Les filles réussissent mieux en Physique puisqu'elles sont 100% à avoir obtenu leur diplôme
alors que les garçons ne sont que 88% à le décrocher.
Les filles réussissent mieux aux examens de la licence de Biologie que les garçons : 55,5 % contre 40%.
Globalement les garçons obtiennent un meilleur taux de réussite que les filles :
- sur les 100 garçons ayant passé l'une des deux licences 84% l'ont obtenu, alors que
- sur les 100 filles, seules 60% sont reparties avec le diplôme espéré.
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Clef du mystère :
• Les filles sont plus nombreuses en licence de Biologie et les garçons plus nombreux en licence de Physique.
• Le taux de réussite est meilleur en Physique qu'en Biologie.
• Les filles tentent donc, en moyenne, un examen plus dur que les garçons
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Paradoxe de Simpson
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ou
effet de Yule-Simpson.
Elle a été décrite par Edward Simpson en 1951
…
qui ignorait que George Yule l'avait déjà envisagée en 1903.
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Cas réels
En 1986 : étude comparée sur l'efficacité des traitements utilisés pour enlever les calculs rénaux
En 1975 admission des étudiants dans les divers départements de l'Université de Berkeley aux Etats-Unis.
les filles tentaient d'entrer dans des départements plus difficiles en moyenne
que ceux visés par les garçons.
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Doit-on conclure qu'on peut faire dire une chose et son contraire aux statistiques ?
Risque-t-on toujours de rencontrer de telles situations ?
Non !
Le paradoxe de Simpson provient de ce que dans
l'agrégation des données
on ne mélange pas des données correspondant à des effectifs égaux pour les sous-cas.
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En regroupant les résultats des examens de :
(a) 100 filles passant la Biologie,
(b) 100 filles passant la Physique,
(c) 100 garçons passant la Biologie,
(d) 100 garçons passant la Physique,
le paradoxe de Simpson ne se produit jamais.
Supposons que les filles réussissent mieux que les garçons :
en Physique, f % contre g % avec f > g,
et en Biologie, F % contre G % avec F >G.
Alors, elles réussissent en moyenne avec un taux de [f+F]/2 % contre [g+G]/2 % pour les garçons
et bien sûr : (f+F)/2 > (g+G)/2 ;
L'ordre est conservé !!
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Le paradoxe de Saint-Pétersbourg
Le paradoxe de Saint-Pétersbourg doit son nom à l'étude que lui consacra Daniel Bernoulli
dans les commentaires de l'Académie des Sciences de Saint-Pétersbourg en 1738.
(Pourtant c'est Nicolas Bernoulli — l'oncle de Daniel — qui l'inventa )
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La question est de savoir :
quelle mise la banque doit demander à un parieur pour qu'une partie du jeu suivant soit équitable ?
- On jette une pièce de monnaie (non truquée) jusqu'à ce qu'on obtienne pile.
si pile arrive dès le premier coup, la banque donne 2 € au parieur.
P
si pile arrive au deuxième coup, la banque lui donne 4 € ,
FP
si pile arrive au troisième coup, la banque lui donne 23 = 8 € ,
FFP
si pile arrive au quatrième coup, la banque lui donne 24 = 16 € ,
FFFP
etc.
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Dé à 6 faces.
Si le 6 tombe la banque donne 10 €
Si le 5 tombe, elle donne 5 €
Sinon rien.
Combien vaut une partie ?
10/6 + 5/6 = 15/6 = 5/2 = 2,5 €
Moyenne des gains pondérés par les probabilités = gain moyen par partie = espérance d'une partie
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Le calcul du gain moyen par partie est assez simple.
En effet :
- on gagne 2 € avec une probabilité 1/2,
- on gagne 4 € avec une probabilité 1/4,
- on gagne 8 € avec une probabilité 1/8, etc.
Le gain moyen —si la partie est offerte gratuitement— est donc la moyenne pondérée :
2x(1/2) + 4x(1/4) + 8x(1/8) + 16x(1/16) +...
Chaque terme se simplifie et donne 1, le gain moyen est donc :
1+1+1+1+...+1+...
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L'espérance de gain est donc infinie !
Cela signifie que :
même si la banque vous demande un million d'euros pour jouer une seule partie,
l'espérance mathématique est encore favorable au joueur : il faut accepter l'offre.
Pourtant personne n'accepterait de jouer, même si participer à une partie ne coûtait que 100 €
Qu'est-ce qui ne va pas ?
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Solution
La notion d'utilité est parfois évoquée pour résoudre ce paradoxe :
- Gagner deux millions d'euros ne procure pas une satisfaction —une "utilité"— deux fois supérieure à celle
qu'on tire du gain d'un million d'euros.
- Ceci, associé à d'autres considérations psychologiques étudiées en économie
(aversion du risque, perception imparfaite des grands nombres, etc.)
aurait pour conséquence qu'il deviendrait naturel et même rationnel de refuser de payer 100 € pour participer.
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En réalité, ces explications sont inutilement compliquées... et fausses.
En augmentant les gains pour que leurs utilités soient respectivement de
2 unités, 4 unités, 8 unités, 16 unités, ...
on retombe sur le paradoxe initial.
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Ce qui ne va pas : le banquier triche.
Il ne dispose que d'une somme finie d'argent.
Il oublie donc de prendre en compte les cas — rares mais essentiels —
où il ne sera pas en mesure d'assurer son engagement d'organisateur du jeu.
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Si on mène les calculs avec l'hypothèse que le banquier ne dispose que d'un million d'euros
(et que c'est donc le maximum qu'il est susceptible de perdre),
alors l'espérance de gain devient :
2x(1/2) + 4x(1/4) + 8x(1/8) + ... + 21 9x(1/21 9) + 1000 000x(1/21 9) = 20,91 €
Le dernier terme correspond à tous les cas où il y a 19 faces consécutives ou plus avant pile, et où le banquier donne donc un
million d'euros au gagnant alors qu'il devrait donner plus.
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Cette mise de 20,91 € qui rend le jeu équitable est maintenant tout à fait raisonnable.
Avec un banquier disposant d'un million d'euros, la partie vaut 20,91 € pas un centime de plus !
Avec un banquier prêt à payer jusqu'à un milliard d'euros l'espérance de gain
(et donc ce qu'un joueur rationnel accepte de payer pour jouer une fois) est :
2x(1/2) + 4x(1/4) + 8x(1/8) + ... + 22 9x(1/22 9) + 109 x(1/22 9) = 30,86 €
Pour justifier un prix de 100 € , il faudrait que le banquier soit prêt à payer 1,26765 1030 €
ce qui est beaucoup plus que toutes les richesses accumulées sur terre aujourd'hui
(qui sont inférieures à 1020 € )
(10 000 milliards d'€ = patrimoine des français)
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Les paradoxes sont utiles.
Ils permettent à l'esprit rationnel de se développer.
Parfois, ils contribuent directement au développement des sciences (exemple des séries).
Chaque paradoxe doit être pris au sérieux et résolu.
Il n'y a sans doute pas de méthode générale de résolution des paradoxes.
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