Rondier J.-D. Le rapatriment sanitaire en - École du Val-de
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Rondier J.-D. Le rapatriment sanitaire en - École du Val-de
Pratique médico-militaire Le rapatriement sanitaire en psychiatrie, une décision s’inscrivant dans un processus de soins. J.-D. Rondier. Service de psychiatrie, HIA Percy, 101 avenue Henri Barbusse – 92141 Clamart Cedex. Article reçu le 2 juillet 2008, accepté le 29 octobre 2009. Résumé Les missions extérieures sont sources de contraintes et suscitent parfois une souffrance psychologique chez les militaires qui y sont engagés jusqu’à devoir recourir à une décision de rapatriement sanitaire. Nous dressons en premier lieu une typologie non exhaustive des situations dans lesquelles se développent des troubles psychiatriques. L’évaluation diagnostique concourant à la prise de décision de rapatriement sanitaire se heurte parfois à des résistances de la part des intéressés ou du groupe. Il faut toujours tenter de se dégager de la plainte manifeste du patient afin de saisir ce qui se trouve en jeu dans sa logique subjective. Il convient alors parfois, hors les situations d’urgence, de se donner le temps de saisir les enjeux singuliers de cette situation de crise. Un élément précieux d’appréciation de la faculté d’un sujet de dépasser les troubles actuels et de poursuivre sa mission consiste dans la qualité de son engagement. Une décision, mûrie lors des échanges avec le patient, permettra à celui-ci de s’approprier au mieux cette décision médico-administrative et de donner son assentiment à l’engagement dans des soins ultérieurs. Mots-clés : Logique subjective. Missions extérieures. Rapatriement sanitaire. Troubles psychiatriques. Abstract PSYCHIATRIC REPATRIATION, A DECISION INTEGRATED IN MEDICAL CARE. The soldiers who are engaged in foreign missions are under pressure and some of them display a psychological suffering that requests a medical repatriation. We first will make an uncompleted list of situations in which psychiatric trouble may appear. Diagnostic evaluation contributing to medical repatriation decision may instigate resistances from the subject or the group. We always have to get free of the patients’ obvious complaint in order to catch what the stake is in their subjective logics. It’s sometime necessary to take time to catch the singular stakes of this crisis situation. A precious element for assessing the capability of surpassing present troubles and going on with the mission is the quality of military commitment. A decision, nurtured by exchanges with the patients, will make them able to give their agreement for this decision and their commitment in future psychiatric care. Keywords: Foreign missions. Medical repatriation. Psychiatric troubles. Subjective logical. Introduction. Les séjours outre-mer ou les situations opérationnelles mettent à l’épreuve les militaires qui y sont engagés. Bouleversant les repères qui régissent les conditions habituelles de leur vie, tant sur le plan affectif que professionnel, ils confrontent parfois, dans des situations de combat ou de menace terroriste, à la réalité du risque vital qui est une des conditions d’exercice du métier de militaire. Cette menace peut être latente ou se concrétiser dans des rencontres avec des situations potentiellement J.-D. RONDIER, médecin en chef. Correspondance : J.-D. RONDIER. service de psychiatrie, HIA Percy, 101 avenue Henri Barbusse – 92141 Clamart Cedex. E-mail : [email protected] médecine et armées, 2010, 38, 1, 99-103 traumatiques, lorsque le sujet est confronté à l’imminence de l’éventualité de sa propre mort ou lorsqu’il est témoin de scènes horribles. De tels événements à haute charge dramatique imposent parfois la décision d’un rapatriement sanitaire (1). Néanmoins, c’est dans le contexte de circonstances plus ordinaires des missions, dont nous tentons de dresser une typologie, que les rapatriements sont le plus souvent réalisés. Notre propos, s’illustrant de deux histoires cliniques issues de notre expérience lors d’une récente mission à Djibouti, est de fournir des éléments de réflexion sur le cheminement logique qui aboutit à la prise de décision d’un rapatriement sanitaire, acte médico-administratif relevant du médecin d’unité ou du psychiatre et s’incluant toujours dans la dynamique d’un processus de soins. 99 Typologie des situations éprouvantes en missions extérieures. Interrogeons-nous en premier lieu sur les circonstances qui, en situation opérationnelle, hors même les conditions spécifiques des situations de combat, peuvent amener un surcroît de souffrance subjective jusqu’à nécessiter un rapatriement sanitaire. Ce type de situation agit comme révélateur, potentialisant des difficultés pour des sujets chez lesquels elles étaient déjà en germe ou même largement présentes. C’est-à-dire que du point de vue médical, dans la considération que l’on en prend, d’une logique de la situation l’on aboutit in fine à la logique du sujet qui conditionne la mise en œuvre des soins. C’est pourquoi l’on ne saurait en rester, sur un plan diagnostique, à cette catégorie nosographique souvent nommée lors des rapatriements sanitaires, le trouble de l’adaptation. Ce diagnostic, s’il vient dire quelque chose d’un rapport de coïncidence temporelle entre une situation éprouvante et le développement de troubles psychiatriques indiquant la nécessité de soustraire le sujet à ladite situation par un rapatriement, ne dit rien de ce qui se trouve singulièrement en jeu pour un sujet. Il ne suffit pas à saisir les enjeux de cette crise subjective. Le départ, une séparation affective. Le départ en opérations extérieures, bien qu’inscrit de fait dans la carrière et la vie du militaire, présente toujours une part d’incalculable, quelque chose dont il ne s’était pas représenté les effets même s’il avait tenté de l’imaginer. Le départ réalise une séparation de l’environnement affectif source d’une souffrance fréquemment évoquée lors des rapatriements sanitaires (2). Il vient mettre à l’épreuve celui qui part, ceux qui restent et la relation qui les unit, notamment celle avec le conjoint mais pas seulement. Tel militaire ressentira douloureusement l’éloignement de ses parents, voire de ses grands-parents notamment lorsque leur santé est déclinante. Les problèmes, notamment médicaux, survenant chez un proche peuvent affecter intensément le soldat. L’idée de ne pas être présent et disponible pour l’assister peut susciter des sentiments de culpabilité ou une intolérable impression de contrainte par les exigences de la mission. Des troubles anxieux peuvent survenir et se compliquer d’une idéation dépressive. Le sujet est en proie à des ruminations incessantes au sujet du problème qui s’est fait jour et de l’impossibilité de rentrer. Il présente des troubles importants du sommeil. L’intensité des troubles est souvent en lien avec un trait de dépendance affective. Dans ce contexte le sujet peut présenter des idées suicidaires. Elles peuvent être d’autant plus prégnantes qu’une décision de rupture a été annoncée par le conjoint. L’éloignement renforce le vécu d’impuissance, de lâchage, d’abandon. Un passage à l’acte est alors à redouter. Certains changements sont intervenus avec le développement des communications modernes, téléphone portable, internet, qui sont devenus un des éléments importants conditionnant le « moral du soldat ». Elles modif ient la donne mais ne simplif ient pas 100 forcément la situation. Les sujets restent « branchés », s’appelant quotidiennement et parfois longuement. Cela ne favorise pas une modulation relationnelle, la capacité de s’inscrire dans une expérience d’où l’autre est provisoirement absent. Cela peut avoir un paradoxal effet d’accentuation de l’intolérance à l’absence. De plus cette technologie permet une immédiateté dans l’expression et la communication du vécu émotionnel. Certains ressentis émotionnels un peu vifs étaient sans doute mieux médiatisés par l’écrit. Exacerbation des mécanismes de défense. La confrontation à un environnement professionnel radicalement nouveau lors d’une projection en opération extérieure bouleverse les repères et peut avoir un effet de déstabilisation, qui peut être renforcé pour certains sujets par la nécessité de parler en anglais dans un contexte multinational. C’est le cas pour Jacques, officier de l’armée de Terre, pour qui son affectation pour une durée de six mois dans un état major de l’OTAN dans un contexte opérationnel vient marquer le premier moment d’achoppement dans le déroulement de sa carrière. Il ne parvient pas à prendre la mesure de sa tâche et se sent submergé. Il accroît démesurément ses horaires de travail jusqu’à restreindre drastiquement son temps de sommeil. L’angoisse générée par la situation produit une rigidité de ses mécanismes de défense de nature obsessionnelle. Le doute l’envahit, sa propension au contrôle et à la maîtrise s’accentue jusqu’à entraver considérablement son eff icience. Il se sent déchoir et ne peut en parler à ses chefs. Il trouve la ressource de s’adresser à son médecin qui le rapatrie. Radicalisation des situations de conflit. Les contraintes inhérentes à la mission peuvent être de diverses natures : temps d’inactivité et d’attente ou bien activité opérationnelle soutenue et restriction des horaires de sommeil, promiscuité et restriction de l’espace d’intimité et du sentiment de liberté (3). La dimension du risque vital est à mettre au premier plan de ces contraintes. Ce sont autant de facteurs éprouvants qui tendent à rigidifier les attitudes caractérielles et à parfois rendre plus conflictuelles les relations. Chez certains sujets, dont la personnalité est de structure psychotique, le conflit relationnel peut prendre la teinte de la persécution. Dans une situation de désaccord, le sujet peut être envahi d’idées qui ont pour thème le conflit, le sentiment d’être méprisé et la conviction de l’intention qu’a l’autre, souvent un supérieur hiérarchique, de lui nuire. Parfois, dans un mouvement mélancolique, ce sentiment de persécution s’accompagne d’un profond sentiment de dévalorisation, d’altération de l’image de soi. Un « passage à l’acte », hétéro ou auto-agressif est à redouter. Dans ces conditions la proposition de rapatriement sanitaire peut être vécue par l’intéressé comme une sanction se surajoutant au préjudice qu’il estime avoir subi dans la situation conflictuelle. L’alcool. Certains patients présentant un trouble de la consommation d’alcool sont susceptibles de partir en j.-d. rondier opérations extérieures malgré une vigilance accrue. Il s’agit de sujets qui présentent un degré élevé de difficultés (4). La mise en tension liée à la situation opérationnelle risque de susciter un accroissement de la consommation dans un environnement où l’alcool est facilement disponible, dans les « popotes » par exemple, et même parfois bon marché. Si un surcroît de consommation peut, chez un sujet alcoolo dépendant, accentuer un état dépressif, un épisode d’alcoolisation aiguë, par son action désinhibitrice, peut favoriser un passage à l’acte hétéro ou auto-agressif. Il peut même réaliser en lui-même l’équivalent d’un acte suicidaire par la quantité massive d’alcool ingérée par un sujet qui perd le souci des conséquences et donne libre cours à ses pulsions auto-destructrices. Les situations potentiellement traumatisantes. Les situations de rencontre avec l’imminence de la mort, dans le contexte de combats ou d’attaques terroristes comme c’est actuellement le cas en Afghanistan, sont susceptibles de provoquer un traumatisme psychique, qui trouve son expression clinique dans l’état de stress post traumatique dont le déclenchement se produit après un temps de latence de durée variable. Lorsque la question de la mort est venue se poser avec une particulière acuité l’effet de déstabilisation subjective peut d’ailleurs se traduire par des manifestations moins pathognomoniques qu’un syndrome de répétition traumatique. Il peut s’agir notamment de troubles anxieux ou dépressifs. Quelles que soient ces manifestations cliniques, elles ne donnent que rarement lieu à des rapatriements tant les sujets n’expriment pas spontanément leur difficultés. Une souffrance importante, souvent indicible, peut passer inaperçue et parfois même induire des troubles du comportement susceptibles de mettre en danger le sujet ou le groupe. Pris dans la dynamique de la mission, le sujet fait face tant bien que mal et les troubles sont le plus souvent décelés après le retour alors qu’il apparaît qu’il lui est diff icile de reprendre le cours de sa vie professionnelle et affective. Ce constat indique la nécessité d’une attention particulière dans le temps même de la mission de la part des personnels de santé, qu’ils soient médecins d’unité, infirmiers ou psychiatres, vis-àvis des sujets impliqués dans les actions de feu, et ce plus particulièrement s’ils ont été témoins de la blessure ou la mort de leurs camarades de combat. Difficultés relatives à la prise de décision. La prise de décision d’un rapatriement sanitaire peut se heurter à des diff icultés de natures différentes. Il peut s’agir en premier lieu d’une difficulté relative à une évaluation diagnostique. Certaines situations cliniques, une émergence délirante aiguë, l’expression d’une souffrance dépressive avec énonciation d’idées suicidaires, imposent l’évidence de la décision. D’autres tableaux cliniques sont plus difficiles à évaluer dans leur caractère de gravité lorsque, par exemple, le sujet méconnaît, « en toute bonne foi », l’intensité de sa souffrance psychique. Tel patient peut par exemple se reprocher un manque de volonté comme étant à l’origine d’une baisse de ses performances professionnelles alors qu’il présente un ralentissement psychomoteur de nature dépressive. Il convient, devant des difficultés diagnostiques, de se montrer attentif à l’expression indirecte d’un sentiment de malaise interne. Certains tableaux cliniques sont évocateurs. Notamment, celui d’un sujet renfermé, présentant un changement récent du comportement, avec lequel il est difficile d’établir le contact et dont on ne parvient pas à saisir la logique du développement de ses difficultés ou le motif de sa consultation. Également, une consultation pour des plaintes somatiques, en désaccord avec les données de l’examen clinique, incite à s’enquérir de l’état de santé psychique. La décision de rapatriement peut, par ailleurs, susciter l’opposition du patient, objectant des considérations matérielles, financières notamment, ou celle du groupe, arguant des impératifs de la mission. Il convient dans ce type de circonstances de recentrer l’entretien sur un plan médical, en mettant en avant la dimension de la souffrance psychique, la nécessité de recourir à des soins adaptés à la situation. Dans ce type de situation « conflictuelle », prévaut l’intérêt du patient, dans le sens de la nécessité des soins à lui apporter. Le rapatriement sanitaire peut être vécu par l’intéressé comme stigmatisant. Dans son imaginaire, il vient énoncer ou dénoncer une défaillance, atteinte à l’intégrité narcissique de son image de soldat. Il assimile ce retour anticipé au fait de faillir à sa mission. Il éprouve de la honte ou de la culpabilité. Il appréhende les conséquences de ses dires sur la décision qui sera prise et se montre réservé dans l’expression de sa souffrance psychique. Afin de faire limite à cette dérive imaginaire, le médecin doit endosser la responsabilité de son acte et indiquer qu’il s’agit d’une décision médicale. Un rapatriement sanitaire pour raison psychiatrique est une décision médico-militaire qui n’est pas sans conséquence – le plus souvent diff icile à mesurer – en matière de perspective de carrière, qu’il s’agisse de renouvellement de contrat ou de présentation à des examens pour le passage en grade. Elle a également une traduction en terme d’inaptitude à servir outre-mer et en opérations extérieures, inaptitude temporaire à réévaluer ou inaptitude déf initive. L’argument des conséquences négatives sur sa carrière peut être mis en avant par le patient pour tenter de récuser la décision de rapatriement. La réponse du médecin ne peut nier cet état de fait. Sa décision, loin d’être un acte médicoadministratif automatique, est nuancée et prise en fonction d’une évaluation clinique rigoureuse. Il doit indiquer à son patient que la prise en compte de son état de santé est une priorité. Se donner le temps d’apprécier les enjeux d’une crise subjective. Il est souvent nécessaire de prendre du recul, de se donner le temps de revoir le patient en consultation, ou bien même de l’hospitaliser pour quelques jours, mesure qui procure une distance vis-à-vis de la situation le rapatriement sanitaire en psychiatrie, une décision s’inscrivant dans un processus de soins. 101 de crise et aide à produire un effet de clarification visà-vis de la complexité de la situation. La dynamique de la réflexion entreprise avec le patient est intimement liée à celle du soin. Les entretiens ont pour objectif de l’amener à préciser sa position subjective et de favoriser une prise de distance avec son vécu affectif. Dans ce temps initial de soins, on tente de se départir des éléments contextuels mis en avant par le patient. La souffrance subjective s’exprime en effet souvent sur le mode de la plainte : plainte vis-à-vis des contraintes de la mission, d’un tiers, un supérieur par exemple. Ces plaintes ont pour effet de décaler le patient de son implication subjective dans la situation dont il dénonce le désordre. Il s’agit, tout en prenant acte des difficultés circonstancielles rencontrées, de saisir pourquoi elles le concernent singulièrement jusqu’à mettre au jour les lignes de fragilité de son organisation psychique. C’est à la mesure où l’on saisit les enjeux de cette crise subjective que l’on peut prendre la décision la plus ajustée. Une souffrance psychique méconnue. L’histoire clinique suivante indique combien, dans certaines situations, derrière les aspects les plus manifestes de la plainte peut se dessiner l’impasse d’une position subjective. Denis est affecté depuis deux ans à Djibouti avec sa femme et ses deux enfants. Il réalise un geste autoagressif par phlébotomie au retour d’une soirée en boîte de nuit et après qu’il ait eu une relation avec une prostituée. Il juge ce rapport sexuel « impardonnable », en totale opposition à son système de valeurs. Etreint de sentiments de honte, il se juge : « quel homme indigne je peux être ! » À son arrivée aux urgences, il minimise ses difficultés, banalise son geste, le décrit comme impulsif et en lien avec un sentiment d’exaspération relatif aux conditions de vie à Djibouti. Sa plainte se polarise sur le mauvais accueil, sur l’hostilité de principe, par lui supposée, de la population locale. Son départ prochain mettra, selon lui, un terme à ses difficultés. Denis présente depuis un an et demi des ivresses alcooliques itératives au cours de soirées festives avec ses collègues. Il peut conf ier, à mesure que la relation s’établit, son impression de « détruire son couple » par sa conduite, alors qu’il semble fuir, dans ses sorties, le caractère envahissant et douloureux de la relation de dépendance qui le lie à sa femme. La dimension d’impasse dans la relation de couple, le vécu mélancolique – empreint de sentiments de honte et d’indignité – au moment du geste suicidaire, le risque de récidive d’un trouble des conduites indiquent la nécessité d’une prise en charge spécialisée dans un service de psychiatrie dont le prélude est le rapatriement sanitaire. L’enjeu avec ce patient a été d’introduire la question du rapatriement dans le cadre de la mise en œuvre des soins et de faire en sorte que cette décision médicomilitaire ne soit pas perçue par lui comme une procédure automatique et aveugle. Le patient n’a pu s’approprier la logique de cette décision qu’en prenant la mesure du caractère de gravité de ses troubles. Il a pu, malgré une réticence initiale, donner son assentiment au 102 rapatriement comme étant à même de lui donner la possibilité de soins efficaces. Prendre en compte la qualité de l’engagement dans l’institution militaire : un aspect primordial. La projection en mission extérieure constitue un « moment de vérité » dans la carrière d’un soldat qui peut apparaître comme l’aboutissement d’un temps de formation et de préparation. Au-delà des difficultés conjoncturelles, il est important d’évaluer ce qui dans la crise actuelle peut être ramené à une difficulté générale de l’inscription du sujet dans l’institution militaire. Inscription, engagement et motivation qui déterminent une part de sa capacité de s’ajuster aux exigences de la mission. Il faut l’interroger sur son parcours et ses perspectives de carrière, sa position vis-à-vis des valeurs militaires et comment il concilie les contraintes opérationnelles avec sa vie personnelle et affective. Ces éléments sont un indice permettant d’évaluer les capacités d’un sujet à dépasser les difficultés rencontrées. Le constat d’un désengagement vis-à-vis de la dynamique d’inscription dans l’institution militaire est un des éléments en faveur d’un rapatriement, mesure qui trouvera éventuellement son prolongement dans une décision de réforme ou de mise en congé de longue durée. Il convient de ne pas pérenniser une situation de souffrance et se constituant en impasse pour un sujet. À l’inverse la qualité de la motivation, si le degré d’intensité des troubles le permet, peut inciter à s’engager dans des soins avec pour objectif le maintien du sujet en situation. L’histoire clinique suivante illustre ce propos. Romain est caporal dans l’armée de l’Air. Il est en mission de courte durée à Djibouti. Il est en conflit avec son chef qui, dit-il, le prend pour un esclave, le rabaisse par ses propos et le surcharge de tâches d’entretien. Romain énonce sa crainte de ne pas contrôler l’émergence d’un geste hétéro-agressif. C’est pour cette raison qu’il sollicite un rapatriement sanitaire afin d’éviter, dit-il, un retour pour des motifs disciplinaires. Il demande à partir dans les délais les plus brefs et à ne pas prendre de délai de réflexion. Romain est engagé depuis trois ans. Les difficultés présentes ne trouvent pas d’écho dans son affectation en France où il se sent reconnu pour la qualité de son travail. Il prépare des examens et souhaite s’inscrire durablement dans l’institution militaire. Ce sentiment d’exaspération, cette impulsivité expriment une angoisse. On indique au patient que l’on prend la mesure de ses difficultés et que l’on recourra à un rapatriement sanitaire si elles se pérennisent. On lui prescrit un traitement par Xanax 0,25 mg : 1/2 comprimé trois fois par jour et un arrêt de travail. Il apparaît, au cours d’entretiens rapprochés, que l’éloignement de ses liens affectifs, parents et petite amie, met à l’épreuve un trait de dépendance. Il est engagé sur la même base que son père, adjudant. Il partage beaucoup d’activités avec celui-ci, notamment la pratique du moto-cross. Ces activités, et surtout la présence de son père, lui manquent. Dans le discours qu’il nous adresse, la question du conflit avec j.-d. rondier son chef s’estompe jusqu’à disparaître pour laisser place à une parole qui est plus proche d’une vérité de son vécu subjectif et qui évoque la diff iculté de la séparation. Rapidement, l’angoisse s’apaise. Il n’est plus question pour Romain d’une demande de rapatriement. Il poursuit sa mission. Les masques du rapatriement. Par ailleurs, le médecin doit prendre garde à ne pas accéder à une demande inappropriée de rapatriement sanitaire, éventuellement soutenue par le commandement, pour un sujet souhaitant mettre un terme à sa mission pour des raisons distinctes d’un problème médical, afin de se rendre, par exemple, auprès des siens après un événement familial. Une telle décision est source de confusion, notamment pour l’intéressé, et risque de ne pas être sans conséquence. À l’inverse, des sujets ayant présenté des troubles des conduites, alcooliques, hétéro-agressives, peuvent être l’objet d’un rapatriement disciplinaire (5) sans avoir bénéficié d’une évaluation médicale. Pour certains ils présentent des troubles psychiatriques. Le médecin doit avoir le souci de s’enquérir de ce type de situation. Conclusion. La décision de rapatriement sanitaire doit s’appuyer sur une analyse des enjeux, pour le sujet, de la situation de crise. Un élément précieux d’appréciation de la faculté d’un sujet à dépasser les troubles actuels et de poursuivre sa mission consiste notamment dans la qualité de son engagement au sein de l’institution militaire. Le médecin, s’il prend la décision d’un rapatriement, doit la situer catégoriquement dans la démarche de soins, soins prodigués en situation et qui se soucient de leur continuité. On informe le patient que les soins engagés sur le lieu de la mission trouveront leur prolongement dans une hospitalisation dans un service de psychiatrie des hôpitaux militaires d’infrastructure. Ce temps hospitalier permettra de jeter les bases d’une stratégie thérapeutique ultérieure et de prendre les décisions d’aptitude appropriées. À l’inverse, le manque d’information, prodiguée au patient sur les modalités du rapatriement sanitaire, peut favoriser l’idée qu’il ne s’agit que d’une formalité, position subjective pouvant induire une méconnaissance de la souffrance vécue et un défaut d’engagement dans les soins. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Vallet D, Colas M-D, Rondier J-P, Boisseaux H. Actualité de la prise en charge des troubles psychotraumatiques. In Livre : l’École du Val-de-Grâce, Annales 2007. Paris : La documentation française ; 2007:137-52. 2. Mèle É, Rondier JP, Favre JD, Pilard M, Boisseaux H, Arvers P. Profil, étiopathogénie des troubles, prise en charge et devenir des rapatriés sanitaires en Psychiatrie. Médecine et Armées, 2007, 35(5):417-28. 3. Vallet D, Boisseaux H, de Montleau F, Rondier JP. Psychiatrie et armées. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris) Psychiatrie, 37-882A-10, 2006. 4. Favre J-D, Rondier J-P, Mèle É. Alcoolisme et comorbidité psychiatrique ; La lettre de l’hépato-gastroentérologue 2004; 7(2):9-12. 5. Boisseaux H. Les masques du rapatriement. Médecine et Armées 2001;29(6):605-8. le rapatriement sanitaire en psychiatrie, une décision s’inscrivant dans un processus de soins. 103 VIENT DE PARAÎTRE LA GUERRE DES MICROBES DE L’ANTIQUITÉ AU 11 SEPTEMBRE 2001 Jean FRENEY - François RENAUD Le présent ouvrage rapporte l’influence des maladies infectieuses sur l’évolution des faits historiques et en particulier sur les conflits politiques et militaires. De tous les temps, il apparaît que les hommes ont appris à vivre en présence des « miasmes » et même à les utiliser à des fins guerrières. Le siège de Syracuse en 416 avant Jésus-Christ qui opposa Athènes et Sparte et au cours duquel les Athéniens firent acculés et décimés dans une zone où la fièvre des marais (le paludisme) régnait, en est un exemple particulièrement démonstratif De même, depuis la plus haute Antiquité, les hommes ont utilisé des cadavres humains ou animaux pour contaminer les puits et rendre l’eau impropre à la consommation. Au Moyen Âge, par exemple, on catapultait des cadavres infectés par la peste noire pour propager l’infection chez l’ennemi. Lors des conflits du XVIIIe siècle en Amérique du Nord, les Anglais distribuaient aux Indiens favorables aux Français, des vêtements contaminés par le virus de la variole. Les infections spontanées ou induites par l’homme ont provoqué des bouleversements historiques considérables comme l’épidémie de syphilis lors du siège de Naples par le roi de France Charles VIII ou la suette anglaise lors de la réforme luthérienne. La Grande Famine causée par la destruction des pommes de terre par un champignon qui a sévi en Irlande au cours du XIXe siècle a finalement amené au pouvoir le premier Président catholique des États-Unis, John Fitzgerald Kennedy. L’épidémie de grippe dite « espagnole » a considérablement modifié le cours de la Première Guerre Mondiale. Le XXe siècle a vu l’approche scientifique de l’utilisation à des fins guerrières des agents biologiques dans le but de constituer des armes de destruction massive, symbolisée par les expériences japonaises en Mandchourie lors de la seconde Guerre Mondiale. Enfin, tout récemment, parallèlement aux attaques terroristes du 11 septembre 2001, l’envoi des lettres piégées avec du bacille du charbon a marqué l’émergence d’un nouveau phénomène particulièrement inquiétant le bioterrorisme. Les auteurs : Jean FRENEY est professeur des Universités et enseigne la microbiologie à l’Institut des Sciences Pharmaceutiques et Biologiques de Lyon. Il est également Praticien Hospitalier à l’Hôpital Edouard Herriot de Lyon. François RENAUD est professeur des Universités et enseigne la microbiologie à l’IUT A de Lyon. Il réalise ses recherches en bactériologie à l’Institut des sciences pharmaceutiques et biologiques de Lyon. ISBN : 978 2 7472 0784 6 – Format : 21x25 cm – Pages : 168 – Prix : 29 € – Éditions ESKA, 12 rue du Quatre septembre, 75002 Paris – Tél. : 01 42 86 55 73 – Fax : 01 42 60 45 35. Contacts : [email protected] et benedicte.kebabtchieff.eska.fr 104