Le Prénom de Dufour

Transcription

Le Prénom de Dufour
Le Prénom de Dufour
Laissons tout d'abord Olivier Reverdin, l’arrière-arrière-petit-fils de Dufour, puiser dans ses
archives familiales pour nous relater, dans Guillaume Henri Dufour Dans son Temps,
l’anecdote du prénom du petit Henri :
« Dufour enfant portait le prénom de Henry. Plusieurs témoignages l’attestent, et
l’inscription de la montre qu’il a reçue comme prix de bonnes notes au collège porte, sur le
cadran, la mention Henry Dufour.
Source : G.H. Dufour, l'homme, l'œuvre, la légende, catalogue de l'exposition à la Maison Tavel
Toutefois les prénoms qu’il a reçus lors de son baptême sont bel et bien Guillaume-Henri.
Dans le brouillon de ses notes biographiques, Dufour donne à ce sujet une information
inexacte : "Il y avait, écrit-il, trois Henry Dufour vivant simultanément à Genève." C’est pour
"sortir de la confusion" que son père fit "ajouter légalement celui de Guillaume" à celui de
Henry qu’il avait jusqu’alors porté. Cela se passait lorsque Dufour avait 15 ans. Désormais il
est toujours désigné sous son double prénom. En fait, une note placée en marge de l’extrait
de baptême délivré le 2 juillet 1789, note datée du 28 janvier 1804, précise que le prénom de
Guillaume a été omis. »
Si ce qui précède nous donne des indications sur le prénom composé de Guillaume Henri,
nous sommes toujours dans le flou sur la manière de l'écrire. En effet, tant les parutions
elles-mêmes de Dufour que les livres écrits plus tard par son confident Edouard Sayous, ou
par de nombreux historiens, comme Walther Senn, laissent à la fois paraître Guillaume-Henri
et Guillaume Henri (sans trait d'union). Jean-Jacques Langendorf soutient la deuxième et
prétend avoir des lettres (qu'il a promis de nous montrer) dans lesquelles Dufour se serait
plaint de ces continuelles erreurs d'orthographe.
Walter Senn nous rapporte que le petit Dufour a été baptisé du prénom de son grand-père
maternel (le père de Pernette) qui s'appelait Guillaume-Henri.
Pour notre part, nous conserverons Guillaume Henri dans nos récits futurs sur la base du fait
que la signature du général ne comporte pas de trait d'union et sur l'interprétation que
lorsque le prénom de Guillaume a été rajouté en marge de l'extrait de baptême, personne
n'aurait vraisemblablement pensé à y inclure un trait d'union.
Félix Bendel nous a aimablement remis un texte du professeur honoraire Fritz Sturm, de
l’Université de Lausanne, donné le 26 octobre 1999 :
« L’Histoire doit éclairer toutes les facettes des évènements et de la vie des personnes. Leur
origine n’est pas un détail qu’on puisse négliger.
L’acte de l’état civil de notre Général présente en outre trois particularités qui frappent :
- Il est rédigé en français à Constance, ville autrichienne
- C’est un pasteur réformé qui administre le baptême au petit Genevois, et cela dans
une ville catholique où tout office protestant est strictement interdit
- Un seul prénom figure sur l’acte, soir Henri. Le prénom de Guillaume fait défaut.
La maison natale du Général [à Constance] porte … une plaque en marbre avec l’inscription
…. General Wilh. Heinr. Dufour. Les prénoms allemands ne m’intriguaient pas. Il me semblait
au contraire naturel qu’à Constance, un enfant inscrit sur les registres de baptêmes porte des
prénoms à consonance allemande. Les doutes surgirent lorsque je commençai à m’occuper
de l’histoire de l’état civil. C’est ainsi que je me suis mis, avec l’aide d’un de mes étudiants, à
la recherche de l’acte de baptême du Général et cela tout d’abord dans les registres des
paroisses catholiques de Constance. [En vain] ; le baptême du Général n’y est pas inscrit.
Pouvait-on trouver cet acte ailleurs ?
Il fallait se souvenir qu’à Constance existait une colonie suisse. Parmi les importants
privilèges conférés par Joseph II aux Genevois en 1785 figure la garantie de leur foi. L’article
2 de l’arrêté du souverain, rédigé en français et en allemand, précise que les membres de la
colonie suisse auront toujours le libre exercice de leur religion. Aussitôt qu’ils seront au
nombre de trente familles, il leur sera permis de se bâtir une Eglise et d’avoir un pasteur de
leur choix, indépendant de toute juridiction du clergé catholique. Les Genevois établis à
Constance sont libérés de la juridiction du clergé. C’est pourquoi le pasteur Esaïe Gasc
pouvait tenir lui-même les registres de sa paroisse et y inscrire en français le baptême du
petit Henri.
Qu’en est-il du prénom de Guillaume que nous ne voyons pas apparaître à l’époque ?
Deux témoignages résolvent cette énigme :
a) Tout d’abord le rajout de Guillaume et la mention marginale figurant sur l’acte de
baptême transcrit dans le registre des Genevois nés à l’étranger. Cette mention
marginale est ainsi conçue : « Approuvé le mot Guillaume lequel avait été omis. Signé
Gasc Ee sept pluviose an 12. »
b) Ensuite le brouillon des notes biographiques du Général. Nous y apprenons qu’à
Genève il y avait à l’époque trois Henri Dufour. Lorsque le nôtre avait 15 ans, son père
fit ajouter légalement le prénom Guillaume. Il voulait épargner à son fils d’être
confondu.
C’est à tort que [Olivier] Reverdin, arrière-petit-fils du Général et propriétaire de ses archives,
prétend dans ses notes biographiques que Dufour se trompe et que le Général s’est toujours
appelé Guillaume Henri.
On ne saurait donner trop de poids au chant généthliaque que Jean-François
Chaponnière(1), le fondateur du Journal de Genève, a composé pour le baptême du
Général :
"Pour avoir dans sa République
Osé prêcher l’égalité,
Victime d’un Sénat inique,
Son aïeul fut persécuté.
Sorti d’une si bonne race
Où brille un cœur généreux,
De ses parents suivant la trace,
Guillaume-Henri fera comme eux."
Deux choses importaient au poète : mélodie et métrique d’une part, l’exaltation du grandpère Guillaume-Henri, parrain du nouveau-né fêté, de l’autre.
Soulignons toutefois que, juridiquement, la correction de la transcription de l’acte de
naissance du Général pose problème. Le Traité de réunion de la République de Genève à la
France, signé par le même pasteur Gasc le 26 avril 1798, fait de la cité de Calvin une ville
française. A partir du 22 septembre de la même année, le nouveau département du Léman
est soumis au droit français qui s’applique in toto. Or, selon le décret du 23 août 1794, les
Français sont tenus de porter le nom inscrit dans leur acte de naissance. Et un décret du 1er
avril 1803 subordonne tout changement de nom à autorisation. Cette disposition vise-t-elle
aussi les prénoms ? Cette question semble avoir été controversée. On répondit d’abord par
l’affirmative pour aboutir quelques années plus tard au résultat contraire. Quoi qu’il en soit,
le Pasteur Esaïe Gasc, entre temps Secrétaire d’Etat, trouva une sortie de ce labyrinthe
juridique : il compléta tout simplement la transcription de l’acte de naissance en s’accusant
d’avoir omis le prénom de Guillaume. »
(1) L'historien et biographe de Dufour, Walther Senn, parle d'un J.-J. Chaponnière, peintre sur émail.