Ligeti et la perception - home : alvaro martinez leon

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Ligeti et la perception - home : alvaro martinez leon
Ligeti et la perception
Par Alvaro Martínez León
Ligeti est né en 1923 dans la Transylvanie (Roumanie), dans une famille aux
origines hongroises et juives. Il souffre les discriminations propres de l'époque
(d'abord en tant que hongrois en Roumanie et plus tard en tant que juif pendant la
2nde Guerre Mondiale), or il réussi à faire ses premiers ans d'études musicales au
conservatoire de Cluj. À la fin de la guerre, pendant laquelle la moitié de sa famille
décède dans des champs de concentration, il part à Budapest pour suivre des
études de composition. Il y écrira ses premières œuvres, très influencées par le style
de Bartok.
Ligeti n'avait pas connu la musique qui avait été écrite en Europe après Bartok
et Stravinsky. De plus en plus étouffé par la dictature communiste, qui empêchait
toute œuvre "moderne" d'être jouée en concert, Ligeti établi contact avec
Stockhausen et Eimert en leur demandant de l'information sur la musique qui se
faisait en Europe de l'Ouest. Juste au moment de l'arrivée de partitions et
enregistrements de musique électronique aux mains de Ligeti, la révolution de 1956
éclate à Budapest et le compositeur fuit l'Hongrie pour arriver à Vienne. Il est ensuite
reçu en Cologne par Stockhausen et Eimert, qui lui donneront la possibilité de
travailler dans le Studio de musique électronique de Cologne, ainsi qu'une bourse
que lui permettra de survivre.
Avant de son départ de Budapest, Ligeti avait déjà commencé ses premières
expériences qui aboutiraient à la naissance de son nouveau style. Refusant sa
condition de successeur de Bartok, il commençait à songer à une musique faite de
blocs statiques, où la mélodie, l'harmonie et le rythme n'existeraient plus. Or comme
il dirait vingt ans après, c'est grâce au travail effectué dans le Studio de Cologne qu'il
a pu trouver les moyens d'écriture nécessaires pour créer ce qu'il appellerait par la
suite micropolyphonie.
Au moment de son arrivée à Cologne, Ligeti découvre le sérialisme intégral, qui
était à l'époque dominant en Allemagne. Il ne tarde pas à contester un courant
esthétique qu'il trouve écarté de ses principes. Le sérialisme, inspiré à la base de
théories mathématiques sur l'organisation de l'univers, était devenu « un système de
combinatoire qui ne prévoit guère le résultat sonore ». Ligeti décide alors de chercher
à construire des images sonores inspirées de phénomènes naturels qui l'intéressent.
Ainsi, ses travaux au Studio de Cologne seront centrés sur la perception acoustique
humaine.
Lʼune des découvertes principales pour le développement de son langage est
le seuil l'estompement dans la perception auditive. Lʼoreille humaine est capable de
différencier des événements sonores distincts jusqu'à 1/20 de seconde. Si l'on
entend des sons qui s'en succèdent à une vitesse supérieure, on passe à percevoir
une "texture" statique. C'est ce qu'il arrive lorsqu'on entend la pluie approcher:
d'abord on écoute les goutes qui tombent une par une, et au fur et à mesure que la
fréquence des goutes augmente, on distingue de moins en moins ces goutes
séparément. Une fois la pluie nous couvre complètement, on entend une "texture"
sonore. Ceci ressemble à ce qu'il arrive lorsqu'on regarde une roue tourner. À une
vitesse lente on voit le mouvement circulaire de rayons, or au fur et à mesure que la
rotation accélère, on pourrait dire que la roue ne bouge plus.
La texture sonore va devenir un élément récurrent dans le langage de Ligeti,
de même que le passage entre texture et événement sonore distinct. Pour construire
ces bloques statiques et ces transitions, le compositeur superpose un nombre élevé
de couches sonores pour créer un tissu épais qu'il manipule selon l'intention
musicale qu'il souhaite produire. Par le biais de ces manipulations, les textures
peuvent évoluer en termes de hauteur, timbre et dynamique, créant ainsi des
transitions continues.
On peut citer trois exemples (parmi d'autres) de cette démarche:
- Atmosphères : succession de textures
- Le début de Ramifications : progression entre une texture (clusters de notes
aiguës) et un événement sonore distinct (une seule note).
- 3ème mouvement du 2ème quatuor à cordes : construction par couches rythmiques
et transitions entre passages homorythmiques et texture rythmique.
Le niveau de perception cognitif est associé à un autre niveau de perception
'émotionnel'. Ligeti critiquait le sérialisme intégral au niveau de la surcharge
d'information dans le discours musical. Cette saturation d'événements sonores était
déjà contestée par le compositeur avec ses textures sonores, dont le discours est
porté par une coulée de temps élastique qui évolue lentement. Néanmoins, il créera
dans ses Aventures des passages contrastantes où la saturation d'événements est
suivie par des moments complètement statiques. Ces passages surchargés sont ce
qu'il appelait de la 'musique pour funambule', où les limites des possibilités
techniques des musiciens sont poussées à l'extrême. Il en résulte une tension dans
l'interprétation où l'intensité maximale de l'expression et la sensation de danger sont
les buts principaux. Le compositeur hongrois se servira de ces moments surchargés
de tension émotionnelle pour les contraster à des temps de contemplation totale du
son. Ainsi, on peut dire que quelques unes de ses œuvres sont structurées par des
intervalles où la perception émotionnelle saturée ou en repos.
On peut trouver cette manière de travailler dans les Aventures, dans le 1er
mouvement du Quatuor nº2, ou dans le Requiem
Au début des années 70, Ligeti découvre la musique de Conlon Nancarrow et
les minimalistes américains. Il en est fasciné. Ceci fera évoluer son langage vers
lʼexploration de la superposition de couches rythmiques, très inspiré par la musique
des pygmées. Or cette nouvelle étape du compositeur mérite un autre article...