29 octobre 2014 - La Tribune de Genève Michel et Van Bery
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29 octobre 2014 - La Tribune de Genève Michel et Van Bery
10 Economie Tribune de Genève | Mercredi 29 octobre 2014 Entreprises Prêt-à-porter Le modèle Van Bery La mode en Suisse romande compte aussi ses start-up qui savent se développer Jean-Marc Corset L e monde de la mode est en ébullition. Les grands défilés de l’automne, à Genève et à Zurich, mobilisent toute la profession. Mais si les magazines spécialisés s’en font un large écho, le prêt-à-porter «made in Switzerland» est souvent considéré comme une branche artistique non économique, contrairement à d’autres activités de design tel le graphisme ou l’ameublement. Pourtant, dans la multitude de commerces de fringues qui peuplent les villes, de petites entreprises ont vu le jour en Suisse romande qui tentent de se faire un nom, avec l’aide parfois d’audacieux investisseurs. Les marques Michel, DYL, Collection 66, Laboratoire, Harald Chyoung, Cicatrice, Mademoiselle L ou l’Atelier Laure Paschoud en sont quelques exemples, certes moins connus que Heidi.com, le label streetwear qui cherche aujourd’hui à monter en gamme grâce à de nouveaux actionnaires. Un autre modèle démontre que le prêt-àporter suisse ne se résume pas à quelques griffes au service de grandes maisons internationales de la mode: Van Bery. Née dans un petit atelier de couture à Lausanne en 2010, la société a ouvert le mois dernier sa première boutique à Zurich et réfléchit à une seconde enseigne dans l’arc lémanique. Inspirées par l’élégance et le romantisme rétro aux accents anglais, avec ses imprimés façon Liberty, ses collections séduisent une clientèle féminine chic jusqu’aux Etats-Unis ou au Japon. Un pays qui représentait jusque-là près d’un tiers de ses ventes dans les boutiques multimarques ou les grands magasins de mode. Nouvelle collection Berivan Meyer (à g.) et Marie Tournant dans l’atelier de Van Bery au Flon, à Lausanne. Et ci-dessous, la nouvelle boutique de Zurich. PHILIPPE MAEDER/J-M. CORSET La création et le business Formée à l’Académie royale des beauxArts d’Anvers, où «on apprend à être hypercréative», Berivan Meyer s’est orientée vers le prêt-à-porter en rêvant de créer sa propre marque – Van Bery est une inversion de son prénom – et de voir ses créations portées dans la rue. Mais l’aspect commercial n’est pas son truc: «On n’est pas formée. Il faut savoir s’entourer et ne pas mélanger la création et le business», explique-t-elle. Une nouvelle coupe de cheveux lui dégagera la vue. C’est par l’intermédiaire de sa coiffeuse qu’elle rencontre son alter ego lui permettant de fonder son entreprise. Diplômée d’une grande école de commerce, la Française Marie Tournant a travaillé pendant dix ans dans la banque et la finance. Son parcours la conduit à Lausanne dans la filiale d’un établissement bancaire français. Mais à 35 ans, elle rêve d’une autre aventure dans la mode. Il y a quatre ans, le duo présente sa première collection automne-hiver. «Nous avons vendu des pièces à de belles boutiques. Pas beaucoup mais cela nous a donné confiance», remarque Marie Tournant. La ronde est lancée. «On travaille toujours sur trois collections: celle que l’on vend, celle qu’on présente et que l’on produit, et la prochaine collection, dont on prépare les prototypes. Il faut de la continuité et suivre en permanence son plan de trésorerie en fonction des projections de ventes. Avec tous les aléas de paiements de nos distributeurs, les fournitures de tissus ou les délais de livraisons. C’est une course contre la montre.» Quarante modèles par collection Van Bery conçoit une quarantaine de modèles par collection dans le moyen haut de gamme. Ses robes, le «cœur de la collection», se vendent entre 400 et 550 francs. La maison lausannoise travaille avec des imprimés en soie et des textiles «nobles» de provenance européenne, dont certains sont fabriqués par des fournisseurs suisses, Contrôle qualité notamment des dentelles de Saint-Gall. La confection par petites séries se fait dans des ateliers en Bosnie avec qui les deux femmes ont noué un «partenariat de confiance.» Au départ, parrainée par Genilem, l’association lémanique de soutien aux start-up, Van Bery SA vole désormais de ses propres ailes. La responsable opérationnelle n’hésite pas à concourir dans les prix pour jeunes entreprises, même si les high-tech ont généralement les faveurs des jurys, et à frapper à la porte de fonds d’investissement et de «business angels» (des particuliers prêts à investir dans des sociétés en développement). Les deux fondatrices de Van Bery ont ainsi ouvert 25% du capital à quatre investisseurs extérieurs, «séduits par Plusieurs PME se lancent dans le prêt-à-porter U «La mode en Suisse est un secteur émergent car il n’y a pas une tradition de grands designers, à l’exception de la maison Akris à Saint-Gall. Dès lors, on aide plus facilement les graphistes dans leur entreprise que les stylistes.» Avec près de 30 collections en quinze ans à son palmarès, Agnès Boudry en connaît un bout sur le métier. Sa marque, Collection 66, tire cependant son épingle du jeu. Son style vintage aux imprimés joyeux et colorés plaît aussi aux Etats-Unis et au Japon, pays à l’avant-garde du fashion. Lorsqu’elle cherche un atelier, il y a huit ans, pour s’y installer, la créatrice lausannoise n’imagine pas ouvrir un commerce. Mais l’occasion se présente d’associer les deux: «Je me suis rendu compte que c’est grâce à la boutique que je vis. Au départ, les collections étaient distribuées dans des boutiques multimarques. Mais elles ne nous font pas vivre.» Aujourd’hui, Agnès Boudry cherche un emplacement à Genève – tout comme Mademoiselle L, d’ailleurs – pour installer son enseigne Collection 66. Les ventes via Internet, lancées il y a deux ans, sont modestes, «mais c’est une très bonne vitrine» pour découvrir les modèles. Avoir pignon sur rue reste toutefois le meilleur créneau de vente pour les PME du prêt-à-porter. Encore faut-il disposer de moyens pour se lancer, déplore Jenifer Burdet, qui vient de remporter en ce mois d’octobre le prix HEAD-Bongénie lors du défilé de la Haute Ecole d’art et de design de Genève (HEAD), école phare en Suisse romande dans le design. La jeune styliste du Nord-Vaudois, qui se démultiplie entre son domicile où elle trouve l’inspiration, son atelier d’Yverdon et ses bureaux à Genève, a créé sa propre marque, DYL (Define your Life), il y a deux ans et lancé sa première collection cette année. Pour l’heure, elle privilégie la vente directe dans les showrooms ou des shops éphémères pour faire connaître ses vêtements urbains de riders et surfeurs futuristes. Autre créatrice romande qui s’est fait un nom dans la mode masculine: Michèle Schneuwly. Gruérienne installée à Lausanne, elle court les défilés et les boutiques pour présenter ses collections très British trendy qui portent le label «Michel». Elle vient elle aussi de lancer son e-shop. Ses modèles sont fabriqués en partie au Tessin. Une boutique? Elle n’y pense pas encore en raison des importants investissements nécessaires. Mais elle a créé il y a un an et demi sa Sàrl, qu’elle mène toute seule grâce à l’appui de Genilem et de la Fondation AHEAD dont elle a remporté le prix 2012. Ce qui lui permet d’obtenir des aides ponctuelles pour développer son affaire. J-M.C. l’histoire de la marque, qu’ils espèrent voir décoller». Changement de stratégie «Notre objectif est de créer une niche dans le prêt-à-porter, au milieu des grands acteurs. On y croit, c’est une question de moyens», assure Marie Tournant. Ces moyens, elles les ont obtenus en levant quelque 400 000 francs grâce aux nouveaux actionnaires, leur permettant d’ouvrir leur boutique près de la Limmat, où s’est installée la responsable commerciale. Cette enseigne en nom propre résulte d’un changement de stratégie, suite aux difficultés de se faire une place dans les magasins multimarques. Par ce canal, les ventes apportent les liquidités nécessaires à faire tourner la maison grâce à des marges plus confortables. La PME, qui travaille occasionnellement pour des défilés de marques horlogères, compte vendre 1500 à 2000 pièces en 2014. Van Bery SA emploie aujourd’hui cinq personnes sans compter le personnel des ateliers de confection. La boutique en ligne, qui donnera encore plus de visibilité aux collections – comme les blogs et les réseaux sociaux – sera lancée d’ici à la fin de l’année. Si la Suisse romande n’a pas une vocation historique dans le textile, des jeunes femmes font aujourd’hui rayonner de nouvelles marques dans le prêt-à-porter dévoilant ainsi une activité plus riche qu’il n’y paraît.