Fiche Moissons ACC - Association des Cinémas du Centre

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Fiche Moissons ACC - Association des Cinémas du Centre
Dans la lumière féérique des Moissons du ciel
Le Monde, Jacques Mandelbaum, 13 mai 2010
Certains films permettent de ne pas trop galvauder le
terme de chef-d'oeuvre. Les Moissons du ciel est de
ceux-là. C'est le deuxième long métrage d'un
cinéaste visionnaire, Terrence Malick, après le road
movie criminel La Balade sauvage (1973), avant le
film de guerre La Ligne rouge (1998) et la romance
amérindienne Le Nouveau Monde (2005). Quatre films somptueux en quelque quarante
ans de carrière, voici à ce jour la carte de visite de ce génie excentrique du cinéma
américain. The Tree of Life, son nouveau long métrage, qui s'annonce comme une
épopée métaphysique à travers le temps, devrait être découvert dans quelques mois.
Présenté à partir de mercredi 16 juin en version numérique restaurée sur une dizaine de
copies en France, Les Moissons du ciel a été réalisé en 1978 et a obtenu le Prix du
meilleur réalisateur en 1979 au Festival de Cannes. Le film évoque le destin tragique de
quelques personnages dans l'Amérique de 1916.
Bill (Richard Gere), jeune ouvrier travaillant en usine à Chicago, frappe à mort un
contremaître qui l'a humilié. Il s'embarque avec sa jeune soeur Linda (Linda Manz),
une sauvageonne, et son amie Abby (Brooke Adams) dans un train en direction du
Texas, où ils sont tous trois embauchés comme saisonniers dans la plantation d'un des
plus riches propriétaires de la région, Chuck (Sam Shepard). Ce dernier, bel homme
solitaire qui n'a plus que quelques mois à vivre, s'éprend d'Abby. A l'instigation de Bill,
qui la fait passer pour sa soeur, la jeune femme épouse Chuck dans l'attente de sa mort
et de la captation de son héritage. Celle-ci tarde néanmoins à venir et la jeune femme
s'attache à Chuck.
L'histoire ne s'arrête pas là, mais il faut parler de la mise en scène qui confère à ce film
une aura à nulle autre pareille. Il a été tourné en lumière naturelle dans la province de
l'Alberta au Canada, principalement durant cette "heure bleue" où le soleil s'est couché
en diffusant une lumière féérique sur le monde. Les Moissons du ciel est un poème
cosmique, à la fois cruel et éblouissant, dédié aux liens qui unissent contradictoirement
les hommes à la nature, sans jamais perdre de vue le soubassement historique et social
qui motive le drame.
La virtuosité formelle de Malick s'exerce depuis la prise de vue, réalisée par les
opérateurs Nestor Almendros (collaborateur régulier de Rohmer et Truffaut) et Haskell
Wexler, jusqu'au montage. Elle produit, littéralement, des visions, une succession de
tableaux lyriques où les hommes, les animaux, les champs, le ciel et la terre
correspondent entre eux dans une sorte de chant panthéiste à la gloire du monde créé.
La tension du film vient dès lors de la confrontation entre cette vision ressourcée du
monde et la noirceur immémoriale des projets humains qui la troublent.
Les références brassées par le film sont par ailleurs d'une grande richesse. Des motifs
bibliques (la femme donnée pour la soeur, l'invasion des sauterelles) y cohabitent avec
la philosophie de l'individualisme et de la nature des grands penseurs américains
(Emerson ou Thoreau). Les réminiscences du peintre Edward Hopper y voisinent avec
celles du Charlie Chaplin de L'Emigrant. Griffith et Dovjenko semblent s'y saluer à
distance. Ennio Morricone y signe enfin une partition exemplaire en contrepoint du
leitmotiv cristallin emprunté au célèbre thème Aquarium du Carnaval des animaux, de
Camille Saint-Saëns.
Voilà donc un film qui fait passer dans la légende Terrence Malick, en même temps qu'il
"institutionnalise" son cas. Cet homme, né en 1943 au Texas ou dans l'Illinois selon les
sources, qui fut notamment journaliste et traducteur de Heidegger, s'y révèle en effet
fondamentalement rétif aux lois et canons hollywoodiens. Cultivant la lenteur et le secret,
il oppose une fin de non-recevoir aux prérogatives de montage de ses producteurs comme
à ses propres devoirs de promotion. Pire, il se joue du budget. Les Moissons du ciel accuse
un dépassement de 1 million de dollars sur un film qui devait coûter 3 millions de dollars.
Bert Schneider, producteur mythique d'Easy Rider, dut hypothéquer sa maison pour
assumer ce dépassement auprès de la Paramount.
Reste que tout ce qu'Hollywood compte de stars rêve de travailler avec Malick. Ce qui
n'est guère étonnant quand on voit à quel point d'incandescence, d'émotion, de beauté, il
est parvenu, dans Les Moissons du ciel, à porter les acteurs. Richard Gere, Sam Shepard,
Brooke Adams, Linda Manz n'ont pas seulement été révélés par le film, ils n'ont jamais
depuis égalé le sommet que celui-ci constitue dans leur carrière. De fait, Les Moissons du
ciel est une expérience sensible hors du commun qui nous fait voir et ressentir le monde
comme au premier jour.
On retrouve avec ces « jours de paradis » (Days of Heaven) le cinéma américain le plus grand,
celui qui fait d’une tragique histoire d’amour un drame épique, poignant et radieux à la fois,
capable d’embrasser toute la mythologie américaine et toute la destinée humaine.
L’histoire d’Abby, de Bill et du fermier s’inscrit dans la réalité sociale de l’époque, mais elle est
racontée par une petite fille sage et sauvage et elle est constamment magnifiée par l’immensité
des espaces, par la splendeur de la lumière, par la mélancolie de la musique, par le souffle
lyrique qui emporte tout. C’est une symphonie visuelle et sonore d’une stupéfiante beauté qui
nous ramène au paradis perdu. Sentimental, lyrique, épique, ce film est un chef-d’œuvre !
Il faut voir et revoir ce film magnifique qui n’est pas aussi connu qu’il devrait l’être.
Roselyne Chouvy, Cinéplus à Chinon,
correspondante Répertoire/Patrimoine de l’AFCAE
Fiche technique
Réalisation : Terrence Malick – Etats-Unis -1978 - Durée :1h34 – Formats : 1.85
Dolby Surround - Musique : Ennio Morricone et Camille Saint-Saëns - Visa : 50633
Copie restaurée, ressortie le 16 juin 2010
Fiche artistique
Richard Gere : Bill – Brooke Adams : Abby – Sam Shepard : The Farmer – Linda Manz : Linda
>>> Synopsis
En 1916, Bill, ouvrier dans une fonderie, sa petite amie Abby et
sa sœur Linda quittent Chicago pour faire les moissons au
Texas. Voyant là l'opportunité de sortir de la misère, Bill
pousse Abby à céder aux avances d'un riche fermier, qu'ils
savent atteint d'une maladie incurable. Mais Abby finit par
tomber amoureuse du fermier, ce qui déjoue les plans de Bill...
>>> Tout comme Stanley Kubrick ou Michael Cimino,
Terrence Malick est l'un des cinéastes les plus
énigmatiques des 30 dernières années. En à peine quatre
films – le cinquième est prévu pour mai 2011 –, il s'est
imposé comme un formidable formaliste, grâce à la beauté
onirique de ses images, et comme un artiste dont l'œuvre est traversée par les
questions essentielles de l'amour et de la mort.
Né au Texas en 1943, Malick grandit dans un environnement rural qui marquera ses
films. Diplômé de philosophie de la prestigieuse université de Harvard, il se lance
comme journaliste indépendant pour Life, Newsweek et The New Yorker. Ce qui ne
l'empêche pas de poursuivre ses études à l'American Film Institute qu'il finance en
réécrivant des scénarios, comme celui de L'inspecteur Harry.
À peine diplômé, il prépare son premier long métrage La Balade sauvage (1974) :
rejetant toutes les propositions des studios, il monte son budget grâce à plusieurs
investisseurs et produit son film pour 350 000 dollars. D'emblée, le refus d'une
narration conventionnelle et la beauté stupéfiante des grands espaces font de Malick
un cinéaste-culte.
Quatre ans plus tard, Les Moissons du ciel est un nouveau chef d'œuvre. Consacrant
deux ans au montage, le réalisateur gagne sa réputation de perfectionniste absolu. Le
résultat lui vaut l'admiration de la critique internationale et le prix de la mise en
scène à Cannes.
C'est alors qu'auréolé de son succès, Malick disparaît… Certains prétendent qu'il
aurait vécu à Paris, reclus, pour méditer. Sa légende grandit…
Jusqu'en 1997, où il annonce qu'il s'attelle à l'adaptation d'un roman de James Jones
sur la bataille de Guadalcanal. Réflexion métaphysique sur la guerre, La Ligne
rouge (1998) réunit les plus grands comédiens américains du moment : George
Clooney, Sean Penn, Adrien Brody, Nick Nolte, Woody Harrelson, John Travolta.
En 2005, Malick revient avec Le Nouveau monde, relecture fascinante du mythe de
Pocahontas. Plus panthéiste que jamais, le réalisateur montre à quel point la Nature
est au fondement de l'identité culturelle. Une œuvre sublime.
Son prochain film Tree of Life, est annoncé pour 2011. En espérant que Malick ne
disparaîtra pas à nouveau pour les dix prochaines années…
Vous trouverez des informations sur le film auprès de vos cinémas
et sur le site de l’ACC : www.cinemasducentre.asso.fr
Ciné Culte vous est proposé par l’A.C.C., avec le soutien du
Conseil Régional du Centre et de la D.R.A.C. Centre et avec le
concours de l’A.D.R.C. Répertoire.
Ce film est une œuvre poétique, métaphore du paradis perdu
où s’entremêlent les passions et la nature humaine,
portée par la musique d’Ennio Morricone
et le Carnaval des animaux de Saint-Saëns.

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