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AMMA Tout au sud de l’Inde, dans une région où terre et eau se mêlent harmonieusement, une femme est née. Elle est devenue une figure emblématique de l’Inde. Sa vie est consacrée à l’Amour. Elle parcourt la planète afin de le partager avec tous ses semblables. Amma est véritablement un être hors du commun. 2 ©MAM 3 Le darshan de l'Etreinte©MAM 4 Inde © 1- Les ghats sont les marches qui recouvrent les rives des cours d'eau ou les berges des bassins pour descendre dans l'eau. 34 OCTOBRE / NOVEMBRE 2012 Un canal serpente entre les cocotiers, les berges offrent au regard du voyageur ses jardins de manguiers, de bananiers et ses interminables cocoteraies. De belles demeures apparaissent entre la végétation et des enfants sautent, en riant, dans les eaux du canal. Nous naviguons lentement sur les Back Waters, ces longs bras d’eaux qui remontent le long de la côte sablonneuse du Kerala, entre le littoral battu par les vagues de la mer d’Arabie et les terres luxuriantes qui vont gravir les collines et la jungle des Ghats (1). Entre les canaux et la mer, une longue langue de sable s’étire, c’est le domaine des pêcheurs. Devant chaque village, leurs longues pirogues reposent sur la plage, prêtes pour la pêche de l’aube. C’est dans l’un de ces villages de palmes et de torchis que naquit Soudhamani, au sein d’une de ces familles de pêcheurs plongées dans un environnement de survie et de pauvreté. À l’aube du 27 septembre 1953, l’enfant, étonnamment bleue alors que sa peau aurait dû être noire, vint au monde, un sourire aux lèvres. La petite fille marcha dès l’âge de 6 mois, puis elle étonna son entourage familial par ses extases soudaines. Dès 5 ans, elle se mit à composer des bhajans (chants dévotionnels) dédiés à Krishna, la divinité qui enflammait son cœur. Mais l’âpreté de la vie quotidienne la rappela au monde. Alors 1 qu’elle n’avait que 9 ans, Soudhamani dut remplacer sa mère malade dans toutes les taches domestiques, qui sont nombreuses au sein d’une famille pauvre dépourvue de machines ; corvée d’eau (pas d’eau courante), traite de la vache, préparation des repas, vaisselle, linge et remplacement de la mère manquante auprès des frères et sœurs... si bien qu’elle dut quitter l’école où elle excellait. Jamais elle ne se plaignait : elle offrait à Dieu chaque geste de son travail et ne s’arrêtait que vers minuit, non pour dormir mais pour chanter et prier, offerte totalement à Krishna. L’incarnation de la Mère Divine Le comportement étrange de l’enfant commença à intriguer puis à exaspérer sa famille. Soudhamani fut maltraitée puis chassée de la demeure familiale. Elle dut dormir à la belle étoile sous les cocotiers. Elle passa pour mentalement dérangée. Personne n’était capable de comprendre sa véritable nature que seuls les oiseaux venaient visiter. Ces années de rejet social et de solitude furent fécondes pour elle. Elle développa une immense compassion pour tous les êtres et s’efforçait de soulager les souffrances de ses voisins. Elle s’en remettait au Pouvoir Divin, et entrait plus profondément encore dans cet espace du cœur où RENCONTRE AVEC... Par Jean-Bernard Cabanès 2009 © Jean-Louis Audebaud l'amour en action «La mission d’Amma en cette vie est d’éveiller l’énergie divine infinie, innée, présente en chacun de nous, et de guider l’humanité sur le juste chemin du service et de l’amour désintéressés. Le message d’Amma au monde est : Éveillez l’Amour Divin qui est en vous.» 6 5 Amma, jeune fille ©MAM 2- Terme sanskrit qui signifie complet (sam),et établissement, maintien de la conscience, de l'attention (dhi). Il signifie «union, totalité, accomplissement, achèvement, mise en ordre, concentration totale de l’esprit, contemplation». se révèle la Présence Divine. Il lui arrivait de voler quelque nourriture dans la maison familiale afin de donner à manger aux plus démunis. Ce qui lui valait de recevoir des coups. C’est à l’entrée de l’adolescence (ph. 5) que son aspiration spirituelle devint comme la brûlure d’un feu intérieur. Elle tombait fréquemment en extase, dansait et chantait son ivresse pour Krishna et son esprit, fondu en Dieu, quittait ce monde. Elle accéda ainsi à une union mystique totale avec son Seigneur. Elle fut ensuite visitée par la Présence de la Déesse, la Mère Divine, et fut embrasée du désir intense de s’unir à son essence, jusqu’au point d’identification suprême avec la grande Shakti, l’énergie Cosmique Féminine, source de toute vie dans l’univers. Pendant cette période, Sudhamani se livra aux pratiques spirituelles les plus rigoureuses afin de répondre à cet appel. Elle en vint à oublier son corps, cessa de manger et passait ses nuits à chanter et à prier. Elle s’immergeait en de longs samadhis (2) qui pouvaient durer des nuits et des jours. Elle ressentait la présence de la Déesse en toutes choses : la caresse du vent, le goût du sable, le tronc des arbres ; la Mère Divine était partout. Sudhamani en pleurait de joie. Plus tard, Soudhamani décrivit la Grande Déesse ainsi : «Souriante, la Mère Divine devint une masse de lumière et se fondit en moi. Mon mental s’ épanouit, baignant dans la lumière multicolore du Divin.» La nature spirituelle de Sudhamani fut enfin reconnue. Un petit ashram de palmes et de bambou naquit sous les cocotiers. La jeune femme prit le nom de Amritanandamayi. Ses disciples la nommèrent «Amma», c’est-à-dire «Mère». L'ashram d’Amma à Amritapuri Depuis peu, un grand pont (ph. 10) franchit le canal qu’il fallait, autrefois, traverser sur de petites barques. De grands bâtiments se dressent loin au-dessus de la forêt de cocotiers. Lorsque je passai par Bullikavu, il y a de nombreuses années, le gratteciel de l’ashram actuel (ph. 8) commençait déjà à pousser. Amritapuri naissait des sables, et de nombreux disciples y résidaient. La vie aux débuts de l’ashram n’eut rien de contemplatif. Amma demandait beaucoup de travail à ses disciples : elle les enracinait dans la terre, dans l’action, et leur enseignait le Service. On dor- OCTOBRE / NOVEMBRE 2012 35 mait peu, on travaillait à des taches physiques souvent éprouvantes. On chantait aussi, car Amma chante beaucoup. Et, surtout, on avait le privilège d’assister à ses Darshans, c'est-à-dire être en présence de la manifestation Divine à travers le corps d'Amma. Darshan d'Amma Cette cérémonie s’inscrit dans la plus pure tradition de l’Inde millénaire selon laquelle un être éveillé à sa nature divine peut en devenir l’incorporation dans la matière. On parle alors "d’avatar". Ainsi furent considérés Rama, Krishna et de nombreux rishis et sages de l’antiquité. De nos jours la tradition perdure. Amma en offre l’illustration. L’entrée du grand hall destiné aux darshans est surmontée d’une immense statue équestre représentant Krishna, et Arjuna (3) sur son char de guerre, juste avant la célèbre bataille de Kurukshetra, au moment où Krishna enseigne la Bhagavad Gita au roi Arjuna, le texte le plus sacré du Mahabaratta (4). La salle est remplie de fidèles souvent venus de loin pour contempler l’apparition divine. Un grand rideau ferme la scène. L’instant se nimbe de magie divine car ce qui va apparaître appartient aux sphères célestes des Divinités. Soudain les tentures s’écartent et la forme immobile d’Amma apparaît, hiératique, dans la position traditionnelle de Krishna jouant de la flute ; vêtue de bleu et coiffée de plumes de paon. Elle se tient là, figée dans l’Energie Divine et personne dans le public ne saurait nier que le Dieu Krishna lui-même leur fait face ; les minutes s’égrainent, hors du temps, baignées du rayonnement sacré du Dieu d’Amour. Puis le rideau retombe. Alors, revenant dans son corps de femme de Lumière, Amma revient s’asseoir à même le sol pour chanter sa dévotion envers Dieu. Elle incarne aussi la Mère divine lors de certains darshans (ph. 7) coiffée d’une tiare telles les déesses qui siègent dans le sanctuaire des temples ; elle chante pendant une bonne partie de la nuit jusqu’à l’extase. Le don d’Amour Universel Quel que soit le lieu où elle se trouve, Amma offre ses bras à tous ceux et toutes celles qui désirent recevoir le darshan de l’Etreinte, (ph. 3, 6, 12). Ce darshan qui lui est particulier ne s’inscrit pas dans la tradition hindoue dans laquelle il est malséant d’entrer en contact physique avec un maître, d’autant plus s’il s’agit d’une femme. Le comportement d’Amma est à l’opposé de toutes les traditions de l’Inde. Elle prend dans ses bras le monde entier, et chacun peut s’abandonner quelques secondes dans sa tendresse de Mère Divine. Lors de l’anniversaire de ses 50 ans, plus d’un million de personnes s’étaient rassemblées autour d’elle, venues de tous les pays du monde, y compris de pays musulmans. Amma aurait serré plus de 45 000 personnes par jour, et par nuit. Lorsqu’elle donne le darshan de l’Etreinte, elle peut rester assise 24 heures sans dormir ni manger. Ce faisant, elle murmure parfois quelques mots en malayalam, sa langue maternelle, à ceux qui sont en souffrance. On dit qu’elle prendrait dans sa chair les énergies de détresse, et les vasanas (tendances inconscientes) négatives de ceux qui s’y abandonnent. Amma pourrait en tomber gravement malade, mais ce n’est pas le cas. Elle continue de développer une énergie d’action et de service considérable. Il paraît que certaines analyses médicales auraient révèlé qu’Amma serait porteuse de maladies graves... sans en être aucunement affectée. Lorsque Amma se déplace autour de la planète, le darshan de l’étreinte est le point culminant de son message. Bien sûr, elle enseigne la voie de l’éveil spirituel, elle chante avec dévotion des bhajans, mais l’essentiel de la rencontre avec les foules qui viennent à ses pieds réside en cette étreinte de Pur Amour... Extrait de l'article sur Amma du magazine n°54 3- Arjuna signifie le blanc, le pur. Il est l'un des héros de l'épopée du Mahabharata. Drona, le brahmane maître en art militaire, apprend à Arjuna les arts martiaux, en particulier l'archerie dont il devient expert. Dans l'épopée, qui se déroule tout le long de sa vie, Arjuna devient le plus grand guerrier de tous les temps, maîtrisant toutes les armes existant au monde, mélange d'Achille et d'Ulysse. 4- Une épopée sanskrite de la mythologie hindoue considérée comme le plus grand poème jamais composé. 36 OCTOBRE / NOVEMBRE 2012 7 En Inde, certains sages peuvent incarner l'énergie d'une Divinité ; ici ,la Mère divine. Amma apparaît assise sur un trône, coiffée d’une tiare © 8 L'entrée de l'ashram en Inde © 10 Le pont qu'Amma a fait construire après le tsunami de 2008 qui a fait tant de ravage. Il peut évacuer 12 000 personnes à l'heure. A gauche en arrière-plan, le complexe scolaire construit par Amma.©