Réforme du gage des stocks : " mais dans quel état j`erre? "

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Réforme du gage des stocks : " mais dans quel état j`erre? "
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Lexbase La lettre juridique n˚643 du 11 février 2016
[Garanties] Textes
Réforme du gage des stocks : "mais dans quel état j'erre ?"
N° Lexbase : N1251BWA
par Gaël Piette, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique des Encyclopédies "Droit des sûretés" et "Droit des
contrats spéciaux"
Réf. : Ordonnance n˚ 2016-56 du 29 janvier 2016, relative au gage des stocks (N° Lexbase : L3474KYC)
Les amateurs de série ou de feuilletons connaissent, voire redoutent, le moment de la célèbre affirmation :
"la suite au prochain épisode". Le gage des stocks, sans avoir ni l'humour d'un House M.D., ni le caractère addictif d'un 24, aura su tenir en haleine (toutes proportions gardées) le juriste amateur de péripéties "textuello-jurisprudentelles". L'ordonnance du 29 janvier 2016 semble constituer l'épisode final de ce
feuilleton.
Rappelons brièvement qu'à la suite de la réforme des sûretés par l'ordonnance du 23 mars 2006 (ordonnance n˚
2006-346, relative aux sûretés N° Lexbase : L8127HHH), la question s'est posée de savoir si une sûreté réelle
portant sur des stocks doit obligatoirement être soumise au régime du gage des stocks établi par les articles L. 5271 (N° Lexbase : L2852IXW) et suivants du Code de commerce, ou si les parties peuvent avoir recours au droit
commun du gage. Ce dernier est envisageable puisque le gage de droit commun, depuis l'ordonnance du 23 mars
2006, peut porter sur des biens tels que les stocks : un gage sans dépossession peut porter sur un bien ou un
ensemble de biens, présents ou futurs, et fongibles (C. civ., art. 2333 N° Lexbase : L1160HIS et s.).
Le régime spécial du gage des stocks étant lourd et inadapté, de nombreux contractants souhaitaient pouvoir utiliser
le gage de droit commun.
La cour d'appel de Paris avait décidé que le créancier pouvait choisir s'il préférait prendre un gage des stocks ou
un gage de droit commun (1). La Cour de cassation avait condamné cette solution, estimant que l'établissement de
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crédit qui souhaite une sûreté sur les stocks de son débiteur ne peut inscrire que le gage des stocks des articles
L. 527-1 et suivants du Code de commerce (2). La cour d'appel de Paris, sur renvoi, avait décidé de résister, en
jugeant qu'aucune disposition n'interdit aux parties de choisir l'application du droit commun du gage, et qu'elles
peuvent donc valablement se référer aux dispositions des articles 2333 et suivants du Code civil (3).
L'Assemblée plénière de la Cour de cassation a censuré cette résistance, en décidant que, "s'agissant d'un gage
portant sur des éléments visés à l'article L. 527-3 du Code de commerce et conclu dans le cadre d'une opération
de crédit, les parties, dont l'une est un établissement de crédit, ne peuvent soumettre leur contrat au droit commun
du gage de meubles sans dépossession" (4).
Entre-temps, l'article 240 de la loi n˚ 2015-990 du 6 août 2015, dite loi "Macron" (N° Lexbase : L4876KEC), a
habilité le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance, avant le 6 février 2016, en vue de remplir deux objectifs.
D'une part, il s'agissait de "rapprocher le régime applicable au gage des stocks [...] du régime de droit commun du
gage de meubles corporels [...], pour le clarifier et rendre possible le pacte commissoire et le gage avec ou sans
dépossession, en vue de favoriser le financement des entreprises sur stocks". D'autre part, il s'agissait de "modifier
le régime applicable au gage de meubles corporels et au gage des stocks dans le cadre [des procédures collectives]
en vue de favoriser la poursuite de l'activité de l'entreprise, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif".
L'ordonnance commentée, en date du 29 janvier, a décidé de ne traiter que de la première problématique (5).
Conformément au périmètre de l'habilitation législative, ce texte rapproche le régime du gage des stocks de celui
du gage de droit commun.
Ce rapprochement est visible dès la nouvelle définition du gage des stocks, puisque celle-ci repart de la définition
générale du gage telle que donnée par l'article 2333 du Code civil (C. com., art. L. 527-1, al. 1er, nouv. N° Lexbase :
L3926KY3).
Pour le reste, l'ordonnance cherche, de manière louable, à accroître la simplicité du gage des stocks (I) et à renforcer
la place de la liberté contractuelle (II). Des questions demeurent toutefois en suspens (III).
I — Un gage des stocks plus simple
Il était difficile de faire plus inutilement complexe que le gage des stocks version 2006. Aussi, la version 2016
s'est-elle efforcée de simplifier un certain nombre de points.
D'abord, le contrat nécessite pour sa validité beaucoup moins de mentions obligatoires qu'auparavant (C. com.,
art. L. 527-2, nouv. N° Lexbase : L3925KYZ). Désormais, l'écrit qui constate le gage doit désigner les créances
garanties, décrire les biens gagés (en nature, qualité, quantité et valeur), indiquer leur lieu de situation, préciser la
durée de l'engagement (ou préciser qu'il est à durée indéterminée) et, enfin, mentionner l'identité du tiers, en cas
d'entiercement des stocks.
Ces mentions sont logiques : il est difficile d'imaginer un contrat de sûreté qui n'identifie pas la créance garantie
ou les biens grevés. Le contrat constitutif est ainsi expurgé des mentions lourdes et inutiles qu'il devait comporter
antérieurement : dénomination obligatoire d' "acte de gage des stocks", ou mention que l'acte est soumis aux
dispositions du Code de commerce notamment.
Ensuite, la publicité du gage revient à sa fonction principale, à savoir l'opposabilité de la sûreté aux tiers. Dans
sa version précédente, l'article L. 527-4 (N° Lexbase : L1402HIR) faisait de l'inscription du gage sur un registre du
tribunal de commerce une condition de validité : la sanction du défaut de publicité était en effet la nullité. Dorénavant,
toute référence à la nullité est écartée de ce texte (C. com., art. L. 527-4, nouv. N° Lexbase : L3923KYX). Cette
évolution est cohérente. Certes, il existe encore certaines sûretés pour lesquelles la publicité est requise à peine
de nullité, telles que le nantissement de fonds de commerce (C. com., art. L. 142-4 N° Lexbase : L1841KGB).
Néanmoins, un tel formalisme est difficilement compréhensible en matière commerciale.
En outre, la clause d'arrosage a été assouplie. Ce mécanisme, qui protège le créancier contre une perte de valeur
importante des biens grevés, était sans doute trop rigide dans la version datant de 2006 (C. com., art. L. 527-6
N° Lexbase : L1403HIS). C'était en cas de diminution de 20 % de la valeur des stocks grevés que le créancier
pouvait réagir, en mettant en demeure le débiteur de rétablir la garantie ou de rembourser une partie des sommes
prêtées en proportion de la diminution constatée. A défaut, le créancier pouvait exiger le remboursement total de
la créance, alors considérée comme échue.
Ce mécanisme à double détente a été remplacé par un double mécanisme (C. com., art. L. 527-6, nouv. N° Lexbase :
L1841KGB), en fonction de l'ampleur de la diminution. Si la valeur des stocks diminue d'au moins 10 %, le créancier
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peut exiger, après mise en demeure du débiteur, le rétablissement de la garantie ou le remboursement d'une partie
des sommes prêtées en proportion de la diminution constatée. Si la valeur des stocks a diminué d'au moins 20 %,
le créancier peut exiger, après mise en demeure du débiteur, le remboursement total de la créance considérée
comme échue. Ce double seuil, avec deux degrés de réponse indépendants, est judicieux : le droit le plus virulent
du créancier, à savoir obtenir le remboursement total, est déclenché en cas de diminution importante. En cas de
diminution plus faible, un remboursement partiel ou la reconstitution des stocks apparaît une mesure suffisante pour
préserver les droits du créancier.
Le texte réserve la possibilité pour les parties de stipuler une clause d'arrosage avec des taux supérieurs. Il faut en
déduire que la stipulation de taux inférieurs n'est pas permise. Ceci évite que les créanciers n'imposent des seuils
de déclenchement trop faibles, ce qui entraverait l'exercice de leur activité par les débiteurs.
Enfin, l'ordonnance du 29 janvier 2016 a fait disparaître l'obligation d'assurance des stocks contre les risques d'incendie et de destruction, auparavant imposée par l'article L. 527-6, alinéa 2. Assurément, cette suppression œuvre
dans le sens d'une plus grande simplicité, et même d'une liberté contractuelle accrue. Pour autant, elle ne mérite
pas une approbation sans réserve. Certes, la constitution du gage des stocks s'en trouve allégée, le débiteur n'ayant
plus à conclure au préalable un contrat d'assurance. Mais la sécurité du créancier s'en trouve également allégée.
En effet, l'intérêt pour le créancier que la chose grevée de la sûreté soit assurée est qu'en cas de perte de la chose,
ses droits sont reportés de plein droit, par le jeu de la subrogation réelle, sur l'indemnité d'assurance (C. assur., art.
L. 121-13 N° Lexbase : L0089AAK). L'obligation d'assurance constituait donc un avantage supplémentaire pour le
créancier. Néanmoins, les parties peuvent toujours prévoir contractuellement une telle obligation.
II — La liberté contractuelle renforcée
Les contractants qui souhaitent affecter des stocks en garantie disposeront à compter de l'entrée en vigueur de
l'ordonnance du 29 janvier 2014 d'une liberté contractuelle accrue, sur trois points au moins.
D'une part, conformément au droit commun du gage, ils pourront décider si la sûreté est constituée avec ou sans dépossession du débiteur (C. com., art. L. 527-1, al. 2, nouv.). Pour accompagner cette faculté, le nouvel article L. 5271, par une énumération illisible dont seul le législateur contemporain a le secret, déclare applicable au gage des
stocks un certain nombre de dispositions du doit commun, notamment celles relatives à la dépossession (dépossession de choses fongibles, remboursement des dépenses utiles et nécessaires, sanction de l'obligation de conservation du gage, perception et imputation des fruits, etc.). L'article L. 527-4, quant à lui, prévoit que la dépossession
rend le gage des stocks opposable aux tiers, de manière comparable au droit commun (C. civ., art. 2337, al. 2
N° Lexbase : L7229IAY).
Cette possibilité renforce la liberté contractuelle et tend à rapprocher le gage des stocks du gage de droit commun. Il
est cependant permis de s'interroger sur l'intérêt de la dépossession dans une sûreté comme le gage des stocks. Les
stocks ont vocation à être vendus, et reconstitués. D'où ce mécanisme de sûreté flottante, rappelé par l'article L. 5275, alinéa 2 (N° Lexbase : L3922KYW). Le constituant va-t-il pouvoir paisiblement exercer son activité professionnelle
s'il a été dépossédé de ses stocks ?
D'autre part, la réalisation du gage des stocks est dorénavant calquée sur celle du gage de droit commun, par renvoi
aux articles 2346 (N° Lexbase : L1173HIB) à 2348 du Code civil (C. com., art. L. 527-1, nouv. et L. 527-8, nouv.
N° Lexbase : L3919KYS). Par conséquent, les parties sont désormais libres de stipuler un pacte commissoire dans
leur contrat. Cette clause, qui était interdite auparavant (C. com., art. L. 527-2 N° Lexbase : L1400HIP), permettra
au créancier de devenir de plein droit propriétaire des stocks grevés en cas de défaillance du débiteur. Il s'agissait
là de l'une des principales différences entre le gage de droit commun et le gage des stocks.
Enfin, l'ordonnance du 29 janvier 2016 met un terme final à la controverse qui opposait la Cour de cassation et la
cour d'appel de Paris. Le nouvel article L. 527-1, alinéa 4, dispose que "les parties demeurent libres de recourir au
gage des stocks [...] ou au gage de meubles corporels" prévu par le Code civil. Les parties ont donc le choix entre
le gage du Code civil et celui du Code de commerce.
Ce faisant, les rédacteurs de l'ordonnance donnent raison à la cour d'appel de Paris, désavouant l'Assemblée
plénière de la Cour de cassation. Il faut avouer que la solution choisie par l'ordonnance était prévisible au regard
de l'article 240 de la loi du 6 août 2015, et que l'on peine à comprendre la position de la Cour de cassation. N'eutil pas mieux valu attendre la promulgation de l'ordonnance, et rendre une décision en conformité avec le texte ?
La situation sera d'autant plus difficilement acceptable pour le créancier concerné que la Cour d'appel de renvoi,
celle de Versailles en l'occurrence, devra refuser le choix entre les deux sûretés, conformément à ce qu'a décidé
l'Assemblée plénière, et étant précisé que l'ordonnance de 2016 ne s'applique pas aux contrats conclus avant son
entrée en vigueur, le 1er avril 2016 (ordonnance n˚ 2016-56, art. 3).
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III — Les questions en suspens
A la lecture de l'ordonnance du 29 janvier 2016, deux points nous semblent principalement demeurer incertains.
En premier lieu, le créancier doit-il respecter un délai pour procéder à la publicité de son gage sans dépossession,
s'il a choisi le régime spécial du Code de commerce ? Avant la réforme, le texte exigeait que l'inscription soit réalisée
dans les quinze jours de l'acte constitutif (6). Le nouvel article L. 527-4 ne précise plus aucun délai. S'agit-il d'un
oubli des rédacteurs de l'ordonnance ou d'une modification volontaire et consciente ?
En faveur de l'oubli, il est possible d'avancer que le rapport remis au Président de la République relatif à l'ordonnance n'envisage aucunement ce délai, ni pour le déterminer, ni pour préciser qu'il n'y en a plus. En faveur d'une
modification volontaire, il est permis de remarquer que l'ordonnance ne fait plus de la publicité une condition de
validité du gage des stocks (cf. supra), ce qui laisse penser que le nouvel article L. 527-4 a été réfléchi par les
rédacteurs de l'ordonnance.
Quoi qu'il en soit, la disparition de ce délai ne prête guère à conséquences : c'est au créancier qu'il appartient de
procéder à la publicité et une formalité tardive ne peut nuire qu'à lui. Un délai n'est donc pas utile, à l'instar de ce
qui existe en matière d'inscription hypothécaire.
En second lieu, l'ordonnance, en laissant le choix aux parties entre gage de droit commun et gage spécial des stocks,
renforce les questions qui se posaient quant à l'utilité, et donc l'avenir, du régime spécial. Le gage des stocks a été
à ce point rapproché du gage de droit commun qu'il est permis de se demander si son existence est véritablement
nécessaire. La seule vraie différence qui subsiste est celle de la clause d'arrosage : elle est expressément prévue
par les textes pour le gage des stocks, tandis que le Code civil est muet à ce propos pour le gage de droit commun.
La différence est minime : rien n'interdit aux parties qui recourent au gage de droit commun de stipuler une clause
d'arrosage. Le créancier étant un établissement de crédit, rompu à ce genre de contrats et de clauses, une telle
stipulation ne lui posera guère de difficulté.
Il est incontestable que le droit français connaît de nombreuses sûretés réelles. Un certain nombre d'auteurs, dont
nous confessons faire partie, estime qu'il y a même trop de sûretés réelles. Un certain "nettoyage" ne serait sans
doute pas inutile. Et avant même d'envisager des suppressions ou des regroupements de sûretés, ne serait-il pas
opportun d'éviter les doublons ? Le droit commun du gage suffirait largement à permettre de grever des stocks.
(1) CA Paris, Pôle 5, 8ème ch., 3 mai 2011, n˚ 10/13 656 (N° Lexbase : A9188HZC), RTDCiv., 2011, p. 785, obs. P.
Crocq ; Gaz. Pal., 22 décembre 2011, p. 21, obs. M. — P. Dumont-Lefrand.
(2) Cass. com., 19 février 2013, n˚ 11-21 763, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3699I8I), D., 2013, p. 493, note
R. Damman et G. Podeur ; JCP éd. G, 2013, 539, note N. Martial-Braz ; JCP éd. G, 2013, 585, n˚ 16, obs. Ph.
Delebecque ; Gaz. Pal. 21 mars 2013, p. 22, obs. M. — P. Dumont-Lefrand ; RLDC, 1er avril 2013, p. 26, note Ch.
Gijsbers ; V. Téchené, Consécration du caractère exclusif du régime juridique du gage de stock, Lexbase Hebdo
n˚ 329 du 28 février 2013 — édition affaires (N° Lexbase : N6011BTS). Adde, M. Bourassin, La force d'attraction
du gage des stocks", D. 2013, p. 1363.(3) CA Paris, 27 février 2014, n˚ 13/03 840 (N° Lexbase : A0421MGP), D.,
2014, p. 924, obs. Ch. Gijsbers ; A. Bordenave, Gage de stocks : une espérance nouvelle à encourager, Lexbase
Hebdo n˚ 381 du 14 mai 2014 — édition affaires (N° Lexbase : N2163BUN).
(4) Ass. plén., 7 décembre 2015, n˚ 14-18.435, P+B+R+I (N° Lexbase : A7203NYG), nos obs., Gage des stocks et
droit commun du gage, Lexbase Hebdo n˚ 449 du 7 janvier 2016 — édition affaires (N° Lexbase : N0598BW3).
(5) La réforme, relative aux procédures collectives, n'aura donc pas vu le jour, puisque le délai fixé par la loi d'habilitation est désormais expiré.
(6) Sûrement par mimétisme avec le nantissement du fonds de commerce. Notons cependant que le délai pour
procéder à la publicité de celui-ci a été allongé à trente jours par la loi "Macron" (art. 107 de la loi ; C. com., art.
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