Sandrine Bailly – 3 – Biathlon 2

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Sandrine Bailly – 3 – Biathlon 2
Sandrine Bailly
Biathlon
Entretien : Fontainebleau, Juin 2009
3 – Le biathlon (partie 2)
Tu parlais du dopage. C’est quelque chose qui est ou qui a été présent dans le
biathlon ?
De bonnes histoires sortent depuis deux ans. Le dopage est partout, il ne faut pas
rêver. Notre sport est de plus en plus médiatique, il y a de plus en plus d’argent, donc
c’est sûr que le dopage est présent. Je ne pense pas que cela soit gangrené comme le
vélo, où c’est très répandu ; nous n’en sommes pas là. Je ne sais pas comment cela se
passe dans les autres équipes, mais, nous, personne ne nous oblige, ou nous incite, ou
vient nous voir. Ce n’est pas ancré. Il y a de nombreuses histoires avec les Russes
cette année ; il y a des rumeurs un peu louches avec les Allemands il y a deux ans. On
ne sait pas ce qui est vrai ou pas, mais il n’y a pas de fumée sans feu non plus. Et le
biathlon est un sport d’endurance, et il est donc touché aussi, comme tous les sports.
Le type de dopage sur lequel il y a des rumeurs, c’est l’E.P.O. (N.d.A. :
Erythropoïétine, une hormone facteur de croissance des précurseurs des globules
rouges dans la moelle osseuse), les transfusions ?
Oui, des choses comme cela.
Ce que l’on retrouve dans d’autres sports d’endurance.
Oui, c’est similaire.
J’imagine qu’il y a des contrôles. Te paraissent-ils efficaces ? Y a-t-il une
différence entre la France et d’autres pays ?
C’est clair que les moyens sont différents suivant les pays. Nous sommes beaucoup
contrôlés : quand nous sommes devant, ils ne nous lâchent pas. Nous devons remplir
un agenda, y compris les endroits où nous dormons. Ils peuvent venir n’importe
quand. Demain matin, par exemple.
C’est propre à la France ?
Non, c’est lié à l’I.B.U. (N.d.A. : International Biathlon Union). Les trente meilleurs
de chaque discipline sont soumis au logiciel ADAMS, qui sert aux contrôles inopinés.
L’emploi du temps précis au jour le jour est obligatoire, avec une heure de présence.
Beaucoup de sports sont soumis à ce suivi, dont le vélo. S’ils viennent et que nous ne
sommes pas là, c’est considéré comme un contrôle positif au bout de deux fois, je
crois. Les contrôles inopinés, c’est ce qu’il y a de mieux. Je pense que ceux qui se
chargent savent comment faire pour passer entre les mailles du filet, donc les
contrôles inopinés peuvent servir à lutter contre cela. En Coupe du monde, le sang est
contrôlé le matin par tirage au sort.
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Pour l’hématocrite ?
L’hématocrite et l’hémoglobine. Les sportifs sont des gens anormaux à la base ;
certains ont donc des valeurs élevés naturellement, il ne faut pas mettre tout le monde
dans le même panier. En biathlon, je pense que cela va. Des Russes ont été contrôlés
positifs cette année : au moins…
… Cela sert à quelque chose.
Oui, voilà. Les Russes sont bien ancrés dans le biathlon et beaucoup de responsables
sont Russes. Si c’est sorti, c’est que…
… Cela va dans le bon sens ?
Oui. Ensuite, il faut que cela continue.
Combien as-tu de contrôles inopinés as-tu eu depuis le début de l’année ?
Aucun pour l’instant. J’en ai eu l’année dernière sur un stage : à peu près un par an en
moyenne. Avant les Jeux, ils en font, via l’Organisation Mondiale Antidopage. La
France peut aussi nous contrôler : là, c’est du grand n’importe quoi. Avant les J.O. de
Turin, on m’avait appelée : « Oui, bonjour, ce serait pour vous faire un test inopiné de
dopage, il faudrait que vous soyez tel jour à Hauteville. » Ce n’est pas du tout…
Tel jour : dans une semaine ?
Oui, c’était cela. J’ai trouvé cela ridicule : ce n’est pas la peine de faire un contrôle, si
c’est pour faire cela. La personne qui sait qu’elle va être contrôlée dans trois jours
peut se camoufler si elle le souhaite. Cela a peut-être changé depuis : la France est
quand même réputée pour faire des efforts contre le dopage.
Tu parlais des Russes tout à l’heure : il s’agissait d’athlètes masculins ou
féminins ?
Les deux, en fait : trois au total. Trois dans une équipe : la suspicion est sur toute
l’équipe. En tout cas, pour moi.
Tu parles des équipes : en dehors du relais, c’est un sport individuel.
L’impression que l’on a, c’est que le rôle de l’équipe est assez important. Dans
quel sens ?
C’est un sport individuel, mais nous nous entraînons ensemble pendant les stages et
nous avons cette épreuve de relais. Cela ne nous oblige pas à être soudés, mais c’est
quand même mieux d’aller s’entraîner dans un groupe qui fonctionne que dans un
groupe qui se tire dans les pattes. Cela reste quand même un sport où il faut être
individualiste, parce que nous sommes seules sur la piste.
Tu es avec elles en relais, mais ce sont tes concurrentes en individuel.
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Exactement. Cela se ressent dans nos caractères : nous avons tous des caractères
individualistes, du moins ceux qui sont devant. Ensuite, il ne faut pas que cela dérive :
il y a du respect, il faut travailler ensemble parce que c’est aussi ainsi que l’on réussit.
Les relais sont des moments où nous nous battons pour l’équipe, pas seulement pour
nous.
Si tu exclues les sports très populaires, disons football, rugby, tennis, cyclisme et
judo, il reste une multitude d’autres sports. Parmi ces sports, le biathlon semble
bien médiatisé par rapport à d’autres.
Oui, c’est vrai. Nous sommes toujours en train de nous plaindre, mais quand je
compare avec le canoë-kayak par exemple, qui a d’excellents résultats, ou l’escrime
qui ramène plein de médailles des Jeux, on n’entend jamais parler d’eux le reste du
temps. Finalement, nous ne sommes pas trop mal. C’est vrai que nous comparons
toujours par rapport à la popularité du sport en Allemagne : nous passons sur les
chaînes nationales. En Allemagne, tout le monde me connaît. Quand j’arrive sur un
stade, ce n’est pas du tout comme chez nous où j’arrive incognito. Nous ne
demandons parfois pourquoi cela ne prend pas chez nous, et que les télés ne s’y
intéressent pas. Je ne dirais pas que personne n’adhère : le peu de gens qui regardent
adhèrent, mais c’est juste qu’on ne leur montre pas. Mais on ne va pas se battre contre
la mentalité française, nous n’avons pas une grande culture sportive.
Quels sont le pays où le biathlon est le plus populaire ?
En Allemagne, c’est vraiment fort… La Russie, la Norvège, la Suède.
Est-ce que le fait d’avoir des « icônes », telles que Raphaël Poiré (N.d.A. : quatre
fois vainqueur du classement général de la Coupe du monde, deux fois champion
du monde au général), a aidé ?
Oui, c’est clair que Raphaël était médiatique, peut-être même plus pour son histoire
avec Liv qui est Norvégienne. En France, si tu n’as pas le truc qui fait la différence, la
petite histoire un peu spéciale, tu n’intéresses pas. Il faut le savoir. Raphaël était
connu et il a un palmarès éloquent. Les J.O. des Saisies, en 1992 (N.d.A. : Albertville,
mais le biathlon s’est déroulé aux Saisies), ont bien amorcé la chose. Les filles ont
obtenu une médaille en relais, ils se sont déroulés en France… Le biathlon a
commencé à se faire connaître à ce moment-là. Nous avons de la chance : nous
sommes une petite nation, avec peu de moyens, et, à chaque fois, nous avons un
champion qui en remplace un autre.
Et c’est quoi : le hasard, la détection ?
Ah, non (Sourire)… On me demande souvent, je ne sais jamais trop quoi répondre.
Chez les filles ou les garçons, l’un a remplacé l’autre ; il n’y a jamais eu de coupure.
Pourquoi ? Je ne sais pas trop. Cela vient aussi de l’émulation, mais nous n’avons que
très peu de licenciés. C’est incroyable.
Si tu prends le tennis, la France et l’Espagne sont les pays où il y a le plus de
représentants dans le top 100, même s’il n’y a aucun Français dans le top 3.
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L’idée est d’avoir des clubs de tennis partout, des programmes de détection pour
les jeunes. Il n’existe rien de similaire ?
Cela commence en fait. À mes débuts, nous étions dix filles en Coupe de France, et
sur ces dix filles, quatre étaient capables de faire des podiums en Coupe du monde.
Maintenant, il y a plus de biathlon dans les clubs, avec un peu plus de détection, un
pôle France, cela s’organise tout doucement. Cela va dans le bon sens. Mais c’est vrai
que pendant une quinzaine d’années, c’était plutôt de la chance. Nous avions aussi des
gens passionnés pour nous entraîner. Nous avons peu de moyens, mais nous faisons
des bons stages, encadrés par des gens d’expérience. C’est peut-être aussi cela qui
faisait la différence.
Tu as une idée du nombre de licenciés ?
À peu près cinq cents (Rires). C’est ridicule…
C’est incroyable.
Une fois, un coach russe a remarqué : « Cinq cents : c’est le nombre de coachs en
Russie » (Rires). Nous ne sommes pas dans le même monde. En Allemagne, c’est très
populaire ; tous les gamins pratiquent le biathlon à l’école.
En Allemagne, c’est plus le biathlon que le ski de fond ?
Oui, même si le ski de fond est devenu populaire parce qu’ils ont des résultats. Ce qui
leur plaît le plus, c’est le saut, puis le biathlon et enfin le ski de fond. Là, je parle des
sports d’hiver. À un moment donné, c’est passé devant le football, il me semble. Làbas, les biathlètes sont des stars, comme les footballeurs.
Prochaine lettre :
Sandrine Bailly
4 – Le sport en général.
© Loïc Henry / 2009 – 2010.
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