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Editions Hatier Corrigé (développement et conclusion rédigés) 1. On croit ordinairement qu'il n'y a qu'un seul désir, c'est une erreur qu'il faut dissiper (“ Il me semble ... n'en dépendent point ”) Nous mettons volontiers le désir au singulier, pour désigner une certaine tendance à s'approprier les choses ou les personnes, et qui peut être satisfaite ou non. La satisfaction est alors assimilée au plaisir ou au bonheur : si une attente ou un désir sont déçus, nous sommes malheureux. Aussi le lien s'établit entre désir et bonheur : un faible désir a plus de chances d'être satisfait qu'un désir insatiable. Aussi peut-on croire que le désir doit être limité si l'on souhaite se procurer le bonheur. Mais cela suppose que tous les désirs sont semblables et peuvent être satisfaits ou déçus de la même façon. Il y a là une “ erreur ”, qui tient à ce que nous confondons en un tout les objets (les “ choses ”) du désir, qui doivent pourtant être distingués. Nous préférons le terme d'“ objets ” pour désigner les buts du désir, car ce que l'auteur désigne par “ choses ” recouvre en réalité des actions, des opérations qu'il faut faire. En effet, une action qui ne dépend que de moi seul a plus de chances d'être réalisée (il suffit que je le veuille), et ma satisfaction a alors d'autant plus de chances d'être atteinte qu'une action qui implique aussi la volonté d'autrui (qu'il peut toujours refuser), ou encore un concours de circonstances. Cette distinction est ancienne, elle remonte à la philosophie stoïcienne, on la trouve par exemple dans le Manuel d'Épictète. Mais pourquoi une distinction des objets implique-t-elle une conclusion sur le désir lui-même ? La deuxième partie doit montrer le lien qui attache l'objet du désir à la façon dont il est désiré. 2. Car la variété des objets implique diverses “ façons de désirer ” (“ car, pour elles ... que nous en avons attendue ”) Il est important de bien saisir la construction de ce passage. La conjonction “ car ” qui l'introduit signale que l'on cherche à justifier l'affirmation qui précède : il faut expliquer pourquoi une distinction des désirs par leurs objets est souhaitable. Plus précisément, d'après ce qui précède, il faut expliquer pourquoi la variété des objets (ce qui dépend de nous, ce qui n'en dépend pas) implique des façons différentes de désirer. Dans le cours de cette justification, intervient une autre conjonction causale : “ à cause que ”. Il s'agit d'une explication de l'explication précédente. L'auteur progresse de raison en raison, afin d'expliquer la raison pour laquelle la variété des objets implique diverses façons de désirer. Nous retraçons grossièrement le raisonnement. Il existe un objet que l'on peut désirer sans limitation : il s'agit des choses qui dépendent de nous et qui sont bonnes. L'auteur explique ce qu'il faut entendre par les choses qui dépendent de nous, et cette explication est capitale pour la suite : il s'agit de ce qui dépend de notre libre arbitre. Cette notion signifie que notre volonté est libre. Aucune cause extérieure (les causes naturelles, les autres hommes, ou même Dieu) ne nous contraint à vouloir telle ou telle chose. Puisque rien d'autre que nous-mêmes n'a d'influence sur nos volontés, tout ce qui consiste seulement à vouloir quelque chose dépend entièrement de nous. Il y a deux raisons pour lesquelles il en va ainsi. − Puisque la vertu consiste dans cet objet, et qu'on ne peut pas désirer excessivement la vertu, le désir de cet objet ne peut pas être excessif. Descartes n'explique pas dans ce texte pourquoi la vertu consiste seulement dans le fait de “ suivre les choses bonnes qui dépendent de nous ”. Cette définition intervient dans ce texte à titre d'hypothèse. Mais l'on peut tenter de la justifier, si on connaît par exemple la définition par Descartes de la générosité (Passions de l'âme, article 153) ; la vertu y est définie par deux éléments : l'homme généreux doit savoir qu'il ne possède en propre que cette liberté de sa volonté, et il doit avoir une “ constante résolution ” d'utiliser cette volonté pour “ entreprendre et exécuter toutes les choses qu'il jugera être les meilleures ”. − Puisque nous ne pouvons pas être déçus par cet objet, et que nous en obtenons toujours satisfaction, on peut sans risque le désirer sans limites. Cette deuxième raison est expliquée à son tour par un bref raisonnement : si nous sommes sûrs d'obtenir la “ satisfaction que nous avons attendue ”, c'est que celle-ci ne dépend que de nous, c'est-à-dire de notre seule volonté, qui est entièrement en notre pouvoir, et qui ne peut donc pas nous faire défaut, sinon par notre propre faute. 3. L'excès du désir n'est pas en soi un obstacle à la bonne conduite (“ Mais la faute ... qui est à désirer. ”) La distinction précédente permet de réfuter la thèse selon laquelle l'excès du désir est un obstacle à la bonne conduite, dont on peut à présent percevoir la nature. Nous avons remarqué que si notre volonté nous fait défaut, ce n'est que par notre faute. On peut comprendre alors la phrase qui suit : “ Mais la faute qu'on a coutume de commettre en ceci n'est jamais qu'on désire trop, c'est © Hatier 1 Editions Hatier seulement qu'on désire trop peu ”. Descartes désigne par “ en ceci ” la faiblesse du désir des choses qui dépendent de nous. Or ces choses correspondent à ce que nous pouvons librement vouloir. Nous sommes les seuls responsables de notre volonté, et de son éventuel défaut. Aussi la bonne conduite ne réside-t-elle pas dans la limitation des désirs, mais dans la poursuite de ce que l'on ne peut jamais trop désirer. Mais on se trouve alors face à une autre difficulté : si notre volonté est entièrement en notre pouvoir, comment se fait-il que nous n'arrivons pas toujours à la mobiliser ? La fin du texte répond à cette objection, en brossant grossièrement le portrait d'un homme de bonne conduite. En effet, il s'agit de trouver le “ remède ” (et donc les moyens de préserver la santé de notre âme, ce qui correspond traditionnellement à la définition de la bonne conduite), à la déficience de notre désir des choses qui ne dépendent que de nous. Ce remède est double, car le mal est double. Si la vertu consiste à désirer les choses qui dépendent de nous et qui sont bonnes, il faut s'attacher à ne pas désirer ce qui ne dépend pas de nous (se délivrer l'esprit de toutes sortes de désirs moins utiles), et à définir les choses qui sont bonnes (la bonté de ce qui est à désirer). La bonne conduite possède deux composantes : une composante pratique, qui consiste à comprendre que tout ce qui est extérieur à notre volonté nous est moins utile que ce qui en dépend, et une composante théorique, qui consiste à essayer de “ connaître bien clairement et de considérer avec attention la bonté de ce qui est à désirer ”. La clarté et la distinction définissent le statut de l'idée vraie chez Descartes. Désirer les choses vraiment bonnes qui dépendent de nous, telle peut être la définition de la vertu : nous retrouvons en effet ces deux composantes dans la définition de la générosité que nous avons citée. On peut alors rapporter l'erreur initiale, qui consistait à confondre les objets du désir, à un défaut de vertu. En effet, ceux qui soutiennent cette thèse ne peuvent manquer de désirer (que ce soit ou non de manière modérée), ce qui n'est pas conçu clairement et distinctement comme une chose bonne. On peut donc retourner totalement la thèse adverse, et dire que celui qui désire trop toutes choses ne désire lui-même pas assez les choses bonnes. Conclusion L'intérêt philosophique de ce texte tient dans ce qu'il remet en cause l'idée selon laquelle nous devrions modérer notre désir pour atteindre la vertu. Un peu comme dans le texte de Freud, la solution proposée réside dans l'orientation du désir vers les choses qui ne peuvent être excessivement désirées : les choses bonnes, qui dépendent de nous. © Hatier 2