Ecrit pour honorer la mort d`un rebelle

Transcription

Ecrit pour honorer la mort d`un rebelle
Pour honorer la mémoire d’un Rebelle ...
Il est un mort en honneur duquel coule un flot de louanges tel qu’il est permis de se demander si, en
outre-tombe, ce défunt n’est pas le premier à s’en étonner.
Et puis, il y a les laissés pour compte de la mémoire, des hommes, des femmes dont la vie digne
d’attention et de respect, est recouverte de silences, de ces silences issus de nos grandes et petites
lâchetés.
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Ce qui suit est écrit pour honorer la mémoire d’un rebelle... Le dimanche 7 août 2011, dans sa cellule,
un homme mettait fin à 48 années d’emprisonnement faisant de lui le plus vieux prisonnier d’un pays
dont les dirigeants d’hier comme ceux d’aujourd’hui ont l’impudeur de prétendre qu’il est, ce pays, la
patrie des droits de l’Homme.
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Nous fûmes nombreux à difficilement croire en la version officielle de sa mort mais ces mots écrits de
sa main témoignent (1).
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Pendant ce long temps de privations de liberté, d’humiliations, de traitements inhumains exécutés pour
mater « les fortes têtes », les institutions pénitentiaires et autres instances psychiatriques de France ne
sont pas parvenues à briser la volonté de cet homme au caractère d’acier trempé.
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Le 28 mai 2008, il est transféré en Martinique à la prison de Ducos... A ses avocats intervenant pour
qu’il obtienne une mise en liberté ne serait-ce que conditionnelle, des refus réitérés sont opposés et qui
pis est, pour calmer ses légitimes impatiences, le Rebelle aura à subir piqûres, cachets administrés sur
place ou bien à Colson où il est de force conduit.
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Je ne suis pas du parti de ces gens qui justifient son calvaire carcéral en disant que puisqu’il avait tué,
il devait donc payer ses homicides... Jugement borné de ceux qui n’ont jamais voulu essayer de
comprendre dans l’engrenage de quel désir de vengeance, il fut amené à tuer (2).
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Au moment où il choisit la mort comme l’ultime porte menant à la liberté, il a écrit :
Cette profession de foi fait en quelque sorte du Rebelle un frère, un frère inaccompli, d’Ali La Pointe,
l’Algérien (3).
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Honneur et respect, Monsieur Pierre-Just MARNY
Daniel Boukman, 5 août 2013
(1) Ces extraits de la lettre testament du rebelle ont été rapportés ici tels qu’écrits... Est-il bon de rappeler que la belle
écriture respectueuse des règles orthographiques de la langue française se trouve être parfois l’apanage de fieffés pleutres
(2) Un ouvrage à lire, qui éclaire utilement la trajectoire de la vie du rebelle : Pierre - Just MARNY, jusqu’au bout du
silence, 1963-2011 / 48 ans de prison de Marlène Hospice, 2012, éditions Chalbari antillais
(3) Ali La Pointe, de son vrai nom Ali Ammar, naquit le 14 mai 1930, en Algérie dans la ville provinciale d’El Annasser ; à
13 ans, il connaît la rigueur des maisons de redressement qui vont endurcir son caractère turbulent et insoumis ; à sa sortie,
ses parents étant trop pauvres, il ne peut aller à l’école ; il se rendra alors à Alger où il fait tous les petits boulots auxquels se
livrent les gamins à demi abandonnés... A 18 ans, il plonge dans le milieu de la prostitution et devient proxénète ; il se crée
une réputation de caïd dans la Casbah... Arrêté pour bagarre, condamné à deux ans de prison, il est incarcéré parmi des
militants du FLN emprisonnés en novembre 1954, et, lorsque, libéré, il quitte Barberousse pour une ferme - prison, la
conversion a eu lieu : le petit malfrat multirécidiviste fait place au militant qui s’évade et rejoint les rangs du Front de
Libération National Algérien dont il devient un membre actif de la Zone autonome d’Alger... Le 9 octobre 1957, à 27 ans, il
meurt, les armes à la main... Le cinéaste italien, Gillo Pontecorvo, réalise en 1966 La Bataille d’Alger, film italo-algérien
qui immortalise cet épisode de la guerre de libération algérienne... Les mêmes causes induisant souvent les mêmes effets, qui
sait ce qu’au cours des années 60, le jeune délinquant Pierre - Just Marny serait devenu dans une Martinique au cœur d’un
irréversible mouvement révolutionnaire ?