Bref d`auteur 11 – Quand le droit joue sur la valeur des œuvres

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Bref d`auteur 11 – Quand le droit joue sur la valeur des œuvres
Bref d’auteur 11 – Quand le droit joue sur la valeur des œuvres !
Faut-il le rappeler, le droit d’auteur a été créé pour assurer la bonne marche du
commerce. Le commerce? Oui, parce qu’il décourage la concurrence sauvage et la
contrefaçon, donne un levier économique aux créateurs tout en protégeant l’intérêt
public. Autrement dit, jamais une loi équilibrée n’a été une loi mitoyenne entre les droits
des usagers et les droits des auteurs. Au contraire, elle crée les conditions d’un accès à
la culture et au savoir sans en compromettre la création. Autrement dit, quelle que soit la
révolution technologique, toute loi équilibrée maintient la valeur des œuvres.
Bien que jamais auparavant autant d’œuvres n’ont été accessibles en même temps et
sous tous formats, jamais on n’a autant réclamé leur gratuité au nom d’une pseudo
accessibilité. Que se passe-t-il avec C-32? Il participe à l’effondrement du marché.
Soyons clairs. Contrairement à ce qu’ils allèguent, ce n’est pas la crainte des
poursuites et des sanctions qui inquiète les écoles et les ministères de l’Éducation, ce
sont les ressources humaines et financières qu’il faudrait consacrer à la compensation
des utilisations. Pourquoi en sommes-nous si convaincus? Parce qu’en cas de victoire
en cour, les dommages n’auraient jamais pu être supérieurs au coût de la copie et
l’éditeur qui s’y serait risqué aurait mis à mal son propre marché. Droit? Non, gratuité,
et moindre effort.
Soyons clairs. Contrairement à ce qu’ils allèguent, si les étudiants universitaires
réclament pour eux-mêmes les prérogatives des écoles, de bibliothèques ou des
musées, l’élargissement de la « leçon » à toute communication ou formation formelle et
informelle, et « de ne pas être assujettis aux sanctions pénales ni aux dommages et
intérêts préétablis », ce n’est pas non plus par crainte de poursuites. Il n’y a jamais eu
de poursuite d’étudiant au Canada, et il n’y en aura pas. Droit? Non, gratuité, et
moindre effort.
N’est-il pas désolant que ceux-là mêmes qui sont les premiers bénéficiaires des œuvres
de l’esprit, au moment où ils les fréquentent quotidiennement pour leur développement
personnel et leur carrière, contribuent à leur dévalorisation? Pendant que les écoles
achètent de plus en plus de technologies numériques d’enseignement, que les étudiants
achètent de plus en plus d’appareils électroniques et de logiciels dont la courte durée de
vie force au réinvestissement périodique, qu’ils s’abonnent à de plus en plus de services
en ligne, la valeur se déplace des contenus aux technologies d’accès à ces contenus,
contribuant ainsi à la dévaluation des biens culturels.
Soyons clairs. Le véritable enjeu est économique, il l’a toujours été. Pour le droit de
reproduire nos œuvres, les milieux scolaires paient 3$/an par élève du
primaire/secondaire, 10$/an par collégien et 26,50 $/an par étudiant universitaire à
Copibec. Le prix d’une balle, d’une pinte de bière ou d’un spectacle. Trop cher payer
pour la connaissance? Par comparaison, les téléphones intelligents se vendent
aujourd’hui entre 549 et 749 $, les iPad entre 549 et 879 $. Les milieux scolaires sont-ils
conscients que leurs priorités de dépenses glissent des contenus aux contenants?
Avec l’exception d’utilisation équitable à des fins éducatives et les exceptions pour les
établissements d’enseignement que les étudiants réclament de rendre encore plus
larges et plus souples, C-32 aura, comme jamais auparavant, échoué lamentablement à
soutenir la valeur de ses produits culturels, qui représentent pourtant un PIB supérieur
aux pétrolières et gazières réunies.
Aline Côté
Présidente du comité du droit d’auteur de l’ANEL