Love Me Again - Lycée d`Adultes

Transcription

Love Me Again - Lycée d`Adultes
C ONCEPTION ET MISE EN PAGE :
PAUL MILAN
L MA
ove
e
gain
Love Me Again, comédie écrite au cours de l’année scolaire 2012-2013, au sein de
l’atelier de théâtre créatif de la Seconde A du LMA, sous la direction de Sylvie
Nordheim.
Synopsis
Coup de foudre au LMA : Dragan et Sarah se heurtent de plein fouet dans la cour
alors qu’ils se dirigent vers des points opposés. Leur histoire tient en germe dans
ce télescopage. Malgré cette rencontre fortuite, leurs caractères ne cessent en effet
de s’affronter et leurs chemins de diverger. Tant et si bien qu’ils finissent par se
séparer après avoir vécu un temps ensemble. Dragan, Sarah, un garçon et une fille
dans lesquels certains auditeurs se reconnaîtront peut-être. Si l’un a obtenu son
bac, l’autre l’a raté mais considère que le LMA lui a permis de s’épanouir et de se
réaliser. La preuve : tous deux connaîtront une belle réussite professionnelle dans
laquelle chacun de leurs professeurs aura joué un rôle providentiel. Quelques
années plus tard, lors d’une journée portes ouvertes, Dragan et Sarah accepteront
de venir en témoigner. Belle occasion pour eux de se retrouver et de tomber de
nouveau amoureux.
Distribution
Sarah : Souad BENLKAIDA
Dragan : Igor NEVENKIC
Narratrice : Clémence CALLO
1
L OVE M E A GAIN
-1-
Dragan et Sarah sont assis face au public. Ils regardent droit devant eux.
La narratrice
Aujourd’hui, c’est la rentrée au LMA. Chacun cherche sa classe. Lui, c’est Dragan ; elle,
c’est Sarah. Pour l’instant, ils ne se connaissent pas encore. . . Dragan et Sarah se heurtent
de plein fouet au milieu de la scène alors qu’ils se dirigent chacun dans une direction
opposée.
Dragan et sarah
Aïe !
La narratrice
Les documents que Dragan tenait dans les bras sont tombés et Sarah ramasse au hasard
une feuille qu’elle découvre, stupéfaite.
Sarah
Mais c’est du chinois !
Dragan
Ce serait plutôt du cyrillique.
Sarah
C’est quoi ce machin ?
Dragan
Un alphabet.
Sarah
Un alphabet ?
Dragan
Oui, un alphabet qui est utilisé par environ 350 millions de personnes. . .
Sarah
350 millions ! Tant que ça ? Ben zut, alors !
Dragan
N’est-ce pas ?
Sarah
350 millions ! Mais on parle ça où ?
Dragan
En Afrique australe.
Sarah
Non ?
La narratrice
Sarah marque un temps de réflexion.
Sarah
Mais. . . mais vous êtes africain ?
CLASSE DE SYLVIE NORDHEIM
2
SECONDE A
L OVE M E A GAIN
La narratrice
Dragan la regarde, d’abord amusé, sans mot dire.
Dragan
Je plaisantais.
La narratrice
Sarah paraît blessée.
La narratrice
C’est pas bien. Vous vous moquez de moi !
Dragan
Vraiment désolé. C’est ridicule, je m’en excuse.
Sarah
C’est pas parce que je connais pas votre. . . votre. . . cylirique. . .
Dragan
Cyrillique. . .
Sarah
Si vous préférez, cyrullique... C’est en tout cas pas une raison pour me prendre
pour une idiote.
Dragan
Je vous prends pas pour une idiote !
Sarah
Si, je vois bien que vous me prenez pour une idiote.
Dragan
Désolé de vous avoir blessée. Ce n’était pas dans mon intention. Que puis-je faire
pour me faire pardonner ?
La narratrice
Sarah porte soudain son attention sur la feuille qu’elle tient toujours en main avant de
regarder Dragan, prise d’une inspiration.
Sarah
Lisez-moi ça !
Dragan
Ça ?
Sarah
Oui, ce truc-là.
Dragan
Mais il y a rien d’intéressant dans ce. . . ce truc-là.
Sarah
Je vous crois pas. Je suis sûre que c’est une poésie.
CLASSE DE SYLVIE NORDHEIM
3
SECONDE A
L OVE M E A GAIN
Dragan
Mais. . .
La narratrice
Mais Dragan se ravise.
Dragan
Vous avez raison ! C’est un. . . poème. . .
La narratrice
Sarah, toute frétillante, trépigne.
Sarah
Je le savais, je le savais. Je vous écoute !
Dragan
Alors que de ce pas je partais étudier
Je rencontrai chemin faisant une beauté
Me heurtant de plein fouet à son corps charmant
Quelle ne fut pas ma surprise en l’entendant !
Sa voix, ô combien délicieuse !, me ravit
Autant que le spectacle d’une grâce inouïe
Elle tenait entre ses jolis mains un papier
Un chiffon où elle voyait rimes et pieds
Tant elle paraissait candide et innocente
Je me récriai . . ..
Je me récriai. . .
La narratrice
Sarah est suspendue à ses lèvres.
Sarah
Vous vous récriiez ?
Dragan
Je me récriai, Je me récriai. . .
Quelle vigueur me frappe soudain en plein cœur
Quand j’étais encore hier plongé dans la langueur
Que mes pas me menaient sur de tristes chemins
Où rien ne fleurissait, ni rose, ni jasmin !
L’amertume, comme un lent poison, me rongeait
Je n’étais plus qu’une ombre pâle, je mourais
Sarah
Oh, c’est beau !
La narratrice
Encouragé, Dragan reprend de plus belle.
Dragan
Mais soudain tout à coup promptement alors que. . .
Alors que. . .
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4
SECONDE A
L OVE M E A GAIN
Sarah
Que quoi ?
Dragan
Alors que la vie semblait toujours fuir mes pas
Elle revenait nimbée de splendeur ici bas
Allleluïa ! Tous mes sens alors s’éveillèrent
La narratrice
Dragan se retrouve nez à nez avec Sarah. Très ému, il ne sait plus quoi dire. Enfin, sur
un ton presque solennel, il répète.
Dragan
Tous mes sens alors s’éveillèrent. . .
La narratrice
Sarah semble troublée.
-2-
Dragan et Sarah se lèvent, se croisent pour s’échanger leur place, se rassoient.
Puis, de nouveau, ils regardent droit devant eux.
La narratrice
Comme vous l’aurez remarqué, cette histoire a plutôt bien commencé. La preuve, quelques
mois plus tard, ils vivent ensemble. Ils n’ont cependant pas vraiment le temps de roucouler. Ils se préparent pour le bac dont la date approche.. . .
Dragan
X + Y sur Z fois B prime que je divise par la puissance de pi qui, soit l’inverse
de X moins B, et que je multiplie par le cosinus de la somme égale au périmètre
du cercle égale, égale, égale la racine carrée du triangle oméga. . . Ouf ! Bon, le
théorème de Thalès, je maîtrise.
La narratrice
Pendant ce temps-là, Sarah réalise discrètement un portrait de Dragan au crayon.
Sarah
J’adore ton air romantique ! Quand tu dis « cosinus », t’es magnifique !
Dragan
Dis-moi, tu travailles ?
Sarah
Ben oui, je travaille.
Dragan
Je peux savoir ce que tu révises ?
Sarah
Euh. . . L’histoire. . .
Dragan
Quoi exactement ?
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SECONDE A
L OVE M E A GAIN
Sarah
Euh. . . Le cours de Monsieur El Alami. J’adore ce prof ! Il est captivant, il m’emporte.
Dragan
Il t’emporte ?
Sarah
Ben oui, il m’emporte. Avec lui, je comprends mieux les choses, je comprends
le monde. J’ai l’impression de devenir intelligente. Tout ce qu’il a raconté, par
exemple, sur les contradictions du bloc communiste, c’est marrant, j’ai tout retenu, c’est comme si j’y étais.
La narratrice
Dragan sourit, goguenard.
Dragan
J’aimerais bien t’entendre.
Sarah
Pas de problème. En fait, tout commence avec les démocraties populaires européennes qui réclament de plus en plus de libertés et d’autonomie. Forcément, ça
crée des remous et plusieurs mouvements nationaux sont écrasés. Mais en juin
1953, pof, terminé, la révolte de Berlin-Est est réprimée. Du coup, ça entraîne en
1954 l’adhésion de la RFA à l’OTAN et, forcément, en réaction, la création du
pacte de Varsovie. Là, on est en 1955. Tu me suis ?
La narratrice
Dragan opine du bonnet.
Sarah
Bon, je reprends. A Budapest, très exactement le 24 octobre 1956, pan ! une grosse
grosse insurrection antistalinienne éclate. Ce qui fait que Imre Nagy, qui vient
d’être nommé chef du gouvernement, le pauvre, il est fait, il a plus le choix : il
autorise le multipartisme. Mais c’est encore pire ! Et pourquoi ? Parce que le 3
novembre, retiens cette date, le 3 novembre, la dissidence hongroise est terrassée
par les chars soviétiques : Et que devient Nagy ? Je te le donne en mille. Il est
pendu, haut et court. Mon pauvre chéri, c’est dans ton coin, tout ça ?
-3-
Dragan et Sarah se lèvent, se croisent pour s’échanger leur place, se rassoient.
Puis, de nouveau, ils regardent droit devant eux.
La narratrice
Ça y est ! les résultats du bac sont tombés. Sarah et Dragan dînent au restaurant. . .
Sarah
Allez, champagne !
Dragan
Vraiment ? Tu veux fêter ça ?
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6
SECONDE A
L OVE M E A GAIN
Sarah
Absolument ! Une mention très bien, ça s’arrose, non ?
Dragan
Mais toi. . .
Sarah
Quoi, moi ?
Dragan
Tu as. . . Tu as. . .
Sarah
Raté ?
La narratrice
Dragan, gêné, ne sait pas quoi dire.
Sarah
Mais t’inquiète pas ! Ce qui compte, c’est que tu l’aies eu, toi ! Moi, pour ce que je
veux faire, j’en ai pas besoin, du bac !
Dragan
Mais tu voulais pas faire psy ?
Sarah
C’est bouché !
Dragan
Et avocate ? T’as laissé tomber ?
Sarah
C’est pire ! Non, écoute-moi, c’est vraiment la peinture que j’aime. C’est là, dans
mes tripes. Je suis sûre que je suis faite pour ça, que je suis née pour ça.
Dragan
Qu’est-ce que j’entends, elle veut être peintre maintenant ? !
Sarah
Parfaitement, je veux être peintre !
Dragan
Et tu t’es découvert peintre comment ?
Sarah
Dans un DVD !
Dragan
Tu m’aurais dit un musée. . .
Sarah
Tu m’énerves avec tes musées ! La vie, c’est pas dans les musées. Frida Khalo,
elle, elle s’en foutait des musées, elle peignait avec son cœur.
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7
SECONDE A
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Dragan
Pourquoi tu me parles tout d’un coup de Frida Khalo ?
Sarah
Mais c’est le DVD !
Dragan
Le DVD ?
Sarah
En fait, j’avais un bon à France Loisir, j’ai pris ce qu’il y avait. Au départ, bof. . .
Mais finalement, bonne pioche ! c’était génial ! je me suis complètement retrouvée
dans la nana ; c’était moi. Tu sais qu’elle a eu un accident de voiture comme moi ? !
qu’elle a été plâtrée comme moi ? ! Il y a vraiment quelque chose. . . et en plus,
j’oubliais, elle est petite comme moi !
Dragan
T’as perdu ton temps, alors, au LMA ?
Sarah
Non, je suis pas d’accord. Pas du tout d’accord. Au contraire, j’ai énormément,
énormément progressé ici. Et j’ai appris. Et tu sais ce que j’ai appris en premier ?
Dragan
Non ?
La narratrice
Sarah se frappe la poitrine.
Sarah
Moi ! Je me suis découverte. Avant le LMA, j’étais rien, un fantôme. Regarde-moi,
un fantôme.
Dragan
Un fantôme, n’exagère pas !
Sarah
Oh non, je n’exagère pas ! Tu peux pas savoir ce que je ressentais à l’intérieur
de moi. J’étais rien, j’étais perdu, j’avais aucune confiance en moi. Quand je suis
arrivée ici, tout a changé. La petite fille est morte.
La narratrice
Dragan comprend au premier degré.
Dragan
La petite fille est morte ? !
Sarah
Morte mais ressuscitée ! (chantant un passage de la chanson de Nicole Croisille :
« une femme avec toi ») Je me suis enfin sentie : femme, femme. . . Oui, une femme
est née, Dragan. Une vraie femme. Avec ses doutes, ses craintes, ses excès, ses hormones, ses peurs, ses joies, ses certitudes, ses fantasmes, ses manies, ses caprices,
ses folies. . . (rechantant) Je me suis enfin sentie : femme, femme. . .
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SECONDE A
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Dragan
Mais le rapport avec le LMA ?
Sarah
Parfois, il faut faire quelque chose pour comprendre que c’était pas ça qu’on voulait faire, Dragan. Je n’ai plus de regret. J’ai compris.
La narratrice
Sarah soulève son verre.
Sarah
Buvons !
-4-
Dragan et Sarah se lèvent, se croisent pour s’échanger leur place, se rassoient.
Puis, de nouveau, ils regardent droit devant eux.
La narratrice
Son bac en poche, Dragan s’est inscrit à la Sorbonne. Les études de philosophie le passionnent. Il en oublierait presque sa chérie. . .
Sarah
Tu veux pas m’accompagner au BHV ? Il y a les jours J jusqu’au 21.
Dragan
Désolé, j’ai un petit truc à finir.
Sarah
C’est quoi ton truc ?
Dragan
Un texte à commenter.
Sarah
Et c’est quoi ce texte ?
Dragan
Une réflexion d’un philosophe. . . Kierkegaard.
Sarah
C’est qui encore celui-là ?
Dragan
Tu peux pas comprendre. . .
Sarah
Mais si, parle, dis-moi, je t’écoute, là. . . Allez, vas-y.
Dragan
La question que pose Kierkegaard, c’est qu’est-ce que le devoir. Pour la majorité des personnes, comme toi par exemple, le devoir est une contrainte. Ce mot
désigne donc l’action sur notre volonté d’un commandement auquel nous obéisCLASSE DE SYLVIE NORDHEIM
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SECONDE A
L OVE M E A GAIN
sons de mauvais gré. Dans le meilleur des cas, il semble être l’expression d’exigences, si tu préfères, que nous peinons à réaliser complètement, définitivement.
Or, Kierkegaard montre que ces conceptions sont erronées, et que ces erreurs ont
pour conséquence de nous faire mal vivre. Le devoir est, en vérité, l’expression de
notre nature la plus intime. Bien sûr, je l’admets, cette thèse a de quoi surprendre,
dans le sens où elle sous-entend que remplir ses obligations permet de manifester
ce que l’on est vraiment, et donc de s’épanouir.
Sarah
C’est de toi ?
Dragan
Oui, c’est un premier jet. . .
Sarah
Tu l’as écrit ?
Dragan
Oui, oui, je l’ai écrit.
Sarah
T’as pas mal à la tête ?
Dragan
Ça va.
Sarah
Dis-moi, t’as mis combien de temps ?
Dragan
Je bosse depuis au moins une semaine. . .
Sarah
Tu vas pas me dire que c’est pour ça qu’on est pas allés à l’avant-première ?
Dragan
Quelle avant-première ?
Sarah
Qu’on a eue avec le ticket gagnant à Flunch ! T’imagines, Jude Law, il est venu
jusqu’à Paris présenter son film ! Jude Law, en personne !
Dragan
Et alors ?
Sarah
Jude Law ! C’est rare un Américain qui vient à Paris. . .
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SECONDE A
L OVE M E A GAIN
- 5 - Dragan et Sarah se lèvent, se croisent pour s’échanger leur place, se rassoient.
Puis, de nouveau, ils regardent droit devant eux.
La narratrice
Comme vous l’avez constaté, Sarah ne partage pas forcément les goûts de Dragan. Sarah,
c’est une artiste. . . D’ailleurs, Dragan va enfin le comprendre. Nous sommes maintenant
en plein vaudeville ! Seul sur scène, Dragan ouvre différentes portes, à la recherche de
Sarah. . .
Dragan
Houhou ! Sarah ! Ma chérie ! Ma colombe ! T’es perchée où ?
La narratrice
Face à l’embrasure de la porte qu’il vient d’ouvrir, Dragan, horrifié, recule, avant de
revenir au centre de la scène et s’effondrer dans un fauteuil. Sarah finit par apparaître.
Sarah
T’es là, mon lapin ?
Dragan
Que fait cet homme nu dans notre chambre ?
La narratrice
Sarah d’abord ne comprend pas.
Sarah
Cet homme nu ? Ah ! tu veux parler de Fabio ?
Dragan
Fabio ?
Sarah
Fabio ! le cousin de Monsieur Silvo !
Dragan
Le professeur d’espagnol ?
Sarah
Oui, le professeur d’espagnol.
Dragan
Et qu’est-ce que fait son cousin ici, à la maison, et sans rien ?
Sarah
Figure-toi que Monsieur Silvo, il adore l’art et il a voulu m’aider : il m’a présentée
à son cousin.
Dragan
Pourquoi faire ?
Sarah
Ben c’est un outil de travail ! C’est mon matériel ! Quand t’écris, t’as besoin d’un
stylo ; moi, c’est pareil !
CLASSE DE SYLVIE NORDHEIM
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SECONDE A
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Dragan
Le cousin, le stylo. . .
Sarah
Tu comprends rien : il est modèle professionnel ! Et en plus, en nu ! On voit bien
que tu connais pas le monde de l’art. Les nus, c’est hyper demandé et hyper cher !
C’était une chance dingue pour moi, et je l’ai saisie !
La narratrice
Ce que Sarah ne dit pas, c’est qu’elle avait d’abord demandé au professeur de maths,
Monsieur Cadelis, dont la plastique proche de la perfection l’avait interpelée. D’autres
professeurs s’étaient spontanément proposés mais lui avait refusé.
Dragan
Tu fais du nu maintenant ?
Sarah
Ben oui, le nu, c’est le B.A.BA. C’est la base. Les courbes d’un homme, c’est pas
évident, crois-moi.
Dragan
Arrête ! Je veux pas savoir !
Sarah
Mais moi, je veux que tu saches, que tu comprennes mon travail, que je suis en
train de devenir quelqu’un et pas n’importe qui. . .
Dragan
Pff !
Sarah
Parfaitement ! Tu sais que j’ai vendu mon triptyque ?
Dragan
A qui ?
Sarah
Au traiteur, celui qui est en bas !
La narratrice
Dragan hurle de rire.
Sarah
Tu peux rire ! Moi, au moins, je commence à percer.
-6-
Dragan et Sarah se lèvent, se croisent pour s’échanger leur place, se rassoient.
Puis, de nouveau, ils regardent droit devant eux.
La narratrice
Ce qui n’est malheureusement pas le cas de Dragan. Quelques semaines plus tard, nous
le retrouvons, ivre de colère, déchirant en menus morceaux une lettre.
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SECONDE A
L OVE M E A GAIN
Sarah
Pourquoi tu déchires cette lettre ?
Dragan
Ils ont rien compris, rien. Mon Dieu ! Dans quel monde vivons-nous ! C’est un
cauchemar ! Quelle indigence ! Quelle famine !
Sarah
Une famine. De quoi tu parles ?
Dragan
Mais ouvre les yeux, bon sang ! On est retourné dans l’âge de fer, Sarah. T’entends ? L’âge de fer !
Sarah
Quel âge de fer ?
Dragan
Relis Platon. Les délirants dictent la loi, les estropiés mènent la danse, les sourdingues donnent le la ! On est dans une confusion totale !
Sarah
C’est toi qui es pas clair !
Dragan
Oh que si, je suis clair ! Je vois parfaitement dans leur jeu. On veut faire de moi
une catin !
Sarah
Une catin ?
Dragan
Parfaitement, une catin ! Mais c’est mal me connaître. Non, je ne suis pas à vendre,
Monsieur !
La narratrice
Sarah se retourne, cherche des yeux le « Monsieur ».
Sarah
Quel monsieur ?
La narratrice
Incapable de continuer, Dragan fond en larmes et laisse tomber les morceaux de la lettre
que Sarah ramasse et déchiffre.
Sarah
« Compte tenu des réticences que vous exprimez concernant les modif. . . » Oh
zut ! T’as tout déchiré !
Dragan
Modifications ! Trahisons ! Non, Monsieur, vous ne m’aurez pas avec vos noirs
enchantements, vos roucoulades, vos ronds de jambes ! J’avance, sabre au clair, et
lorsque les lansquenets sont avec moi, Robert de Baudricourt, Gilles de Rais, Jean
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SECONDE A
L OVE M E A GAIN
Moulin, je ne peux pas décevoir tous ces hommes ! Pas de compromissions avec
le monde corrompu de l’idiotie institutionnelle, Monsieur ! Nous ne mangeons
pas dans la même écuelle ! Heissa ! Wie schneit der Tod !Sarah
Tu vas pas te mettre à parler yougoslave maintenant ! Dis-moi plutôt ce qui se
passe !
La narratrice
Dragan, figé dans sa pose, ne répond pas.
Sarah
C’est ton roman ? Il va pas ?
La narratrice
Dragan refuse de parler.
Sarah
Ecoute, ils étaient prêts à le prendre. C’est qu’il doit être pas mal. A mon avis, il
manque un peu. . . Un peu d’action. . .
Dragan
J’écris pas des James Bond.
Sarah
Il y a quand même de la marge entre un James Bond et ton gars en tête à tête avec
le fantôme de Dante sur une plage bretonne.
Dragan
Toute la subtilité se trouvait là. Je réconciliais enfin la civilisation latine à la mythologie celte.
Sarah
Ecoute-moi. Il suffit de très peu de choses pour que ton bouquin fonctionne. Tu
sais ce qui manque ?
La narratrice
Dragan prend un air sceptique.
Dragan
Quoi ?
Sarah
Une femme ! Et une jolie ! Ça, ça plaît au lecteur !
Dragan
J’écris pas des romans de gare !
Sarah
Sans tomber jusque-là ! Ton fantôme, c’est obligé que ce soit un homme ?
Dragan
Mais c’est Dante !
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SECONDE A
L OVE M E A GAIN
Sarah
Et si c’était la copine de Dante ?
Dragan
Béatrice ?
Sarah
Béatrice, Bénédicte, tu l’appelles comme tu veux. . . Elle pourrait. . .
La narratrice
Soudain inspiré, Dragan, dont le visage est métamorphosé, semble être sous l’emprise
d’une hallucination.
Dragan
Mais c’est lui qui serait Dante ! Elle réveillerait en lui le poète !
La narratrice
Dragan rayonne.
Dragan
Tout d’un coup, il retrouverait l’inspiration, se mettrait à écrire, . . .. Ah ! je vois la
scène ! Je vois ! je vois ! Ah ma douce colombe, ma petite loutre, que deviendrais-je
sans toi ?
-7-
Dragan et Sarah se lèvent, se croisent pour s’échanger leur place, se rassoient.
Puis, de nouveau, ils regardent droit devant eux.
La narratrice
Quelques mois passent. Nous retrouvons Dragan, ouvrant une lettre qu’il lit avant de
fondre en larmes. Sarah apparaît et le surprend ainsi.
Sarah
Ben, qu’est-ce qui t’arrive, mon lapin ?
La narratrice
Dragan, pleurant toujours, est incapable de répondre.
Sarah
Oh ! c’est pas encore tes éditeurs ! Tu vas pas te mettre à chaque fois dans un état
pareil quand on te refuse ton livre ! D’abord, le refus, ça fait partie du jeu.
La narratrice
Trop ému, Dragan tend la lettre à Sarah qui la saisit, presque de mauvaise grâce.
Sarah
Moi, j’ai surtout envie de te la mettre à la poubelle.
La narratrice
Dragan lui signifie par un geste de la main qu’elle ne doit surtout pas faire ça.
Sarah
Bon, OK, OK, on lit. « Monsieur, Vous avez fait preuve d’une rare intelligence
et nous vous en remercions. Car vous avez admis, compris nos critiques et su
CLASSE DE SYLVIE NORDHEIM
15
SECONDE A
L OVE M E A GAIN
admirablement réagir en remaniant adroitement votre manuscrit. Bravo ! L’introduction de ce personnage féminin, quel coup de génie ! Et votre héros qui, en
contrepoint, se révèle à lui-même ! Quelle idée ! Nous avons tous été enthousiasmés à la première lecture de ce texte si singulier et qui annonce déjà un style, un
vrai style. Il va sans dire que nous le publierons à la rentrée littéraire et qu’il figurera parmi nos meilleurs espoirs. » C’est top ! Tu vois, dès qu’il y a une nana, ça
change tout !
La narratrice
Dragan lui reprend la lettre, agacé.
Dragan
C’est pas « les feux de l’amour » non plus !
Sarah
N’empêche, leurs scénarios, ils tiennent la route !
Dragan
Mais mon histoire n’a rien à voir avec ça ! Rien à voir ! C’est pas comparable. De
toute façon, tu peux pas comprendre !
Sarah
Comment, je peux pas comprendre ? ! C’est pas moi qui t’ai donné l’idée peutêtre ? J’ai pas ton QI mais je connais la vie. Et je connais le business. On va être
riches avec ton livre, non ?
Dragan
Riches ? !
Sarah
Ben oui ! Ça va te rapporter de l’argent, j’imagine ?
Dragan
Mais ma pauvre amie, t’imagines très mal : on gagne rien dans la littérature !
Sarah
Ah bon ? Concrètement, ça te sert à quoi, d’écrire, alors ?
Dragan
Désolé, je ne raisonne pas comme toi. Nous ne sommes pas dans la même dimension.
Sarah
Je suis une artiste aussi, je te rappelle. Mais quand il faut manger, je sais où est le
ratelier. Je peux être perchée là-haut mais être aussi sur terre.
Dragan
Parce que tu crois qu’avec ta peinture, on va mener la grande vie ? !
Sarah
Parfaitement. Je commence à maîtriser.
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16
SECONDE A
L OVE M E A GAIN
Dragan
Tu maîtrises quoi ?
Sarah
Le monde des affaires. Avec Monsieur Moreau, j’ai été à bonne école. Il m’a bien
expliqué le marché. J’ai vendu Océan Rouge.
Dragan
Océan Rouge ?
Sarah
Mon 4 par 3. Ma grande toile.
Dragan
À qui t’as vendu ça ?
Sarah
À Madame Noël-Jothy.
Dragan
Carrément ? À la proviseure du LMA ?
Sarah
Ben oui, figure-toi que je suis partie avec mes tableaux sous le bras à la mairie.
Dragan
La mairie ? Quelle mairie ?
Sarah
Ben la grande mairie, sur la grande place. Je voulais savoir s’il y avait une salle
de libre à la BNF.
Dragan
Et pourquoi pas le Louvre, pendant que tu y es ?
Sarah
Rigole ! Tu verras !
Dragan
OK. Quel rapport avec Noël-Jothy ?
Sarah
Elle était là, et puis bien là. Oh la la, quand elle veut quelque chose, elle lâche
rien ! Elle a fait un de ces baroufs au service des cours municipaux !
Dragan
Et pourquoi ce barouf ?
Sarah
Mais pour obtenir plus de moyens pour les auditeurs. Ah, c’est une sacrée femme !
Une femme de tête !
Dragan
Mais comment tu lui as vendu ton grand tableau ?
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SECONDE A
L OVE M E A GAIN
Sarah
Il était sur le toit de la voiture !
Dragan
Tu lui as montré ?
Sarah
Tout le monde le voyait ! Elle a adoré !
-8-
Dragan et Sarah se lèvent, se croisent pour s’échanger leur place, se rassoient.
Puis, de nouveau, ils regardent droit devant eux.
La narratrice
Le temps passe, le couple résiste malgré certaines divergences. Il semblerait même que
tout va pour le mieux : Sarah rentre à la maison et découvre avec surprise-et joie- une
multitude de chandelles allumées.
Sarah
Oh comme c’est mignon, mon petit mulot ! Tu nous a fait un dîner aux chandelles ? Qu’est-ce qu’on fête ?
Dragan
Rêve pas ! Ce soir c’est chips coca !
Sarah
Pas grave, mon chaton. C’est l’intention qui compte. Bon, je vais aller me faire
belle et, d’abord, prendre une douche. . .
Dragan
Non, laisse tomber. . .
Sarah
Pourquoi ?
Dragan
Il y a plus d’eau chaude.
Sarah
T’as vidé le ballon ?
Dragan
On nous a coupé l’électricité.
Sarah
Quoi ? !
Dragan
On nous a coupé l’électricité.
Sarah
Mais t’as pas fait le virement ?
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SECONDE A
L OVE M E A GAIN
Dragan
Non, j’avoue. Mais ça va s’arranger. . .
Sarah
Mais comment ?
Dragan
Monsieur Bensadoun.
Sarah
Quoi Monsieur Bensadoun ?
Dragan
Monsieur Bensadoun, c’est tout.
Sarah
T’en as trop dit ! Raconte !
Dragan
Eh bien, je l’ai rencontré chez Decathlon. Il achetait une pompe pour son vélo.
Sarah
Et qu’est-ce que tu foutais à Décathlon ?
Dragan
Je regardais les tentes. . .
Sarah
Pourquoi ?
Dragan
De nos jours, on est sûr de rien. Il vaut mieux être prévoyant. . .
Sarah
Sérieux ? ! Tu comptais nous faire dormir sous une tente ?
Dragan
C’est bientôt la fin de la trêve hivernale.
Sarah
T’as pas payé le loyer ?
Dragan
Monsieur Bensadoun peut nous loger dans une de ses yourtes en Auvergne. Il
tient une coopérative solidaire.
Sarah
Réponds. Tu n’as pas payé le loyer ?
Dragan
C’est une nouvelle économie : la décroissance. Ça va nous sauver !
Sarah
Change pas de sujet. Tu n’as pas payé le loyer ?
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SECONDE A
L OVE M E A GAIN
La narratrice
Dragan ne répond rien.
Sarah
Depuis combien de temps ?
La narratrice
Dragan, toujours muet, déplie ses doigts l’un après l’autre en hésitant.
Sarah
Six mois ? ! Mais t’as pas touché des droits d’auteur ?
Dragan
Il faut en vendre, déjà, des livres ! Qu’est-ce que tu crois ? On est pas dans le même
circuit ! Tu vends des tableaux en direct. Pas moi !
Sarah
Oui, mais moi, je suis allée au front ! Et le fric que je t’ai viré ? Qu’est-ce que t’en
as fait ?
Dragan
J’en ai envoyé une partie à ma famille.
Sarah
Qu’est ce qu’ils font de cet argent ?
Dragan
Ils ont acheté des cochons !
Sarah
Des cochons ? Pour quoi faire ?
Dragan
Ben. . . pour. . . pour manger. . .
Sarah
Et je suis censée nourrir tous les Balkans ?
Dragan
Il y a pas de honte à ça ! C’est noble !
Sarah
Et qu’est-ce qu’on a en retour ?
Dragan
Le plaisir de savoir les miens à l’abri du besoin.
Sarah
Et c’est nous qui devons nous sacrifier ? T’aurais pu me demander mon avis ?
La narratrice
Silence de Dragan.
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SECONDE A
L OVE M E A GAIN
Sarah
T’entends ? Moi aussi, Yalla, je peux nourrir tout un bled, avec mes cousins, mes
cousines, mes tantes, mes belles-mères. . .. Je te demande ouala, nada, niet, nothing, rien. Je me débrouille, je retrousse mes manches, je vends mes tableaux, je
suis pas là à me cacher derrière des feuilles. . . des feuilles blanches. . .
Dragan
Qu’est-ce que tu veux dire par « feuilles blanches » ?
Sarah
T’as compris. Tu vois bien que ça marche pas, ton écriture.
Dragan
Comment ça ?
Sarah
Mais ça rapporte rien, tes bouquins !
Dragan
L’argent ! L’argent ! T’as que ce mot à la bouche !
Sarah
Encore heureux ! Il faut bien qu’il y en ait un de nous deux qui ait les pieds sur
terre. D’abord, c’est vachement important pour un artiste de regarder ce qu’il y a
autour de soi, de comprendre comment le monde évolue. C’est ça, d’ailleurs, qui
pêche dans tes bouquins. T’es has been, t’écris comme au Moyen-Âge. Et puis, tes
histoires. . .. tes histoires. . .. Qui lit ce genre d’histoires aujourd’hui ? Il faut que je
relise au moins trois fois ma page pour piger quelque chose. Cherche pas, c’est
pour ça que personne n’achète.
Dragan
Tu me trouvais pourtant doué, au début.
-9-
Dragan et Sarah se lèvent, se croisent pour s’échanger leur place, se rassoient.
Puis, de nouveau, ils regardent droit devant eux.
La narratrice
Là ! Tout se complique ! Nous aimerions tant que cette belle histoire continue. Hélas,
chères spectatrices, chers spectateurs, nous ne sommes pas dans un conte de fées. Mais je
vous laisse le découvrir par vous-mêmes.
Sarah
Mon cher Dragan
C’est vrai que j’ai cru en toi. Je n’oublierai jamais notre première rencontre. Tu
m’avais bluffée par ta poésie et ta gestuelle. Tout de suite j’ai été séduite par
ton esprit brillant. Tu m’as élevée intellectuellement et je t’en remercie. Mais
j’avoue, cette dernière année, toutes nos querelles qui n’ont cessé de s’amplifier
ont fini par m’épuiser. Tu vois bien que nos avis divergent sur tout et que nous ne
sommes plus sur la même longueur d’ondes. Je ne te comprends plus, ou alors
nous ne sommes plus sur le même tempo. Est-ce moi qui marche trop vite ou
toi pas assez ? Je n’en sais rien mais c’est sûr que nous ne pouvons plus continuer
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SECONDE A
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comme ça. Tu ne sors plus, tu ne ris plus, tu ne vois plus personne, tu t’es enfermé
dans tes écrits et moi, je ne veux pas plonger dans ta noirceur, ta déprime qui me
pollue. Je préfère la fuir car j’aime trop la vie. Ne m’en veux pas.
Sarah
Dragan
Ma chère Sarah,
Je sens bien que tu ne me vois plus comme avant et je le regrette infiniment. Je
t’ai aimée au premier regard et t’ai voué un amour sans égal. Tu étais ma flamme,
mon souffle. Je te cherchais à travers les lignes dont je noircissais mes cahiers, je te
cherchais à travers tous ces personnages qui peuplaient mes romans et ne t’arrivaient malheureusement pas à la cheville. Car tu portes en toi la vie, cette étincelle
dont manquent cruellement mes pauvres êtres de papier. Tu as sans doute raison,
je ne suis qu’un piètre écrivaillon qui n’est même pas capable de payer une facture d’électricité. J’ai donc décidé de te quitter et d’aller par les routes, la tête au
vent, au gré de mon infortune, sur les pas de tous ceux qui m’ont précédé, Villon,
Rousseau, Rimbaud et tous les pauvres incompris dont je suis. Ne m’oublie pas,
Dragan
- 10 - Dragan et Sarah se lèvent, se croisent pour s’échanger leur place, se rassoient.
Puis, de nouveau, ils regardent droit devant eux.
La narratrice
(pleurant et se mouchant dans un énorme mouchoir) Excusez-moi, j’ai beaucoup de mal.
Je m’étais attachée à ces deux-là. (facétieuse, prend soudain une expression rayonnante)
Ah Ah ! Mais la vie nous réserve parfois des surprises et des belles surprises. Oui, Madame Noël-Jothy a eu la bonne idée de réunir les anciens auditeurs du LMA.
Dragan et Sarah se heurtent de plein fouet. . .
Dragan et sarah
Aïe !
La narratrice
. . . au milieu de la scène alors qu’ils se dirigent chacun dans une direction opposée.
Sarah
Dragan !
Dragan
Sarah ! Que fais-tu là ?
Sarah
Et toi ? J’y crois pas ! Quelle allure !
Dragan
Merci ! Mais tu es resplendissante aussi !
Sarah
Merci !
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SECONDE A
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La narratrice
Ils restent, bouche bée, sans savoir quoi dire tant ils sont émus.
Dragan et sarah
Mais. . .
Dragan
A toi. . .
Sarah
Non non, à toi, commence. . .
Dragan
Mais commencer par où ? il y a tellement de choses à dire, de temps qui est
passé. . .
Sarah
Ça fait bien. . . attends, cinq ans qu’on s’est pas vus, non ?
La narratrice
Dragan compte sur ses doigts.
Dragan
Laisse moi compter. . . Il y a eu Le Sommeil des mouches, Quand valse le monde,
Les Rires gras, Dieu est mort. . .
Sarah
C’est quoi, tout ça ?
Dragan
Oh rien rien ! je me comprends ! Ce sont mes romans, c’est ma façon à moi de me
repérer dans le temps. . .
Sarah
T’as écrit tout ça, depuis qu’on s’est quittés. . .
Dragan
Pas seulement ça, j’écris aussi des pièces, des articles. . .
Sarah
Waouh ! C’est génial ! Mais t’es connu alors ?
Dragan
Sur la scène littéraire, oui, mais ce n’est pas un stade : nous n’avons jamais le
succès des footballeurs. . .
Sarah
Remarque, c’est pareil pour la peinture. . .
Dragan
Tu as continué ?
Sarah
Plutôt ! J’ai une expo à New-York en ce moment !
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SECONDE A
L OVE M E A GAIN
Dragan
Tiens donc, j’y vais la semaine prochaine, pour signer mon dernier livre. . .
Sarah
T’es traduit ?
Dragan
Oui, Madame Nasseripour, tu sais, la prof d’anglais au LMA, m’a traduit tous
mes ouvrages. Elle fait un travail remarquable.
Sarah
C’est marrant, moi aussi, j’ai demandé à une prof d’anglais du LMA, tu sais, la
belle brune toute pétillante, Madame Dhane, c’est elle qui m’a traduit mon catalogue. . . Et puis, il y a aussi Monsieur Moreau qui m’aide encore, il est vraiment
cool. Il m’a complètement ouvert le marché international, il connaît les rouages
par cœur.
Dragan
Formidable !
Sarah
Oui, formidable !
La narratrice
De nouveau, Dragan et Sarah se regardent, sans mot dire, étreints par l’émotion.
Dragan et sarah
Mais. . .
La narratrice
Dragan et Sarah rient, confus, heureux.
Sarah
T’as vu, rien n’a changé.
Dragan
Oui, il y a toujours Gérard à l’accueil et Mustapha a finalement gardé son poste.
Sarah
Fais pas semblant de ne pas comprendre : rien n’a changé.
La narratrice
Sarah et Dragan se regardent, bouleversés.
Sarah
Tu te souviens, le si beau poème que tu m’as lu ici ?
Dragan
Je peux bien te le dire maintenant, c’était la recette du tcheva pitché de ma grandmère.
Sarah
C’est quoi ce truc-là ?
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SECONDE A
L OVE M E A GAIN
Dragan
Un truc bien bourratif de par chez nous, des boulettes de viande avec du chou. . .
Sarah
Du chou ? Tu m’en as pas parlé. . .
Dragan
Tu m’as inspiré, j’ai tout inventé.
Sarah
Mais c’est merveilleux ! mais t’es un immense poète, Dragan !
Dragan
C’est seulement maintenant que tu t’en rends compte ?
La narratrice
Dragan et Sarah rient.
Dragan
Tu fais quoi, là ?
Sarah
Madame Noël-Joty m’a conviée à une journée portes ouvertes pour que je puisse
parler de mon parcours depuis le LMA. Toi pareil, je suppose ?
Dragan
Pareil.
Sarah
Toi, ça se comprend mieux, tu as eu ton bac.
Dragan
Rappelle-toi ce que tu m’as dit à l’époque. Tu t’es découverte ici. Jusque-là, tu
avais eu l’impression de ne pas exister, de n’être qu’un fantôme. . .
Sarah
Tu te souviens de tout ça ?
La narratrice
Dragan est un peu gêné.
Dragan
Oui. . .
Sarah
Ce que je ne savais pas à l’époque, c’est que LMA m’a apporté bien plus que ça.
Dragan
Ah oui ?
Sarah
J’ai connu l’amour, le vrai. Le seul qui ait compté dans ma vie, Dragan.
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SECONDE A
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Dragan
Vraiment ? Oh ma colombe, moi non plus, je ne t’ai jamais oubliée. Tu es toujours
restée ma dame au fond de mon cœur.
Sarah
Oh mon mulot ! Dis-moi que je ne rêve pas ?
Dragan
Tu ne rêves pas, ma biche. Tu sais, maintenant, j’ai les pieds sur terre. Je vends
beaucoup et je suis devenu un bon parti.
Sarah
Est-ce une proposition ?
Dragan
Oui, mon cœur. Ce n’est pas un hasard si nous nous sommes retrouvés aujourd’hui. LMA, Sarah.
Sarah
LMA ?
La narratrice
Dragan trace les lettres capitales avec son doigt en l’air.
Dragan
Love Me Again.
Sarah
Love Me Again ?
La narratrice
Love Me Again !
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SECONDE A

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