Les ciments : "Ciment romain" ou ciment naturel

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Les ciments : "Ciment romain" ou ciment naturel
extrait
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Introduction « Ciment romain » ou ciment naturel ?
Le mot ciment* est tabou dans le monde de la conservation du patrimoine
depuis trente ans, sauf dans la rubrique «matériaux prohibés».
Pour qui a entendu sur les bancs de l’école de Chaillot, aujourd’hui cedhec,
les anathèmes d’Yves-Marie Froidevaux, ce matériau est le diable du monde
moderne : dur, compact, imperméable, plein de sels solubles, il porte la ruine
au sein du monument. La chose est dite. S’il est a≠ublé en revanche des
épithètes « romain » ou « naturel », il reprend ses lettres de noblesse, le premier
en raison des références antiques qu’il semble porter, le second, parce que
le naturel a généralement bonne presse chez les responsables du patrimoine,
comme les produits « bio » chez le Français moyen.
Cependant, si les termes apparaissent
fréquemment dans les archives de la
construction et de la restauration au xixe siècle,
leur signification réelle est aujourd’hui peu
claire. Qui sait encore vraiment que le «ciment
romain »* n’a rien à voir avec les bâtisseurs
de l’Antiquité, ou que le célèbre ciment de
Molesmes est très proche du ciment prompt
de la région de Grenoble ? Qui sait encore que
ce matériau n’a ni la couleur grise des ciments
Portland ni le beige rosé des mortiers antiques,
mais qu’il prend un ton « chamois » proche
de celui de certaines pierres ?
L’intérêt pour le patrimoine du xixe siècle
et pour les techniques de restauration
de cette période a suscité ces dernières années
des études à la fois historiques et scientifiques
sur ces ciments aussi mal connus que mal
nommés. Ce dossier, qui rassemble
les principaux résultats de ces travaux,
comprend deux parties complémentaires :
la première porte sur le «ciment romain»
et ses applications en restauration avec l’article
d’Amandine Royer, qui fait la synthèse
d’une monographie de l’École du Louvre,
réalisée sous ma direction, et l’article
de Véronique Vergès-Belmin
et Christophe Gosselin sur la caractérisation
de ce même matériau abondamment employé
au xixe siècle dans la restauration
de la cathédrale de Bourges.
La seconde comprend les résultats d’un travail
de thèse en histoire de l’architecture, e≠ectué
par Cédric Avenier sur les églises construites
en ciment naturel* dans la région grenobloise,
suivis de ceux d’Emmanuel Cailleux, qui
a mené une recherche scientifique approfondie
sur les ciments naturels, les méthodes
d’identification et les altérations de ce matériau
largement utilisé dans le bâti de cette région.
Cette dernière étude a été conduite dans
le cadre du Cercle des partenaires du
patrimoine et a été soutenue par le groupe
Vicat, qui produit toujours ce type de ciment.
Redécouverte ou mise à jour des connaissances,
ces quatre articles permettront au lecteur
de se faire une idée plus précise sur un matériau
qui a constitué pour son temps une révolution
technologique, et qui mérite d’être mieux
connu et reconnu.
1.
Figure 1
Cathédrale d’Amiens, quadrilobe
ornant le soubassement
du portail occidental. Un mortier
de réparation est nettement
visible depuis que le nettoyage
de l’édifice a été e≠ectué. À grain
fin, à la couleur proche de celle
de la pierre, il est employé pour
le modelé encore assez net des
visages, des mains, des pieds,
des genoux et des parties
des drapés. Il s’agit probablement
de « ciment romain ».
Ph. P. Thibaut, 2005.
Isabelle Pallot-Frossard
Conservateur général du patrimoine
Directeur du LRMH
* Certains termes techniques sont référencés
dans le glossaire, p. 108.
2.
Figure 2
Église de Roybon (Isère). Détail
d’une partie en ciment naturel.
Figure 4
Immeuble rue Condorcet,
à Grenoble. Décor en ciment
naturel. Détail d’un motif
végétal.
Photographies
Emmanuel Cailleux.
© Cercle des partenaires
du patrimoine/LRMH.
3.

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