Les ciments : "Ciment romain" ou ciment naturel
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Les ciments : "Ciment romain" ou ciment naturel
extrait 89 Introduction « Ciment romain » ou ciment naturel ? Le mot ciment* est tabou dans le monde de la conservation du patrimoine depuis trente ans, sauf dans la rubrique «matériaux prohibés». Pour qui a entendu sur les bancs de l’école de Chaillot, aujourd’hui cedhec, les anathèmes d’Yves-Marie Froidevaux, ce matériau est le diable du monde moderne : dur, compact, imperméable, plein de sels solubles, il porte la ruine au sein du monument. La chose est dite. S’il est a≠ublé en revanche des épithètes « romain » ou « naturel », il reprend ses lettres de noblesse, le premier en raison des références antiques qu’il semble porter, le second, parce que le naturel a généralement bonne presse chez les responsables du patrimoine, comme les produits « bio » chez le Français moyen. Cependant, si les termes apparaissent fréquemment dans les archives de la construction et de la restauration au xixe siècle, leur signification réelle est aujourd’hui peu claire. Qui sait encore vraiment que le «ciment romain »* n’a rien à voir avec les bâtisseurs de l’Antiquité, ou que le célèbre ciment de Molesmes est très proche du ciment prompt de la région de Grenoble ? Qui sait encore que ce matériau n’a ni la couleur grise des ciments Portland ni le beige rosé des mortiers antiques, mais qu’il prend un ton « chamois » proche de celui de certaines pierres ? L’intérêt pour le patrimoine du xixe siècle et pour les techniques de restauration de cette période a suscité ces dernières années des études à la fois historiques et scientifiques sur ces ciments aussi mal connus que mal nommés. Ce dossier, qui rassemble les principaux résultats de ces travaux, comprend deux parties complémentaires : la première porte sur le «ciment romain» et ses applications en restauration avec l’article d’Amandine Royer, qui fait la synthèse d’une monographie de l’École du Louvre, réalisée sous ma direction, et l’article de Véronique Vergès-Belmin et Christophe Gosselin sur la caractérisation de ce même matériau abondamment employé au xixe siècle dans la restauration de la cathédrale de Bourges. La seconde comprend les résultats d’un travail de thèse en histoire de l’architecture, e≠ectué par Cédric Avenier sur les églises construites en ciment naturel* dans la région grenobloise, suivis de ceux d’Emmanuel Cailleux, qui a mené une recherche scientifique approfondie sur les ciments naturels, les méthodes d’identification et les altérations de ce matériau largement utilisé dans le bâti de cette région. Cette dernière étude a été conduite dans le cadre du Cercle des partenaires du patrimoine et a été soutenue par le groupe Vicat, qui produit toujours ce type de ciment. Redécouverte ou mise à jour des connaissances, ces quatre articles permettront au lecteur de se faire une idée plus précise sur un matériau qui a constitué pour son temps une révolution technologique, et qui mérite d’être mieux connu et reconnu. 1. Figure 1 Cathédrale d’Amiens, quadrilobe ornant le soubassement du portail occidental. Un mortier de réparation est nettement visible depuis que le nettoyage de l’édifice a été e≠ectué. À grain fin, à la couleur proche de celle de la pierre, il est employé pour le modelé encore assez net des visages, des mains, des pieds, des genoux et des parties des drapés. Il s’agit probablement de « ciment romain ». Ph. P. Thibaut, 2005. Isabelle Pallot-Frossard Conservateur général du patrimoine Directeur du LRMH * Certains termes techniques sont référencés dans le glossaire, p. 108. 2. Figure 2 Église de Roybon (Isère). Détail d’une partie en ciment naturel. Figure 4 Immeuble rue Condorcet, à Grenoble. Décor en ciment naturel. Détail d’un motif végétal. Photographies Emmanuel Cailleux. © Cercle des partenaires du patrimoine/LRMH. 3.