La mort au courrier

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La mort au courrier
Série "LAmérique minquiète".
La mort au courrier
Quand il ne peut vraiment pas faire autrement, il dépose lui-même ses bombes à domicile. Mais il
préfère de beaucoup envoyer ses colis piégés par la poste. En seize ans, il a ainsi expédié, dans
tous les coins des Etats-Unis, quinze machines infernales savamment usinées qui ont fait vingt-trois
blessés et deux morts. Ses victimes sont des gens sans histoires, qui ont simplement en commun
dêtre professionnellement liés à des compagnies aériennes, des sociétés dordinateurs ou des
universités. Depuis le 25 mai 1978, quarante agents du FBI travaillent sans relâche sur cette affaire.
Malgré toutes ces années denquête, dont le coût sélève à plusieurs millions de dollars, ils nont pas
avancé dun pouce. Tout au plus ont-ils établi un profil psychologique et un portrait-robot du
maniaque quils ont baptisé « Unabom » (university/airline/bomb). Depuis 1984, Unabom est « the
most wanted man in America ». « Cest sans doute lun des plastiqueurs les plus imaginatifs et les
plus insaisissables que nous ayons jamais rencontrés », note un rapport interne du FBI. « Personne
ne lattrapera jamais, ajoute Lawrence Myers, un expert dans ce genre daffaires. La seule chose qui
terrassera ce type, cest la vieillesse. » Une perspective qui ne rassure nullement le bureau fédéral
puisque, daprès ses recoupements, Unabom aurait entre 30 et 40 ans. Autant dire que le
dynamiteur commence à peine sa carrière. Mais ce qui déroute le plus les enquêteurs, cest le
caractère imprévisible, incompréhensible de cet obsessionnel animé dun triple ressentiment contre
laéronautique, lenseignement et linformatique. Dans un désordre apparent, Unabom a
successivement plastiqué des sociétés dordinateurs, les universités dEvanston, de Salt Lake City,
de Nashville, de Berkeley, de San Francisco, dAnn Arbour et de New Haven, avant de mettre une
bombe dans un vol dAmerican Airlines, denvoyer des colis piégés au directeur dUnited et à lusine
Boeing dAuburn. A chaque fois les explosions ont fait de gros dégâts et surtout des blessés. A deux
reprises les machines dUnabom ont même tué. La première victime sappelait Hugh Scrutton. Le 11
décembre 1985, cet employé dun magasin de location dordinateurs de Sacramento, Californie, était
déchiqueté par une bombe dissimulée dans un paquet déposé devant la porte de service de son
commerce. « Scrutton est décédé à la suite de graves blessures à la poitrine, raconte un enquêteur
à "USA Today". Il y avait du shrapnel jusque sur le toit de limmeuble. Ce gars-là navait aucune
chance. » Le 10 décembre, Thomas J. Mosser, 50 ans, un cadre de lagence de publicité
Young&Rubicam, a trouvé une mort identique en ouvrant un colis piégé adressé à son domicile de
North Caldwell, New Jersey. En cherchant dans les dossiers de la victime, le FBI a découvert que
Mosser soccupait des budgets de plusieurs compagnies aériennes, ainsi que dentreprises comme
Xerox ou Digital Equipment. Aucun de ces attentats na été revendiqué. Unabom ne sest jamais
manifesté, na jamais rien réclamé. Il sest contenté à chaque fois de signer son travail. Ses bombes,
bourrées dune poudre assez rare, sont en effet dun genre très particulier. Elles sont presque
ouvragées comme des objets dart. Les coffrets en bois sont toujours minutieusement travaillés et
ajustés. A lintérieur, toutes les pièces de métal des mécanismes sont méthodiquement polies. Enfin,
lun des éléments de lengin est toujours gravé de deux lettres : F. C. Daprès le FBI, ces initiales
seraient labréviation de « fucking computer » (putain dordinateur). « Tout cela ne nous avance pas
à grand-chose, observe un enquêteur. Un plastiqueur en série de ce calibre na jamais aucune
relation, aucun contact avec ses victimes. Donc nous ne pouvons remonter aucune piste. » Il reste
au FBI à travailler sur le dossier psychologique quont établi des experts. Unabom aurait vécu à
Chicago et serait aujourdhui installé en Californie, à Sacramento ou à San Francisco. Ce serait un
voisin discret, poli, tiré à quatre épingles, entretenant sa maison ou son appartement avec un soin
Jean-Paul Dubois
Première publication : 29 décembre 1994
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maniaque, fréquentant quelques amis et occupant un emploi sans grand intérêt. Il jouirait
intérieurement de ses exploits, de sa capacité à fasciner les médias et à narguer la police. Il se
considérerait comme un vrai professionnel des explosifs, et chacun de ses attentats confirmerait son
excellence. « Un de ces jours, espère Bob Bell, shérif de Sacramento, on peut penser que ce gars-là
aura un accident en manipulant ses engins et que nous le retrouverons dans une salle durgence
dun hôpital. » En attendant, deux semaines après la mort de Mosser, et en ces périodes de fêtes où
le courrier abonde, le FBI, le Bureau de lAlcool, du Tabac et des Armes à Feu ainsi que les services
postaux ont donné aux Américains quelques éléments pour détecter les paquets douteux : « Les
substances chimiques des explosifs laissent souvent des taches sur le papier demballage. Il ny a
pas ladresse de lexpéditeur. Les colis sont généralement surtimbrés et non enregistrés dans un
bureau de poste. Les emballages sont parfois très rigides ou gonflés. » A lheure quil est, stimulé
par lintérêt quon lui témoigne, Unabom doit être en train dassembler les éléments de son nouveau
coffret. Ensuite, avec amour, il poncera les aciers de sa machinerie. Puis, un matin, il sortira de chez
lui un paquet sous le bras...
JEAN-PAUL DUBOIS
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Jean-Paul Dubois
Première publication : 29 décembre 1994
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