attention au remède
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attention au remède
dossier Acupuncture, aromathérapie, hypnose… les médecines douces ont le vent en poupe auprès de patients qui y font de plus en plus appel. Mais que valent-elles ? Apportentelles un mieux-être ? Sont-elles dangereuses ? État des lieux de médecines dont l’efficacité reste à prouver. MÉDECINES DOUCES ET CANCER ATTENTION AU REMÈDE 8 _VIVRE_JUIN 2006 3 QUESTIONS AU PROFESSEUR AXEL KAHN Directeur de l’Institut Cochin à Paris et président du comité d’Éthique de la Ligue contre le cancer « L’ÉPOQUE EST À LA CONTESTATION DE LA SCIENCE TRIOMPHANTE » Vivre : Aujourd’hui, un tiers des malades atteints de cancer se tournent vers les médecines dites douces. Que trouvent les malades chez l’homéopathe ou l’acupuncteur qui ferait défaut à leur cancérologue ? Axel Kahn : Notre médecine est de qualité, mais elle est rude, vulnérante. Subir une opération, suivre une chimiothérapie, c’est pénible ! À l’inverse, les médecines qui ne font pas appel à la chimie paraissent plus respectueuses des personnes. MIRACLE En outre, l’époque est à la contestation de la science triomphante, considérée comme trop arrogante. En annonçant des progrès formidables pour vaincre le cancer, la communauté scientifique s’est exposée à un désamour du public. Des progrès ont eu lieu, incontestables. Mais, hélas, le nombre de cancers n’a pas diminué. Quels sont les dangers des thérapies parallèles ? A. K. : Certaines de ces thérapies peuvent apporter un réel réconfort, aider à mieux supporter les traitements et affronter la maladie. Mais aucune ne peut se substituer à un traitement classique. Or, la fascination exercée par certains gourous m’inquiète. J’ai vu des malades perdre des chances réelles de guérison parce que leur soi-disant thérapeute leur avait interdit de suivre le traitement prescrit par leur cancérologue. Personne ne peut soigner quiconque contre son gré. Mais nous avons le devoir de récuser certains mensonges. Tout comme de dénoncer ces charlatans pour exercice illégal de la médecine ! Quelle réponse peuton apporter à une demande de médecine non conventionnelle ? A. K. : Même si je ne crois pas à l’efficacité de ces thérapies sur le cancer, certaines peuvent se révéler utiles au bien-être psychologique et à la qualité de vie. Mais le médecin se doit d’éclairer son patient sur des risques possibles d’interférences médicamenteuses. Voilà pourquoi il est important que chaque malade puisse parler ouvertement à son médecin, et que ce dernier l’écoute sans émettre de jugement. VIVRE_JUIN 2006_ 9 dossier Médecines douces et cancer « e fais confiance à mes médecins, témoigne Alice, 48 ans, récemment opérée d’une tumeur à l’utérus. Mais je me dis que, si grandes soient leurs compétences, ils n’ont pas les pleins pouvoirs sur ma maladie. Pour mettre toutes les chances de mon côté, je me suis donc inscrite à un stage de relaxation et visualisation. Car j’avais vu sur Internet une étude américaine concluant à de meilleures chances de guérison J pour des malades optant pour un tel suivi. » Isabelle, elle, est soignée depuis cinq ans pour un cancer du sein à l’Institut Curie à Paris. Récemment, elle s’est laissée entraîner par une amie chez une magnétiseuse qui lui a prescrit après sa séance une mystérieuse potion à boire deux fois par semaine. Un remède naturel et maison composé à partir de plantes cultivées dans son jardin. Ces exemples en disent long sur l’usage des médecines parallèles aujourd’hui. Plantes tibétaines, aiguilles d’acupuncture ou fleurs de Bach, tout le problème est de savoir si ces médecines veulent rivaliser avec la médecine classique ou se conten- ter d’apporter des soins complémentaires. Selon le professeur Simon Schraub, qui mène depuis deux ans au centre Paul Strauss de Strasbourg une étude sur le sujet, cette tendance est générale : « Toutes les études concordent. À Paris comme à Marseille, à Taiwan comme à Francfort ou Chicago, 30 % des malades atteints de cancer y ont recours. Les femmes plus que les hommes, et d’autant plus volontiers qu’elles sont issues de milieu aisé. » Le besoin de tout tenter Lorsqu’on les interroge, la grande majorité des patients atteints de cancer disent recourir aux médecines 30 % des malades attein de cancer ont recours aux médecines douces PROFESSEUR SIMON SCHRAUB Centre régional de lutte contre le cancer Paul Strauss à Strasbourg « EN ASIE, POUR UNE MALADIE GRAVE, ON PASSE DU TRADIPRATICIEN AU MÉDECIN OCCIDENTAL » Je suis allé en Chine, au Tibet, au Cambodge observer les médecines traditionnelles de ces pays fondées sur des concepts différents des nôtres. Là-bas, les médecins ont une grande expérience dans le domaine des plantes, qu’ils mélangent avec des minéraux et des extraits animaux. 10 _VIVRE_JUIN 2006 Certaines, c’est vrai, ont donné des anticancéreux remarquables. Aux États-Unis, sous la poussée des consommateurs en quête de médecines alternatives et complémentaires, un office, destiné à les évaluer, a été créé. Pour l’instant, ces évaluations n’ont rien donné. Mais, même en Asie, deux médecines coexistent, la traditionnelle et l’occidentale. On va voir le tradipraticien pour les maladies bénignes. Lorsque c’est grave, on se tourne vers la médecine occidentale. Je n’ai pas encore vu un médecin tibétain guérir un cancer du sein. PLANTES TIBÉTAINES, AIGUILLES D’ACUPUNCTURE OU FLEURS DE BACH, TOUT LE PROBLÈME EST DE SAVOIR SI CES MÉDECINES VEULENT RIVALISER AVEC LA MÉDECINE CLASSIQUE. ts UN DE VOS PROCHES EN A TIRÉ PROFIT : CE N’EST PAS UNE RAISON ! Sachez avant tout que si un traitement peut s’avérer bénéfique pour une personne, il ne le sera pas forcément pour une autre. Avant d’entreprendre toute démarche, prenez le temps d’en parler avec votre médecin traitant. N’hésitez pas, au besoin, à lui donner les documents ou les informations sur celle qui vous intéresse. Il connaît très bien votre dossier médical et saura vous conseiller. Certaines méthodes pourraient être contre-indiquées compte tenu de vos traitements en cours ou de votre état de santé général. VIVRE_JUIN 2006_ 11 dossier Médecines douces et cancer douces pour la première fois. « Seulement 10 % à 15 %, d’après mon enquête, y ont eu recours avant leur maladie, indique le professeur Schraub. Lorsqu’ils y viennent, c’est par le bouche à oreille, poussés par la famille, une voisine… » Les patients évoquent alors la volonté d’augmenter la capacité de leur corps à lutter contre la maladie, le désir d’améliorer leur mieuxêtre physique et psychologique, le souhait de contrecarrer les effets secondaires du cancer et des traitements conventionnels, l’idée que cela peut aider sans nuire, et enfin le besoin de tout tenter. Une minorité – 15 % – exprime l’espoir de combattre directement la maladie par ces moyens et de voir régresser la tumeur. « Très peu se détournent de leur traitement classique, remarque le professeur Schraub. Mais tous ou presque font part de leur sentiment 12 _VIVRE_JUIN 2006 de s’être sentis écoutés, le praticien leur a consacré du temps. » Le traitement alternatif : à proscrire absolument Face à ce constat, et conscients de la détresse des patients, le professeur Kahn, tout comme le professeur Schraub et le docteur Marc Keller, médecin coordinateur national de Cancer Info Service, prônent l’ouverture d’esprit. « Les gens atteints d’un cancer sont désespérément à la recherche d’un traitement et prêts à tout essayer. N’importe qui en ferait autant ! » disentils. « Les médecins généralistes et cancérologues doivent donc faire sentir à leurs patients qu’ils comprennent ce besoin de soutien, et se montrer prêts à en parler avec eux. » Même si le premier pas est fait par le patient, il doit se sentir soutenu, accompagné et conseillé dans sa recherche d’un traitement complémentaire. Mais qu’entend-on par médecine douce ? Vient-elle en complément d’un traitement « dur » ou prétendelle se substituer à lui ? « Aujourd’hui, ces médecines sont classées en médecines complémentaires – en plus du traitement classique, pour une meilleure tolérance physique et psychologique de la maladie et des soins – et en traitements alternatifs, Les gens atteints d’un cancer sont prêts à tout essayer ! DOUCE, PARALLÈLE, ALTERNATIVE… QUELLE DIFFÉRENCE ? Aujourd’hui, pour plus de clarté, on utilise plutôt les termes médecines complémentaires et médecines alternatives. Les premières sont proposées en plus du traitement classique, alors que les secondes prétendent s’y substituer. Toutes ces médecines ont été définies par le Conseil national de l’ordre des médecins comme des pratiques médicales « non éprouvées ». Cela signifie que les arguments avancés par les praticiens n’ont pas fait leurs preuves, selon les critères scientifiques exigés pour tout traitement. À l’heure actuelle, tout médicament destiné à traiter le cancer doit, avant d’être proposé aux malades, obtenir l’Autorisation de mise sur le marché (AMM). Cette autorisation n’est délivrée qu’après un long parcours d’études, d’abord en laboratoire, puis en expérimentation animale avant de passer aux essais cliniques. Les médecines non éprouvées échappent à ce protocole de sécurité qui répond toujours à deux impératifs : éliminer les méthodes dangereuses pour le patient, qui pourraient mettre sa vie en jeu, et démontrer l’efficacité thérapeutique de façon objective sur un nombre significatif de personnes. explique le professeur Schraub. Il s’agit, dans la majorité des cas, de soins dont l’efficacité n’a pas été prouvée selon les critères scientifiques exigés pour tout traitement. » Toute solution alternative est à proscrire absolument. Pas seulement parce qu’il n’en existe aucune aujourd’hui qui ait apporté la preuve de son efficacité. Mais surtout parce que la personne qui la propose a tendance à revendiquer l’exclusivité de sa méthode. Attention aux gourous ! Certains charlatans, prétendant soigner, ne font qu’abuser de leur emprise sur des personnes fragilisées par la maladie en leur faisant perdre des chances réelles de guérison. Certaines médecines sont proposées en complément des soins classiques. Bien que ne relevant pas de la médecine traditionnelle, la plupart ne présentent pas de risques et apportent de réels bienfaits. C’est le cas de l’acupuncture, qui peut diminuer les nausées et les vomissements provoqués par la chimiothérapie. L’hypnose, le yoga, la réflexologie, l’aromathérapie, ou encore certaines techniques de méditation ou corporelles aident à surmonter ses peurs et mieux vivre COMMENT ÉVITER CHARLATANS ET GOUROUS ? Bien des charlatans utilisent les médecines parallèles pour infiltrer le milieu médical. Il y aurait, selon le Conseil national de l’ordre des médecins, environ 3 000 praticiens ayant des relations plus ou moins étroites avec un mouvement sectaire. Du bon sens et une saine curiosité devraient vous aider à distinguer les professionnels honnêtes des marchands de vent. Il y a danger si : • il vous dit qu’il a un don ; • il prétend tout guérir ; • il vous demande de ne rien divulguer à vos proches sur le traitement qu’il préconise ; • il vous demande de couper radicalement tout contact avec votre médecin ; • il utilise un jargon pseudo-médical que vous ne comprenez pas; • il s’attribue des succès que rien ne peut venir corroborer ; • il vous réclame des honoraires astronomiques. VIVRE_JUIN 2006_ 13 dossier Médecines douces et cancer Tout soin complémentaire est positif s’il aide à diminuer le stress sa maladie en procurant une vraie détente. « Tout soin complémentaire est positif s’il aide à diminuer le stress, indique le professeur Schraub.Jamais un professeur de yoga ne prétendra remonter les défenses immunitaires de son client. Je déconseille en revanche les régimes alimentaires, source de carences et de dénutrition, les lavements destinés à vous purifier et tous produits dont la préparation n’obéit à aucun contrôle sérieux.» 14 _VIVRE_JUIN 2006 Se méfier de certaines plantes Certains malades se font offrir des gris-gris ou s’en remettent à la prière. D’autres glissent sous leur oreiller un flacon de sable coloré pour rééquilibrer les énergies ou portent une pierre dynamisante sous leur chemise. « Pourquoi pas, tant que ces pratiques ne nuisent pas à leur intégrité physique, ne se substituent pas à leurs traitements de fond et surtout leur apportent un réconfort et un sou- tien psychologique ? Qui n’a jamais eu, à un moment ou un autre, besoin de s’accrocher et de croire pour se donner du courage ? Le besoin de croire et d’espérer est profondément inscrit en chacun de nous », souligne le Dr Marc Keller. Reste qu’il faut être très vigilant sur l’offre aussi foisonnante que fantaisiste qui alimente le marché en pleine expansion de la médecine alternative. Les ampoules de laetrile à base d’extrait et d’autre du Rhin pour sa capacité à réconcilier les contraires parce qu’il pousse entre ciel et terre, aucune étude n’a pu faire apparaître l’existence d’un agent anticancer dans la composition de ses molécules. Parlez-en à votre médecin traitant Tous ces soi-disant médicaments, dont la fabrication n’obéit à aucun critère de sécurité sanitaire, peuvent en fait s’avérer très toxiques. Comment être sûr que la préparation aux vertus thérapeutiques dont vous avez entendu parler est bien celle que l’on vous vend et qu’elle a transité par une filière digne de confiance ? On en a vu certaines entraîner des insuffisances rénales irréversibles chez des malades, faute d’avoir été rigoureusement contrôlées. « Régulièrement, nous voyons apparaître des remèdes élaborés à partir de décoctions farfelues, indique le professeur Schraub, le jeûne affame le cancer, des plantes carnivores mangent les cellules… C’est dangereux ! Certaines de ces plantes carnivores, lancées à grands renforts de publicité, ont envoyé des malades à l’hôpital. » En outre, des herbes, a priori inoffensives, peuvent dans certains cas provoquer des troubles de la coagulation, avant ou pendant un acte chirurgical, ou entraîner des désordres divers. Si vous ne l’avez pas informé, votre médecin pourra l’interpréter comme une mauvaise réaction au traitement. Ne serait-ce que pour cette raison, il est indispensable d’en parler avec lui. Même si elles en portent le nom, toutes les médecines ne sont pas douces. CORINNE THERMES IL FAUT RESTER VIGILANT SUR L’OFFRE AUSSI FOISONNANTE QUE FANTAISISTE QUI ALIMENTE LE MARCHÉ DES MÉDECINES DOUCES. de noyau d’abricot vendues à prix d’or n’ont jamais guéri personne. Certains en sont même morts, empoisonnés par le cyanure contenu dans le produit. De même, l’efficacité du cartilage de requin dont on a pu vanter les vertus anticancer, sous prétexte que les requins n’attrapent pas la maladie, a pu être réfutée. On sait aujourd’hui qu’il peut au contraire causer des désordres hépatiques. Quant au gui, si prisé de part LA LIGUE VOUS INFORME Vous pouvez obtenir une écoute anonyme et confidentielle, des informations validées et un soutien attentif grâce à Cancer Info Service. Mis en place par la Ligue contre le cancer, ce service téléphonique (0 810 810 821, prix d’un appel local) ouvert de 8 h à 20 h du lundi au samedi, est dédié aux patients et aux proches de malade pour une meilleure prise en charge de leurs interrogations. VIVRE_JUIN 2006_ 15