Protéger nos patients âgés contre les réactions indésirables aux

Transcription

Protéger nos patients âgés contre les réactions indésirables aux
ÉDITORIAL
Protéger nos patients âgés contre les
réactions indésirables aux médicaments
par Glen Brown
L
’expérience en soins pharmaceutiques et les résultats
apparaissant dans la littérature ont montré que les patients
âgés courent plus de risque de subir des réactions indésirables aux
médicaments (RIM) que les populations de patients plus jeunes.
Dans le présent numéro, Mihajlovic et collab.1 ajoutent à
ce savoir grâce à une analyse systématique des caractéristiques
individuelles qui semblent rendre les patients plus susceptibles
à subir des RIM. Leur objectif était d’aider les pharmaciens à
discerner les patients présentant un risque plus élevé de RIM au
sein d’une population générale recevant des soins de pharmaciens.
Ainsi, les pharmaciens pourraient mieux orienter leurs activités
là où elles auraient potentiellement le meilleur effet. Mais alors,
comment utiliser cette information lorsqu’on procède au triage
d’un important nombre de cas?
OAu cours des cinq dernières années, plusieurs groupes de
chercheurs ont tenté de créer, de valider et de mettre en place des
mécanismes servant à repérer les patients âgés qui profiteraient le
plus d’interventions visant à réduire les risques de RIM. La
stratégie la plus reconnue emploie les critères de Beers qui
reposent sur une liste de médicaments présentant un risque élevé
d’être inappropriés pour les patients âgés2. À titre d’exemple, des
pharmaciens du Québec ont montré qu’une vérification automatisée des dossiers médicaux de patients à l’aide de certains critères
de Beers permettait de dépister les patients à qui l’on avait prescrit
des médicaments inappropriés3. Dans cette étude, le dépistage
informatisé a permis aux pharmaciens d’identifier efficacement
les patients à risque de RIM et d’intervenir pour modifier leur
traitement.
On a montré que les pharmaciens exerçant aux services des
urgences ont freiné la prescription de traitements inappropriés,
selon les critères de Beers, de trois façons : en éduquant les
prescripteurs; en rédigeant des mises en garde sur des médicaments
à éviter selon le patient, mises en garde que l’on peut mettre en
place par le biais de la saisie électronique des ordonnances par les
prescripteurs; et en offrant de la rétroaction aux prescripteurs
quant à leur performance4. Ces étapes s’apparentent aux
techniques de rétroaction et d’intervention utilisées par les
programmes de gérance des antimicrobiens. Dans un précédent
numéro du Journal canadien de la pharmacie hospitalière, Slaney
et collab.5 ont montré que l’utilisation des critères de Beers
permettait de repérer les patients âgés ayant besoin d’un autre
niveau de soins (soins de longue durée) qui avaient par la suite
subi une RIM. D’après ces résultats, la vérification des dossiers
médicaux afin d’y relever la présence de médicaments inappropriés,
selon les critères de Beers, aiderait le pharmacien à discerner les
patients âgés requérant le plus son attention.
D’autres chercheurs ont utilisé les critères STOPP/START
(Screening Tool of Older Person’s Prescriptions/Screening Tool to Alert
doctors to Right Treatment : des outils de dépistage des médicaments
inappropriés en gériatrie), fondés sur des données probantes, pour
déceler les patients ayant besoin d’une évaluation de leur
pharmacothérapie6. Ces outils contiennent des listes de 81 scénarios
combinant médicament, maladie et patient qui devraient mener
à considérer l’interruption d’un traitement prescrit et de 34
scénarios combinant médicament, maladie et patient dans
lesquels devrait être envisagée l’amorce d’une pharmacothérapie.
Bien que ce processus puisse sembler complexe et laborieux,
l’ensemble des scénarios recommandés sont faciles à comprendre
et à identifier pour les pharmaciens en exercice. On a montré que
l’utilisation des critères de dépistage STOPP/ START accroît la
pertinence de la prescription7 et réduit le taux de réadmissions
liées aux médicaments8. Des chercheurs de la Nouvelle-Écosse
ont découvert que les outils de dépistage STOPP/START étaient
potentiellement plus efficaces que les critères de Beers pour
déceler des pharmacothérapies qui risqueraient de causer une
RIM chez les patients âgés. Ils ont aussi observé que leur
utilisation pourrait avoir des avantages mesurables en ce qui
concerne le bien-être ultérieur des patients et le recours aux
ressources en santé9,10.
C J H P – Vol. 69, No. 4 – July–August 2016
J C P H – Vol. 69, no 4 – juillet–août 2016
267
D’autres chercheurs ont montré que les pharmaciens
peuvent améliorer les pratiques de prescription11 et réduire le
nombre de RIM subséquentes12 lorsqu’ils emploient une méthode
structurée pour détecter les patients et les interroger dans le but
d’évaluer leur pharmacothérapie. Dans ces études, les pharmaciens
utilisaient un logiciel d’aide à la décision qui employait les outils
d’évaluation décrits ci-dessus, l’évaluation des données actuelles de
laboratoire et la comparaison des médicaments pris antérieurement
et actuellement par les patients. Ils ont observé que cette méthode
permettait d’éviter une RIM pour chaque 14 patients évalués12.
L’emploi d’un indice de fragilité servant à identifier les personnes
âgées qui courent un plus grand risque de subir des RIM pourrait
aussi aider le pharmacien pendant le processus de triage13. Un
simple score d’évaluation s’appuyant sur seulement cinq variables
cliniques (pharmacothérapie de plus de 8 médicaments, hyperlipidémie, leucocytose, emploi d’antidiabétiques et séjour de plus
de 12 jours à l’hôpital) a été validé pour prédire quels patients
très âgés (c’est-à-dire de plus de 80 ans) sont susceptibles de subir
une RIM14.
Les recherches qui montrent que nos patients âgés sont plus
à risque de subir des RIM (dont l’étude par Mihajlovic et collab.1)
ainsi que les avantages établis des techniques de dépistage et
d’intervention décrites ci-dessus devraient inciter tous les
pharmaciens d’établissements du Canada à mettre en place des
méthodes qui permettent d’identifier ces patients vulnérables pour
ensuite intervenir. Chaque pharmacien et, plus particulièrement,
les gestionnaires en pharmacie clinique devraient passer en revue
l’organisation de leurs services ou de leurs programmes de soins
pharmaceutiques afin d’évaluer comment les techniques de
dépistage peuvent aider à repérer les patients âgés méritant plus
d’attention de la part du pharmacien que la population générale.
L’utilisation des technologies de l’information (notamment les
systèmes de distribution, les systèmes d’information sur les
patients et les dossiers de santé informatisés) dans le but de
détecter les patients à risque, en s’appuyant sur des critères aux
avantages éprouvés, aurait la portée la plus importante à moindre
coût en ce qui a trait au temps des pharmaciens. Nos patients âgés
ont besoin de ces soins… il est temps d’agir!
[Traduction par l’éditeur]
Références
1. Mihajlovic S, Gauthier J, MacDonald E. Patient characteristics associated
with adverse drug events in hospital: an overview of reviews. Can J Hosp
Pharm. 2016;69(4):294-300.
2. American Geriatric Society 2012 Beers Criteria Update Expert Panel.
American Geriatric Society updated Beers criteria for potentially inappropriate
medication use in older adults. J Am Geriatr Soc. 2012;60(4):616-31.
3. Arvisais K, Bergeron-Wolff S, Bouffard C, Michaud AS, Bergeron J, Mallet
L, et al. A pharmacist–physician intervention model using a computerized
alert system to reduce high-risk medication use in elderly inpatients. Drugs
Ageing. 2015;32(8):663-70.
268
C J H P – Vol. 69, No. 4 – July–August 2016
4. Moss JM, Bryan WE 3rd, Wilkerson LM, Jackson GL, Owenby RK, Van
Houtven C, et al. Impact of clinical pharmacy specialists on the design and
implementation of a quality improvement initiative to decrease inappropriate
medications in a Veterans Affairs emergency department. J Manag Care Spec
Pharm. 2016;22(1):74-80.
5. Slaney H, MacAulay S, Irvine-Meek J, Murray J. Application of the Beers
criteria to alternate level of care patients in hospital inpatient units. Can J
Hosp Pharm. 2015;68(3):218-25.
6. O’Mahony D, O’Sullivan D, Byrne S, O’Connor MN, Ryan C, Gallagher
P. STOPP/START criteria for potentially inappropriate prescribing in older
people: version 2. Age Ageing. 2015;44(2):213-8.
7. Gallagher PF, O’Connor MN, O’Mahony D. Prevention of potentially
inappropriate prescribing for elderly patients: a randomized controlled trial
using STOPP/START criteria. Clin Pharmacol Ther. 2011;89(6):845-54.
8. Gillespie U, Alassaad A, Hammarlund-Udenaes M, Mörlin C, Henrohn D,
Bertilsson M, et al. Effects of pharmacists’ interventions on appropriateness
of prescribing and evaluation of the instruments’ (MAI, STOPP and
STARTs’) ability to predict hospitalization—analyses from a randomized
controlled trial. PLoS One. 2013;8(5):e62401.
9. Hill-Taylor B, Sketris I, Hayden J, Byrne S, O’Sullivan D, Christie R.
Application of the STOPP/START criteria: a systematic review of the
prevalence of potentially inappropriate prescribing in older adults, and
evidence of clinical, humanistic and economic impact. J Clin Pharm Ther.
2013;38(5):360-72.
10. Hill-Taylor B, Walsh KA, Stewart S, Hayden J, Byrne S, Sketris IS.
Effectiveness of the STOPP/START (Screening Tool of Older Persons’
potentially inappropriate Prescribing/Screening Tool to Alert doctors to the
Right Treatment) criteria: systematic review and meta-analysis of randomized
controlled studies. J Clin Pharm Ther. 2016;41(2):158-69.
11. O’Sullivan D, O’Mahony D, O’Connor MN, Gallagher P, Cullinan S,
O’Sullivan R, et al. The impact of a structured pharmacist intervention on
the appropriateness of prescribing in older hospitalized patients. Drugs Aging.
2014;31(6):471-81.
12. O’Sullivan D, O’Mahony D, O’Connor MN, Gallagher P, Gallagher J,
Cullinan S, et al. Prevention of adverse drug reactions in hospitalised older
patients using a software-supported structured pharmacist intervention: a
cluster randomized controlled trial. Drugs Aging. 2016;33(1):63-73.
13. Cullinan S, O’Mahony D, O’Sullivan D, Byrne S. Use of a frailty index to
identify potentially inappropriate prescribing and adverse drug reaction risks
in older patients. Age Ageing. 2016;45(1):115-20.
14. Tangiisuran B, Scutt G, Stevenson J, Wright J, Onder G, Petrovic M, et al.
Development and validation of a risk model for predicting adverse drug
reactions in older people during hospital stay: Brighton Adverse Drug
Reactions Risk (BADRI) Model. PloS One. 2014;9(10):e111254.
Glen Brown, Pharm. D, FCSHP, BCPS (QA), BCCCP, est membre du
Service de pharmacie du St Paul’s Hospital de Vancouver, en ColombieBritannique.
Intérêts concurrents : Aucun déclaré.
Adresse de correspondance :
Dr Glen Brown
Pharmacy
St Paul’s Hospital
1081 Burrard Street
Vancouver (C.-B.) V6Z 1Y6
Courriel : [email protected]
J C P H – Vol. 69, no 4 – juillet–août 2016