Le Prince du Désert - Je livre mon histoire.com

Transcription

Le Prince du Désert - Je livre mon histoire.com
Le Prince du Désert
ÉDITIONS B.O
[email protected]
Pour Nacim
Mon meilleur ami
Avec toute mon affection.
Le Prince du Désert.
Béatrice ORTEGA
ROMAN
COLLECTION
AVENTURE SENTIMENTALE
Couverture créée par Nacim LAIEB
Infographiste, Webmaster et Designer.
69000 Lyon
1
Assis en tailleur devant sa tente, Nacim
entouré de quelques dromadaires couchés près de
lui, prenait un repos bien mérité. Le guide et le
groupe de touristes qu’il escortait depuis la veille,
avaient visité deux oasis dans la journée, et
parcouru des dizaines de kilomètres.
Parfois ces bipèdes étaient un peu difficiles à
supporter, et malgré leur grande endurance, ils
étaient fatigués. Ils avaient bu, mangé et
sommeillaient depuis une heure. La chaleur était
moins accablante, l’ombre s’installait peu à peu sur
le bivouac. Le ciel d’un bleu profond pur déclinait
vers des teintes orangées, couleur feu, qui augurait
le début d’un magnifique coucher de soleil. Le
camp était dressé, dans le creux d’une dune, en arc
de cercle, avec en son centre la tente restaurant, et la
réserve d’aliments, tout autour les abris pour les
hommes.
Nacim regardait loin vers l’horizon, le visage
dissimulé derrière un voile bleu indigo, comme le
reste de son costume. Malgré son teint légèrement
halé, on distinguait bien que sa peau était blanche. Il
devait sans doute venir des régions du Hoggar ou du
Tassili, où la race était demeurée pure, et ne s’était
pas métissée avec les populations noires du désert
saharien, et des régions méditerranéennes.
5
Assise à côté de lui, il y avait une femme, une
européenne, Faustine. Elle le regardait avec
insistance. Il devait être beau, très beau, d’après ce
qu’elle pouvait en juger. Elle ne voyait pas son
visage en entier, mais son nez paraissait bien
dessiné, ses traits fins et ses yeux verts clairs ourlés
de longs cils noirs, avec de toutes petites pattes
d’oies qui rendaient son regard plus doux et plus
profond. Il était silencieux, concentré sur l’horizon,
et Faustine pensa : que soit il méditait, soit il priait.
Une petite bourse pendait à sa ceinture, sûrement
l’amulette contenant les versets du Coran ou les
formules magiques censés le protéger du mal.
Faustine avait fait sur le Net quelques recherches,
sur les touaregs. Et elle en savait un peu plus sur ce
peuple fier. Elle aimait leur philosophie de vie. Ils
étaient empreints de respect et d’honneur.
Bien que le soleil fût en train de se coucher à
l’horizon, la température était encore élevée. Il se
tourna vers Faustine et plongeant ses yeux dans les
siens, lui dit d’une voix grave et profonde :
-Désirez-vous une tasse de thé ?
-Très volontiers, avec grand plaisir ?
D’une main experte, il leur servit du thé à la menthe
verte fraîche, très chaud, et très sucré, il versa le
liquide fumant dans deux verres en levant très haut
la théière en argent. La première journée de congé
prenait fin. Le camp avait été dressé pour la nuit en
6
plein milieu du désert tunisien. Le calme et la paix
régnaient. Faustine était plongée dans ses pensées,
laissant libre court à son imagination. Elle aimait cet
endroit, sa chaleur et sa luminosité, partout les
dégradés de couleurs chaudes et vives chatouillaient
les prunelles. Le dépaysement était complet. Elle se
sentait bien. Elle avait donné beaucoup tout au long
de la journée, et sa satisfaction était entière. La
marche avait été rude, mais elle avait terminé avec
brio. Elle n’aurait jamais imaginé être capable de
faire tant de choses en si peu de temps. Henri lui
disait toujours qu’elle était bonne à rien et mauvaise
en tout. De toutes les façons, à ses yeux, elle ne
valait rien ! A présent elle se fichait bien de ce
minable, elle savait !
Le partage du thé est un moment essentiel dans les
coutumes touarègues. C’est un instant privilégié où
les hommes discutent et ensuite demeurent
silencieux, comme en méditation.
S’adressant à Faustine, il lui dit de sa voix chaude :
-Dans un moment, l’ambiance va se rafraîchir, il
faudra mettre un vêtement plus épais, que celui que
vous portez. Vous savez que dans le désert la
température peut vite baisser surtout la nuit. Elle
peut atteindre zéro degré l’hiver ! Alors ne prenez
pas froid !
-Oui je le sais, merci beaucoup de vous inquiéter,
j’ai prévu des pulls et une veste chaude.
7
Il était charmant, plein de sollicitude. Il parlait très
bien le français, et une autre langue, avec ses
collègues et amis de travail, que Faustine ne
comprenait pas, le Tahaggart.
Faustine était là, seule avec lui, pourtant il y avait à
deux pas d’autres Touaregs et des Européens pour la
plupart français, qui partageaient le même sort
qu’elle. Ils étaient tous en vacances, et avaient jeté
leur dévolu sur un trek dans le désert saharien. Les
touaregs les accompagnaient partout, et leur
faisaient partager leur vie de nomades. Ils
marchaient beaucoup, et de temps en temps pour
prendre un peu de repos, ils montaient à tour de
rôle, sur le dos des méharis.
Faustine savait que Nacim n’était autre qu’un prince
arabe déchu, qui avait vécu dans son enfance en
Libye, et dont les parents furent dépouillés de leur
fortune par certains dirigeants. Ses ancêtres avaient
vécu au Moyen Age, et étaient de farouches
guerriers. Elle avait appris, qu’il recherchait ses
origines et ceux de sa famille, qui pouvaient être
encore en vie. Jusque là, il n’avait retrouvé qu’un
vague cousin, qui ignorait tout de son existence.
Depuis lors, il cohabitait dans le désert avec les
touaregs, partageant leur quotidien, arpentant les
étendues de sable à la recherche de la vérité, parfois
en compagnie de son épouse berbère Aalia.
8
Lorsqu’il ne travaillait pas, il vivait avec sa femme
dans une Riad, près de Tripoli.
En quelques décennies, ces valeureux combattants
étaient devenus pour la plupart des sédentaires, pour
des questions économiques. Aujourd’hui, ils
faisaient du négoce dans l’ouest saharien, avec le
Maroc, l’Algérie, et gagnaient bien leur vie.
Nacim avait pu offrir à son unique épouse, une belle
maison très confortable, avec un jardin intérieur et
une splendide fontaine mauresque, carrelée de
mosaïques aux couleurs du désert. Elle y recevait sa
famille et ses amies en toute quiétude, et dans une
certaine opulence. Elle portait de beaux bijoux, ses
chevilles étaient ornées de chaînettes en or jaune.
Elle ne supportait pas de rester sous la tente plus
d’un jour ou deux. L’hygiène y était totalement
impossible, à cause du manque d’eau, d’où son désir
d’avoir une vaste salle de bain, avec baignoire, où
elle se plongeait avec bonheur dans la mousse
parfumée aux essences exotiques de fleurs
d’oranger, d’amande douce ou de cannelle. Ensuite
elle enduisait son corps d’huile d’argan, et se
parfumait. Sa peau était aussi fine et douce que celle
d’un enfant. Sa servante la massait et la maquillait
chaque jour. Elle était très belle. Elle aurait pu être
une actrice de cinéma de talent. Elle possédait tout
ce qu’il fallait et même plus.
9
Lorsque Nacim accompagnait des touristes, elle le
rejoignait, passait une nuit avec lui et repartait au
matin sur son magnifique destrier. Il avait préféré le
faire castrer par un vétérinaire de Tunis, pour
calmer un peu sa fougue, Sultan, pur sang arabe,
était très nerveux, et bien qu’Aalia monta très bien,
il avait peur pour elle, surtout depuis qu’elle était
enceinte. Il possédait un autre cheval, un pur sang
gris souris, Kelby, qu’il montait avec une grande
dextérité, chaussé de bottes cavalières en chevreau.
Le reste du temps, il portait des sandales, en cuir
spécial permettant de longues marches dans le sable,
sans occasionner de blessure. Il disait toujours
qu’Allah avait selon la légende créé le pur sang
arabe avec le souffle du vent du Sud. Et Mahomet
avait ordonné aux tribus nomades de ne jamais
introduire de sang étranger à la race.
Nacim travaillait avec ses cinq autres amis, pour un
tour opérator, spécialisé dans le trekking. Ils
gagnaient un bon salaire, et le complétait en faisant
le négoce de produits raffinés, comme l’huile
d’argan, de mandarine, de fleur d’oranger, d’ylang
ylang, de jasmin, et bien d’autres encore. Il réalisait
aussi le commerce de l’huile d’olive conditionnée
dans de petites jarres, celui des tissus raffinés et
richement brodés.
Dans son entrepôt de la ville, qui lui servait aussi de
magasin, on se serait cru dans un conte des mille et
10
une nuits, tant il y avait de belles choses. Il aimait la
vie, et tout ce qu’elle représentait. Il remerciait
chaque jour Allah, pour toute la félicité dont il le
comblait. Il priait pour que le ciel protégeât sa bien
aimée. Aalia l’aimait profondément et lui ne pouvait
pas se passer d’elle.
Faustine se demandait, comment ce couple
fonctionnait-il ? Elle ne connaissait pas les us et
coutumes de ce peuple, des hommes bleus. Mais ce
qu’elle savait en revanche, c’était que la place de la
femme était prédominante. Ils respectaient la gente
féminine, et la tente était celle de la femme ou de la
mère, pas celle de l’homme. Elle appréciait cet état
d’esprit, qui à l’évidence pouvait choquer dans la
culture arabe. Elle regrettait que ces populations
dussent abandonner peu à peu leur vie nomade, et
leurs traditions ancestrales, pour s’installer dans les
villes.
Ils coupaient leurs cheveux, dévoilaient leur visage,
et portaient des tenues occidentales. Ils s’intégraient
au fil du temps dans le moule de la société dite
moderne pour un jour s’y fondre complètement, en
devenant anonymes comme d’autres peuples avant
eux et bien d’autres après eux.
Elle rêvait de voir ses traits, une fois, une seule fois.
Elle se sentait bien, si bien auprès de lui. Parfois elle
imaginait qu’il était couché contre elle, et que ses
mains la caressaient, que ses lèvres embrassaient sa
11
bouche. Elle en avait terriblement honte, mais elle
ne pouvait pas s’empêcher d’y songer. Cela faisait
si longtemps qu’elle n’avait pas fait l’amour, qu’elle
se demandait si elle saurait encore le faire, et y
prendre du plaisir ou si son corps était devenu aussi
sec que son cœur.
Cet amour était interdit, elle en était consciente,
pourtant elle n’imaginait pas repartir dans son pays,
ne plus le revoir, et reprendre sa misérable vie, sans
tendresse, et abandonner cet endroit si beau et si
sauvage, dans lequel elle pourrait peut-être y faire
son trou.
Elle détourna son regard embrumé, vers le lointain,
et admira cette immensité ocre, faite de dunes
sablonneuses, largement espacées les unes des
autres. Elle ne distinguait rien, et n’entendait rien, et
pourtant elle sentait que tout rayonnait, partout, tout
ce paysage respirait, vivait, était en perpétuel
mouvement. Depuis qu’elle était là, elle avait pu
contempler une multitude de paysages, de
montagnes, de pierres aux contours et aux couleurs
variés, torturées par l’érosion, oasis et palmeraies,
lacs asséchés. Elle ne se lassait pas d’admirer. Elle
n’avait pas assez d’yeux, pas assez de sens pour tout
prendre et ne rien laisser.
La première nuit, elle avait voulu la passer sous la
voûte céleste, vision oh combien merveilleuse !
Quelle sensation de liberté après toutes ces années
12
d’esclavage et de maltraitance. Son corps meurtri
avait guéri peu à peu, mais son âme demeurait
encore profondément blessée.
Elle se demandait pourquoi elle n’était pas partie
plus tôt ! Etait-ce la peur des coups ou celle du vide,
intense, froid, aussi sombre et profond que le néant.
L’inconnu, son isolement des autres, durant des
années, l’impression de ne plus pouvoir vivre sans
la dictature, sans les punitions. Elle se maudissait
d’avoir été aussi débile, aussi lâche, de lui avoir
donné tant d’importance, alors qu’elle aurait pu lui
régler son compte, et fuir.
Elle avait manqué de bravoure, et sans Marie, sa
meilleure amie, elle serait toujours en train de servir
de bonne à cet enfoiré, et de supporter sa perversité
tant sur le plan sexuel, que psychologique. Elle
n’avait pas eu le courage, mais elle avait une excuse
de taille, la peur, une peur si intense, qu’elle n’avait
pas trouvé le moyen de détaler ou de le tuer.
L’angoisse l’avait paralysée littéralement.
Aujourd’hui, elle aurait la force de lui claquer le
museau, et de mettre fin à cette destinée d’esclave.
Jamais il ne retrouverait, jamais ! Elle le démolirait,
c’était sûr et certain, s’il refaisait une apparition
dans sa vie.
Elle plaignait vraiment les pauvres femmes sur
lesquelles il avait ou allait jeter son dévolu. Toutes
les études sociologiques le prouvent, un homme qui
13
avait été violent, le reste, et toutes les femmes avec
qui, il aurait une aventure, seraient battues à leur
tour.
Faustine parvenait à y penser avec calme et sérénité,
elle était intouchable désormais, alors elle pouvait
laisser son esprit vagabonder à sa guise, ce qui lui
permettait de prendre de plus en plus de distance
avec toutes ces horreurs, comme si elles
concernaient une autre, une pauvre femme dont elle
ne connaissait rien, une totale inconnue, pour qui
elle ne pouvait ressentir que pitié et compassion.
Elle pensait à son bébé, ce petit être dont elle avait
écourté la vie, par peur pour lui, par peur qu’il ne lui
fasse aussi du mal. Elle s’était rendue seule comme
un chien, un œil au beurre noir, et le cœur gros, au
service de l’hôpital local et avait tué cet enfant, dans
l’œuf, comme un ennemi qui ne devait pas voir le
jour. La souffrance avait été grande, et les douleurs
morales durables. Elle était rentrée chez elle, le
ventre aussi vide que son âme. Elle avait pleuré
dans son coin, lovée au fond de son divan dans le
noir et jusqu’au soir elle n’avait pas bougé. Il n’était
pas rentré, bien trop saoul sans doute et elle avait pu
profiter de ces heures de calme et de répit pour
réfléchir.
Elle ne savait pas ce qu’elle devait faire, après elle
avait allumé une cigarette, et s’était plongée dans un
bain de mousse, rajoutant de l’eau chaude pour
14
maintenir une douce température, elle avait froid,
elle était malade, profondément malade. Au bout
d’un long moment, elle s’était séchée, avait enfilé
un pyjama ample et s’était couchée dans la
chambre d’ami, après avoir fermé la porte à clé.
La peur qu’il rentre et veuille la baiser, il n’y avait
pas d’autre mot pour qualifier la façon dont il la
gratifiait de ses faveurs. Elle était en danger après ce
qu’elle avait subi. Elle ne dormit pas beaucoup, et
au matin, tout s’était dessiné devant ses yeux.
15
2
Visiter le monde, avec Nacim, était un rêve
fou, et elle savait qu’elle n’aurait plus rien à
craindre. Par le passé, elle avait eu peur à en mourir,
dès qu’elle entendait Henri rentrer, ivre. Elle tentait
de se cacher, mais devant sa stature monstrueuse,
elle n’était plus qu’un fétu de paille, une poupée de
chiffon, entre ses mains qui ressemblaient à des
battoirs. Chacune de ses gifles la propulsait à l’autre
bout de la pièce, elle se demandait comment il ne
l’avait pas tuée. Elle avait eu quelques soucis de
santé, à cause des coups qu’elle avait reçus, mais
aujourd’hui elle se sentait bien, décidée à être
heureuse et à profiter pleinement de la vie. Sereine,
elle voyait l’avenir autrement. Elle avait le loisir de
faire des projets, d’envisager plein de choses, de
projeter vers le futur une grande partie de ses rêves.
C’était comme une renaissance, comme le papillon
qui sort de sa chrysalide, beau, déployant ses ailes
aux couleurs irisées à la faveur du soleil matinal.
Elle ne pouvait plus retourner dans son appartement
minable, elle savait qu’il ne mettrait pas longtemps
à la retrouver. Elle ne prendrait pas le risque. Elle
n’avait pas encore réfléchi, mais elle devait trouver
une solution. De Tunisie, elle pouvait prendre un
vol pour n’importe où. A savoir où ? Elle ne parlait
pas l’anglais, juste le français et l’espagnol.
16
L’Espagne pourquoi pas, elle trouverait bien un
petit boulot qui lui permettrait de payer un loyer et
de se nourrir, en attendant de trouver mieux.
-Faustine à quoi pensez-vous ? La jeune femme
sursauta, Julia s’était approchée d’elle tout en
dégustant la tasse de thé que Nacim venait de lui
offrir.
-Pardon, je ne voulais pas vous effrayer !
-Ce n’est pas grave ! Je suis un peu sur le qui vive
depuis quelques temps, et il faudra, je le crains, un
peu de temps pour ne plus sursauter au moindre
bruit. Je mettais juste un peu d’ordre dans toutes ces
idées qui se bousculent dans ma tête. Et je ne vous
ai pas entendue voilà tout ! Faustine montra un peu
d’agacement, malgré elle, pourtant elle ne le voulait
pas. De quoi se mêlait-elle ? Elle ne lui avait rien
demandé. Elle se calma et lui adressa un pâle
sourire.
-Je suis désolée d’avoir fait aussi maladroitement
une intrusion dans votre rêverie. Si je peux vous
aider, c’est avec plaisir !
-Merci Julia ! Mais ma vie est en ruine, alors je dois
la reconstruire avec patience, et dès que les
vacances seront terminées, je vais m’y atteler. Je
dois le faire et il est préférable que je le fasse seule.
J’ai un très grand vide à combler, un gouffre je
devrais dire.
17
Nacim écoutait d’une oreille distraite la
conversation des deux jeunes femmes, sachant que
la destinée de Faustine était écrite en belles lettres
d’or sur une pierre, et qu’il ferait ce qu’il faudrait
pour sortir cette femme de l’ornière dans laquelle
elle se trouvait. Il devait la sauver. Son cœur était en
lambeaux, il avait du mal à entendre et à garder son
calme légendaire.
Il était bon et non violent. Il n’assimilait pas le fait
que les humains se sentent obligés de se faire du
mal, de s’entretuer, quelle était la raison profonde
de leur motivation ?
L’esprit des hommes était très étriqué, cela il le
savait depuis longtemps, ils prenaient un malin
plaisir à humilier, à rabaisser les êtres les plus
fragiles, et les plus faibles. Pas de quoi en tirer une
gloire quelconque. La chose était facile et pourtant,
ils se sentaient forts et malins.
Un tel comportement était des plus affligeants
Il ne les jugeait pas, il effectuait une constatation
douloureuse et briguait d’extirper cette femme de
cet engrenage malsain. Il l’aimait cela ne faisait
aucun doute, dès le premier jour, à la première
seconde où il avait croisé son regard, il en était
tombé fou amoureux. Par quel sortilège les choses
se passaient-elles ainsi ?
18
3
Nacim l’observa à la dérobée, comme s’il
voulait lire en elle. Il sentait cette meurtrissure, cette
souffrance ancrée au plus profond. Son regard
mélancolique, devenait parfois si intense, qu’il
aurait aimé la prendre contre lui, la consolait, elle
était belle, de cette beauté qui vient du cœur, et
Nacim l’aimait placidement, sans s’en rendre
compte.
Brune, les yeux foncés, les traits fins et réguliers,
elle était jolie et possédait un charisme
exceptionnel. De toutes les personnes que Nacim
avait trimballées, Faustine était la plus singulière,
un peu mystique, secrète. Son instinct lui disait que
la magie du Sahara allait opérer, dans un délai très
court. Il sentait qu’elle gardait enfoui un secret, et
qu’elle était à la recherche d’une vérité, qu’elle
trouverait peut-être, avec de la chance, ici, dans cet
endroit aride, mais béni de Dieu.
Il percevait en elle un grand vide. Sa vie passée
n’avait plus d’importance, seuls son présent et son
futur comptaient. Un futur qu’il envisageait d’ores
et déjà dans ses bras, il ne pouvait pas en être
autrement. Quand ? Il l’ignorait. Où ? Cela va sans
dire, qu’il ne le savait pas non plus !
Elle but quelques gorgées du doux breuvage, et tout
son être se sentit rasséréner. Elle était assise en
19
tailleur, dans son pantalon ample resserré aux
chevilles sur des chaussures de marche, en cuir
fauve, un chemisier blanc en coton très léger,
laissant deviner une poitrine bien ferme sous le
voilage, en partie dissimulée par une veste
saharienne, à manches longues, en coton de la
même couleur sable. Il faisait ni chaud, ni froid, la
température était agréable.
Nacim appréciait beaucoup son courage, ses
manières distinguées. Il devait mieux la connaître,
et pour cela il emploierait quelques stratagèmes
dont il était devenu maître en la matière ! Julia
s’était retirée pour dormir un peu. Faustine ferma
les yeux, posant son verre devant elle, et médita
durant un long moment. Le repas du soir allait être
servi, ensuite elle irait se reposer sous la tente.
Il s’approcha d’elle, récupéra le récipient, et la
dévisagea un court instant. Faustine ne le vit pas,
elle était plongée dans ses pensées. Elle se voyait en
Egypte, voyage qu’elle rêvait de faire depuis tant et
tant d’années. Elle visitait le temple d’Isis, sa déesse
préférée, celle qui par amour avait réussi
l’impossible, et avait fait un enfant, l’enfant de
l’espoir, qui avait sauvé l’Egypte. Elle était fatiguée
de la journée et se laissa aller, s’allongeant à
l’entrée de la tente, en se disant qu’elle somnolerait
un court instant avant le dîner. Nacim ne la quittait
pas des yeux, il la dévorait littéralement, il en était
20
aussi amoureux que de son épouse, et il savait
qu’Aalia comprendrait, puisque leurs vies à eux, se
poursuivaient sur un autre plan astral. Ailleurs, dans
un autre espace temps. Mais il était inutile
d’expliquer à de pauvres terriens ce phénomène, ils
étaient bien incapables de le comprendre, aussi
avaient-ils décidé de ne rien dire et de faire comme
si. Sauf dans le cas de Faustine. Leurs amours
étaient célestes, tandis que celui qu’il éprouvait pour
Faustine était mitigé, il appartenait au royaume des
hommes et en même temps à celui des Dieux.
Nacim avait la capacité de revêtir plusieurs
costumes, plusieurs identités, et de jouer plusieurs
rôles, toujours en harmonie et en accord avec ses
principes fondamentaux.
21
4
La médiumnité de Faustine se révéla durant
son sommeil. Elle possédait des pouvoirs
paranormaux, quelle sensation délicieuse ! Des
flashs s’imposèrent à son esprit. Elle était devant ce
temple, beau, majestueux, suivie par un groupe de
gens, les parfaits touristes, les sandales en cuir
marron, l’appareil photo pendu autour du cou, le
bob vissé sur la tête et l’air abruti. L’édifice était
Philae, le temple d’Assouan dédié à Isis. Etait-elle
en train de faire son voyage tant espéré depuis de si
longues années ? Elle était au comble de la joie,
comment cela se pouvait-il ?
Nacim avait fait dresser leur campement dans une
petite oasis, pleine de charme, et de senteurs. Et
Faustine n’avait pas mis longtemps à sombrer dans
les bras de Morphée, au beau milieu de ce paysage
idyllique.
Debout sur ces deux jambes, alors qu’elle dormait
ailleurs, elle entra dans ce sanctuaire, admirant le
moindre détail, mais les autres ne vinrent pas. Que
faisaient-ils ? Pourtant la visite était en cours, mais
peut-être devait–elle la faire seule ! Elle avait été
séparée du groupe, pour saisir ces instants
étonnants, pour s’emplir de toutes ces sensations
nouvelles, découvrir avec fébrilité ce Temple, et
toutes les merveilles qu’il renfermait, et que les
22
pilleurs n’avaient pas encore trouvées. Elle se sentit
gratifiée, elle, si méprisée, si maltraitée, elle était
privilégiée, heureuse ! Cet endroit ne semblait pas
avoir été visité auparavant. Il n’y avait pas de traces,
pas de panneaux indicateurs, pas le moindre indice
qu’une quelconque personne n’y ait mis les pieds,
depuis des siècles.
Elle s’occuperait de faire protéger tout ce
patrimoine, elle en parlerait à Nacim. Elle devait le
faire, elle le pressentait. Il y aurait sans doute bien
d’autres choses qu’elle devra faire.
Elle en oublia ses peines, et une paix intense
l’enveloppa. C’était grandiose, cette sensation était
semblable à l’extase, du moins elle le voyait ainsi.
Les hiéroglyphes étaient étrangement bien
conservés, tout comme les fresques. Elle se
demanda à nouveau, ce qu’il était advenu du groupe
d’individus avec qui elle était arrivée ? Elle
déchiffra sans peine les écritures et absorbée par la
lecture des textes, elle en oublia les autres..
Soudain, elle entendit une voix de femme, et
distingua une silhouette qui apparut peu à peu du
fond d’une vaste salle aux dimensions
impressionnantes.
-N’aie pas peur, ne crains rien, tu es dans ma
maison, et je sais que tu me voues un grand respect
et un véritable culte. Je peux lire en toi. Je te
remercie de cette sollicitude, alors que tu n’es pas
23
de mon peuple. Je ne le comprends pas, j’en suis
surprise, mais comblée. Ta vie va s’en trouver
transformée, c’est un cadeau pour toi, pour ce que tu
es, et ce que tu représentes. La voix était tendre, et
Faustine pensa la reconnaître.
Elle changea de position, son bras était ankylosé,
mais elle ne se réveilla pas. Nacim était toujours à
ses côtés et la regardait dormir en souriant
tendrement. Les autres occupants du camp faisaient
aussi une sieste bien méritée. On se serait cru au
château de la Belle au Bois Dormant.
-Je vais faire défiler ta vie, tu vas mourir, mais
renaître aussi. Cette phase est obligatoire pour une
renaissance éternelle. Dans quelques minutes tu vas
couler dans les nimbes, puis tu subiras un processus
inverse, et tu vas rajeunir, juste de quelques années.
La jeune femme s’approcha de Faustine, elle était
magnifique, irréelle, toute en nuance et d’un
rayonnement divin. Elle la reconnut, à ce qu’elle
portait sur la tête, c’était sa déesse préférée Isis, son
halo de lumière était éblouissant. Pourtant elle avait
des traits familiers, elle était si émerveillée par tant
de splendeur, qu’elle ne reconnut pas vraiment
Aalia.
Faustine se figea sur place, ses jambes se
dérobèrent, et elle s’affaissa sur le sol terreux. Ses
larmes coulaient abondamment, incontrôlables,
chaudes et salées. Son bonheur était si intense
24
qu’elle ne pouvait pas le décrire avec des mots.
Même dans ses rêves les plus fous, elle n’aurait pu
imaginer pareille chose. Elle avait toujours fait le
rapprochement entre l’histoire de la déesse et celle
da la vierge Marie, elle leur trouvait de nombreuses
similitudes. Jésus fut conçu à l’aide de la magie,
tout comme Horus. Elle était pétrifiée. Elle lui
répondit timidement, cherchant ses mots, au bord de
l’évanouissement. Elle était partagée entre plusieurs
sensations la peur, la crainte de mal faire, le respect,
la joie intense, l’extase…
-Je ne veux plus revenir sur cette terre, j’y ai été
trop malheureuse !
-Je sais ! Elle l’aida à se relever, et lui sourit.
-Pourrais-je moi aussi partir sur la barque sacrée et
voyager au pays des morts, voir Osiris, et sortir à la
lumière du jour pour l’éternité ? Puis-je achever ici
ma vie, ici avec vous ? Elle a été si moche ! Vous
comprenez ! Si moche….
Isis regarda cette femme avec tendresse, lisant au
plus profond de son âme, qui reflétait tout ce qu’elle
avait subi. Elle en était émue. Pourquoi les humains
étaient capables d’autant d’horreur ?
-Non, je ne peux pas te donner cette joie ! C’est
impossible, d’une part, parce que tu ne vas pas
vraiment trépasser, et d’autre part, tu n’es pas
égyptienne, nous sommes au XXIème siècle, nos
traditions ont changé.
25
Faustine sentit monter en elle un bien-être ineffable,
elle ne saisissait pas comment son mental pouvait se
réparer aussi vite, et par quel miracle ? Elle ne
maîtrisait plus du tout ses émotions, son
subconscient ne lui appartenait plus. Elle était
manipulée d’une façon si douce et si bénéfique,
qu’elle se laissa aller. Son âme était embaumée,
momifiée, ointe. Mourir ou vivre plus rien n’avait
d’importance, elle avait vu, et ses connaissances,
dans tous les domaines, croissaient à chaque
seconde. Elle avait l’impression étrange de tout
savoir sur la déesse, et elle l’en aimait encore plus.
Isis devait lire dans ses pensées, car elle lui sourit
complaisamment et passa sa main sur la joue glacée
de Faustine. Quelle merveilleuse sensation !
Nacim ne la quittait pas des yeux, il voyait des
larmes couler le long de ses joues. Il se retint avec
difficulté, de la réveiller pour arrêter ce chagrin qui
lui fendait le cœur, il n’osa pas, ses rêves lui
appartenaient, de quel droit aurait-il pu y mettre fin.
Isis tenait un miroir entre ses mains. Elle le présenta
à Faustine.
-Viens, approche et ne perds plus confiance. Je vais
t’aider petite sœur ! Regarde toi, tu verras et tu
comprendras tout ce que tu dois savoir va se
dérouler devant tes yeux, c’est un miroir magique,
et lorsque l’âme est pure, il n’y a nulle crainte à
avoir.
26
Faustine se sentit légère ! Elle volait comme tous
ces oiseaux qu’elle avait tant et tant admirés, pour
leur capacité à quitter avec aisance le bitume, à
s’élever dans les airs, à traverser tous ces pays et ces
contrées, dont elle ignorait tout, et qu’elle aurait tant
aimés découvrir.
Elle monta, monta, poussée par une force
indéfinissable, elle était en extase. Une masse
cotonneuse l’entoura et soudain, des millions
d’éléments, d’informations, des réponses à toutes
ses questions, se mirent à circuler dans sa tête en
une spirale infernale. Une science inouïe, dans tous
les domaines, pénétra en elle. Les anciens lui
parlaient, ils étaient là dans son cerveau, et chacun à
leur tour lui expliquait tout ce qu’elle devait
appréhender. Elle écoutait attentivement, et tout
paraissait si simple, si fluide, si évident. Soudain ce
fut une voix d’homme qui s’adressa à elle,
troublante, ensorcelante. Elle la reconnut. C’était
celle de Nacim. Elle le regarda, tremblante d’amour.
Comme il était beau, une pure merveille, un visage
parfait ! Son teint était cuivré, et sa peau lisse. Ses
cheveux noirs et longs étaient tirés en arrière.
Faustine ressentait une véritable passion pour cet
homme, mais il n’était pas libre. Son visage était
découvert. Ses yeux d’un vert intense la mettaient à
nu. Son corps était tout en muscles. Une grande
force se dégageait de lui.
27

Documents pareils