Le rapport au savoir Le rapport au savoir

Transcription

Le rapport au savoir Le rapport au savoir
L e rapport
au savoir
obligation, un droit et/ou un devoir?
4
Apprendre, c’est ressentir
le plaisir d’être
B. Charlot
10
Le désir d’apprendre
J. Beillerot
6
Offrir aux élèves
des activités motivantes
R. Viau
12
Plaisir, efforts et
persévérance dans un
apprentissage
B. Hourst
9
Marie-Louise Zimmermann:
«Le plaisir d’apprendre
dans l’effort»
N. Revaz
14
Gai Savoir et
effort passionné
C. Wicky
Le rapport au savoir
en citations
Résonances
17
Rapport au savoir: avis
d’enseignants
N. Revaz
Dans l’idéal, apprendre devrait
toujours conduire à une certaine
satisfaction et à la soif de
connaissances nouvelles. La réalité
est hélas parfois autre. Le rapport au
savoir peut être plus ou moins positif
et passer par toute une gamme de
tonalités pour l’apprenant: du refus
de l’obstacle à l’effort-plaisir.
16
(
Apprendre: une passion, une
A pprendre, c’est ressentir
B. Charlot
Apprendre est un droit, donc l’école est un droit, donc
l’école publique (gratuite et garante de la liberté de
penser) est un droit. Il apparaît d’autant plus nécessaire de rappeler ces principes que le mouvement actuel
de globalisation néo-libérale encourage les processus
de marchandisation du savoir et de privatisation de
l’école. Toutefois, ce qui est clair au niveau des principes apparaît plus complexe à l’analyse.
Notons d’abord que l’école gratuite est un droit mais
qu’elle est obligatoire. Certes, le droit de l’un crée
l’obligation de l’autre, le droit de l’enfant crée une
obligation pour le père. Mais ce n’est pas seulement
de cela qu’il s’agit: c’est l’enfant lui-même que l’on
oblige à aller à l’école et à apprendre. Les jeunes des
banlieues parisiennes auprès desquels j’ai réalisé mes
recherches sur le rapport à l’école et au savoir, n’adhèrent pas spontanément à l’idée que aller à l’école et y
apprendre ce qu’on y enseigne est un droit. Pour
beaucoup d’entre eux, il s’agit d’une obligation, parfois insupportable. On peut reconstituer ainsi leur logique: pour avoir une «vie normale» (autre que illégale), il faut un emploi; pour avoir un emploi, il faut un
diplôme; pour avoir un diplôme, il faut aller à l’école
et être un élève au moins moyen; donc l’école est une
Dossier: pour aller plus loin…
Serge Boimare. L’enfant et la peur d’apprendre. Paris:
Dunod, 2000.
François de Closets. Le bonheur d’apprendre ou comment on l’assassine. Paris: Seuil, 1996.
Cécile Delannoy. La motivation: désir de savoir, décision d’apprendre. Paris: Hachette éducation, 1997.
Philippe Meirieu. Apprendre… oui, mais comment.
Paris: ESF, 1993.
4
le plaisir d’être
obligation que les adultes imposent aux jeunes pour
leur reconnaître le droit de vivre; malheur à celui qui
échoue à l’école, il lui est interdit d’avoir une vie normale. Dans cette optique, l’école n’est pas un droit, elle est un devoir ennuyeux pour celui qui y réussit, et
une malédiction pour celui qui y échoue.
Pour certains, l’école n’est pas un
droit, mais un devoir ennuyeux ou,
pire, une malédiction.
D’un point de vue historique, l’école n’apparaît pas
non plus comme cette conquête du peuple que l’on a
glorifiée sous le nom «d’école libératrice». En France,
au 19e siècle, la bourgeoisie moderniste française (représentée par Guizot ou Ferry) entreprend de «moraliser le peuple par l’éducation», selon ses propres
termes. Les socialistes proudhoniens résisteront à
l’idée même d’école primaire étatique («triste capucinade», «insigne jonglerie», selon Proudhon, qui défend l’éducation à l’atelier) et Marx affirmera que
c’est au peuple d’éduquer l’Etat et non à l’Etat d’éduquer le peuple. L’école primaire apparaît alors comme
imposée au peuple. Toutefois, une alliance sera passée
entre la bourgeoisie moderniste et le mouvement populaire organisé (partis et syndicats socialistes et communistes) qui, d’une certaine façon, a lui aussi besoin
de former et de discipliner le peuple: ce sera la grande
époque de l’école «libératrice», entre les deux guerres.
Dans les années 60 s’opère un nouveau basculement.
D’une part, l’école est critiquée comme «capitaliste»
(oppression et non plus droit). D’autre part, un lien de
plus en plus serré se noue entre le niveau scolaire de
l’individu et son niveau d’insertion sur le marché de
l’emploi, il devient nécessaire d’avoir un «bon» diplôme pour avoir un «bon métier» puis, tout simplement,
pour trouver un emploi: l’école devient une obligation, voire une malédiction pour les plus faibles.
Jacqueline de Romilly. Le
trésor des savoirs oubliés.
Paris: Livre de poche, 1998.
Confusion entre droit à l’école et
droit au savoir
Georges Schnyders. La joie
à l’école. Paris: PUF, 1986.
Cette question de l’école comme droit et comme devoir est d’autant plus complexe que l’on a longtemps
confondu le droit à l’école et le droit au savoir. Certes,
Résonances - Septembre 2003
)
Nous naissons inachevés et nous ne
devenons humains que parce que nous
apprenons.
La question ici posée est en fait plus radicale. «Aimer», trouver «intéressant», c’est ressentir du désir. Le désir vise la jouissance.
Comment peut-on espérer une jouissance
de l’étude des mathématiques (ou autre
matière)? Comment un objet intellectuel
peut-il produire du plaisir, une jouissance
affective, émotionnelle? Faute de place, je
m’en tiendrai ici à quelques indications.
Apprendre, c’est être, c’est se faire être, c’est
se faire être en s’appropriant de l’humain.
C’est quelque chose qui relève du plaisir, de
l’excitation, plutôt que du bonheur. Tout
rapport au savoir est aussi rapport à soi, rapport à l’autre, rapport au monde. Etre «fort
en maths», c’est jouir de soi comme fort en
maths, jouir de partager avec certains autres
un monde qui n’est pas donné à tous. Le
plaisir d’apprendre est, fondamentalement,
un plaisir de soi. Celui qui a un rapport fort,
parfois passionné, à un univers de savoir vit
un tel plaisir. Mais il en existe des formes plus
douces et plus indirectes, liées à un projet de
vie, à un projet de soi: le plaisir d’avoir une
bonne note, le plaisir de faire plaisir à ses parents, le plaisir de se sentir intelligent, le
plaisir de pouvoir espérer faire plus tard le
métier qu’on a envie de faire, le plaisir de
mieux comprendre la vie, les gens, le sens
des choses, tout cela se combine dans une
sorte de plaisir de se sentir vivre, aimé, doté
d’un avenir. Mes recherches1 m’ont montré
que les jeunes en échec, avec un rapport négatif à l’école, entrent à nouveau dans un
processus d’apprentissage lorsqu’ils pensent
que celui-ci leur offre une vraie possibilité de
«devenir quelqu’un», selon leur expression.
Ces jeunes ont compris quelque chose de
fondamental: apprendre c’est devenir quelqu’un, quelqu’un qui vaille la peine.
La question centrale est donc celle de l’apprendre, plus encore que celle de l’école.
Nous naissons inachevés et nous ne devenons humains que parce que nous apprenons. L’humanité n’est pas en nous, comme
une nature, elle est hors de nous: elle est ce
que l’espèce humaine a créé, peu à peu, au
cours d’une longue histoire. Nous devenons
humains, ainsi que, indissociablement, sujets absolument originaux et membres
d’une société, en nous appropriant une partie de ce que l’espèce humaine a créé au
cours de son histoire. Apprendre, c’est le
processus même par lequel un être humain
advient, se fait advenir lui-même grâce à ce
qu’il reçoit des autres humains. C’est évidemment un droit, c’est évidemment un
devoir. Est-ce un bonheur? Je ne suis pas sûr
que le terme soit pertinent car est heureux
celui qui n’est pas divisé, or la conscience divise, le savoir interpelle, l’école fait changer. Je dirais plutôt que apprendre, c’est
ressentir le plaisir d’être.
Là est sans doute l’essentiel. Et là est l’énigme. Car comment peut-on ressentir du plaisir en apprenant, comment peut-on aimer
les mathématiques, la chimie, l’histoire,
etc.?
( Résonances - Septembre 2003
Note
1
Cf. notamment B. Charlot, Le Rapport au savoir en milieu
populaire, Anthropos, 2001.
(
l’ auteur
La question ici posée n’est pas celle que posent souvent les enseignants: «Comment faire pour
que l’élève aime les mathématiques, etc.?». A cette
dernière question, on répond souvent par un mélange
de manipulations et de mensonges: apprends à compter pour savoir faire la recette du gâteau (ridicule), apprends parce que les mathématiques sont utiles (mauvaise foi pédagogique), apprends parce que le prof est
gentil (manipulation affective). Et quand cela ne
marche pas vient la menace: si tu n’apprends pas, tu
ne passeras pas dans la classe suivante.
(
l’école reste le plus sûr chemin d’accès au
savoir et l’école publique sa plus sûre garantie. Mais l’accès à l’école ne garantit pas
l’accès au savoir. Dans les pays industrialisés,
environ 10% de chaque génération quitte
l’école sans avoir atteint le niveau considéré
comme minimal pour une insertion professionnelle; un pays «émergent» comme le
Brésil scolarise aujourd’hui 97% des jeunes
de 7 à 14 ans mais plus de 40% d’entre eux
ne maîtrisent pas la lecture et l’écriture en
4e année de scolarité. Ce qui est un droit,
c’est le droit au savoir, au sens, aux repères
dans la vie, et l’école n’est qu’un moyen
(certes aujourd’hui irremplaçable) pour assurer ce droit.
Bernard Charlot
Professeur émérite à l’Université Paris 8
Chercheur Invité du CNPq (Université fédérale
du Mato Grosso, Brésil).
5
O ffrir aux élèves
R. Viau
des activités motivantes
Rêvant aux temps où ils étaient eux-mêmes sur les
bancs d’école, plusieurs enseignants souhaitent avoir
dans leur classe des élèves avides de connaissances, passionnés par la matière et prêts à aller au-delà des exigences académiques. Mais n’est-ce pas un peu irréaliste
de penser de la sorte de nos jours? Cette école centrée
sur la joie et la découverte, n’a-t-elle pas laissé place à
une école à caractère plus utilitariste? D’ailleurs, cette
joie d’apprendre à l’école d’antan, a-t-elle été ressentie
par tous les élèves ou seulement par ceux qui y sont demeurés: les enseignants?
Dans les activités d’apprentissage,
l’élève doit se servir de la matière
apprise pour résoudre des problèmes.
De telles questions soulèvent souvent des discussions
enflammées sur les valeurs éducatives des générations
d’hier et d’aujourd’hui et sur ce que devrait être l’école dans nos sociétés actuelles. Le but de cet article
n’est pas d’attiser le feu en débattant de ces questions. La position avancée ici est simple: certes, les enseignants doivent souhaiter que le plus grand nombre
possible d’élèves démontrent un réel plaisir à apprendre à l’école, mais ils doivent, d’abord et avant
tout, se donner un objectif plus modeste: susciter chez
leurs élèves une motivation à apprendre et à réussir.
Nos travaux sur la motivation et nos influences nordaméricaines nous ont amenés à étudier la motivation
sous l’angle de sa dynamique qui «prend ses origines
dans les perceptions qu’un élève a de lui-même et de
son environnement et qui l’incite à choisir une activité,
à s’y engager et à persévérer dans son accomplissement
afin d’atteindre un but (Viau, 1994, p. 7)». De cette définition, il ressort que si un élève est motivé, il s’engage
dans ses études et persévère, ce qui a pour conséquence
qu’il réussit à condition, bien sûr, qu’il en ait les capacités. C’est cette dynamique motivationnelle que l’enseignant doit susciter. Mais comment peut-il le faire?
Dans cet article, nous débuterons en précisant les
«portes d’entrée» par lesquelles un enseignant peut
favoriser la dynamique motivationnelle de ses élèves.
Dans un deuxième temps, nous nous attarderons sur
6
l’une d’entre elles, les activités d’apprentissage en
classe. Nous décrirons alors les conditions qu’elles doivent rencontrer pour que les élèves soient motivés à
les accomplir.
Les facteurs relatifs à la classe qui influent
sur la dynamique motivationnelle de l’élève
La dynamique motivationnelle d’un élève est un phénomène complexe qui est influencé par une foule de
facteurs externes que l’on peut regrouper en quatre
catégories: les facteurs relatifs à la société, à la vie personnelle de l’élève, à l’institution et à la classe. Un enseignant a peu de contrôle sur les trois premiers types
de facteurs; il en a toutefois beaucoup sur les facteurs
relatifs à la classe. Dès lors, ces facteurs doivent devenir pour lui les «portes d’entrée» pour susciter la motivation de ses élèves.
Selon la littérature scientifique, les facteurs relatifs à
la classe les plus importants à considérer sont: les activités d’apprentissage que l’on propose aux élèves, les
modes d’évaluation, les systèmes de récompenses et
de sanctions, le climat de la classe et l’enseignant luimême1. Nos travaux nous ont amenés tout particulièrement à travailler sur les activités d’apprentissage que
l’on propose aux élèves. Contrairement aux activités
d’enseignement (p. ex. les exposés magistraux), dans
les activités d’apprentissage, l’élève est l’acteur principal. Son rôle n’est plus de recevoir de l’information,
mais de se servir de la matière apprise pour résoudre
des problèmes, réaliser des travaux d’équipe ou encore pour réaliser des projets proposés par l’enseignant.
Pour qu’elle puisse favoriser la motivation des élèves,
une activité d’apprentissage, qu’elle soit accomplie en
mode individuel ou en groupe, doit répondre à plusieurs conditions. Voici les 10 conditions les plus couramment invoquées par les chercheurs (Stipek, 1998;
Paris et Turner, 1994; McCombs et Pope, 1994; Brophy,
1987). Ainsi, une activité d’apprentissage saura susciter la motivation des élèves si elle 2:
est signifiante aux yeux de l’élève
Une activité est signifiante dans la mesure où elle aide
l’élève à atteindre ses buts personnels, correspond à ses
intérêts, s’harmonise avec ses projets et répond à ses
préoccupations. Ainsi, un enseignant donnera du sens
à une activité s’il tient compte des thèmes appréciés
Résonances - Septembre 2003
)
par ses élèves et s’il prend le temps de justifier l’intérêt
et l’utilité des tâches demandées dans le cadre de cette
activité.
est diversifiée et s’intègre aux autres activités
Une activité doit comporter plusieurs tâches à accomplir. Lorsqu’elle nécessite l’exécution d’une seule tâche
(par exemple, l’application répétitive d’une règle de
grammaire), elle suscite plus d’ennui que de motivation. De plus, les activités retenues doivent également
être variées. La répétition d’une même activité, jour
après jour, peut être une source de démobilisation
pour l’élève en raison de son caractère routinier. Enfin,
une activité doit être intégrée à d’autres activités,
c’est-à-dire qu’elle doit s’inscrire dans une séquence
logique. Pour que l’élève perçoive la valeur d’une activité, il faut qu’il puisse facilement constater que cette
dernière est directement reliée à celle qu’il vient d’accomplir et à celle qui suivra.
représente un défi pour l’élève
Une activité constitue un défi pour l’élève dans la mesure où elle n’est ni trop facile ni trop difficile. Un élève se désintéresse rapidement d’un succès qui ne lui
a coûté aucun effort ou d’un échec dû à son incapacité à réussir une activité. Les jeux vidéo sont de bons
exemples d’activités offrant des défis à relever. Les
jeunes ont le sentiment qu’ils triompheront s’ils se
montrent persévérants. Il devrait en être ainsi dans les
activités d’apprentissage en classe.
est la plus authentique possible
Une activité d’apprentissage doit mener à une réalisation authentique, c’est-à-dire à un résultat ou à un
produit qui ressemble à ceux que l’on trouve dans la
vie courante. Il peut s’agir d’une affiche pour une exposition scientifique, d’une interview, d’un document
audiovisuel, d’un site Internet, etc. En fait, il est important d’éviter le plus possible que l’élève ait le sentiment de devoir accomplir un travail pour son professeur et utile qu’à des fins d’évaluation.
exige un engagement cognitif de l’élève
Un élève est motivé à accomplir une activité si celle-ci
exige de sa part un engagement cognitif. C’est ce qui
se passe lorsqu’il utilise des stratégies d’apprentissage
qui l’aident à faire des liens avec des notions déjà apprises, à réorganiser à sa façon l’information présentée, à formuler des propositions, etc. Par exemple, si
les tâches qui lui sont demandées dans une activité
consistent seulement à appliquer de façon mécanique
une formule mathématique, elle sera pour celui-ci une
source d’ennui plutôt qu’une incitation à s’engager
sur le plan cognitif.
responsabilise l’élève en lui permettant de faire des
choix
Plusieurs aspects d’une activité, tels que le thème de
travail, le matériel, la désignation des membres de
l’équipe, la durée du travail, le mode de présentation
du travail, l’échéancier, etc., peuvent être laissés à la
discrétion de l’élève. Il revient toutefois à l’enseignant
de décider des éléments de l’enseignement et de l’apprentissage qui demeureront sous sa responsabilité et
de ceux dont il pourra déléguer la responsabilité à
l’élève. Une activité risque de devenir démotivante si
elle exige de tous les élèves qu’ils accomplissent les
mêmes tâches, au même moment et de la même façon.
permet à l’élève d’interagir et de collaborer avec les
autres
Une activité d’apprentissage doit se dérouler dans une
atmosphère de collaboration et amener les élèves à travailler ensemble pour atteindre un but commun. L’apprentissage coopératif est fondé sur le principe de la collaboration et suscite généralement
la motivation de la majorité des
élèves, car il favorise la perception qu’ils ont de leur compétence et de leur capacité à contrôler leurs apprentissages. Des
activités axées sur la compétition plutôt que sur la collaboration ne peuvent motiver que les
plus forts, c’est-à-dire ceux qui
ont des chances de gagner.
a un caractère interdisciplinaire
Pour amener l’élève à voir la nécessité de s’investir dans une activité d’apprentissage, il est souhaitable que la matière abordée dans une activité soit liée
( Résonances - Septembre 2003
7
élèves. Un enseignant peut souhaiter
que toutes les activités d’apprentissage qu’il propose à ses élèves remplissent ces dix conditions. Il serait toutefois plus réaliste qu’il se fixe cet objectif pour des projets ou des démarches
pédagogiques complètes intégrant
une séquence de plusieurs activités.
(
Est-ce que les activités qui respectent
toutes ces conditions susciteront un
désir d’apprendre chez tous les élèves? Probablement pas, car d’autres
facteurs (p. ex., la famille) influent
également sur la motivation des élèves et font en sorte que certains
d’entre eux restent démotivés, et ce,
quoi que fasse l’enseignant. Il ne faut
pas oublier que ce dernier a certes
une responsabilité importante au reUne activité risque d’être démotivante si tous les élèves doivent
gard de la motivation à apprendre
accomplir les mêmes tâches au même moment.
des élèves, mais que d’autres acteurs
sociaux, dont les parents et les décideurs politiques, doivent également assumer la leur.
à d’autres matières d’étude. Par exemple, pour aider
Ayant cette considération «terre-à-terre» bien en tête,
l’élève à se rendre compte que les habiletés langal’on peut souhaiter que des élèves (re)trouvent le plaisir
gières ne sont pas seulement utiles à ceux qui font des
et le désir d’apprendre, tout en visant d’abord à favoriétudes littéraires, il serait intéressant que les activités
ser une motivation à s’engager et à persévérer dans les
proposées dans les cours de français impliquent
activités d’apprentissage qu’on leur propose.
d’autres domaines comme la géographie, l’histoire et
même les mathématiques.
se déroule sur une période de temps suffisante
La durée prévue pour une activité effectuée en classe,
par exemple pour la rédaction d’une lettre destinée à
un journal, devrait correspondre au temps réel qu’une
tâche équivalente requiert dans la vie courante. L’enseignant doit éviter que l’élève ait l’impression qu’on
«lui arrache sa copie des mains», à la fin d’une activité,
parce que le temps est écoulé.
Références
Brophy, J. (1998). Motivating students to learn. New York:
McGraw Hill.
McCombs, B. L. et Pope, J. E. (1994). Motivating hard to reach
students. Washington, D.C.: American Psychological Association.
Paris, S. G. et Turner, J. C. (1994). Situated motivation. dans P.
R. Pintrich, D. R. Brown et C. E. Weinstein (dir.), Student motivation, cognition, and learning, Hillsdale, N. J.: Lawrence Erlbaum, pp. 213-237.
Stipek, D. (1998). Motivation to learn: From theory to pratice.
Boston: Allyn and Bacon.
Viau, R. (1994). La motivation en contexte scolaire. Bruxelles:
DeBoeck.
Notes
1
On trouvera une discussion de ces différents facteurs dans
l’ouvrage La motivation dans l’apprentissage du français
que nous avons publié en 1999 aux Editions du Renouveau
pédagogique.
2
Des extraits de cette description sont tirés du livre susmentionné.
Favoriser la motivation à s’engager
Dans l’introduction de cet article, nous invitions les enseignants à avoir pour objectif de favoriser la dynamique motivationnelle de leurs élèves en intervenant
sur les facteurs sur lesquels ils ont réellement du pouvoir,
c’est-à-dire les facteurs relatifs à la classe. Par la suite,
nous avons mis l’accent sur les activités d’apprentissage
et nous avons décrit brièvement les conditions qu’elles
doivent rencontrer pour susciter la motivation des
8
(
l’ auteur
comporte des consignes claires
L’élève doit savoir ce que l’enseignant attend de lui.
Ainsi, il ne perdra pas de temps à chercher à comprendre ce qu’il doit faire. Des consignes claires contribuent à réduire l’anxiété et le doute que certains
élèves éprouvent quant à leur capacité à accomplir ce
qui leur est demandé.
Rolland Viau
Université de Sherbrooke
Canada.
Résonances - Septembre 2003
)
M arie-Louise Zimmermann: «Le
plaisir d’apprendre dans l’effort»
Marie-Louise Zimmermann-Asta, docteure ès sciences
de l’éducation, est collaboratrice de recherche au Laboratoire de didactique et d’épistémologie des
sciences à l’Université de Genève (LDES). Elle dirige
également le Centre de formation et de recherches sur
les stratégies d’apprentissage (CEFRA) et a enseigné la
physique à l’Ecole de Culture générale Jean Piaget
pendant 25 ans. Dès 1981, elle a créé et développé
une approche visant à lutter contre l’échec de l’enseignement des sciences, démarche dénommée «apprentissage par l’autonomie» (APA). Cette méthode, qui
s’inscrit dans la lignée des travaux de Célestin Freinet,
d’André Giordan, de Galeb Gattegno ou encore d’Antoine de la Garanderie, a été utilisée avec des élèves
de 4 à 20 ans. Dans les pratiques pédagogiques de
l’APA, l’enseignant introduit des éléments perturbateurs pour faire évoluer les conceptions des élèves, ce
qui les force à faire un effort supplémentaire.
Marie-Louise Zimmermann, l’apprentissage par
l’autonomie est-il identique à n’importe quelle
autre forme d’apprentissage au niveau du désir,
de l’effort et du plaisir d’apprendre?
On va bien sûr retrouver ces trois éléments, mais leur
dynamique est légèrement différente par rapport à un
enseignement «plus traditionnel».
Le désir d’apprendre est-il facilité?
Non, si l’élève n’a pas l’envie de comprendre, cela va
aussi poser problème. Le désir d’apprendre est peutêtre même plus important dans le contexte de l’APA,
étant donné que l’environnement didactique est plus
riche et que c’est à l’élève de partir à la recherche de
l’information. Comme c’est un enseignement fondé sur
le questionnement, la curiosité devrait néanmoins être
plus grande, dès lors que l’élève accepte de s’approprier les questions. Je dirais qu’avec l’APA, on a simplement une petite chance supplémentaire de faire naître
la motivation grâce à un environnement stimulant.
Comment s’articulent l’effort et le plaisir d’apprendre?
Le plaisir d’apprendre est différé, car dans l’APA il y a
obligatoirement conflit avec les connaissances antérieures. L’élève, comme l’explique très bien André Giordan, doit commencer par déconstruire ses conceptions
pour apprendre. Pour ce faire, l’enseignant va créer un
conflit par le biais d’un questionnement approprié.
( Résonances - Septembre 2003
Certains élèves aiment ce conflit motivant, qui les confronte à une résistance tout en incitant au plaisir de
connaître, tandis que d’autres éprouvent des difficultés
pour le dépasser, car cela nécessite des efforts. Ce n’est
pas facile d’aller vers des conceptions plus complexes:
il faut avoir confiance en soi et accepter le doute et
l’errance au niveau de l’erreur. L’élève doit admettre
d’avoir à traverser une étape désagréable pour pouvoir
surmonter le problème. Le plaisir d’apprendre peut
être comparé à celui du montagnard qui trouve le plaisir dans l’effort précisément. Ce qui est extraordinaire,
c’est de trouver en soi des ressources insoupçonnées.
Désir, effort et plaisir d’apprendre sont-ils corrélés au désir, à l’effort et au plaisir d’enseigner?
Absolument. Dans une classe APA, l’enseignant ne
connaît jamais l’ennui, puisque les questionnements
des élèves seront à chaque fois différents. Il y a des
idées nouvelles qui jaillissent, ce qui fait que l’enseignant a lui aussi constamment l’esprit en éveil.
Dans notre société, le plaisir immédiat est fortement valorisé. Dès lors, il est difficile pour un élève de comprendre que l’apprentissage prend du
temps et nécessite un investissement de sa part…
C’est un vrai problème pour l’apprentissage, parce
que les élèves ont l’impression qu’il suffit d’être assis à
un cours en se laissant imprégner par ce que dit le
maître pour apprendre. Pour certains, c’est une grande déception de découvrir que ce qu’on comprend immédiatement, c’est ce que l’on sait déjà.
La démarche de l’APA pourrait-elle convenir à
des matières non scientifiques?
A mon avis oui, mais je ne peux pas le prouver puisque
les travaux de recherche n’ont pas été menés dans
d’autres domaines.
Propos recueillis par Nadia Revaz
Un livre pour en savoir plus
M.-L. Zimmermann-Asta. Des questionnements pédagogiques. Comment faire? Ed. du CEFRA, 2002. Commande: éditions du CEFRA, 9, ch. Pont-de-Ville, 1224
Chêne-Bougeries, [email protected].
9
L e désir d’apprendre
Depuis longtemps les philosophes, les psychologues et
les pédagogues ont postulé que l’être humain, et singulièrement l’enfant, était habité d’un désir d’apprendre,
désir en quelque sorte inné et spontané. De ce postulat,
il en découlerait qu’apprendre est «naturel» et si des
enfants apprennent mal ou n’apprennent pas c’est à
cause de… ou c’est la faute à… Selon les périodes, selon
les croyances, les causes et les fautes ont varié: ont été
ainsi invoqués le déficit intellectuel, la nature mauvaise,
le handicap socioculturel ou l’insuffisante qualité des
maîtres, etc.
Le désir doit se transformer en une
volonté organisatrice de moyens en
vue d’une fin.
Aujourd’hui, on est plus prudent, plus circonspect aussi,
même si nous n’avons toujours pas une théorie générale et globale de l’apprentissage humain. L’aurons-nous
un jour?
Il nous faut donc continuer de tabler sur le désir, et avant
même de parler du désir d’apprendre, nous nous souviendrons que le désir est considéré comme une force,
une aspiration, une tension, l’essence de l’homme pour
persévérer dans son être. Sartre disait que le sens du désir est le projet d’être Dieu et un autre auteur écrira que
l’aspiration au bonheur absolu s’appelle désir. En quelques mots on se trouve plongé dans l’un des plus grands
mystères de la vie humaine, un mystère mis en mots,
mais bien difficile à expliquer et à comprendre. Il n’est
donc pas surprenant que lorsque les pédagogues cherchent des solutions pour surmonter les difficultés d’apprentissage de leurs élèves, et qu’ils s’emparent de la notion de désir, ils travaillent alors avec «un concept flou».
Pour autant la réflexion collective a progressé dans plusieurs directions. En particulier il ne faut pas oublier que
si le désir est par essence attaché à l’individu, à la personne, de l’instant de la naissance à celui du dernier
souffle, les formes et les objets du désir sont éminemment sociaux et notamment le désir d’apprendre. On ne
peut en effet apprendre que les savoirs disponibles et requis. On ne peut apprendre que du soutien d’une société dans son organisation et ses visées. Ainsi, les sociétés
occidentales savent aujourd’hui que la montée du chômage, les aléas de la vie professionnelle, l’incertitude
des bénéfices que les apprentissages pouvaient procurer
10
J. Beillerot
jadis, sont des facteurs lourds sur le sens de l’apprendre.
Bien des enseignants savent que ces conditions sociales
loin de stimuler le désir d’apprendre des élèves, notamment des plus culturellement démunis, les privent au
contraire de tout désir, condamnés qu’ils estiment être à
rester des «nuls». Ainsi, si le pédagogue, l’éducateur,
peut et doit mettre en œuvre tout ce qui est en son pouvoir pour susciter, soutenir, entretenir un ou le désir des
élèves dont il a la responsabilité (obligation de moyens),
il doit aussi tenir compte des changements sociaux qui
l’obligent à être toujours plus inventif et adapté. Mais
aucune éducation, aucune école n’a le pouvoir de transformer une situation économique et sociale donnée.
Le désir d’ignorance
Le désir d’apprendre peut donc d’un côté, buter contre
le mur des structures sociales, mais il peut aussi buter sur
un autre obstacle à s’en ruiner et à s’en détruire: le refus
d’apprendre. Un très beau et tragique texte dépeint un
refus tenace d’apprendre qui se revendique jusqu’à être
un désir d’ignorance. Et lorsque l’institutrice, confrontée
à une telle élève, demande secours à «son ancien professeur, le seul qui ait compris sa passion, qui l’ait aidée
à devenir ce qu’elle est (…). Le vieil homme lui répond
qu’on ne peut rien, rien, contre l’obstination d’un enfant. “On ne fait pas accéder au savoir les êtres malgré
eux, mon petit. Cela ne serait pas du bonheur et apprendre est une joie, avant tout une joie…”».1
C’est donc dans l’entre deux que se déploie l’effort du
pédagogue comme le montrent nombre de récits de
praticiens, d’innovateurs, de militants dont un très bel
exemple est celui de Serge Boimare dans son livre «L’enfant et la peur d’apprendre».2 Il est écrit en 4e page de
couverture: «…On s’aperçoit que c’est la situation d’apprentissage elle-même qui déclenche des peurs perturbant l’organisation intellectuelle. La confrontation avec
Dossier: des sites pour aller plus loin...
Pour en savoir plus sur la peur d’apprendre et sur les
solutions pour diminuer les causes d’angoisse ainsi
que sur l’ennui des lycéens:
http://perso.wanadoo.fr/jacques.nimier/
Déclaration des droits de l’apprenant:
http://www.ulg.ac.be/lem/droitsapprenant.htm
Résonances - Septembre 2003
)
que l’école peut être formatrice à une
triple condition: que l’école se conçoive en termes de fin et non de moyens
(l’école lieu qui incarne l’effort pour
exister et grandir); il faut en outre que
l’école entretienne le sens du problème, qu’elle envisage l’acte d’apprendre comme problématisation, c’est-àdire comme position, construction et
résolution de problème; enfin qu’elle
entreprenne une éducation de l’imaginaire notamment par une rencontre
avec les œuvres poétiques.
On comprend qu’une philosophie habite un tel projet, celle de la joie austère d’apprendre et du bonheur d’habiter le monde.
(
Ainsi le désir d’apprendre trouve et
retrouve ses multiples entrées, ses
multiples ressorts en le fondant sur
une réalité beaucoup plus grande et
élevée que les seules techniques que par ailleurs il peut
requérir. Il y a l’enjeu de la vie dans le désir, il y a dans le
désir d’apprendre une quête de s’approprier une partie
au moins de la connaissance du monde et du savoir de
l’humanité. Pour l’enfant, puis pour l’adulte, apprendre
est accomplir son devenir humain, est participer à l’humanité commune.
Le désir d’apprendre peut buter contre le mur des structures sociales
ou le refus d’apprendre.
Conduire son désir à l’effort
Beaucoup de nos expressions témoignent de notre bonne volonté mais peuvent en même temps signifier nos
illusions: ainsi créer du désir, ou le construire ou l’entretenir ne sauraient sans doute exprimer une complexité
non réductible à une objectivation du désir, non réductible à un ensemble d’actions ou d’actes pas plus qu’à
des moments ponctuels, là où se vivent des processus
dont est partie prenante l’inconscient de chacun des sujets engagés dans «le pacte» éducatif ou scolaire. Bien
sûr il y a des techniques, des outils, des savoir-faire, bien
sûr, il faut impliquer les élèves, soutenir l’expérience de
leurs réussites, mais tout cela existe dans une et des relations, des situations, dans des histoires singulières avec
leur lot de culture propre à chacun, où chacun justement
porte témoignage de son rapport au savoir d’un travail
pour soi et d’un travail sur soi qui, constamment doivent
le conduire de son désir à l’effort qu’il faut engager
pour apprendre et savoir. Le désir doit se transformer en
une volonté organisatrice de moyens en vue d’une fin.
Dans un article récent, Michel Fabre étudie «formation
et modernité chez Bachelard: entre la joie d’apprendre
et le bonheur d’habiter»4; il conclut avec le philosophe
( Résonances - Septembre 2003
C’est toujours une idée juste que les éducateurs et les
pédagogues énoncent, lorsqu’ils cherchent chez l’enfant le noyau d’un être. Simplement, qu’ils sachent alors
qu’ils ne pourront plus espérer trouver une solution
simple aux problèmes qu’ils rencontrent, ils ne pourront
plus croire que la science et les techniques seront leur
absolu secours. A chacun de choisir, selon la belle expression de la Justice et de la morale «en son âme et
conscience».
Notes
1
Jeanne Benameur «Les demeurées». Denoël. Folio. 2000.
80 pages. Citation p. 50.
2
Dunod. 1999. 164 pages.
3
On laissera au lecteur le plaisir de découvrir dans le texte
ce que l’auteur, instituteur et psychologue, met en place
pour satisfaire le «programme» qu’il s’est donné.
4
Télémaque. N° 15, mai 1999.
(
l’ auteur
la règle et l’autorité, la rencontre avec le doute et la solitude, inhérentes à la démarche pour apprendre et
penser, réveillent alors une inquiétude trop profonde,
contre laquelle il est illusoire de vouloir lutter avec les
outils pédagogiques ordinaires. Apprivoiser les peurs,
leur donner une forme acceptable par la pensée afin
qu’elles n’entraînent plus de rupture de la démarche intellectuelle, telle est la condition indispensable pour réconcilier ces enfants avec le savoir scolaire».3
Jacky Beillerot
Professeur émérite
Université de Paris X Nanterre (France)
Sciences de l’éducation.
11
P laisir, efforts et persévérance
B. Hourst
dans un apprentissage
L’idée qu’apprendre nécessite une souffrance est une
notion profondément ancrée dans nos esprits: «Par la
souffrance la connaissance», disaient les anciens Grecs,
et les Anglo-Saxons disent: «No pain, no gain» («On
n’a rien sans souffrir»).
«Doit faire des efforts!»
Dans cet état d’esprit, il est souvent rappelé aux élèves
que, pour apprendre, il suffit de «travailler plus», que
cela «nécessite des efforts», et qu’il y faut du «sérieux».
Ces conseils sont d’ailleurs souvent donnés en toute
bonne foi, car cela semble en général la seule manière
de réussir un apprentissage. Et pourtant nous savons
d’expérience que cette manière d’apprendre nécessitant contraintes, pression constante et obligations, a
des résultats pour le moins décevants.
En fait, les mots «effort» et «sérieux» sont sources de
confusion.
D’abord, il ne faut pas confondre l’effort qui est lié au
plaisir de la découverte et au dépassement de ses limites (comme grimper en haut d’une montagne, rechercher les énigmes d’un jeu vidéo, résoudre un problème d’échecs, faire une recherche documentaire,
etc.), et l’effort subi, imposé de l’extérieur, non accepté. Cet effort-là se transformera au mieux en ennui, et
au pire en violence, en souffrance et en blessures, qu’il
nous arrivera de garder toute notre vie. Et, une fois
adulte, devenu parent ou enseignant, c’est toujours
cet effort-là et cette souffrance-là que nous justifierons
pour nos enfants au nom de «on a toujours fait comme
ça» et «on n’en est pas mort» (cette dernière affirma-
Le rapport au savoir en citations
Apprendre, un droit
Apprendre, c’est un droit. L’un des plus précieux. Les
Français en défendent non seulement le principe,
mais l’extension: tout allongement de la scolarité est
salué comme un progrès démocratique. C’est fort
bien vu tant que l’on ne confond pas le droit d’étudier
et le droit au diplôme.
François de Closets. Le bonheur d’apprendre ou
comment on l’assassine. Paris: Seuil, 1996.
12
tion étant d’ailleurs tout à fait discutable: d’une certaine manière, nous sommes morts à des pans entiers de
la connaissance). L’effort-plaisir fabrique de la persévérance, l’effort-subi crée de la souffrance.
Quant au mot «sérieux», il apporte également son lot de
confusion. Car on peut apprendre très sérieusement,
c’est-à-dire avec beaucoup de rigueur, et y prendre beaucoup de plaisir. Par contre refuser dans un enseignement
ce qui ne fait pas «sérieux», et parfois dès le début de
l’école primaire, risque de créer cet «ennui à l’école», si
désespérant pour l’élève comme pour l’enseignant.
L’effort-plaisir fabrique de la
persévérance, l’effort-subi crée
de la souffrance.
Par exemple, le jeu pour apprendre ou réfléchir est souvent refusé à l’école car ne faisant pas «sérieux». Le jeu
a pourtant des vertus pédagogiques remarquables, qu’il
est bon de redécouvrir: il met les élèves dans un état
d’esprit détendu et positif, il réduit l’anxiété souvent associée à l’apprentissage (car les erreurs sont considérées
comme des phases du jeu et non comme des «fautes»
sanctionnées), il nécessite une participation active, etc.
«Faire plus d ’efforts» peut donner des résultats, bien
entendu. Mais ceux-ci sont le plus souvent tragiquement médiocres par rapport au temps, à l’argent et à
l’énergie dépensés, et à la souffrance engendrée par ce
comportement.
D’innombrables tensions physiques et mentales s’accumulent alors progressivement et deviennent notre manière «naturelle» de nous comporter et d’apprendre. Et
c’est cette manière que nous considérerons ensuite
comme «normale» une fois adulte, pour nous comme
pour nos enfants.
Donner un sens à ce que l’on apprend
est-il indispensable?
Il est souvent relevé que c’est le manque de sens dans
un apprentissage qui nécessite ces efforts-subis souvent si mal vécus.
Le sens et le but peuvent en effet aider à la motivation,
mais l’on sait que bien des élèves ont des difficultés à
Résonances - Septembre 2003
)
(
Etablir un
système de
récompenses
et de punitions
n’est pas
vraiment
une bonne
solution.
On pourrait en déduire que tout élève
peut être potentiellement intéressé
par n’importe quoi, pour le simple plaisir d’apprendre et d’élargir son monde
de connaissances, à condition que ne
soient pas tués en lui ce désir et ce plaisir d’apprendre qui lui sont naturels.
Quelques pistes d’actions
Les recherches actuelles sur les modes de fonctionnement du cerveau conduisent à cette idée que la plupart
des environnements d’apprentissage ne favorisent pas
un fonctionnement naturel et optimal du cerveau.
Il semblerait par exemple que le cerveau déteste le linéaire, les structures imposées, le toujours pareil, le
manque d’humour, d’ambigu, d’ouvert, le manque de
créativité, la passivité dans l’apprentissage, les formes de
transmission mal adaptées au mode préférentiel d’apprentissage des élèves, et bien d’autres choses. Alors il se
bloque, il boude, il s’ennuie et le fait savoir au reste du
monde. Et on lui demande alors de «faire des efforts».
De même, établir un système de récompenses et de punitions, souvent utilisé avec les élèves considérés comme sous-motivés ou faibles, n’est pas vraiment une bonne solution. Ce système d’apprentissage, caractéristique
du modèle béhavioriste qui favorise un apprentissage
de type pavlovien, («tu fais ça et tu obtiens ça»), encourage les comportements stéréotypés, renforce une forme de mémoire à court terme, et tue le plaisir d’apprendre en réduisant la motivation intrinsèque.
( Résonances - Septembre 2003
Il serait souhaitable, au contraire, de plus développer
chez les élèves ce que les spécialistes appellent la métacognition, c’est-à-dire la capacité à prendre conscience
de sa manière de faire et d’apprendre, et la faculté à tirer parti des expériences passées d’action et d’apprentissage. Cela nécessite de les rendre activement responsables de leurs apprentissages, en particulier en les associant d’une manière effective à la forme que prendra
le processus d’apprentissage, et sur les manières d’évaluer les compétences.
Le rôle des parents peut être également très important pour diminuer les efforts-subis de leur enfant
à l’école. Si les parents retrouvent le goût et le plaisir d’apprendre (qu’ils ont souvent perdus), s’ils prennent garde à ne pas transmettre leurs propres limites
(«ma fille est nulle en maths, comme moi je l’étais»), s’ils
montrent un intérêt réel à ce que leur enfant a appris
dans la journée, s’ils participent à créer chez lui ces
points d’ancrage si nécessaires pour bâtir de nouvelles
connaissances, leur enfant aura de bonnes chances de
conserver ce goût d’apprendre, et acceptera
volontiers ces efforts-plaisir.
Du côté
de l’enseignant, trop souvent à la recherche de «recettes»
pour lutter contre l’ennui, l’absentéisme ou
le manque de motivation des élèves, il lui faudra
prendre le risque de sortir de sa «zone de confort»,
par exemple: imaginer pouvoir enseigner autrement
qu’à la manière dont lui-même a été enseigné; faire
entrer progressivement dans sa pédagogie des outils
nouveaux (il existe de nombreux outils pédagogiques
simples, puissants et très riches d’applications pratiques, et totalement méconnus des enseignants);
changer son regard sur ses élèves et prendre en compte leur manière personnelle d’apprendre, en respectant leur personnalité en évolution; etc.
En allant dans cette direction, il y a de bonnes chances
que l’ennui se dissolve, que la motivation à apprendre
et à faire des efforts-plaisir décolle, que la souffrance
des élèves, des enseignants et des parents s’estompe,
bref que l’humanité se porte un peu mieux. Ce qui
n’est pas rien, on voudra bien l’admettre.
(
l’ auteur
se projeter dans l’avenir et à donner sens à ce qu’ils apprennent à l’école. Pourtant, est-ce vraiment le manque
de sens qui crée l’ennui? Apprendre, tout et n’importe
quoi, pourrait – ou devrait – être considéré comme une
faculté naturelle de tout être humain. Le petit enfant
ne trie pas ce qu’il apprend, tout a priori l’intéresse. Il
apprend des choses d’une très grande complexité dans
les premières années de sa vie (comme marcher, se servir
d’une cuillère ou parler une langue), et ceci sans aucun
effort, avec plaisir, en jouant, comme l’éponge absorbe
naturellement l’eau dans laquelle elle est plongée.
Bruno Hourst est ingénieur, enseignant en lycée
public et formateur. Il est l’auteur de: Au bon plaisir
d’apprendre, InterEditions, 2e édition, 2002. Les
jeux-cadres de Thiagi (avec Sivasailam Thiagarajan),
Editions d’Organisation, 2001. Former sans ennuyer,
Editions d’Organisation, 2002.
Site Internet: http://mieux.apprendre.free.fr
13
G ai Savoir et effort passionné
11
C’est une chose bien fâcheuse que la possession du bien du
corps soit accompagnée du plaisir et que la possession du
bien de l’âme soit souvent jointe à la peine et à la douleur
Malebranche, Recherche de la vérité
L’individualisme contemporain et
la loi du moindre effort
(
14
Nous dirons que tous les hommes sont «en souffrance»
de ces valeurs matérielles, dans le double sens de l’expression, à la fois en attente et en manque douloureux.
Au fond, c’est comme si l’homme moderne n’avait
d’autres besoins que matérialistes.
Le devoir de bonheur
C’est un truisme d’affirmer que notre époque est avant
tout individualiste. Veillons toutefois à ne pas être trop
simplificateur: notre individualisme n’est pas seulement
cette quête hédoniste (du grec hédonè, le plaisir) effrénée, sensuelle et égoïste qu’une certaine paresse intellectuelle se plaît à brocarder et à caricaturer. Qu’est-ce
qui fait courir l’individu contemporain? L’argent, la rentabilité, la réussite matérielle, les honneurs, la beauté
plastique, le plaisir «cash and carry»? Assurément! En
somme, tout ce que la philosophie épicurienne qualifiait de désirs «non naturels et non nécessaires», plaisirs
«cinétiques» c’est-à-dire en mouvement, et qui condamnent de facto l’homme à une frustration chronique.
On n’actionne pas la motivation comme on
actionnerait un levier.
C. Wicky
Cette thèse peut sembler pourtant quelque peu simpliste. En effet, on ne peut qu’être surpris d’observer
combien les idéaux altruistes et spirituels font également florès à notre époque: il est singulièrement réducteur de dire que tout individualisme est forcément
matérialiste, que tout homme vise le bonheur et recherche son plaisir à n’importe quel prix, fût-il au prix
fort. Si le besoin le plus universel est le bonheur, les
moyens que se donne l’homme pour réaliser cette finalité tendent à dépasser l’opposition simpliste entre
solidaire et solitaire, sollicitude et solitude, spiritualisme et matérialisme. Nous vivons dans un temps où
l’ambivalence et l’ambiguïté ne sont plus des défauts
à éviter mais des faits avec lesquels il faut composer.
Le bonheur oui, mais pas à n’importe quel prix. Le
plaisir oui, mais à condition de l’intégrer dans une vision globale de la personne humaine. Que les hommes
étaient heureux lorsqu’ils inventaient le bonheur…
que les hommes sont malheureux quand ils subissent la
«tyrannie du plaisir» à tout prix. Cette dérive est stigmatisée par le philosophe Pascal Bruckner, dans son
dernier essai L’euphorie perpétuelle, Grasset, 2000:
J’appelle devoir de bonheur cette idéologie qui pousse à tout évaluer sous l’angle du plaisir et du désagrément, cette assignation à l’euphorie qui rejette dans
l’opprobre ou le malaise ceux qui n’y souscrivent pas.
L’école, lieu de bonheur?
Ce «devoir de bonheur», ce diktat de l’individualisme
contemporain, cette matrice de nos comportements,
toutes ces obligations à être heureux n’ont-elles pas
également envahi le périmètre de nos écoles? L’école,
jadis lieu de «résistance» aux diverses pressions sociales et économiques, n’est-elle pas devenue à notre
époque l’exact reflet de ces pressions? Le labeur, la rigueur, l’effort soutenu, le sens du sacrifice, la patience, l’abnégation, toutes ces valeurs inscrites au cœur
même du processus éducatif sont-elle devenues caduques? Si oui, à qui en incombent les responsabilités?
Une pédagogie qui privilégie le savoir-être au détriment des savoirs et autres savoir-faire n’est-elle pas le
Résonances - Septembre 2003
)
symptôme de cette dérive? L’école doit-elle enseigner
spécifiquement le bonheur d’apprendre et dispenser
le plaisir de savoir, ou ce ne sont là que les fruits naturels d’une transmission accomplie avec honnêteté? Les
nouvelles pédagogies centrées sur l’apprenant et sur
ses besoins ne courent-elles pas le risque de transformer l’apprenant en consommateur exigeant, pressé,
dont le bonheur serait le dû le plus imprescriptible?
Le plaisir d’apprendre ne saurait être
séparé de sa condition d’effectuation:
l’effort.
Mais alors comment définir ce bonheur? Par la qualité
des savoirs acquis ou par le confort aménagé dans son
apprentissage? Par la transmission d’un «enracinement» ou par la liberté accordée à la créativité personnelle? Ces antinomies sont-elles véritablement irréductibles? Voilà le débat posé, et répondre à ces questions
dépasserait le cadre de cette petite étude. Quantité
d’ouvrages ont analysé le bonheur d’apprendre (Sylvain Reboul, Jacqueline de Romilly, Philippe Meirieu,
François de Closets). Mettre en perspective ce bonheur
et l’effort intellectuel requis oblige à réévaluer un certain nombre de postulats.
Utile vs utilitaire
Savoir d’abord distinguer entre ce qui est «utile» et ce
qui est «utilitaire»: de cette carence conceptuelle surgissent moult problèmes qui démotivent à la fois professeurs et étudiants. Les choses les plus utiles sont-elles
celles qui dispensent le plus de plaisir? C’est douteux:
qu’on songe par exemple à un apprentissage qui ne se-
( Résonances - Septembre 2003
rait plus guidé par la nécessité: apprendre à jouer d’un
instrument, précisément «pour le plaisir». Ce qui est ni
obligatoire ni essentiel procurerait alors davantage de
plaisir qu’une activité obligatoire et vitale (apprendre à
lire, à écrire, à compter)! Serait alors beau ce qui est inutile: les sanitaires d’une maison sont en effet rarement les plus belles pièces… Si une action utilitaire ne
saurait contenir en elle-même les raisons de son heureuse effectuation, il est urgent de faire redécouvrir à
nos étudiants le sens de l’essentiel, de l’autotélique (ce
qui est à soi-même sa propre finalité, ce qui «ne sert»
rien ne pouvant être instrumentalisé): à cet égard, la
vie intellectuelle seule représente pour un homme le
couronnement de sa dignité2 et de sa spécificité.
Parcours étymologique du savoir et effort
En filant la métaphore du savoir comme nourriture et
en interrogeant l’étymologie de certaines expressions3
caractéristiques de cette vie intellectuelle, on observe
avec étonnement que tout conjugue alors le bonheur,
la félicité, le plaisir d’enseigner et d’apprendre, le Gai
Savoir, notions qui ne sauraient être séparées de leur
condition d’effectuation: l’effort. Qu’on nous permette
une analogie: la recherche d’adrénaline dans les sports
extrêmes requiert courage, effort physique, persévérance et endurance; le bonheur du footballeur qui maîtrise un geste technique n’est jamais simplement donné au départ, mais gagné au gré des heures et des
heures d’entraînement. Le philosophe Maine de Biran
(1766-1824) a remarquablement analysé l’effort: «fait
primitif» pour l’homme, l’effort est la voie royale qui
mène à la connaissance de notre propre «Moi», il est à
la source des notions aussi importantes que la liberté4.
Ce qui est vrai pour l’effort physique ne le serait-il plus
pour l’effort intellectuel? Pourquoi en serait-il autrement dans le domaine scolaire? Ne pourrait-on pas faire le pari d’un véritable Gai Savoir qui viendrait couronner
l’effort passionné, comme son
supplément, jamais donné en
tant que tel mais gagné «de
surcroît»? Pour que bonheur il
y ait, il faut que l’apprentissage ne le recherche jamais explicitement comme fin en soi:
un professeur n’est pas responsable du bonheur de ses
étudiants, mais de leur instruction en veillant à la transmission structurée de savoirs
fécondants car vrais. Le bonheur est alors donné par surcroît, en plus, comme un supplément espéré mais non visé
intentionnellement. Ce n’est
pourtant jamais l’information
transmise qui informe d’abord
15
l’élève, mais le sens qu’il va pouvoir donner à cette information dans une situation donnée: à ce niveau, le
couple conceptuel effort / plaisir d’apprendre interagit
avec la motivation5, intrinsèque et extrinsèque, de
l’étudiant.
Là encore, il convient de ne pas tomber benoîtement
dans l’idéalisme pédagogique. On n’actionne pas la
motivation d’un étudiant comme on actionnerait un
levier, il n’y a aucune recette miracle, et aucun dispositif didactique ne tiendra jamais lieu – et c’est heureux!
– de «presse-bouton» de la réflexion ou de la motivation; c’est à chaque professeur d’assurer la finalisation
de son enseignement, mais c’est à chaque élève d’assumer le courage des commencements, l’effort continué, partant du principe que plus on fait une chose,
plus on suscite l’envie de la refaire, et moins sa répétition devient pénible.
de sa «légende personnelle», etc.), l’école devrait plutôt s’affirmer comme le garde-fou devant cette maladive thérapie du bien-être.
Et si pour avancer dans la vie, comme dans l’apprentissage de la pensée, les fardeaux, les combats, les difficultés, étaient nécessaires? L’autonomie intellectuelle
est incontestablement source de grandes satisfactions,
mais à condition de le redire: elle n’est pas ce qui est
donné au départ comme déjà acquis, elle est ce qu’on
cherche à atteindre, progressivement, lentement, patiemment, rigoureusement, laborieusement.
Notes
1
Ce court texte est un condensé d’un plus long article «plaisir de penser, bonheur d’apprendre», disponible à l’adresse
suivante: [email protected].
2
Et encore… que l’on songe ici à la fameuse «pyramide de
Pic de la Mirandole», ou dans le même ordre la tripartition
classique en philosophie (Aristote, saint-Jean): vie sensible,
vie politique, vie intellectuelle.
3
Un recensement de ces expressions est donné dans l’article
déjà mentionné.
4
Maine de Biran, Essai sur les fondements de la psychologie,
Parie, PUF, 1932, t.VIII, pp.249-250.
5
La motivation ou la quadrature du cercle de tout processus
éducatif. On consultera là également avec profit certains
travaux récents (Reboul, Tardi notamment).
Conclusion
(
l’ auteur
L’air du temps, dans le passage de l’algophilie (étym.
l’amour de la douleur) à l’algophobie (étym. la haine
et la crainte de la douleur), du dolorisme (exaltation
de la souffrance et de l’effort) à l’hédonisme «fun»,
commande le bonheur au point d’en faire un devoir.
Après avoir rejeté traditions et religion, nous cherchons le sens de notre vie dans le consumérisme, dans
le culte du corps et de la santé, ou même dans l’exotisme de religions orientales mal assimilées, L’école faitelle exception à la règle? Ressent-elle également cette
injonction? Doit-elle aussi être «dans l’air du temps»?
J’en doute, et au lieu de tout exiger au nom du bonheur (bonheur d’apprendre, bonheur d’enseigner,
épanouissement personnel, développement ludique
Christian Wicky enseigne la philosophie au
collège des Creusets à Sion.
Le rapport au savoir en citations
Apprendre, un devoir
Apprendre, c’est un devoir. Les parents ont l’obligation de
donner une instruction à des enfants qui ont l’obligation
de la recevoir. Que cela plaise ou non. Dans le monde
scolaire, l’objection de conscience n’a pas de place.
François de Closets. Le bonheur d’apprendre ou comment
on l’assassine. Paris: Seuil, 1996.
Apprendre, un effort
Apprendre, c’est un effort. Aucune machine, aucune
recette, aucune pilule ne peut le faire à notre place. Au jeu
de l’apprentissage, il faut toujours payer de sa personne.
Ce qui est donné instantanément, qui ne requiert aucun
entraînement, aucune recherche, aucune étude, n’apporte
rien. Des maîtres peuvent nous guider, des méthodes nous
aider, des machines nous assister, des professeurs nous
16
instruire, mais il nous faudra toujours parcourir le chemin
si nous voulons arriver au but.
François de Closets. Le bonheur d’apprendre ou comment
on l’assassine. Paris: Seuil, 1996.
Apprendre, un plaisir
Apprendre, c’est un plaisir. Dans nos souvenirs scolaires, le
bonheur est associé à la réussite, pas au travail. […] A ce
jeu, nous avons oublié que le plaisir de découvrir existe en
soi et pour soi, qu’il ne dépend pas de sa rémunération.
Certes, l’apprentissage comporte des étapes fastidieuses,
répétitives, harassantes. […] Mais quel bonheur à chaque
progrès! Un bonheur ignoré de ceux qui, rebutés par les
premières difficultés, ont préféré le plaisir clé en main des
services gadgétisés.
François de Closets. Le bonheur d’apprendre ou comment
on l’assassine. Paris: Seuil, 1996.
Résonances - Septembre 2003
)
R apport au savoir:
avis d’enseignants
Quel rapport les élèves entretiennent-ils avec la connaissance? Comment s’opère l’alchimie entre désir, effort et plaisir à apprendre? Que faire pour donner le
goût d’apprendre aux élèves qui sont plutôt dans le
refus du savoir scolaire? Trois enseignants ont accepté
de se livrer au petit jeu de l’interview flash.
Christine Zufferey, enseignante en classe
primaire à Sion
«Si certains élèves considèrent qu’apprendre est un
privilège, pour d’autres c’est une obligation», note
Christine Zufferey. S’adapter à ces différents rapports
au savoir et trouver des stratégies pour présenter la
matière de façon à ce que tous les élèves découvrent
le désir et le plaisir d’apprendre est selon elle l’une des
difficultés majeures de l’enseignement. Quant à dire si
les élèves ont conscience de la part d’effort à fournir
pour apprendre, elle répond par l’affirmative, en précisant qu’à la fin du primaire tous, quel que soit leur
niveau, savent qu’il faut travailler pour apprendre.
Comment essaie-t-elle de les motiver? En tentant de
relier les savoirs à la vie quotidienne, au moins dans un
premier temps pour les intéresser. Christine Zufferey
remarque que les cours d’appui sont d’un précieux secours pour donner aux élèves en difficulté une chance
supplémentaire de découvrir le bonheur de la rencontre avec le savoir. Certaines démarches pédagogiques nouvelles lui semblent intéressantes pour stimuler l’envie d’apprendre, mais elle précise qu’il faut
encore parvenir à les concilier avec le rythme du programme, ce qui est loin d’être simple.
Bernadette Evrard, enseignante spécialisée
à Vouvry
Pour Bernadette Evrard, même les enfants en grande
difficulté avec qui elle travaille, ont généralement un
bon rapport avec le savoir. Rares sont ceux qui n’ont
aucune envie d’apprendre, pour peu qu’on titille leur
curiosité. Elle explique que même s’ils sont plus lents
que les autres et ont besoin d’un accompagnement individualisé, ils aiment apprendre de nouvelles choses
et le fait qu’ils rencontrent plus de difficultés que les
autres enfants n’empêche nullement les possibilités de
progrès. Elle observe aussi que la plupart de ses élèves
ont conscience de la notion d’effort dans l’apprentissage.
( Résonances - Septembre 2003
Pour les motiver, Bernadette Evrard pense qu’il faut faire plus de place au savoir utilitaire (utiliser la machine à
calculer, lire un panneau, etc.) et relève que l’abstraction constitue souvent un obstacle infranchissable pour
certains élèves, ce que l’école oublie parfois. Un élève
qui refuse d’apprendre peut-il changer d’attitude?
«Fort heureusement, il y a toujours un espoir, car il
suffit d’un déclic», souligne-t-elle, ajoutant que la reconnaissance de soi est déterminante dans le processus. Elle ajoute que la relation élève-enseignant est
aussi essentielle dans le rapport avec le savoir.
Olivier Raboud, CO de Nendaz
Olivier Raboud, enseignant au CO de Nendaz, observe
que le rapport au savoir est extrêmement inégal d’un
élève à l’autre. Il relève qu’à l’adolescence nombreux
sont les jeunes qui voudraient apprendre sans faire le
moindre effort, et comme plus l’élève éprouve des difficultés scolaires, moins le plaisir du savoir est immédiat, ce n’est pas simple. Pour sa part, il essaie d’établir
des relations entre la matière que les élèves doivent
apprendre et ce à quoi cela pourrait leur servir plus
tard pour leur avenir professionnel. Actuellement ne
demande-t-on pas trop au savoir d’être directement
utile? Il répond que c’est peut-être parfois le cas, mais
que force est de constater que certains élèves ne comprennent pas encore à l’âge du cycle d’orientation
l’utilité différée de certains savoirs constitutifs d’une
culture générale.
Que faire pour aider les élèves à avoir un rapport plus
positif au savoir? «Il s’agit de les préparer pour qu’ils
puissent s’intéresser par eux-mêmes au savoir en éveillant la curiosité plutôt qu’en les forçant à apprendre»,
explique Olivier Raboud. Il pense, ou du moins il espère, que les nouveaux moyens d’enseignement au CO
permettront d’aller davantage dans ce sens.
Propos recueillis par N. Revaz
Prochain dossier:
Baisse de niveau:
éternel débat?
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