Maude a prononcé mon nom sans conviction

Transcription

Maude a prononcé mon nom sans conviction
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« Josephine. »
Maude a prononcé mon nom sans conviction,
comme si j'étais morte ou qu'elle aurait aimé que je
le sois. J'étais assise face à elle, à l'une des tables au
fond du bar où la lumière du jour ne brillait jamais et
où l'odeur de la bière éventée et des cigarettes flottait en permanence. Maude avait été la maîtresse
d'un gangster dans les années trente et il lui avait
acheté ce bar pour qu'elle ne soit pas démunie après
sa disparition. Il était situé à l'angle de Broadway et
de la Quatrième Ouest, et quand on y allait pour la
première fois, on remarquait tout de suite qu'il n'y
avait pas une femme dans le bar à part Maude. Et
avec moi, ça faisait deux maintenant. Maude laissait
les garçons traîner chez elle parce que c'était bon
pour le commerce – ce n'est pas comme s'ils avaient
l'embarras du choix – et bien sûr, ce qu'il y avait
d'encore plus lucratif, c'était de garder leurs secrets.
« Salut Maude. » Elle m'a regardée comme si je
parlais chinois. Du rouge à lèvres rose était étalé sur
ses lèvres et elle était moulée dans une robe bustier
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en lamé deux tailles trop petites. Elle était blonde,
les cheveux crêpés relevés sur le dessus de la tête.
J'ai sorti de mon sac une bague en or toute simple
sertie d'un petit diamant. Une bague de fiançailles.
Elle était belle. Je l'avais piquée la veille chez Tiffany's.
Je l'ai tendue à Maude. Elle l'a prise dans sa
grosse main blanche avant de sortir une loupe de
son sac et de l'inspecter à la lumière jaunâtre de
l'ampoule pendue au mur. Elle a pris son temps.
Ça m'était égal. Quelqu'un a mis une chanson dans
le juke-box. Quelques gars se sont mis à danser
ensemble mais le barman leur a hurlé d'arrêter. Ils
ont laissé tomber et sont retournés s'asseoir. Si les
flics entraient et les voyaient danser, on risquait
tous de se faire embarquer.
Maude a inspecté la bague plusieurs fois avant de
me regarder en disant :
« Cinquante.
– Je pourrais en tirer plus chez le prêteur sur
gages », j'ai répondu.
Ce n'était pas tous les jours que j'allais chez Tiffany's et j'en voulais un bon prix. Je comptais manger pendant un mois grâce à cette bague.
« Te gêne pas. »
J'ai tendu la main pour récupérer la bague. Elle
l'a tapotée sur la table en me regardant. C'était la
même chose à chaque fois.
« Cent. »
J'ai laissé ma main là où elle était. Elle a regardé
la bague et l'a caressée délicatement. Du mascara
noir a coulé autour de ses yeux quand elle a cillé.
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« Cent cinquante », elle a dit après réflexion.
J'ai fait oui de la tête. Elle a sorti sept billets de
vingt et un de dix de son petit porte-monnaie doré
et les a roulés serré. Elle m'a tendu l'argent sous la
table. Je l'ai compté avant de l'empocher.
« Merci, Maude. »
Elle n'a rien répondu. Quand je me suis levée
pour sortir, elle m'a lancé :
« Hé, si tu vois Shelley, tu pourras lui dire qu'elle
a pas intérêt à se pointer ici.
– Quel est le problème ? j'ai dit en me rasseyant.
– J'ai aucun problème. Avec toi, en tout cas. Mais
Shelley, elle m'a apporté un bracelet en jurant qu'il
y avait une véritable émeraude dessus. Plus tard, j'ai
découvert que c'était du strass. Elle est plus la bienvenue ici.
– Elle a dû croire…
– Je me fous de ce qu'elle a dû croire. C'était du
toc. Je me fous de savoir si c'est le roi du Siam en
personne qui le lui a donné. Si tu la vois, dis-lui que
je veux plus jamais la voir.
– D'accord, j'ai soupiré. Si je te rembourse, tu
l'aideras la prochaine fois qu'elle sera dans la
merde ? »
Maude a hoché la tête.
« Je ne suis pas rancunière, Josephine, tu le sais.
– Bon, j'ai dit, le cœur lourd. Ça t'a coûté combien ?
– Deux cents billets.
– Tu n'aurais jamais donné deux cents billets à
qui que ce soit. Pas même au roi du Siam. »
Nous avons de nouveau négocié pendant un
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moment. Finalement, nous sommes tombées d'accord : cent vingt-cinq billets couvriraient les frais et
je lui ai rendu presque tout l'argent qu'elle venait de
me donner. Je me suis levée et je suis sortie. D'ordinaire, je serais restée un peu pour jouer au billard
– certains homos étaient doués et j'aimais bien entretenir mon jeu – mais j'avais rendez-vous en ville.