Les Hémoglobinopathies

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Les Hémoglobinopathies
Les Hémoglobinopathies
Nicole COUPRIE
Laboratoire Marcel Mérieux – Hématologie Spécialisée
Formation Continue du 10/02/2000
FC_Hémoglobinopathie.doc
Sommaire
1- Généralités et définitions
1-1. L’hémoglobine
1-2. Les hémoglobinopathies
les anomalies de structure de la protéine
les anomalies de synthèse des chaînes de globine
2- Rappels structuraux
2-1. Structure de l’hémoglobine
2-2. La structure des gènes de l’hémoglobine
3- Composantes du diagnostic clinico-biologique
3-1. Circonstances de diagnostic d’une hémoglobinopathie
3-2. Prélèvement
3-3. Approche clinique
3-3.1. Données anamnestiques
3-3.2. Examen clinique
3-4. Les techniques biologiques d’exploration des hémoglobinopathies
3-4.1. Données biologiques de base
3-4.2. Techniques spécifiques d’exploration des hémoglobinopathies
a/ Techniques électrophorétiques et chromatographiques
a1/ Electrophorèse sur acétate de cellulose à pH alcalin
a2/ Electrophorèse sur agar à pH acide
a3/ Chromatographie liquide à haute performance
a4/ Focalisation isoélectrique ou isoélectrofocalisation
a5/ Electrophorèse des chaînes de globine
a6/ Etude de la biosynthèse in vitro des chaînes de globine
b/ Techniques hématologiques et biochimiques complémentaires
b1/ Test de falciformation d’Emmel
b2/ Test de Kleihauer
b3/ Etude de la distribution de la densité des globules rouges
b4/ Test de solubilité de l’hémoglobine S ou test d’Itano
b5/ Dosage de l’hémoglobine foetale
b6/ Test de stabilité de l’hémoglobine à l’isopropanol
c/ Explorations génomiques
c1/ Haplotypes
c2/ Polymerase Chain Reaction
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4- Quelques tableaux clinico-biologiques d’hémoglobinopathies
4-1. Les thalassémies
4-1.1. Les β-thalassémies
a/ Répartition géographique
b/ Physiopathologie des β-thalassémies
c/ Classification des lésions moléculaires des β-thalassémies
d/ Classification clinique des β-thalassémies
d1/ β-thalassémie homozygote
d2/ β-thalassémie intermédiaire
d3/ β-thalassémie mineure
d4/ β-thalassémie silencieuse
e/ Diagnostic biologique des β-thalassémies
e1/ Anomalies hématologiques
e2/ Explorations phénotypiques et moléculaires de l’hémoglobine
4-1.2. Les α-thalassémies
a/ Répartition géographique
b/ Physiopathologie et classification des lésions moléculaires
b1/ Les α-thalassémies délétionnelles
b2/ Les α-thalassémies non délétionnelles
b3/ Les α-thalassémies acquises
c/ Classification clinique des α-thalassémies
c1/ Anasarque fœtal de Bart
c2/ Hémoglobinose H
c3/ α-thalassémie-1 ou α-thalassémie mineure
c4/ α-thalassémie-2 ou α-thalassémie silencieuse
d/ Diagnostic biologique des α-thalassémies
d1/ Anomalies hématologiques
d2/ Explorations phénotypiques et moléculaires de l’hémoglobine
4-1.3. Les δβ-thalassémies
δβ
a/ Définition moléculaire
b/ Tableaux cliniques
c/ Explorations biologiques
4-1.4. Les hémoglobines Lepore
a/ Définition moléculaire
b/ Tableaux cliniques
c/ Explorations biologiques
4-2. Les persistances héréditaires de l’hémoglobine fœtale
4-2.1. Définition moléculaire
4-2.2. Aspect clinique
4-2.3. Explorations biologiques
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4-3. Quelques hémoglobines anormales
4-3.1. La drépanocytose
a/ Répartition géographique
b/ Définition moléculaire
c/ Physiopathologie
c1/ Physiopathologie au niveau moléculaire
c2/ Physiopathologie au niveau cellulaire
d/ Aspects cliniques
d1/ Drépanocytose homozygote
d2/ Drépanocytose hétérozygote
d3/ Autres syndromes drépanocytaires
e/ Diagnostic biologique
e1/ Anomalies hématologiques
e2/ Explorations phénotypiques
4-3.2. L’hémoglobine C
a/ Répartition géographique et définition moléculaire
b/ Physiopathologie
c/ Aspects cliniques
d/ Diagnostic biologique
d1/ Anomalies hématologiques
d2/ Explorations phénotypiques
4-3.3. L’hémoglobine E
a/ Répartition géographique et définition moléculaire
b/ Physiopathologie
c/ Aspects cliniques
d/ Diagnostic biologique
d1/ Anomalies hématologiques
d2/ Explorations phénotypiques
4-3.4. Une hémoglobine instable : l’hémoglobine Djelfa
a/ Définition
b/ Répartition géographique et définition moléculaire
c/ Physiopathologie
d/ Aspects cliniques
e/ Diagnostic biologique
e1/ Anomalies hématologiques
e2/ Explorations biologiques spécifiques
5- En pratique biologique courante
6- Pour en savoir plus
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Les hémoglobinopathies
1- Généralités et définitions
1-1. L’hémoglobine
L’hémoglobine appartient à la famille des pigments respiratoires qui sont des macromolécules
protéiques fixant réversiblement l’oxygène et qui se sont développées aussi bien chez les
vertébrés que chez les invertébrés. Outre son rôle principal dans le transport de l’oxygène des
poumons aux tissus, l’hémoglobine est impliquée dans l’élimination du gaz carbonique et le
maintien du pH intra-érythrocytaire.
1-2. Les hémoglobinopathies
Ce sont des maladies génétiquement déterminées qui constituent un problème de santé publique
dans de vastes parties du monde. Les praticiens sont confrontés de plus en plus souvent à ces
affections en raison des migrations de populations. Ils doivent poser un diagnostic précis pour
prendre en charge les patients, donner un conseil génétique et, si nécessaire, porter un diagnostic
prénatal.
Les anomalies de l’hémoglobine se répartissent en deux grands groupes :
les anomalies de structure de la protéine, responsables d’anémies, plus rarement de
polyglobulie ou de cyanose. C’est dans cette catégorie que se situe la drépanocytose par exemple.
les anomalies de synthèse des chaînes de globine : ce sont d’une part les syndromes
thalassémiques (α-thalassémies dues à un déficit de synthèse des chaînes α, et les β–
thalassémies résultant d’un déficit de synthèse des chaînes β) et d’autre part les persistances
héréditaires de l’hémoglobine fœtale.
Les deux types d’anomalies peuvent être intriqués : ce sont par exemple les syndromes thalassodrépanocytaires.
Les mécanismes moléculaires responsables de ces anomalies sont multiples. Il existe une grande
diversité des syndromes cliniques.
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2- Rappels structuraux
2-1. Structure de l’hémoglobine
L’hémoglobine humaine comporte une partie protéique : les chaînes de globine, au nombre de
quatre et identiques deux à deux (deux chaînes de type α et deux chaînes de type β), unies par
des liaisons non covalentes et une partie non protéique : l’hème.
Dans la structure tétramérique, les dimères sont disposés de telle sorte que la sous-unité α1 soit
en contact avec la sous-unité β 2 et α2 de β 1. Le contact est rigide entre les sous-unités d’un même
dimère (α1β1 ou α2β2). Le contact entre les chaînes β, au niveau de la cavité centrale, est établi par
l’intermédiaire d’une molécule de 2,3-diphosphoglycérate (2,3-DPG) et stabilise la configuration
désoxygénée. Lors de la transition de l’état désoxygéné, le 2,3-DPG est expulsé de la cavité
centrale.
Les sous-unités protéiques ont une surface externe, en contact avec le milieu aqueux ambiant,
constituée de résidus hydrophiles alors que les régions internes comprennent des résidus
hydrophobes qui, en échangeant un très grand nombre de liaisons de faible énergie, stabilisent
l’édifice moléculaire. Les hélices constituant chaque sous-unité de globine sont désignées par une
lettre de A à H.
La molécule d’hème est logée dans une cavité en forme de V de chaque sous-unité de globine.
C’est une protoporphyrine ayant à son centre un atome de fer sous forme réduite, qui peut fixer de
façon réversible un atome d’oxygène.
2-2. La structure des gènes de l’hémoglobine
Les gènes de la famille α sont situés sur le chromosome 16 et ceux de la famille β sur le
chromosome 11. La famille α comporte trois gènes et la famille β cinq. Il existe de plus des
séquences similaires à celles des gènes ne codant pour aucune chaîne polypeptidique
(pseudogènes). Comme d’autres gènes, ceux de la globine sont constitués par des zones
codantes et des zones non codantes.
L’ordre des gènes de 5’ en 3’ sur le chromosome correspond à l’ordre de leur expression au cours
du développement. En effet le profil électrophorétique des hémoglobines varie au cours de la vie :
chez l’embryon, trois hémoglobines coexistent :
Hb Gower 1 (ζ2ε2)
Hb Gower 2(α2ε2)
Hb Portland (ζ2γ2)
chez le fœtus apparaît l’hémoglobine fœtale (α2γ2). Les chaînes γ sont produites par deux gènes
dupliqués : Gγ et Aγ ; le rapport Gγ / Aγ = 3/1.
après la naissance, l’hémoglobine F diminue rapidement ; le rapport Gγ / Aγ = 2/3.
le statut hémoglobinique adulte est atteint, en principe, entre l’âge de 1 et 2 ans, et comporte :
Hb A ≈ 97 %
Hb A2 ≤ 3,1 %
Hb F ≤ 1 %
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3- Composantes du diagnostic clinico-biologique
3-1. Circonstances de diagnostic d’une hémoglobinopathie
Les situations amenant à étudier une hémoglobinopathie sont multiples et comprennent :
le diagnostic étiologique d’anomalies biologiques :
- anomalies hématologiques au niveau d’un frottis sanguin,
- signes d’hémolyse,
- fraction hémoglobinique anormale sur le tracé chromatographique pour dosage de l’hémoglobine
glyquée
le diagnostic étiologique d’anomalies cliniques :
- anémie hémolytique (lithiase vésiculaire),
- polyglobulie,
- cyanose,
l’enquête familiale, suite à la découverte d’une hémoglobinopathie
la recherche systématique chez les nouveau-nés de certaines maternités.
3-2. Prélèvement
Pour la plupart des explorations d’une hémoglobinopathie, un tube de sang total recueilli sur EDTA
suffit. Le diagnostic d’une drépanocytose chez un nouveau-né peut même être réalisé sur un
échantillon d’une centaine de microlitres de sang.
L’idéal est de travailler sur du sang frais. Le délai de conservation au-delà de trois ou quatre jours
peut faire apparaître des fractions hémoglobiniques dénaturées qui peuvent poser des problèmes
diagnostiques avec certaines hémoglobines en très petite quantité ; de même, la méthémoglobine,
qui représente moins de 1 % de l’hémoglobine à l’état normal, peut augmenter dans les
prélèvements vieillis.
3-3. Approche clinique
3-3.1. Données anamnestiques
origine ethno-géographique,
contexte familial,
données physiologiques : âge, grossesse
données pathologiques : traitement cytostatique par l’hydroxyurée (Hydrea)
3-3.2. Examen clinique
signes d’anémie : pâleur cutanéo-muqueuse, asthénie, souffle cardiaque…
signes d’hémolyse : splénomégalie, lithiase vésiculaire…
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3-4. Les techniques biologiques d’exploration des hémoglobinopathies
3-4.1. Données biologiques de base
Hémogramme
hémoglobine
nombre d’hématies
volume globulaire moyen
teneur hémoglobinique corpusculaire
morphologie érythrocytaire : cellules cibles, drépanocytes, poïkilocytose, microcytose,
hypochromie
inclusions érythrocytaires : corps de Jolly, ponctuations basophiles, corps de Heinz
réticulocytes, érythroblastes
leucocytes
plaquettes
bilan martial : fer sérique, coefficient de saturation de la transferrine, ferritine
paramètres d’hémolyse : bilirubine libre et conjuguée, haptoglobine
3-4.2. Techniques spécifiques d’exploration des hémoglobinopathies
a/ Techniques électrophorétiques et chromatographiques
a1/ Electrophorèse sur acétate de cellulose à pH alcalin
C’est la technique standard la plus simple à mettre en œuvre. Elle sépare les différentes
hémoglobines en fonction de leur charge et de la position de l’acide aminé muté dans la molécule.
Elle permet une bonne séparation des différentes fractions hémoglobiniques normales : A, F, A2 et
le dépistage des syndromes thalassémiques.
Cependant il faut doser l’hémoglobine A2 pour confirmer le diagnostic de β-thalassémie et utiliser
un autre système de séparation pour identifier les hémoglobines anormales. Un tracé normal
n'exclut pas une hémoglobinopathie.
a2/ Electrophorèse sur agar à pH acide
Cette technique complète l’électrophorèse à pH alcalin. La migration d’une hémoglobine anormale
en agar dépend d’abord de la localisation de la mutation et secondairement du changement de
charge ; cette migration résulte de l’électroendosmose, de la liaison à l’agaropectine et de l’effet de
l’ion citrate.
En effet, elle permet de séparer les variants ayant la même mobilité que les hémoglobines A, S ou
C sur acétate de cellulose. Elle permet une très bonne séparation des hémoglobines A et F, ce qui
n’est pas le cas dans l’électrophorèse à pH alcalin.
Cependant la mise en évidence de mutants de même mobilité que l’hémoglobine A n’est pas
possible par cette seule technique. De plus, les anomalies qualitatives observées sur les tracés
doivent être précisées par dosage.
a3/ Chromatographie liquide à haute performance
Des systèmes complètement automatisés peuvent être utilisés, comme le Variant qui est une
CLHP par échange de cation avec détection des composés élués à double longueur d’onde (415 /
690 nm).
Des fenêtres sont établies pour les hémoglobines les plus fréquentes en fonction de leur temps de
rétention. L’identification de ces variants spécifiques nécessite cependant des techniques
additionnelles.
Un étalon avec des valeurs connues (exprimées en pourcentage de surface) pour les
hémoglobines A2 et F permet de quantifier ces fractions.
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Il est ainsi possible de détecter des anomalies quantitatives du chromatogramme qui ne sont pas
en rapport avec des hémoglobinopathies :
L’Hb F peut s’élever quand il y a expansion de l’érythropoïèse : après une hémorragie ou une
hémolyse aiguë par exemple, au cours du deuxième trimestre de la grossesse, ou lors d’un stress
érythropoïétique aigu qui s’accompagne d’une régénération médullaire rapide.
Des augmentations de l’Hb F se rencontrent dans diverses pathologies comme : les syndromes
myélomonocytaires de l’enfant, certains cancers métastasés, la myélofibrose, certaines anémies
(anémies inflammatoires chroniques, anémie de Biermer, microsphérocytose, maladie de Fanconi,
maladie de Blackfan-Diamond), l’hémoglobinurie nocturne paroxystique…
Une élévation du taux de l’Hb A2 peut s’observer en dehors de toute hémoglobinopathie, dans le
cadre de maladies virales (hépatites, infection par le VIH…), hyperthyroïdies, dysérythropoïèses…
a4/ Focalisation isoélectrique ou isoélectrofocalisation
L’isoélectrofocalisation est une technique d’électrophorèse sur gel de polyacrylamide en gradient
de pH, sous voltage élevé. Les hémoglobines sont séparées grâce à leur point isoélectrique. La
visualisation définitive des fractions hémoglobiniques est réalisée par une brève fixation par l’acide
trichloracétique.
Le pouvoir de résolution de cette technique est proche de celui des meilleures techniques
chromatographiques. Elle permet d’identifier les hémoglobines anormales chez l’adulte par
comparaison de la position isoélectrique du mutant inconnu avec celle d’un mutant de référence.
Elle permet de détecter les hémoglobines anormales chez le nouveau-né alors que l’hémoglobine
F est le composant hémoglobinique majeur dans les premiers mois de la vie.
a5/ Electrophorèse des chaînes de globine
Cette électrophorèse est réalisée en gel de polyacrylamide en milieu acide dissociant, c’est-à-dire
en présence d’urée 8M et d’un détergent le Triton-X100
Cette technique met en évidence toute substitution d’acides aminés impliquant une différence
d’hydrophobicité de la chaîne latérale de l’acide aminé concerné, même en l’absence de différence
de charge. Elle permet de séparer les deux chaînes γ qui ne diffèrent entre elles que par un résidu
méthyl (γ136 Ala ou Gly).
a6/ Etude de la biosynthèse in vitro des chaînes de globine
Les globules rouges (fraction enrichie en réticulocytes) sont mis en incubation en présence de
leucine tritiée. Après incorporation de cet acide aminée radio-marqué, la séparation des chaînes
de globine synthétisées est réalisée par chromatographie liquide à haute performance en phase
inverse par exemple. La radioactivité de chaque pic est déterminée. Les rapports de biosynthèse
des chaînes α / non α sont ainsi déterminés.
b/ Techniques hématologiques et biochimiques complémentaires
b1/ Test de falciformation d’Emmel
Il permet de rechercher une drépanocytose. La technique consiste à mettre en contact, sur une
lame, une goutte de sang avec une goutte de métabisulfite de sodium. L’hémoglobine S et d’autres
hémoglobines (comme l’hémoglobie C Harlem) ont une solubilité très diminuée quand elles sont
désoxygénées. Les hématies qui les contiennent changent de forme et deviennent incurvées. On
décèle alors rapidement au microscope la falciformation.
C’est une technique très grossière qui ne permet pas de faire la différence entre drépanocytose
hétérozygote et homozygote.
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b2/ Test de Kleihauer
Il s’agit d’une technique cytologique qui permet de repérer les hématies contenant de
l’hémoglobine F et de connaître la distribution de cette hémoglobine au sein de la population
érythrocytaire.
Cette technique permet de préciser le caractère pancellulaire ou hétérocellulaire d’une Persistance
Héréditaire de l’Hémoglobine Fœtale.
b3/ Etude de la distribution de la densité des globules rouges
La densité des globules rouges est étudiée par la méthode des phtalates.
La densité des globules rouges se répartit selon une distribution gaussienne caractérisée par une
densité médiane ; on peut déterminer aussi le pourcentage de cellules denses.
Chez le drépanocytaire homozygote, il semble que la densité médiane et le pourcentage de
cellules denses varient d’un malade à l’autre en restant constants dans le temps pour un même
patient. Cela permettrait d’appréhender l’hétérogénéité de la maladie drépanocytaire en comparant
les malades.
b4/ Test de solubilité de l’hémoglobine S ou test d’Itano
L’hémoglobine S, sous forme désoxygénée, précipite quand elle se trouve en solution saline
concentrée. Seule l’hémoglobine H, instable, précipite dans les mêmes conditions.
b5/ Dosage de l’hémoglobine foetale
Plusieurs techniques existent.
Cependant seule la CLHP permet de doser l’hémoglobine F quel que soit son taux.
b6/ Test de stabilité de l’hémoglobine à l’isopropanol
Les forces de cohésion internes de la molécule d’hémoglobine diminuent dans un milieu apolaire
que constitue l’isopropanol. Quand celui-ci est à la concentration de 17 % V/V, l’hémoglobine A
précipite après 50 à 60 minutes à 37°C.
L’instabilité d’une hémoglobine se manifeste par une précipitation précoce (de 5 à 20 minutes).
b7/ Exploration de la fixation de l’oxygène (mesure de la P50 et du 2, 3-diphosphoglycérate
intra-érythrocytaire)
L’affinité des hématies pour l’oxygène est définie par la pression partielle d’oxygène à laquelle
l’hémoglobine contenue dans les globules rouges est à mi-saturation (P50). Cette détermination
nécessite un équipement particulier et ne peut être réalisée que sur un prélèvement extemporané.
c/ Explorations génomiques
c1/ Haplotypes
Il existe dans le génome de nombreuses substitutions ou insertions nucléotidiques sans
expression phénotypique mais détectables par les enzymes de restriction. Ces enzymes clivent
l’ADN quand elles rencontrent une séquence de bases spécifiques (d’où leur caractère de
restriction). Elles donnent lieu à des différences (« polymorphismes ») de la longueur des
fragments de l’ADN générés par les clivages. En effet une mutation sur l’ADN peut abolir (-) ou
générer (+) un site de clivage.
Actuellement une vingtaine de sites de restriction ont été identifiés le long du complexe β. La
combinaison des sites de restriction polymorphes observés sur chaque chromosome permet de
définir un haplotype chromosomique.
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c2/ Polymerase Chain Reaction
Des techniques d’amplification de l’ADN à l’aide d’amorces judicieusement choisies permettent du
faire apparaître sur l’électrophorèse en gel d’agarose ou de polyacrylamide, des produits
d’amplification de tailles différentes selon la présence ou l’absence d’une mutation ou d’une
délétion.
4- Quelques tableaux clinico-biologiques d’hémoglobinopathies
4-1. Les thalassémies
Les thalassémies sont définies par un déficit total ou partiel de synthèse de chaînes de
l’hémoglobine. Elles peuvent concerner toutes les chaînes de l’hémoglobine. Nous nous limiterons
aux thalassémies suivantes : α, β, et δβ-thalassémies.
4-1.1. Les β-thalassémies
a/ Répartition géographique
Les plus fortes densités de β-thalassémies sont décrites sur le pourtour méditerranéen : Italie,
Sardaigne, Sicile, Grèce (la fréquence du trait est de l’ordre de 8 % de la population), Afrique du
Nord, Proche et Moyen-Orient sauf le Japon. En Afrique intertropicale, la fréquence varie de 1 à 5
% selon les régions.
En France, 36,5 % des sujets originaires de pays à haut risque pour les β-thalassémies résident
dans la région parisienne et 63,5 % en province (d’après D. Lena-Russo, 1992).
b/ Physiopathologie des β -thalassémies
Les β-thalassémies sont définies par un déficit total ou partiel en synthèse de chaînes β de
l’hémoglobine. On distingue les β 0-thalassémies (absence de synthèse) et les β +-thalassémies
(présence d’une synthèse diminuée).
En raison de l’absence ou de la diminution de synthèse des chaînes β, le tétramère
hémoglobinique normal est peu ou pas formé et les chaînes α non appariées, moins solubles,
précipitent et altèrent l’érythroblaste provoquant sa destruction.
Les troubles sont davantage liés à la dysérythropoïèse qu’à l’hémolyse. La précipitation des
chaînes libres s’effectue dès les étapes précoces de l’érythrogenèse. Il s’en suit une érythropoïèse
inefficace ainsi qu’une prolifération du tissu érythroïde.
Cependant dans les hématies du sang périphérique, la précipitation des chaînes α libres conduit à
des altérations membranaires et à une hémolyse.
La chaîne δ n’étant synthétisée qu’en faible quantité, la seule compensation possible est une
production accrue des sous-unités γ, qui constituent, associées aux sous-unités α, l’hémoglobine
F. L’hémoglobine F circulante, quantitativement insuffisante et ayant une affinité élevée pour
l’oxygène, ne peut corriger le défaut d’oxygénation des tissus. L’anoxie tissulaire, à l’origine d’une
stimulation de la synthèse de l’érythropoïétine, accroît encore le processus érythropoïétique.
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c/ Classification des lésions moléculaires des β -thalassémies
Les lésions moléculaires à l’origine des β-thalassémies sont nombreuses et la liste ne peut en être
exhaustive.
les délétions étendues
Elles sont rares (contrairement au cas des α-thalassémies)
les mutations non-sens
Elles aboutissent à l’apparition d’un codon de terminaison prématurée (par exemple : apparition
d’un codon-stop β0 39).
les mutations décalantes du cadre de lecture par insertion ou délétion d’une ou de plusieurs
bases (mutations « frame-shift »).
les mutations affectant l’épissage normal du transcrit primaire en ARN messager : anomalie de la
charnière exon-intron, anomalies de séquences consensus, anomalies à l’intérieur d’un intron…
les mutations dans le promoteur du gène
les mutations dans le site de polyadénylation (extrémité 3’ de l’ARN messager)
les mutations du site CAP (extrémité 5’ de l’ARN messager)
les mutations du codon d’initiation
des hémoglobines hyper-instables peuvent entraîner une β-thalassémie comme
l’hémoglobine Cagliari β 60 [E4] Val Glu, par exemple.
certaines hémoglobines anormales comme l’hémoglobine E (β 26 [B8] Glu Lys) ou
l’hémoglobine Knossos (β 27 [B9] Ala Ser) s’accompagnent d’un syndrome thalassémique.
d/ Classification clinique des β -thalassémies
d1/ β -thalassémie homozygote
La forme homozygote habituelle est l’anémie de Cooley.
La maladie apparaît au cours des premiers mois de la vie lorsque s’effectue la commutation entre
hémoglobine fœtale et hémoglobines adultes. Elle se traduit par un syndrome anémique très
sévère, une hépato-splénomégalie, un retard de croissance.
Non traitée, la maladie évolue spontanément vers le décès en quelques mois ou années dans un
tableau d’anémie parfois aggravé par des infections intercurrentes. Cette pathologie nécessite des
transfusions sanguines régulières accompagnées d’un traitement chélateur du fer et généralement
d’une splénectomie en attendant une greffe de moelle.
d2/ β -thalassémie intermédiaire
La définition de cette entité est purement clinique : elle est caractérisée par une bonne tolérance à
l’anémie sans asthénie. Le retentissement sur l’état général est le plus souvent modéré.
Cependant la puberté est souvent retardée, mais généralement complète. La splénomégalie est
habituelle dans ces formes de thalassémie ; elle peut évoluer vers un hypersplénisme et rendre
compte des besoins transfusionnelles.
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Sur le plan génétique, il peut s’agir d’une anomalie homozygote dans laquelle le déséquilibre de
synthèse des chaînes de globine est plus modéré que dans les β 0-thalassémies. Mais certaines βthalassémies intermédiaires surviennent chez des hétérozygotes dans le cadre de certaines
mutations du troisième exon en particulier.
d3/ β -thalassémie mineure
C’est la forme le plus souvent observée chez les sujets hétérozygotes.
La traduction en est essentiellement hématologique avec une discrète anémie microcytaire
pseudo-polyglobulique. Toutes les complications des β-thalassémies intermédiaires peuvent être
observées mais leur fréquence et leur gravité sont infiniment moindres : splénomégalie, ulcères de
jambes, lithiase vésiculaire.
d4/ β -thalassémie silencieuse
Il s’agit d’une forme inapparente de β-thalassémie, même sur le plan hématologique et
l’hémoglobine A2 peut être normale. Cette forme est déduite de l’étude familiale. Sur le plan
moléculaire, il s’agit de certaines mutations du promoteur diminuant faiblement la transcription du
gène β.
e/ Diagnostic biologique des β -thalassémies
e1/ Anomalies hématologiques
Selon l’anomalie génétique, on observe :
Anomalie
Numération
Aspect sur lame
β0 thal homozygote
Hb : 2-10 g/dl
VGM : 60-75 fl
β+ thal homozygote
Hb : 2-10 g/dl
VGM : 60-75 fl
β thal hétérozygote
Hb : 10-13 g/dl
VGM : 65-75 fl
anisocytose
hypochromie
poïkilocytose
érythroblastes
anisocytose
hypochromie
poïkilocytose
érythroblastes
anisocytose
± poïkilocytose
e2/ Explorations phénotypiques et moléculaires de l’hémoglobine
Dans la forme hétérozygote, la chromatographie de l’hémoglobine est essentielle et montre un
taux d’hémoglobine A2 supérieur à 3,4 % ; le taux d’hémoglobine F est supérieur à 1 % dans
environ la moitié des cas. Le diagnostic est difficile quand sidéropénie et β-thalassémie mineure
coexistent chez un même patient car la carence martiale provoque une diminution du taux de
l’hémoglobine A2. Il convient alors de renouveler l’exploration biologique après un traitement
martial suffisant.
Dans la β-thalassémie homozygote, la chromatographie montre exclusivement de l’hémoglobine
A2 et de l’hémoglobine F. Il convient de confirmer ces fractions hémoglobiniques dans un
deuxième système de migration comme la focalisation isoélectrique. L’étude phénotypique
familiale est importante à ce stade.
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C’est la biosynthèse in vitro des chaînes de globine qui assure le diagnostic de certitude. Le
diagnostic précis de la mutation au niveau de l’ADN est réalisé par des techniques d’amplification
PCR, hybridation avec des sondes oligonucléotidiques spécifiques, analyse électrophorétique
des produits d’amplification et éventuellement séquençage.
4-1.2. Les α-thalassémies
a/ Répartition géographique
Elles ont une fréquence encore plus importante que les β-thalassémies en Afrique, en Asie et
autour de la Méditerranée. En général, elles n’ont de conséquence clinique que dans les formes
où trois ou quatre gènes α sont anormaux ou absents. La délétion des quatre gènes α concerne
particulièrement les populations du Sud-Est asiatique.
b/ Physiopathologie et classification des lésions moléculaires
Les α-thalassémies traduisent un défaut d’expression d’un ou de plusieurs gènes codant pour les
chaînes α de globine. Le mécanisme moléculaire le plus souvent incriminé est la délétion des
gènes α. Des mutations ponctuelles affectant la transcription ou la traduction de la chaîne α ont
été également décrites.
b1/ Les α-thalassémies délétionnelles
Elles sont liées à une perte de matériel génétique. Celles-ci sont secondaires à des phénomènes
de recombinaison génétique inégale entre les chromosomes homologues 16 (exemple de la
thalassémie α -3.7 ).
Phénotype
Normal
α-thalassémie –1
α+-thalassémie hétérozygote
α-thalassémie –2
α+-thalassémie homozygote
α0-thalassémie hétérozygote
Hémoglobinose H
Hydrops fœtalis
Nombre de gènes α fonctionnels
4
3
Génotype
αα / αα
αα / −α
2
1
0
−α / −α
αα / −−
−α / −−
−−=/ −−
b2/ Les α-thalassémies non délétionnelles
Les causes en sont multiples :
- mutation décalante du cadre de lecture (mutations « frameshift »)
- épissage aberrant par délétion de nucléotides au niveau d’introns
- perturbation de l’extrémité 3’ de l’ARN messager au niveau du site de polyadénylation
- mutation dans le codon de terminaison avec élongation de chaîne et production de globine
hyperinstable (par exemple : hémoglobine Constant Spring).
b3/ Les α-thalassémies acquises
Il a été décrit quelques cas d’ α-thalassémie acquise : hémoglobinose H associée à un syndrome
de prolifération leucémique, le plus souvent chez des sujets âgés de sexe masculin. Le
mécanisme moléculaire responsable de l’absence de synthèse des chaînes α dans ces
érythrocytes anormaux est encore totalement inconnu.
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c/ Classification clinique des α-thalassémies
Les α-thalassémies s’expriment selon quatre formes cliniques, en fonction du nombre de gènes
défectueux ou absents. En pratique, cette classification doit être nuancée par la différence
d’expression des gènes α1 et α2.
c1/ Anasarque fœtal de Bart
Il s’agit de l’absence totale de gène α fonctionnel. Cette anomalie est à l’origine d’une anémie
hémolytique extrêmement sévère durant la vie fœtale, conduisant à la mort in utero dans un
tableau d’hydrops fœtalis.
c2/ Hémoglobinose H
Elle se rencontre le plus souvent chez des patients d’origine asiatique ou méditerranéenne et
exceptionnellement dans la race noire. Elle se présente comme une anémie hémolytique assez
grave, accompagnée de pâleur, d’ictère cutanéo-muqueux et de splénomégalie ; la survenue d’une
lithiase en est une complication fréquente.
Des épisodes hyperhémolytiques avec séquestration splénique sont une indication de
splénectomie.
c3/ α-thalassémie 1 ou α-thalassémie mineure
Deux gènes sont délétés et seule existe une discrète anémie microcytaire.
c4/ α-thalassémie 2 ou α-thalassémie silencieuse
Quand il reste trois gènes normaux, l’α-thalassémie est pratiquement asymptomatique en dehors
de la présence d’hémoglobine Bart (tétramères γ4) présente à un taux de 1 à 2 %, à la naissance.
Elle peut cependant être suspectée quand elle est associée à une hémoglobine anormale, par
exemple : hémoglobine S, C ou E, ou en cas de β-thalassémie de sévérité intermédiaire chez un
homozygote β0-thalassémique.
d/ Diagnostic biologique des α-thalassémies
d1/ Anomalies hématologiques
Dans les α-thalassémies 2, le volume globulaire moyen est souvent normal.
Dans les α-thalassémies 1, le frottis sanguin montre une microcytose, une hypochromie et des
cellules cibles.
Dans l’hémoglobinose H, on observe :
- une microcytose importante (souvent inférieur à 50 fl)
- des anomalies de la morphologie érythrocytaire : hypochromie, ponctuations basophiles,
schizocytose, cellules cibles…
- une réticulocytose supérieure à 5 %.
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Anomalie
+
α thal hétérozygote : délétion
d’1 gène α
α+ thal homozygote
α0 thal hétérozygote :
délétion de 2 gènes α
Hémoglobinose H :
délétion de 3 gènes α
Numération
Aspect sur lame
Hb : 12-14 g/dl
VGM : 62-78 fl
Normal
Hb : 11-12 g/dl
VGM : 62-78 fl
Hb : 3-12 g/dl
VGM : 50 fl
réticulocytose
anisocytose
hypochromie
poïkilocytose
anisocytose
hypochromie
poïkilocytose
schizocytose
cellules cibles
d2/ Explorations phénotypiques et moléculaires de l’hémoglobine
Les techniques d’électrophorèse à pH alcalin et à pH acide peuvent mettre en évidence
l’hémoglobine Bart.
La chromatographie liquide à haute performance des hémoglobines peut laisser suspecter
l’existence d’une α-thalassémie 1 devant une diminution de l’hémoglobine A2. L’hémoglobine Bart
est également mise en évidence et confirmée par la technique de focalisation isoélectrique.
L’étude de la biosynthèse in vitro des chaînes de globine apporte un diagnostic de certitude.
Les α-thalassémies délétionnelles peuvent également être détectées par l’utilisation de la
technique de PCR, avec choix opportun des amorces et digestion enzymatique des produits
d’amplification.
4-1.3. Les δβ-thalassémies
δβ
a/ Définition moléculaire
Les δβ-thalassémies se caractérisent par un atteinte concomitante des chaînes β et δ de globine.
Elles résultent d’une délétion plus ou moins étendue des deux gènes.
b/ Tableaux cliniques
La forme hétérozygote de δβ-thalassémie est asymptomatique.
La forme homozygote réalise un tableau d’anémie de Cooley.
c/ Explorations biologiques
La δβ-thalassémie hétérozygote se traduit au niveau de l’hémogramme par une microcytose.
La CLHP montre une absence d’élévation du pourcentage de l’hémoglobine A2 et une élévation de
l’hémoglobine fœtale (5 à 10 %).
A l’état homozygote, dans la forme δβ0-thalassémie, il n’y a pas de synthèse d’hémoglobine A ni
d’hémoglobine A2 ; par contre il y a une synthèse d’hémoglobine fœtale. L’étude de la biosynthèse
in vitro des chaînes de globine et la détermination du génotype assurent le diagnostic.
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4-1.4. Les hémoglobines Lepore
Les hémoglobines Lepore s’apparentent aux δβ-thalassémies ; il s’agit d’une forme avec
expression d’une hémoglobine structuralement anormale.
a/ Définition moléculaire
Les hémoglobines Lepore sont caractérisées par un gène de fusion δβ qui résulte d’un crossing
over entre gènes δ et β= de deux chromosomes, dû à un mauvais alignement des gènes au cours
de la méïose. Les différentes localisations du crossing over définissent plusieurs hémoglobines
Lepore ; la plus fréquente est l’hémoglobine Boston.
Par ailleurs, il existe également des hémoglobines anormales appelées anti-Lepore (hémoglobines
P-Congo…) dont la chaîne mutée commence par la séquence β et se termine par la séquence δ.
b/ Tableaux cliniques
Ces lésions sont responsables d’un syndrome thalassémique car la chaîne Lepore est exprimée
cinq fois moins que le gène β normal.
Les formes hétérozygote et homozygote des hémoglobines Lepore se comportent comme des δβthalassémies hétérozygote ou homozygote, respectivement.
c/ Explorations biologiques
L’hémoglobine Lepore à l’état hétérozygote constitue une bande supplémentaire anormale
d’environ 10 % au niveau de l’hémoglobine S sur l’électrophorèse à pH alcalin ; cette fraction
présente un temps de rétention voisin de celui de l’hémoglobine A2 sur le tracé de CLHP.
L’individualisation secondaire de cette fraction par la technique de focalisation isoélectrique permet
d’affirmer l’existence de l’hémoglobine Lepore.
Chez le sujet homozygote, la chromatographie, comme le tracé d’isoélectrofocalisation ne
montre que cette bande anormale et de l’hémoglobine F.
4-2. Les persistances héréditaires de l’hémoglobine fœtale
4-2.1. Définition moléculaire
Les persistances héréditaires de l’hémoglobine fœtale (PHHF) correspondent à un état au cours
duquel les gènes γ restent actifs pendant la vie adulte.
Les lésions moléculaires font distinguer :
- les PHHF sans délétion qui sont souvent associées à des mutations ponctuelles des promoteurs
des gènes γ ; elles sont de beaucoup les plus fréquentes. Leurs mécanismes impliquent des sites
de liaison de facteurs de transcription et de régulation modulant l’expression des gènes γ, par
exemple. Elles se limitent à une stimulation de la synthèse des chaînes γ et ne modifient pas
l’expression du gène β.
- les PHHF avec délétion étendue. Il s’agit de délétions importantes, incluant les gènes δ et β, dont
la longueur et la localisation sont variables.
4-2.2. Aspect clinique
La forme hétérozygote se caractérise par l’absence de signes cliniques et hématologiques.
Les cas de PHHF homozygote sont rares et sont bien tolérées puisqu’il existe une augmentation
vraie de la synthèse de l’hémoglobine F.
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4-2.3. Explorations biologiques
Les différentes techniques d’analyse phénotypique (électrophorèses et CLHP de dépistage,
focalisation isoélectrique) montrent seulement une augmentation du pourcentage de l’hémoglobine
F.
L’analyse des gènes γ par la détermination du rapport Aγ / Gγ ainsi que les techniques moléculaires
(PCR… et éventuellement séquençage) permettent d’établir un diagnostic de certitude.
4-3. Quelques hémoglobines anormales
4-3.1. La drépanocytose
a/ Répartition géographique
Les patients atteints de syndrome drépanocytaire majeur sont originaires d’Afrique, des Antilles et
des Etats Unis. La coïncidence entre les zones d’endémie drépanocytaire et celles de l’infestation
palustre a fait émettre l’hypothèse d’un avantage sélectif possédé par les sujets drépanocytaires
hétérozygotes par rapport aux individus normaux (AA) vis-à-vis du paludisme. A basse pression
d’oxygène, correspondant à la séquestration dans les organes profonds, il y a un retard de
croissance du parasite dans les cellules contenant de l’hémoglobine S. Ainsi les sujets AS sont
susceptibles d’infestation palustre mais toute augmentation de la parasitémie se fait aux dépends
de la survie du parasite, ce qui semble confirmer la rareté des parasitoses élevées et souvent
mortelles chez ces sujets.
En France, 61 % des sujets originaires de pays à haut risque pour les syndromes drépanocytaires
majeurs résident en région parisienne et 39 % en province (d’après D. Lena-Russo, 1992).
b/ Définition moléculaire
La drépanocytose résulte de la mutation faux-sens la plus répandue dans le monde. Sur le gène β
de l’hémoglobine, le codon 6 (GAG) codant pour une glutamine est remplacé par un codon (GTG)
codant pour une valine. La drépanocytose fut ainsi le premier exemple démontré de maladie
moléculaire ; il s’agit d’une anomalie transmise sur le mode autosomique récessif.
Une origine multiple de la mutation drépanocytaire a été mise en évidence par les études de
polymorphisme de restriction de l’ADN : il existe trois haplotypes majeurs (béninois, sénégalais et
centrafricain ou Bantu) et plus récemment une quatrième mutation, indienne, a été identifiée.
Le taux d’hémoglobine F chez un drépanocytaire joue un rôle important. Il dépend de facteurs
génétiques associés, comme les déterminants α-thalassémiques associés et l’haplotype au sein
duquel se trouve la mutation β S ; ainsi l’haplotype Sénégal augmente modérément le taux de
l’hémoglobine F (12 % environ) alors que l’haplotype asiatique l’augmente plus nettement (16 %).
c/ Physiopathologie
c1/ Physiopathologie au niveau moléculaire
La modification structurale de l’hémoglobine S favorise une polymérisation de la forme
désoxygénée. La polymérisation est précédée d’une période de latence variable. Le temps de
latence dépend de la concentration en désoxyhémoglobine S ; tous les facteurs physico-chimiques
qui stabilisent la structure désoxygénée le raccourcissent comme la température, le pH… La
période de latence correspond à la formation de centres de nucléation constitués par l’agrégation
d’un petit nombre de tétramères d’hémoglobine. Ensuite seulement apparaissent des polymères
fibreux qui induisent la déformation du globule rouge.
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Les contacts de la structure cristalline expliquent les interactions entre l’hémoglobine S et d’autres
hémoglobines : hémoglobine normale inhibant la polymérisation (comme l’hémoglobine F) ou
hémoglobines anormales la facilitant (hémoglobine D Punjab, hémoglobie O Arab…).
c2/ Physiopathologie au niveau cellulaire
Les propriétés de l’hémoglobine S permettent d’expliquer l’ensemble des manifestations
pathologiques de la drépanocytose et, en particulier, le fameux « cercle vicieux » auto-entretenant
les crises drépanocytaires. Les causes favorisant la désoxygénation (hypoxie, fièvre, acidose,
déshydratation…), donc la falciformation, conduisent à des accidents vaso-occlusifs. Ces
obstacles à la circulation accentuent encore le trouble initial.
d/ Aspects cliniques
d1/ Drépanocytose homozygote
Les premiers signes cliniques n’apparaissent qu’après l’âge de six mois, période où l’hémoglobine
S remplace progressivement l’hémoglobine F.
Le tableau clinique comporte trois sortes de situations : les phases stationnaires, les complications
aiguës et les complications chroniques.
Les phases stationnaires :
A l’état basal, il existe une anémie qui se traduit par une pâleur cutanéo-muqueuse puis par des
signes cardiaques.
La splénomégalie est constante chez le nourrisson puis régresse.
L’hépatomégalie est inconstante.
Il existe un retard staturo-pondéral chez les enfants en zone tropicale et souvent un retard de la
puberté et de la maturation osseuse.
Les complications aiguës :
Les crises douloureuses aiguës, appelées crises drépanocytaires, associent des douleurs à de la
fièvre. Elles sont fréquentes chez le petit enfant mais s’espacent au cours de l’adolescence.
L’hétérogénéité des symptômes (thoraciques, abdominaux…) génère des problèmes
diagnostiques.
Les infections ont une forte incidence dans les premières années de vie et diminuent, sans
disparaître, avec l’âge. Elles sont responsables d’une part importante de la morbidité et de la
mortalité de la drépanocytose. Ce sont des méningites, des septicémies, des pneumopathies, des
otéomyélites.
Des épisodes d’aggravation de l’anémie chronique peuvent résulter d’une situation fébrile, de
crises de séquestration splénique (particulières au petit enfant), d’une infection par le parvovirus
B19.
Les accidents vaso-occlusifs graves sont des complications aiguës qui comportent des
manifestations neurologiques, pulmonaires, des thromboses (thrombose de l’artère centrale de la
rétine, priapisme…) et des hématuries microscopiques.
Les complications chroniques :
Elles sont fréquentes pendant l’adolescence et la vie adulte. Ce sont des ulcères de jambe, des
nécroses osseuses aseptiques (des hanches par exemple), des lésions oculaires (rétinopathie
avec hémorragies), des complications pulmonaires (infarctus, infections, insuffisance respiratoire
chronique), des atteintes cardiaques, des altérations rénales, des complications hépatobiliaires
(lithiase biliaire).
Il a été trouvé des corrélations entre l’évolution clinique et le taux d’hémoglobine F. Les sujets
ayant le plus d’hémoglobine F (supérieure à 20 %) ont une forme moins sévère.
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d2/ Drépanocytose hétérozygote
C’est en général un état asymptomatique. Des symptômes évocateurs de syndrome
drépanocytaire (hémolyse, douleurs) doivent faire rechercher un facteur aggravant associé
(hétérozygotie A/S Antilles).
Le trait drépanocytaire expose toutefois à une atteinte rénale (hématuries, défaut du pouvoir de
concentration des urines…), certaines manifestations vaso-occlusives comme l’infarctus splénique,
dans des conditions d’hypoxémie profonde par exemple.
d3/ Autres syndromes drépanocytaires
La coexistence d’une ou deux mutations caractéristiques de la drépanocytose et d’une autre
anomalie génétique peut être à l’origine de syndromes drépanocytaires majeurs dont la sévérité
est variable (d’après F. GALACTEROS et Y. BEUZARD).
Association
Sévérité
Fréquence relative
+++
+++
+ à ++
++
S/β0 thal
+++
+
S/β+ thal
+ à ++
+
S/C
+ à ++
++
S/D Punjab
S/O Arab
S/C Harlem
+++
rare
S/PHHF
0à+
rare à +
+
rare
S/S
S/S
/α thal1 ou α thal2
A/S Antilles
e/ Diagnostic biologique
e1/ Anomalies hématologiques
Les valeurs de l’hémogramme et l’aspect du frottis sanguin varient en fonction du type d’atteinte
génétique (d’après J.Y. PELTIER).
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Anomalie
A/S
S/S
Numération
Aspect sur lame
Hb : Normale
VGM : Normal
Normal
Hb : 6-10 g/dl
VGM : N ou un peu
S/β0 thal
Hb : 6-10 g/dl
VGM : 65-75 fl
S/β+ thal
Hb : 7-11 g/dl
VGM : 75 fl
S/C
Hb : 9-12 g/dl
VGM : N ou un peu
drépanocytes
cellules cibles
corps de Jolly
érythroblastes
anisocytose
poïkilocytose
cellules cibles
drépanocytes
corps de Jolly
anisocytose
poïkilocytose
cellules cibles
drépanocytes
corps de Jolly
cellules cibles
drépanocytes
e2/ Explorations phénotypiques
Etude électrophorétique
- L’électrophorèse à pH alcalin sur un support d’acétate de cellulose dépiste l’hémoglobine S
car la mutation βS modifie le point isoélectrique de la chaîne β et par conséquent celui de
tétramère α2β 2. Cependant de nombreuses mutations ponctuelles induisent un changement de
charge analogue à celui provoqué par cette mutation.
Il faut donc au moins un autre critère pour pouvoir affirmer la présence de l’hémoglobine S.
- L’électrophorèse de l’hémoglobine sur gel de citrate agar à pH acide peut permettre de
caractériser l’hémoglobine S.
- L’isoélectrofocalisation permet aussi de caractériser l’hémoglobine S. C’est la technique de
référence pour le diagnostic néonatal des hémoglobinopathies ; elle peut alors être réalisée à partir
de quelques gouttes de sang recueillies sur un papier buvard.
Quantification des fractions hémoglobiniques
- La chromatographie liquide à haute performance est une étape indispensable pour préciser le
diagnostic des syndromes drépanocytaires. Cette technique permet de quantifier précisément les
fractions d’hémoglobines A2, F, A et S.
Un patient hétérozygote A/S présente un taux d’hémoglobine S entre 35 et 45 %.
Pour un taux d’hémoglobine S inférieur à 35 % (en dehors de toute transfusion sanguine), on peut
évoquer l’existence d’une carence martiale ou d’une α-thalassie associée.
Quand la concentration d’hémoglobine S dépasse celle de l’hémoglobine A, plusieurs situations
sont possibles, dont l’association Sβ + thalassémie (et éventuellement l’association S hémoglobine
instable).
Test de solubilité
Ce test met en évidence la polymérisation in vitro de l’hémoglobine S.
Seules certaines hémoglobines instables donnent une réaction analogue mais sans dépendance à
la désoxygénation.
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e3/ Caractérisation génétique
Elle a deux finalités : la recherche de facteurs pronostiques et le diagnostic prénatal.
L’étude familiale participe à cette caractérisation génétique. La grande majorité des problèmes
diagnostiques est résolue par cette seule démarche. Cependant elle n’est pas toujours possible ;
c’est pour cela que l’on a recours à des techniques de biologie moléculaire.
Les techniques de biologie moléculaire nécessitent la purification de l’ADN puis utilisent des
méthodes de PCR adaptées à chaque problème posé.
On peut caractériser les haplotypes de restriction du locus de la famille des gènes de type β
globine. On a tenté de faire des corrélations entre les principaux haplotypes et diverses
manifestations phénotypiques : synthèse d’hémoglobine F, risque vis-à-vis de certaines
complications, sévérité globale de la maladie. Les résultats sont assez contradictoires ; cependant
il est possible de retenir que les patients homozygotes pour les haplotypes Sénégal et ArabeIndien ont une sévérité hématologique atténuée en raison d’une synthèse accrue d’hémoglobine F.
Les α-thalassémies délétionnelles (en particulier – 3,7 Kb) sont un élément à prendre en compte
dans le polymorphisme phénotypique de la maladie.
La technique moléculaire de mise en évidence de mutation est l’outil appliqué au diagnostic
prénatal de la forme homozygote. Elle peut être réalisée à partir d’une biopsie de villosité choriale
effectuée à la 10e ou 11e semaine d’aménorrhée chez les femmes à risque.
4-3.2. L’hémoglobine C
a/ Répartition géographique et définition moléculaire
L’hémoglobine C résulte d’une mutation ponctuelle identifiée : β 6 [A3] Glu → Lys.
Par sa fréquence, c’est la seconde des hémoglobines anormales africaines ; elle a son épicentre
sur le plateau voltaïque.
b/ Physiopathologie
Les hématies contenant l’hémoglobine C sont des cellules partiellement déshydratées, de petite
taille, ayant une charge d’hémoglobine normale. L’augmentation de la concentration en
hémoglobine explique la présence des cristaux observés à l’intérieur des hématies. Il existe un
perturbation des échanges ioniques transmembranaires.
Cette forte concentration hémoglobinique rend compte de la sévérité de l’hétérozygotie composite
« hémoglobine S / hémoglobine C ».
c/ Aspects cliniques
L’hétérozygotie A/C est parfaitement bien tolérée.
L’homozygote C/C présente un tableau d’anémie hémolytique franc avec splénomégalie.
d/ Diagnostic biologique
d1/ Anomalies hématologiques
Chez le sujet hétérozygote, le frottis sanguin ne présente pas de particularité et les constantes
érythrocytaires sont normales.
Le sujet homozygote C/C présente une discrète anémie microcytaire.
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Anomalie
A/C
C/C
Numération
Hb : Normale
VGM : Normal
Hb : 10-13 g/dl
VGM : 65-75 fl
Aspect sur lame
Normal
Cellules cibles
d2/ Explorations phénotypiques
Sur acétate de cellulose à pH alcalin, l’hémoglobine C migre plus lentement que l’hémoglobine
S, à la même position que l’hémoglobine E et que l’hémoglobine O Arab.
A l’électrophorèse sur gel d’agar en tampon citrate, l’hémoglobine C est la plus lente de
toutes les hémoglobines anormales.
L’isoélectrofocalisation individualise précisément l’hémoglobine C.
La chromatographie liquide à haute performance permet d’évaluer le taux de l’hémoglobine
C.
A l’état hétérozygote, l’hémoglobine C représente 35 à 45 % des hémoglobines ; les hémoglobines
F et A2 ne sont pas quantitativement modifiées. Cette technique permet de suspecter une
association avec une α-thalassémie ou l’existence d’une carence martiale quand le taux de
l’hémoglobine C est inférieur à 35 %.
A l’état homozygote, on constate l’absence d’hémoglobine A ; les taux des hémoglobines A2 et F
ne sont pratiquement pas modifiés.
4-3.3. L’hémoglobine E
a/ Répartition géographique et définition moléculaire
L’hémoglobine E résulte de la mutation ponctuelle : β 26 [B8] Glu → Lys.
Elle est, par le nombre de sujets qui en sont porteurs, la seconde des hémoglobines anormales
après la drépanocytose. Elle se rencontre essentiellement dans les populations du Sud-Est
asiatique. Cette hémoglobinopathie n’est plus exceptionnelle en France.
Dans les populations asiatiques, cette hémoglobine s’associe assez fréquemment avec d’autres
anomalies de l’hémoglobine, surtout des α- et des β-thalassémies.
b/ Physiopathologie
La mutation à l’origine de l’hémoglobine E modifie la séquence nucléotidique au voisinage du site
normal d’épissage et dévoile ainsi un site d’épissage cryptique, normalement non utilisé. Ce site
d’épissage caché décale le cadre de lecture et conduit ainsi à rencontrer précocement un signal de
terminaison. Ainsi l’hémoglobine E est responsable d’un syndrome thalassémique, c’est-à-dire
d’un déficit de synthèse de l’une des chaînes de globine.
c/ Aspects cliniques
Les homozygotes E/E présentent un tableau d’anémie hémolytique modérée, bien supportée,
voisin d’une thalassémie.
L’association E/β0-thalassémie correspond à une forme de β-thalassémie intermédiaire de
sévérité variable.
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d/ Diagnostic biologique
d1/ Anomalies hématologiques
Selon l’anomalie génétique en cause, on observe :
Anomalie
A/E
E/E
E/β0-thalassémie
Numération
Hb : Normale
VGM : 75 fl
Hb : 10-13 g/dl
VGM : 65-75 fl
Hb : 2-12 g/dl
VGM : 65-75 fl
Aspect sur lame
Normal
Cellules cibles
hypochromie
cellules cibles
anisocytose
poïkilocytose
d2/ Explorations phénotypiques
A l’électrophorèse à pH alcalin, l’hémoglobine E migre à la même position que les hémoglobines
C et O Arab.
A l’électrophorèse sur gel d’agar, l’hémoglobine E se distingue des précédentes car elle migre
comme l’hémoglobine A, contrairement aux deux autres.
Sur le tracé d’isoélectrofocalisation, l’hémoglobine E se distingue très discrètement des
hémoglobines A2 et C.
En CLHP, l’hémoglobine E présente le même temps de rétention que l’hémoglobine A2.
A l’état hétérozygote, le taux d’hémoglobine E représente seulement 30 à 35 % des hémoglobines
en raison de sa dégradation. Un taux encore plus bas peut faire suspecter une association avec
une α-thalassémie ou une carence martiale.
A l’état homozygote E/E, on constate l’absence d’hémoglobine A et la présence d’hémoglobines E
et F.
Chez les hétérozygotes composites E/β 0-thalassémie, seules deux hémoglobines sont visibles :
l’hémoglobine E (entre 30 et 95 %) et l’hémoglobine F.
4-3.4. Une hémoglobine instable : l’hémoglobine Djelfa
a/ Définition
Les hémoglobines instables constituent un groupe particulier d’hémoglobines anormales
responsables d’anémies hémolytiques caractérisées par la présence de corps de Heinz.
La première description d’anémie hémolytique par hémoglobine instable a été effectuée en
Grande-Bretagne chez un enfant ayant une cyanose associée à une splénomégalie. Il s’agissait de
l’hémoglobine Köln dont la chaîne β présente une méthionine en position 98 à la place d’une valine
(β 98 [FG5] Val → Met).
Actuellement une centaine de ce type de mutants de l’hémoglobine est connue.
Certaines hémoglobines instables, détruites précocement dans l’érythrocyte, correspondent
pratiquement à des thalassémies.
Nous avons choisi de décrire ici l’hémoglobine Djelfa que nous avons étudiée au laboratoire
Marcel Mérieux.
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b/ Répartition géographique et définition moléculaire
L’hémoglobine Djelfa est caractérisée par la substitution d’une valine par une alanine en position
98 de la chaîne β de la globine, notée : β 98 [FG5] Val → Ala. Cette mutation est située sur l’exon
2 du gène β de la globine.
Cette hémoglobine a été mise en évidence pour la première fois par l’équipe de WAJCMAN en
1975 chez un Algérien de la région de Djelfa, d’où la dénomination de l’hémoglobine. Cette
hémoglobine a été décrite à nouveau en 1989 chez un sujet caucasien en Afrique du Sud.
Au laboratoire Marcel Mérieux, nous avons pu étudier ce variant hémoglobinique dans une famille
bourguignonne.
c/ Physiopathologie
La valine en position β 98, qui caractérise la mutation de l’hémoglobine Djelfa, est impliquée dans
des contacts avec l’hème et entre sous-unités de globines : contacts α2-β 1. La substitution de cet
acide aminé est donc responsable d’une perte de l’hème et peut entraîner une modification de
l’affinité de l’hémoglobine pour l’oxygène.
d/ Aspects cliniques
Le membre de la famille dans laquelle l l’hémoglobine Djelfa a été découverte à l’état hétérozygote
était une jeune fille de 15 ans qui venait de subir une cholécystectomie suite à des crises de
coliques hépatiques en rapport avec une lithiase pigmentaire. L’examen clinique était pauvre ; il
n’existait pas de splénomégalie.
La mère, la grand-mère maternelle, l’une des trois sœurs de la mère de cette jeune fille étaient
également porteuses du variant mais elles étaient toutes cliniquement asymptomatiques et ne
présentaient pas d’anémie.
e/ Diagnostic biologique
e1/ Anomalies hématologiques
Dans le cas observé, il n’existait pas d’anémie ni d’anomalie morphologique des hématies.
La recherche de corps de Heinz n’a pas pu être pratiquée.
On retrouvait cependant des signes d’hémolyse : augmentation de réticulocytes, de la bilirubine
libre, de la LDH.
e2/ Explorations biologiques spécifiques
Les techniques de dépistage ont été au nombre de quatre :
la CLHP automatisée :
La seule anomalie qualitative observée est un petit pic représentant 0,5 à 1,1 % des
hémoglobines, avec un temps de rétention de 4,81 à 4,79 minutes, selon les échantillons.
Ce constituant hémoglobinique mineur correspond vraisemblablement à une forme de
déshéminisation de l’hémoglobine Djelfa.
la focalisation isoélectrique :
Dans ce système analytique, l’hémoglobine Djelfa n’est pas séparée de l’hémoglobine A : on ne
met en évidence aucun pic surnuméraire quantitativement important.
le test de stabilité à l’isopropanol :
L’hémoglobine Djelfa présente une instabilité accrue par rapport à une hémoglobine normale. Au
bout de 15 minutes d’incubation, 13 % des hémoglobines du patient hétérozygote pour
l’hémoglobine Djelfa précipitent contre 4 % pour le sujet normal. Au bout de 45 minutes, il s’agit de
34 % contre 9 %.
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l’électrophorèse des chaînes de globine en gel de polyacrylamide en présence d’urée
et de Triton
Cette technique permet la séparation de la chaîne β de globine normale et de la chaîne β mutée
de l’hémoglobine Djelfa.
Ce type de gel peut être scanné permettant ainsi la détermination du pourcentage de la fraction
hémoglobinique anormale. La moyenne des pourcentages de l’hémoglobine Djelfa des quatre
porteurs hétérozygotes de la famille étudiée est de 33,6 %.
Une technique complémentaire :
la courbe de fixation de l’oxygène
Une discrète augmentation de l’affinité pour l’oxygène de l’hémoglobine Djelfa avait été
précédemment décrite mais nous ne l’avons pas retrouvée dans notre étude familiale.
Des techniques de confirmation :
la CLHP préparative des chaînes de globine
La séparation des chaînes de globine a été réalisée par une technique de chromatographie liquide
haute performance, en phase inverse, sur colonne Vydac C4, selon la technique décrite par
RAHBAR. Les différentes fractions sont individualisées et collectées.
La spectrométrie de masse permet la mesure de la masse moléculaire des chaînes β
normale et mutée, Djelfa. La différence des masses moléculaires des chaînes β normale et β
Djelfa est compatible avec la substitution d’une valine par une alanine.
le séquençage
Il nécessite au préalable une amplification des portions codantes du gène β, c’est-à-dire des trois
exons. On a ainsi mis en évidence une indétermination sur la deuxième base du codon 98 chez les
patients hétérozygotes pour l’hémoglobine Djelfa. Cette base est soit une thymine qui détermine
l’acide aminé valine, soit une cytosine qui permet de coder une alanine.
l’analyse de restriction
L’analyse de restriction a été réalisé sur des produits de PCR. C’est l’enzyme Cac 8 I qui a été
utilisée car elle fait apparaître un site de restriction au niveau de la mutation. La taille des produits
de PCR et des produits de digestion enzymatique est estimé par rapport à une échelle de poids
moléculaires, de 100 pb en 100 pb.
Le produit de PCR d’un sujet normal, soumis à l’action de la Cac 8 I fait apparaître une seule
bande de 866 pb. Le produit de PCR de la patient hétérozygote pour l’hémoglobine Djelfa, soumis
à l’action de la Cac 8 I, fait apparaître deux fragments supplémentaires de 698 et 168 pb.
5- En pratique biologique courante
La technique de dépistage la plus informative est actuellement la CLHP ; elle fournit des données
qualitatives et aussi quantitatives (pour les hémoglobines A2 et F).
La focalisation isoélectrique confirme l’approche chromatographique et permet de porter un
diagnostic d’hémoglobinopathie dans la majorité des cas rencontrés.
Les anomalies non élucidées par ces deux techniques nécessitent parfois des investigations
complémentaires complexes et longues.
Notre schéma décisionnel est le suivant :
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CLHP
Tracé qualitativement NORMAL
Hb A, A2, F
A2
F N
A2 N
F N
A2 N
F
A2
F N ou
focalisation
isoélectrique
α thal
carence
martiale
"Normal"
δβ thal
PHHF
trait= β
Tracé qualitativement ANORMAL
Absence HbA
Présence Hb anormale
autres
techniques
focalisation
focalisation
+ autres
isoélectrique techniques
=β
β thal homozyg.
Hb S, C, E
H, Lepore...
autres Hb
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6- Pour en savoir plus
Les maladies du globule rouge.
H. WAJCMAN, B. LANTZ, R. GIROT.
Médecine-Sciences Flammarion, Les éditions Inserm, 1992.
L’hématologie de Bernard Dreyfus.
J. BRETON-GORIUS, F. REYES, H. ROCHANT, J. ROSA, J.P. VERNANT.
Médecine-Sciences Flammarion, 1992.
A syllabus of human hemoglobin variants.
T.H. HUISMAN, M.F.H. CARVER, G.D. EFREMOV.
The Sickle Cell Anemia Foundation, Augusta, GA, USA, 1996.
Drépanocytose. Physiopathologie et diagnostic.
F. GALACTEROS.
Revue de Praticien, 1995, 45, 351-360.
Epidémiologie des maladies génétiques de l’hémoglobine en France métropolitaine.
D. LENA-RUSSO, M.L. NORTH, R. GIROT.
Revue de Praticien, 1992, 42, 15, 1867-1872.
Histoire génétique de la drépanocytose.
D. LABIE.
Revue de Praticien, 1992, 42, 15,1879-1884.
Histoire naturelle de la drépanocytose.
C. BERCHEL, J.P. DIARA, H. LORET, L. FOUCAN, C. LE TURDU, Y. SAMUEL.
Revue de Praticien, 1992, 42, 15,1885-1891.
Hémoglobinopathies.
J.Y. PELTIER.
Option/Bio, 1992, 32 et 33.
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