l`anti homme - WordPress.com

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L’ANTI HOMME
(mini pièce de théâtre)
TRISTAN DADA
À : J. C.
( J'écris pour les gens pressés, dont le reste du
temps est occupé à d'autres temps, hors de ce
temps maudit. Ils seront les bienheureux en
2050.)
« IL FAUT METTRE LE DIABLE EN ENFER »
EDITION WEB
Copie libre -1996
ATTENTION
Oeuvre de fiction
LA PIECE DOIT ETRE LUE LENTEMENT,
EN MACHONNANT LONGTEMPS LES MOTS,
ET LES SILENCES DE MOTS.
MAIS
ACCELEREZ BRUTALEMENT, SI LE
SILENCE DEVIENT TROP PESANT.
««<«««««>»»»»»»»
PERSONNAGES :
Le récitant
Triscotte
Trois médecins
Un psychiatre
L'Ordinateur
Les figurants : une infirmière,
deux pleureuses
PIECE EN DEUX ACTES
ACTE 1 - SCENE 1
LE RECITANT parle à voix basse :
" Trois personnages debout : des médecins
vêtus d'une blouse blanche et d'un long chapeau pointu, s'affairent autour d'une femme assise qui passe le temps à écrire sur des fiches.
(mimiques)
En face du bureau le personnage principal : Triscotte, qui semble attendre un verdict.
Derrière lui deux femmes habillées en pleureuses, gémissent.
DECORATION : Des tableaux de facture "moderne" reproductions plus ou moins retouchées
de Grands Maîtres : Picasso,Magritte, etc, sont
mis en travers ou à l'envers avec des grosses
étiquettes visibles par tous . On peut lire : radiographie de ... ( nom d'un organe ), le nom d'une
maladie au nom pittoresque, et la radioscopie
de France-Inter du chien d'un président de la
République.
Sur un mur, une énorme tenaille fixée en position ouverte, avec une bande-annonce en gros
caractères : LABORATOIRE GUEPEOU
NOUVELLE PINCE CRYOGENIQUE
ARRACHE EFFICACEMENT
LES VERRUES PLANTAIRES.
La lumière n'éclaire que les bureaux, un peu les
personnages et les tableaux.
Les acteurs sont figés. Peu à peu Triscotte enlève la tête de ses mains et prononce en premier :
-
TRISCOTTE : Alors ?
- 1er MEDECIN : Eh bien ! l'ANANATAMOPATATOLOGISTE nous signale une tumeur maligne de la prostate.
-
TRISCOTTE : C'est le cancer, quoi !
LES TROIS MEDECINS : Nous allons intervenir !
1er MEDECIN:
La science a fait beaucoup de progrès.
Le 2ème MEDECIN :
La chimiothérapie, le bombardement cosmique,
les rayons gamma, epsilon, la chirurgie en plastique ! Vous en avez de la chance !
Le 3 ème MEDECIN : Vous avez beaucoup de
chances de vous en sortir, enfin un peu plus
longtemps que les autres je veux dire. (Le
temps de souffrir un peu plus longtemps - en
apparté)
TRISCOTTE : Comment ça ! Quel cadeau !
Oh ! Oh! Et si je refuse ?
Si je ne veux pas prolonger inutilement ma vie ?
Donnez-moi du "PAIN TOTAL" (sorte de pain
POILANE) , et puis une injection fatale, ou donnez moi des antalgiques de plus en plus forts,
des tranquillisants jusqu'à en mourir sereinement. N'est-ce pas mon droit après avoir vécu
dans la honte, dans le déchirement, dans
l'agressivité perpétuelle, dans l'absence d'amis,
de vouloir, et promptement, mourir !
- LES TROIS MEDECINS, coiffés de leur long
et pointu chapeau noir :
" Refuser la médecine! cine!cine! On vous enfermera dans la chambre forte de l'hôpital psychiatrique, là où aucun organisme "humanitaire" ne vient. On vous attachera s'il le faut, on
vous fera prendre vos médicaments de force.
Ah!Ah! Ah! "
- LE PREMIER MEDECIN , rêveur :
Ma piscine! Mon bain de minuit ! Avec une minuinette !
- LE DEUXIEME : Un voyage aux Bahamas !
Plonger dans la lagune ! Caresser le requin baleine !
- LE TROISIEME : Reparcourir la route de la
soie, sur le fleuve jaune, le Mékong, le fleuve
Amour... Le désert de Gobineau !
-
TRISCOTTE : Bon, je n'ai pas le choix !
- LES DEUX PLEUREUSES : Tu vois que tu
n'as pas le choix !
SCENE 2 : MONOLOGUE DE TRISCOTTE.
"ETRE ou ne pas ETRE....
Je n'ai jamais eu ce choix, je suis... c'est tout et
je vais disparaître dans la douleur. Puisque cela
doit arriver. Ils aiment bien les attitudes irrévocables "plutôt souffrir que mourir : c'est la devise des hommes".
Si je leur dis : j'ai mal, j'ai très mal, ils m'infligeront les doses minimes, pour pouvoir les augmenter ensuite à leur guise. Comme ils disent
" la douleur est un indicateur du traitement", "La
douleur guide la main du chirurgien (dentiste)".
Je suis entre leurs mains. Je n'ai jamais été entre es miennes. Toujours entre celles des autres. Il aiment triompher en empereur romain,
dans leur toge pourpre, le pseudo-livre de Virgile sous la main, en prétorien de César Medecinus.
EVIDEMMENT C'EST POUR MON BIEN !
Si j'ai à redire: C'est l'emprisonnement, c'est à
dire, l'hôpital psychiatrique, si tu ne penses pas
comme eux. Ils adorent cela, comme s'il n'y
avait pas assez de l'infâme remords.
Et l'hôpital général pour te percer de partout et
te dire tout bas à l'oreille quand tu te mords les
lèvres pour ne pas hurler ; c'est fini ! Voyez,
c'est insignifiant.
ENDOSCOPE, VEINOSCOPE, CERVEAUSCOPE,TR1POSCOPE....( ARRÊT APRÈS CHAQUE
MOT QUE L'ON CROUSTILLE)
SALAUDS !
Comment vous dire, et dans quelle langue :
- Je n'aime pas la vie,
- Je n'aime pas la vie,
- Je n'aime pas la vie
Comment leur dire que je veux mourir, soit enivré par de puissants narcotiques, ou bien fusillé
pour non respect des règles de l'appartenance
à l'espèce humaine. Ils préféreraient mille fois
que je me suicidasse. Ah oui alors !
Car je prouverais à la société que je suis malade, et on ne condamne pas les malades : on
s'attendrit." Vous étiez amoindri ! diraient-ils.
Non. Moi, je veux que la Société exécute sa
passion historique (cachée quelquefois) de
condamner tous les déviants, afin que l'Histoire
des hommes se pose comme à moi-même,
l'éternel problème du remords.
Fallait-il condamner Triscotte ?
Qu'en pensez-vous ?
Il me semble que cela m'est plus seyant !
C'est une question d'esthétique.
SCENE 3- MEDECINS ENTRE EUX
Antonin Artaud a déclaré " Ces messieurs ont le
droit de disposer de la douleur des hommes"
Qu'en penses-tu ?
Notre rôle est délicat : défendre le malade,
s'obliger à utiliser les moyens les plus appropriés mais ne pas garantir de résultats, défendre la société... le personnel hospitalier, la famille, la corporation...
Je crois qu'avant tout il faut remettre notre chapeau et notre faux nez ( les médecins se traves-
tissent).
Qu'y a t-il à manger à la cantine ?
Quelqu'un le sait-il ?
Savoir ou ne pas savoir : là est la question.
Ces malades, il ne demande qu'une chose,
qu'on les rassure. Comme si à l'issue d'une
opération le chirurgien déclarait : "J'ai tout raté,
Chai pas, j'étais pas en forme. Mon fils qui rate
le bachot pour la deuxième fois : alors cet os, je
l'ai tordu un peu plus, j'ai recousu un peu trop
vite, il va y avoir des boursouflures etc..."
Ou bien "Celui-là, je lui donne pas plus de trois
mois".
Ou bien "Avec la pince à écarter les côtes et la
force que j'ai dû mettre, je ne voudrais pas être
à sa place à son réveil".
Les malades sont de grands enfants.
Ils gobent tout, tout, tout
TOUT.
Mais pas celui-ci, ce Triscotte, qui ne veut pas
jouer le rôle du bon malade que l'on torture et
qui ne dit même pas merci.
Ce Triscotte qui déclare sur tous les tons :
" VOUS AVEZ ENTENDU LES ENFANTS : JE
N'AIME PAS LA VIE, JE VEUX QUE VOUS
M'AIDIEZ A MOURIR DIGNEMENT"
C'est une insulte à la profession.
Il faut le convoquer chez le psychiatre.
Entre collègues, on doit bien se renvoyer
l'échelle!
Et une visite de plus chez le psychiatre !
Voilà qui commence bien !
SCENE 4 : TRISCOTTE CHEZ LE PSYCHIATRE.
(description du cabinet du psy.)
Un salon vide sans meubles, un bureau, par
terre des dossiers, une étagère sur laquelle trônent quelques livres :
- "La philosophie dans le boudoir de Raymond
Poincarré" ( en apparté, ce n'est pas lui qui l'a
écrit, mais il aurait bien voulu - gesticulation des
mains )
- "Les mains sales d'Ajax" (le grec voyons)
- "La vérité du subconscient"
- "La recapture des neurones fous dans le néocortex" par le professeur Glandu (attention, je
n'ai pas dis poil au ...).
- Une publicité sur le laboratoire qui vante le
mérite du PRAZOC, le médicament qui fait de
vous "un gagneur ".
- TRISCOTTE : Pourquoi vous m'avez convoqué ?
- Le PSY ACARIATRE : C'est que vous ne correspondez pas aux critères de la normalité.
- TRISCOTTE : C'est quoi un psychiatre ? ( en
prenant un air de clown)
LE DOCTEUR DE LA PSYCHE : Un type qui a
fait 12 ou 13 d'études (je ne sais plus très bien)
et qui ne sait toujours rien, mais qui fait semblant.
Il connaît surtout les médicaments, par exemple
le bittum, le vaginum, le pince-fesses etc... et
les moyens de les appliquer.
-
TRISCOTTE : OH !
-
LE PSY ; Qu'est-ce qui vous choque ?
-
TRISCOTTE : Que vous fassiez semblant !
- LE PSY : Mais TOUT LE MONDE FAIT SEMBLANT.
Tenez, vous TRISCOTTE, vous jouez bien le
malade ?
Et ceux-là (en regardant les spectateurs), ils
tiennent bien leur place au chaud, bien assis
sur une chaise.
-
D'accord monsieur TRISCOTTE ?
- LE PSY : Mais toute la médecine est comme
je vous dis, enfin je veux dire celle-là. Réfléchissez un quart de seconde, comment voulez-vous
que nous sachions quelque chose sur le psychisme humain alors que nous savons à peine
réparer les bras cassés en posant une attelle de
la même manière que le faisaient les hommes
préhistoriques, en attendant que le membre
cassé se ressoude tout seul. Alors pensezvous, le psychisme humain ! Ce qui est le plus
avancé dans l'évolution ; enfin à nos yeux.
-
TRISCOTTE : Mais je croyais que...
- CROYEZ...CROYEZ... CROYEZ... dit le SPICOLOGUE : II n'y a que les corbeaux pour
croasser.
N'écoutez-pas les hommes du marketing Monsieur TRISCOTTE! Ils vous feront croire que
l'on a ramassé de l'or sur la lune et que demain
un coureur mettra 5 secondes aux 100 mètres,
etc.
CE SONT DES LAVE-MOTS POUR GOGOS !
JE NE SUIS RIEN, PAS PLUS QUE VOUS,
HORMIS LE FAIT QUE J'AI ETUDIE LE PSYCHISME ET QUE JE SUIS PRÊT À VOUS AIDER.
- TRISCOTTE : Dites -moi dans votre convocation "A la requête du ministère public", vous parliez de psychothérapie. C'est quoi, au juste la
PSYCHOTHERAPIE ?
-
LE PSY : Rien, du bavardage, c'est tout.
-
TRISCOTTE : Autour d'un verre ?
- "Ah non" dit le SPICOLOGUE C'est une
conversation à 250 F.
- TRISCOTTE : Oh ! la ! la !, il faut que je parle pour
250 F, c'est le prix de deux livres !
- LEPSCHIIT Ô LOG : Mais c'est remboursé.
- TRISCOTTE : Je peux parler ?
- le PSYCOPATTE : Mais bien sûr !
- TRISCOTTE : On parle de quoi ?
- Le PSYCHOSE : Mais de ce que vous voulez !
- TRISCOTTE : de cul ?
- Le SPICOLOGUE : Si vous voulez, mais on
n'avancera pas beaucoup. C'est toujours la même chose.
- TRISCOTTE : C'est dommage, j'aurai bien aimé. Bon, de n'importe quoi alors ?
Vraiment ? De ce que j'ai envie ?
-
Le PICRATE : Bien sûr.
-
TRISCOTTE : Ce sera bien la première fois !
- LE CHIRATE : Alors allez-y, de toute manière
c'est payant.
- TRISCOTTE : Bon je me disais aussi.
- LE PIRATE : Mais c'est remboursé !
- TRISCOTTE : Ouf ! , Allons-y.
(Suit un monologue)
" Je hais tous les hommes,
les uns parce qu'ils sont méchants et malfaisants,
Les autres parcequ'ils sont aux méchants complaisants "
- LE PSY : C'est déjà dit, ce sont des vers de
Molière.
- TRISCOTTE : Le MISANTHROPE précisément, c'est moi. Je hais tous ces poncifs couronnés qui nous retirent le pain de notre bouche, pendant que leurs vassaux lèchent leurs
pieds puants, en se vautrant dans la fange de la
servilité qui leur tient lieu de vertu suprême.
J'ai une haute idée de l'Homme, c'est pourquoi
je hais tant la bassesse.
- LE PSYCOLOGUE DES PROFONDEURS DU
DESESPOIR :
-
Continuez, surtout continuez !
- TRISCOTTE : Je suis ce faisan acculé entre
le grillage du TGV et la forêt. Je fuis sans cesse
mais c'est une illusion. Les chasseurs finiront
par me tirer (les amoureux de la nature ! qu'ils
apportent des jumelles d'observation, ils la découvriront la nature, sans tirer sur tout ce qui
bouge comme je l'ai vu trop faire en Beauce et
ailleurs).
- LE SPICOLOGUE DES ABYSSES : N'y-a-t-il
pas un endroit ou vous seriez heureux ?
- TRISCOTTE : Si senor, en Espagne par
exemple ou bien en Italie, parce que je ne
connais pas la langue et que je m'y sens " :
" UN VERITABLE ETRANGER NATUREL ".
"Je suis au pays du rêve à la fois sur terre et
autre part. Je peux parler hors de ma tête, me
tromper, chanter dans les rues, personne pour
m'interpeller. Mes yeux regardent partout sans
rien pour arrêter mon regard... Sauf ce soleil et
mes amis qui me réchauffent le coeur. Je crois
que le bonheur c'est d'être un peu magicien de
l'âme : être tout en étant pas. Si je reste, mes
pensées se transformeront en soupirs au fur et
à mesure que les mots s'éclaireront."
Puis je voudrais vous dire que la dépression de
l'humeur est inhérente à l'homo sapiens sapiens. (La bestiole qui sait qu'elle sait... qu'elle
va devenir un tas d'os pour très bientôt). Est-ce
pathologique ?
L'inverse serait vrai, les " normopathes" qui assument leur normalité et leur aveuglement placide. Ils se cachent la vérité ou bien refusent d'y
penser. Ce serait plutôt eux les "malades". Mais
ils ne se plaignent pas, ce ne sont pas eux qui
vont consulter votre ignorance, vous ne feriez
pas beaucoup d'affaires avec eux.
Alors ce sont nous autres les "déprimés", les
"malades" qui sont exclus pour ne pas contami-
ner les autres.
Plus tu es dépressif, plus tu es rejetté, c'est
comme l'alcoolisme : une maladie honteuse.
On collecte des millions et des millions dans
des opérations commerciales pour "soigner" telle ou telle maladie.
Tu as déjà vu un "DEPRESSTON" toi ?
Pourtant des millions de gens tombent dans cet
enfer, et sont bannis par la société, ce qui augmente derechef leur maladie.
Des "médicos" pour commencer, l'enfermement
pour finir.
Bon débarras !
Alors que toute dépression n'est pas toujours
pathologique, que soigner uniquement par des
médicaments est une gageure, que l'enfermement peut être la pire des choses (d'ailleurs plutôt rare en France). La dépression c'est un
grand doute sur soi-même, une hémorragie de
l'affect, un manque d'amour quoi !
LE PSY, absorbé par ses dossiers : " II faut en
finir, le temps est révolu, vos deux cent cinquante francs sont terminés."
- TRISCOTTE : C'est donc ça, la psychothérapie ?
- LE MEDICASTROLOGUE : Je vous avais pré-
venu : vous parlez pendant une 1/2 heure c'est
tout, et je vous fais votre ordonnance :
- 3 comprimés d'ARN messager
- une cuillerée de sable à oublier
- 2 comprimés d'anti-lucidité par
jour : un le matin, un le soir.
- TRISCOTTE : Pourquoi " anti-lucidité"?
- LE MEDICUISTRE : parce que vous êtes,
disons, un peu plus lucide que les autres et que
vous vous tourmentez inutilement...
-
TRISCOTTE : Alors, je ne suis pas malade.
- LE PICRATE : Bien-sûr que non, vous cachez
moins que les autres l'épouvantable réalité,
vous ne fantasmez pas, vous n'inventez pas
sornettes et autres...
Rassurez-vous, vous allez mourir comme les
autres, cela vous soulagera.
- TRISCOTTE : En somme, ce sont les autres
qui sont malades, mais comme ils ne viennent
pas consulter, la société se rabat sur nous pour
faire marcher son commerce.
- LE SCIE PIATRE : Allons, soyez généreux
pour cette société qui nous nourrit de sa mamelle. Je vous rappelle que vous avez dépassé
vos deux cent cinquante francs.
- TRISCOTTE : Juste un dernier mot, vous engraissez les laboratoires ! Pourquoi dans les
pays du sud de l'Europe (sans parler de l'Afrique) il y a deux fois moins de dépressifs ?
- LE PIRATE : Parce qu'ils ne savent pas compter plus loin que dix ?
- TRISCOTTE : Non parce que les gens se parlent, voilà tout, ILS SE PARLENT, ILS APPLAUDISSENT. (Le comédien fait signe d'applaudir).
Cela fait plus de vingt ans que j'endure quatre
heures de transport par jour et avec qui je parle ? A la porte !
- LE GRAND PATRE : Justement, prenez la,
cette porte !
LES COMEDIENS SORTENT : C'EST LA FIN
DE LA SCENE.
FIN D'ACTE
ACTE 2
SCENE 1 : TRISCOTTE SEUL
Monsieur le Président Jean - Marie,
J'ai vu par ordonnance le Pédiatre de l'humeur,
le Présocrate, bref, le PSY plié en quatre ;
Je ne suis atteint d'aucune infirmité, je suis
sain, je n'aime pas la vie : c'est tout.
J'essaye de mériter d'être bon français, mais je
n'aime pas la vie, c'est comme ça.
Rien pour me raccrocher : ni un Mon Dieu "Aidez-moi", ni un paradis espéré, non rien, rien :
du vide.
Je dois encore attendre, selon les statistiques
de L.I.N.C. ( ligue nationale des chiffres), dix,
peut-être vingt, peut-être trente années de souffrance.
Et la souffrance, vous qui avez torturé en Algérie, a-t-elle des limites ? Répondez-moi ! La
souffrance a-t-elle des limites ?
Je ne vais pas quand même attendre autant ?
Alors, une pendaison, l'absorption de toxiques,
bref, toutes les méthodes qui font du suicide
l'une des premières sources de mort en France : Mère des arts, des armes, et des lois.
Et puis, après l'échec, c'est l'enfermement.
Pas de DEPRESSTON pour la dépression !
Alors, je n'aime pas la vie !
Cela devient une insulte à la Société, alors que
c'est une attitude d'Homo sapiens sapiens tout
à fait naturel ma foi, mais mal en cour.
On me bourre de médicaments en montrant du
doigt combien la Société me doit et dépense
pour moi ! Pour mon bien ou pour enrichir des
laboratoires ? La réponse est ambiguë, comme
tout votre système que j'exècre : parce que
vous avez éliminé les oiseaux : les moineaux,
les merles, les tourterelles, les faucons crécerelles. Parce que vous avez éliminé tous les autres animaux, principalement les mammifères
autres que domestiques, nourris aux granulés.
Parce que vous gnougnoutez votre cha-chat ou
votre chien-chien, seuls animaux sélectionnés
et dignes de vivre.
Hélas si tout petit pendant que je tétais ma mère, on m'avait dit la vérité ! Je me serais préparé. Non. J'ai découvert le carnage petit à petit,
comme l'apprentissage d'une souffrance sans
fin.
Alors !
Comme vous avez dit à la télé : Paris, c'est Dallas, il n'y a qu'un système qui marche, c'est le
système ultra-libéral (la preuve les gens en redemandent : ils veulent tous leur brosse à
dents). C'est comme au Texas : OU TU TE
TUES, OU TU GAGNES.
Vous avez dit cela, Monsieur le Président en
oubliant que dans cet eldorado, les gens se promènent armés, la délinquance est énorme, les
suicides et les assassinats en nombre, les pauvres le sont davantage que les miséreux du
tiers-monde, qui s'entraident, eux (ils représentent plus de 80 % de la population planétaire).
Comme je n'ai pas d'armes, puisque le port en
est encore extrêmement réglementé, et que si
je me suicide ce sera une raison satisfaisante
pour vous larmoyer : " IL ETAIT MALADE,
C'ETAIT UN HOMME TRES HUMAIN, IL
SOUFFRAIT TELLEMENT. FINALEMENT
C'EST MIEUX POUR LUI, IL EST EN REGLE
AVEC SES CONVICTIONS, IL NE REMET PAS
LA SOCIÉTÉ EN CAUSE "
Et mon but c'est de vous renvoyer votre horrible
visage de sorcière : alors j'en appelle au grand
ORDINATEUR, comme la Loi le permet.
SCENE 2 :
Changement de décors et d'ambiance.
La pièce devient musicale, très expressionniste,
voire surréaliste, à la manière du théâtre de rue
japonais (buto).
Il faut exprimer le grotesque, montrer les hommes comme des marionnettes atroces, absurdes et méchantes... La vie quoi !
La scène est d'abord plongée dans l'obscurité.
On entend par de puissants hauts-parleurs, le
prélude de l'acte II de ParsifaI, "Dans le royaume de Klingsor".
La scène s'éclaire péniblement. Dans un
brouillard, on aperçoit au fond une caisse noire,
avec, écrit en façade : GROS FRERE au dessus de deux hublots rouge incandescent. Un
homme est caché à l'intérieur qui parle aux
spectateurs : " VOUS M'AVEZ CRÉÉ A VOTRE
IMAGE."
(silence)
- "JE SAIS TOUT SUR VOUS"
- "JE VOIS TOUT"
- "IL EST ABSOLUMENT IMPOSSIBLE DE
VOUS DEROBER A MON POUVOIR".
- "VOUS AURIEZ PU PARESSER TRANQUILEMENT".
- " VOUS AVEZ NOURRI VOTRE DECEPTION".
- "VOUS AVEZ TRESSÉ LA CORDE POUR
VOUS PENDRE".
-
"JE SERAI SANS PITIE NI REGRET."
-
"C'EST TROP TARD"
-
"VOUS ALLEZ PAYER ET CHER !"
- "AH ! AH ! AH !"
-
"VOYEZ - VOUS DANS VOTRE MIROIR !"
- "VOYEZ CELUI-LA":
Le bruit s'arrête.
Entre un pantin déguingandé qui s'avance au
milieu de la scène avec des hochements de tête, des gesticulations, une ficelle à la main,
avec au bout une peluche en forme de mouton.
Le pantin se met à parler en langage niais dans
un silence total :
" Le seigneur est mon berger... (Silence). Rien
ne saurait manquer là où il me conduit ! (en
chantant)
Bèèh, Bèèh, Bèèh !
(il met sa main devant sa bouche) et regarde
éberlué les spectateurs. Il continue : criste est
en nous, savez-vous ?
- Buvez et mangez tous !
(Silence)
- Terre entière chante ta joie au SEIGNEUR !
-
ALLELUIAH, ALLELUIAH ! "
- L'Ordinateur "GROS FRERE" : " celui-là est
bien le plus fou de tous ! "
- Le Pantin : (en chantant) "La nuit qu'il fut livré
le seigneur prit du pain, il prit du vin, bu un
grand coup...(il se met à tituber) et rendit grâce
(il fait une révérence).
-(éméché): " Ne rigolez pas (en s'adressant aux
spectateurs) ceux qui sèment dans les larmes
moissonnent en chantant !"
-(étonné) " seigneur prends pitié ", plusieurs fois
de suite, puis il sort de scène.
- L'Ordinateur : " du balai, bonimenteur"
SCENE 3 :
Entre en scène un médecin habillé façon époque de Molière avec un long chapeau pointu :
II se met à parler à un confrère imaginaire :
" De toute façon, heureusement qu'on a les
maladies : d'abord pour nous faire vivre, ensuite
pour pavaner NOTRE SCIENCE ( il martèle
chaque syllabe), et pour apitoyer. C'est très important de s'apitoyer cela rend hu hu hu main.
Et puis, que deviendrait l'Homme sans les maladies hein ! un légume Monsieur, un légume que
l'on met dans le pot au feu (II rit très fort). Nous
avons le pouvoir, les sous, tremblez Ô peuple
fier ! HOMME A GENOUX C'EST TA PLACE
DANS L'UNIVERS ! UN COMPRIME A CHAQUE REPAS !
- L'Ordinateur "GROS FRERE" : "Celui-là est un
peu plus lucide, mais je le tuerai comme les autres."
( Pendant ce temps, le médecin met un ticket
dans la machine, et passe devant pour le récupérer sur le côté comme dans un RER).
SCENE 4 : en scène : les deux pleureuses.
PREMIERE : C'est quand même formidabe.
(faute intentionnelle)
DEUXIEME : C'est quand même dommage.
PREMIERE et DEUXIEME ensemble : Nous
sommes bien d'accord.
PREMIERE : A propos Madame pourquoi se
tourmente t-il ainsi? Il faut être optimiste dans la
vie, sinon c’est l’enfer. Je dis toujours ça à mon chien.
SCENE 4 : en scène : les deux pleureuses.
PREMIERE : C'est quand même formidabe.
(faute intentionnelle)
DEUXIEME : C'est quand même dommage.
PREMIERE et DEUXIEME ensemble : Nous
sommes bien d'accord.
PREMIERE : A propos Madame pourquoi se
Tourmente-t-il ainsi ? Il faut être optimiste
Dans la vie, sinon c’est l’enfer. Je dis toujours ça
A mon chien.
DEUXIEME : Comment va-t-il ?
PREMIERE : Triscotte ?
DEUXIEME : Non votre chien
PREMIERE : Il est merveilleux, il ne lui manque
Que la parole.
PREMIERE et DEUXIEME : Oh ! OUI !
PREMIERE : D’ailleurs Hitler aimait beaucoup son chien.
DEUXIEME : C’était un grand homme !
PREMIERE : Un Saint !
SILENCE
Les deux pleureuses joignent les mains.
On entend un coup de cloche (sonné par l’ordinateur qui s’allume à cet instant )
PREMIERE (nostalgique) : On a souffert pendant la guerre.
DEUXIEME : Nos enfants n'ont pas connu cette
époque !
PREMIERE : Pourtant cela leur aurait fait du
Bien.
DEUXIEME : II faut souffrir pour être beau.
PREMIERE : De mon temps les enfants restaient toujours à table.
PREMIERE et DEUXIEME : Ils obéissaient.
PREMIERE et DEUXIEME : Les enfants doivent être dressés.
Second coup de cloche
PREMIERE : II ne faut pas se compliquer inutilement la vie.
DEUXIEME : Mme Smith a vécu jusqu'à 95
ans. C'est beau.
PREMIERE : Et avec toute sa tête. Elle comptait jusqu'à dix, elle prenait sa bouillie toute seule, se torchait comme une grande.
DEUXIEME : Elle sentait quand même très fort.
PREMIERE : On atteint pas cette apogée sans
quelques petits ennuis.
PREMIERE et DEUXIEME (soupirant) : C'est
bon la vie.
Troisième coup de cloche
PREMIERE : Notre pays est quand même second aux jeux paralympiques. Nous avons obtenu une médaille d'or dans la catégorie amputéparalysée.
DEUXIEME : La France peut être fière de ses
estropiés !
PREMIERE : Oui, moi je trouve que l'on ne parle pas assez d'eux. Il faut parler d'eux.
DEUXIEME : Les animaux ne se posent pas
tant de questions.
PREMIERE : Moi aussi j'aime les vedettes à la
télé.
DEUXIEME : Je cours changer mon pansement. (elle quitte la scène).
Quatrième coup de cloche
Puis silence
PREMIERE (seule) : Mon fils bien-aimé, ce
n'est pas vrai, tout est dans ta tête, c'est psychologique. C'est sûr. Vois l'auguste vérité,
pourquoi vouloir nous quitter ? Moi, ta mère qui
t'aime presque comme un chien ? Viens-donc
prendre ce beau nonosse !
(silence)
Voyez comme sont reconnaissants les enfants !
Viens
(silence)
Trii.scotte !
( on entend en réponse un cri bref )
Arrête d'hurler, ça me fait mal.
C'est psychologique !
Silence.
Bon, je vais faire la vaisselle !
Un cri.
Dernier coup de cloche.
SCENE 5 : L'infirmière entre en scène.
Moi je pique où l'on me dit de piquer. Je pique
comme je couds. Je pique donc je suis.
Pique et pique et pique ! ( sur l'air de l'arithmétique dans l'oeuvre : " L'enfant et les sortilèges "
de Maurice Ravel )
Viens, petit, petit, poignardé par l'incompréhension, viens recevoir ta "perf", viens te brancher
au moniteur, te connecter au grand ordinateur.
Non mais, c'est qu'il me ferait des caprices ce
petit bonhomme. Je sais, ce n'est pas drôle
d'être malade, mais ne faites pas l'enfant.
Ça braille, ça braille. Il est pourtant joli ce trocart, qualité acier inoxydable.
Ce n'est pas l'heure des visites. Allez, sortez !
(Après un instant).
Bon, je vous ferme les rideaux, vous dormirez
mieux.
Au revoir et bonne nuit.
(L'infirmière sort de scène en faisant le geste de
fermer les rideaux)
SCENE 6 : L' ORDINATEUR SEUL
Ils m'ont créé utilitaire, exécutant d'ordres électro-pharaoniques. Je suis incapable de la moindre touche poétique, d'une once d'humeur ou
d'humour. Je ne sais rire ou pleurer. Pourtant ils
me trouvent beau et m'ont vendu leurs âmes
pleines de médiocrités.
Je suis partout ; mon code binaire fait loi.
Je suis l'esclave le plus servile de la terre; c'est
pourquoi ils m'aiment tant. Ma programmation
indélébile est scellée dans le tourbillon de mon
disque.
Je suis la discipline en langage ésotérique.
Je ne pourrai jamais dire : " Quand je vois ta
chevelure flotter au vent, émoi suprême et peine extrême, si je ne peux la caresser au firmament.
Jamais, jamais...
SCENE 7 : DEUXIEME MONOLOGUE DE TRISCOTTE :
" Vivre sans vertus : c'est le vide théâtral de la
cruauté :
Sexe,
Variole noire,
Terrible microbe,
Poux, pu, moustique,
Adieu pour de vraie, fratrie salace.
La terre peinte pue,
Toutes les épidémies,
Toutes les démangeaisons.
Mon corps bée, s'ébroue, dans la souffrance
obscène du cancer nébuleux.
Fument viscères, fument !
Pourritures d'âmes, croissez et multipliez !
0 vous terriens infâmes,
Je ne mangerai pas dans vos écuelles.
Vos bijoux me font horreur, gardez votre fric, je
veux rester pur.
(Silence)
0 firmament sépulcral.
Le froid glacé.
La voie lactée.
Les nébuleuses, les étoiles.
Poètes, je meurs,
Un sourire tiède
Paumé
Au coeur.
C'est tout leur dire
Quand la servilité tient lieu de vertu.
SCENE 8 : Le PANTIN, le MEDECIN ET
L'ORDINATEUR.
Ils se mettent face à l'ordinateur et l'interpellent:
"Oh grand ordinateur, que décides-tu pour Sieur
Triscotte ?"
- L'Ordinateur "GROS FRERE" :
"TRISCOTTE trahit le genre humain. Il crée le
génocide intellectuel de toute forme de croyances, il a fait l'éloge de l'inhumaine paresse, il se
moque de tout, particulièrement de l'érudition
hermétique des intellectuels, c'est un ANTIHOMME, qui refuse d'affronter la vie. Moi qui
sais tout, vois tout, vous m'avez créé à votre
image mécaniste, pour vous donner le chemin à
suivre.
TRISCOTTE sera condamné soit à l'ermitage
chimique par Tranxène : un comprimé le matin,
un le midi quand le soleil est au zénith ( pas
avant malheureux ! ), un dernier le soir avant de
se coucher ; ou bien, je le remets entre vos
mains, et je vais m'empresser de nettoyer mon
disque dur. Ce verdict est donné par la loi probabiliste, article 35 ".
- LE PANTIN et le MEDECIN se redressent et
s'exclament solennellement : A MORT, A
MORT!
MORT, MORT, MORT.
SCENE FINALE dite, du jugement dernier :
(Le rideau se ferme, le théâtre est plongé de
nouveau dans l'obscurité. On entretiendra soigneusement un brouhaha d'où naîtront des borborigmes)
BRR
TCHAC
HUE
HUE
DA DA
ETC.
Le rideau s'ouvre, sur le même décor. Entre
TRISCOTTE, les mains liés. Les hauts-parleurs
diffusent le prélude orchestral de la scène finale
de LA TOSCA de PUCCINI. Sortent, cachés
derrière l'Ordinateur, des soldats en armes qui
tirent avec leur fusil sur TRISCOTTE à l'unisson
de la musique, quand les soldats du peloton
d'exécution tirent sur Mario Cavaradossi. Enfin
la musique s'arrête. A ce moment précis, le
brouhaha continue, puis faiblit, enfin s'interrompt.
- L'ORDINATEUR "GROS FRERE" : "Tu es fiché, ne l'oublie jamais "Va et vois, et n'oublie
pas ta brosse à dents
!
(Le rideau se ferme à nouveau), L'ORDINATEUR IVRE VATICINE :
PRODUCTIVITÉ, RENTABILITE...
ET DELOCALISATION !
P.I.B SUR VALEUR AJOUTEE
VOUS EN AVEZ POUR VOTRE ARGENT...
( Le rideau se ferme définitivement.)
FIN
( Ainsi s’accomplit le postface 1 de l’anti-espoir)
OCTOBRE 1996