LARGES VISIONS sur la peinture Pablo PICASSO une lecture de
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LARGES VISIONS sur la peinture Pablo PICASSO une lecture de GUERNICA Olivier BALVET Pablo PICASSO GUERNICA L'événement Nous sommes en 1937 et le gouvernement espagnol, républicain alors, passe commande à PICASSO d'une grande fresque, conçue dans un style allégorique, pour le pavillon de l'Espagne à l'Exposition Universelle. Le vendredi 30 avril à la une du journal communiste "CE SOIR" : "A Gualdacano 22 trimoteurs allemands ont mitraillé la population" Les avions de la légion Condor ont bombardé le 26 Avril, pendant plus de 3 heures, la ville basque de Guernica; on dénombre 1654 morts et 889 blessés, sur une population d'environ 7000 habitants, les avions allant jusqu'à mitrailler les fuyards. La jeune république basque autonome venait d'élire son gouvernement provisoire... à Guernica. . Le 1er Mai, pour PICASSO la décision est prise, il abandonne le sujet prévu pour l'exposition et va le remplacer par l'œuvre révolutionnaire que nous connaissons Les premiers dessins préparatoires sont de ce jour. Il y travaillera jusqu'au 4 Juin. Le 6 juin la toile est installée au pavillon espagnol de l'exposition universelle Un mois pour réaliser ce qui sera considéré comme la plus grande peinture du XXe siècle, grande par sa taille peut-être (7,80m de long, 3,50m de haut), grande surtout par son état émotionnel et la considération qu'on lui porte encore aujourd'hui. Paul ELUARD écrivit un poème accompagnant le tableau à l'exposition universelle: ... Les femmes les enfants ont le même trésor Dans les yeux Les hommes le défendent comme ils peuvent Les femmes les enfants ont les mêmes roses rouges Dans les yeux Chacun montre son sang La peur et le courage de vivre et de mourir La mort si difficile et si facile Hommes pour qui ce trésor fut chanté Hommes pour qui ce trésor fut gâché Des inspirations Beatus de LIEBANA : le déluge On avance qu'une des toutes premières sources d'inspiration de PICASSO pourrait être le Beatus de LIEBANA, un manuscrit qui a été illustré, dont au XIe siècle celui de St SEVER, on y lit l'effet dramatique de GUERNICA, l'effroi et le désarroi des personnages, un homme mort la face tournée vers le ciel, un cheval noyé mais comme hurlant, une colombe et un rameau d'olivier. Mathias GRÜNEWALD retable d'Issenheim Il est très impressionné, comme beaucoup d'autres peintres, par le retable d'Issenheim du musée de Colmar, peint vers 1516 par avec le panneau central de la crucifixion. Avant Guernica Mais que peignait-il avant le drame de Guernica ? Dès 1929 une dramatisation sous-tend sa peinture et sera liée à la montée du nationalsocialisme en Allemagne et aux tensions politiques en Espagne. la crucifixion En 1930 il réalise une crucifixion énigmatique mais où tout est tension, drame et cris. crucifixion Il réalisera une longue suite d'études inspirées par le retable de Mathis Grünewald dont cette crucifixion en 1932. En 1933 la venue au pouvoir d'Hitler et la répression des Asturies en Espagne ne feront que durcir les tensions, déformations, dramatisations de ses œuvres. Il réalise alors aussi toute une série de scènes violentes de corrida : la mort du torero date de 1933: le corps porté et encadré par la masse noire du taureau et ce cheval blanc étripé qui crie souffrance alors que la cape rouge coule entre eux deux comme un fleuve de sang. Le cheval, le taureau et l'homme mort sont déjà ceux de GUERNICA. corrida de 1934, sous le regard impassible des spectateurs un taureau étripe, on dirait presque dévore, un cheval hurlant et sans défense, scène ramenée à une construction presque architecturale : le tableau n'est pas la représentation d'un drame, il est l'expression de ce drame. femme à la bougie, combat entre taureau et cheval une gravure de 1934, parmi plusieurs où nous voilà confrontés à la tragédie lamentable de l'être vaincu, achevé. songes et mensonges de Franco Il dessinera en janvier 1937 un pamphlet ubuesque d'aquatintes tournant Franco en dérision, à la manière d'une bande dessinée, prévu pour être diffusé au profit du fond de soutien à l'Espagne républicaine. Les 9 premières scènes ridiculisent Franco en en montrant les méfaits, les scènes 10 et 12 Franco crevant son cheval Pégase, 13 et 14 le taureau qui s'oppose au Caudillo. GUERNICA En 1937, toutes les tensions vont s'exprimer sur la toile. PICASSO est un homme de sang espagnol, de passion, de violence, le GOYA du XX e siècle, qui seul décrira, plus que ça, vivra le drame de la ville basque. Le tableau est une scène de théâtre où se joue un drame et nous en sommes les spectateurs. On voit le mouvement des acteurs mais on entend aussi leurs cris. Il est organisé en triptyque, comme le retable de Mathias Grünewald, l'action au centre, deux personnages dans les volets latéraux, un mort git dans la prédelle. GUERNICA est à lire mais aussi à entendre car tout y est cris et hurlements de douleur. Des études Nous connaissons 45 études au crayon, avec parfois des rajouts de craies de couleur ou de gouache, celles de la mère et son enfant mort que nous verrons plus loin, mais aussi de nombreuses études parfois très sommaires à la recherche d'une composition, concernant l'homme mort, le taureau et le cheval où nous remarquons l'opposition entre le tragique du cheval et la mansuétude du taureau. Etudes 1-6-10 des1&2 mai (Centro de Arte Reina Sophia) Ces études montrent à quel point PICASSO remet en permanence en cause sa recherche et son travail: il dessine et peint autant qu'il respire. Il n'a jamais voulu représenter une scène historique comme de nombreux peintres le faisaient, en particulier au XIXe siècle. Il se veut de représenter le vécu. Notons aussi l'abandon progressif d'une représentation militante de l'événement au profit de l'expression du sentiment passionnel de l'homme. Les photos de Dora Maar Dora MAAR, sa compagne, réalisa des photos d'au moins 7 états successifs de la toile pendant sa réalisation au cours du mois de mai, le premier datant du 11 mai : GUERNICA: états 1, 2 et 3 Une grande évolution où nous pouvons en particulier remarquer : - la maison en feu, traitée au début de manière très réaliste, - le taureau et le cheval dont les corps puissants occupent tout le centre gauche, - la femme qui cherche à fuir porte un mort ou un blessé à bouts de bras, - le corps du combattant, qui sera retourné, tend le bras dans l'état 1 comme pour un salut militant socialiste, puis serre dans sa main un bouquet d'épis dans un soleil radieux, qui disparaîtra avec d'autres symboles à caractère idéologique. GUERNICA: états 5, 6 et 7 Dans les états suivants - le taureau vient comme pour entourer et protéger la femme tenant son enfant mort, - le cheval agonise hurlant comme dans une tauromachie - le combattant mort a la tête retournée vers le ciel, il est disloqué, comme écrasé par les sabots du cheval, une main ouverte et inerte à gauche, l'autre main tenant encore un glaive brisé. GUERNICA: les personnages Les volets latéraux Le volet gauche GUERNICA: la femme à l'enfant mort < une femme qui hurle, son enfant mort dans ses bras, deux êtres aux membres enchevêtrés, disloqués, dont les visages s'opposent : serein celui de l'enfant mort, hurlant de douleur celui de la mère en vie mais dont la vie a perdu son sens. On retrouve le même cri et la même violence que dans cette photo du film de EISENSTEIN Le Cuirassé Potemkine > Un taureau énigmatique, protecteur manifestant la douleur même de la mère, "symbole rustique, tranquille et puissant de l'héroïsme du peuple espagnol" dit un critique. "Non le taureau n'est pas le fascisme, mais la brutalité et l'obscurité... le cheval représente le peuple... GUERNICA est symbolique, allégorique" dira Picasso. Les études ont été nombreuses, en voilà deux : < mère avec son enfant mort sur une échelle du 10 mai, étude au crayon et craie de couleur sur papier mère avec son enfant mort > du 28 mai, étude au crayon, craie de couleur et gouache sur papier Le volet droit GUERNICA: la maison en feu < une femme cherche à s'échapper d'une maison en feu; elle hurle, appelant au secours, coincée dans une masse de pierres et de boiseries, les flammes y sont symbolisées par des triangles en haut et à droite. Dans la maison en feu une fenêtre demeure, un espoir de vie peut-être ? détail d'une esquisse préalable > La composition centrale Au centre - le cheval, hurlant comme les deux femmes à droite et à gauche, encore plus terrifié que les chevaux éventrés des corridas. - une lumière ovale d'un soleil initial, réduite à une banale lampe électrique, - peu visibles aussi . une flèche entre les sabots du cheval, symbole du faisceau phalangiste et une fleur qui semble naître de la main du combattant vaincu. . une colombe telle un oiseau vaincu. - un visage, tel un souffle de vent, la main avec une lampe, semble pénétrer dans un espace où intérieur et extérieur sont confondus. Est-elle ange de justice faisant la lumière sur ce crime tout comme dans cette peinture du XIXe siècle ? PRUD'HON La justice et la vengeance divine poursuivant le crime > Un critique dira : "[cette lampe] brandie comme un poignard...semble vouloir éclairer ou lutter contre l'obscurantisme du régime de Franco". En bas à droite une femme cherchant à échapper au drame, la lourdeur de ses jambes ne le permettant plus, prisonnière de ce cauchemar, mais le visage tourné vers la lumière. Initialement elle tirait le corps d'un homme blessé. Au sol Le combattant mort placé comme en prédelle de l'œuvre, le combattant hurlant, l'épée brisée, est emporté dans la mort. Il est, tel ce Christ mort du début du XVIe siècle de Hans HOLBEIN le jeune Christ au tombeau Et après Guernica Après avoir réalisé Guernica, PICASSO aurait-il retrouvé la paix ? Certes non, Guernica n'était qu'une prémisse à bien d'autres drames. Sa peinture ne revendique pas d'être témoin de l'histoire, mais il dira plus tard : "je n'ai pas peint la guerre... mais il n'y a pas de doute que la guerre existe dans les tableaux que j'ai fait alors." Parmi les tableaux qu'il peindra alors, de la même année 1937 < la femme en pleur les thèmes de la femme en pleur, horrifiée, déboussolée, terrifiée et terrifiante, exprimant l'atrocité de la guerre, de toute guerre ou d'une tension existant avec Dora Maar, la suppliante > dit bien, en pleine guerre, sans ambiguïté, l'horreur et la terreur avec ses doigts de fer. En date de l'entrée en guerre, le chat, symbole de l'hérésie, est ici celui l'hérésie nazie, quant à l'oiseau serait-il le coq gaulois ? < chat dévorant un oiseau et dans les années 40, le crâne du taureau souvent peint est bien symbole du pire, de la mort ? > nature morte avec crâne de bœuf l'homme au mouton En 1943, encore en plein guerre, cette sculpture toujours présente sur la place du marché de Vallauris veut exprimer l'espoir, l'attente d'un avenir nouveau, d'un retour à l'humain qui sera l'essentiel de son œuvre. Pastorale "la joie de vivre" Avec la paix enfin retrouvée, ce sera, en 1952, un tout autre PICASSO, celui de la joie de vivre. On peut lire cette toile en opposition à Guernica : chaque personnage y danse, joue de la musique ou chante, là où tout était cris, douleur et mort. Avec ce sang d'Espagnol et cette fureur de vivre qui ont marqué toute son œuvre, avec l'amour, la joie de vivre, tout comme la violence et ses horreurs PICASSO nous en dira avec GUERNICA la plus grande expression. " Trois heures d'enfer sur terre, et l'immense hurlement de la ville... Un seul cri de mort monstrueuse..." écrit Hélène Parmelin dans Le massacre des innocents