Le couple, aventure de communion

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Le couple, aventure de communion
Le couple, aventure de communion
Véronique et Pierre Tempels – Dacosse
(animateurs C.P.M.) partagent avec nous
leur aventure de couple.
La vie du couple, le trésor du couple, pour nous, c’est la communion, une
communion qui se vit à trois niveaux. Elle s’explicite et se cristallise dans la
communion des corps mais se vit aussi dans le dialogue ou encore au niveau
spirituel (cette vie spirituelle étant entendue comme la vie profonde, la vie
intérieure).
Pas de couple sans communion.
Dans la communion, le don et l’accueil sont aussi importants l’un que l’autre.
Pour nous, un texte évangélique qui dit bien cela, c’est le lavement des pieds en St
Jean. Dans ce texte, il y a celui qui lave (ici, c’est Jésus) et celui qui se laisse laver. On
peut comprendre ces gestes non seulement au niveau du service avec l’humilité
requise à cela mais aussi au niveau de la sexualité ou de la sensualité. Pensons aussi à
ce magnifique texte où Jésus se laisse laver, embrasser les pieds et ensuite se les laisse
essuyer par cette femme qui lui manifeste tout son amour. En communauté, et dans
la communauté du couple, nous entendons dans ces textes que Jésus ne nous
demande pas seulement d’aimer mais de nous aimer les uns les autres. Aimer et
accueillir l’amour de l’autre sont les deux aspects indissociables de la communion.
Un don qui nourrit
S’il y a don dans le couple c’est pour nourrir la communion dans le dialogue,
la vie sexuelle et dans la vie spirituelle.
Aujourd’hui, énormément de couples se séparent. Or, il est vraisemblable que
s’ils avaient nourri la communion, s’ils avaient été attentifs et vigilants à en prendre
soin dans le don de soi et l’accueil de l’autre, cette communion n’irait que
s’accroissant. Car tant la vie sexuelle du couple que le dialogue, que la vie spirituelle
bénéficient de la durée si celle-ci se passe dans cette vigilance, cette attention et cette
volonté d’aimer.
Communion avec des hauts et des bas
Bien sûr, au cours de notre vie de couple, notre communion est inégale aux
trois niveaux dont nous avons parlé. Et beaucoup ont déjà fait l’expérience qu’il y a
interférence entre ces niveaux, c’est-à-dire que quand cela se passe bien à un niveau
cela rejaillit sur les autres niveaux. Pierre et moi en avons surtout l’expérience pour le
niveau spirituel qui a des répercussions sur notre dialogue et notre vie intime.
D’autres parlent des répercussions spirituelles de leur vie sexuelle.
Évidemment, il est inévitable que cette communion ne vive des déserts, des
malentendus ou de gros conflits, entraînant parfois des blocages chez chacun et à
terme même, la mort du couple.
Nos différences
Véronique et moi, nous avons des sensibilités ou ce que nous pourrions appeler
« des tempéraments relationnels différents ».
V - Moi, je suis une fusionnelle. Je n’ai jamais « ma dose ». J’ai besoin qu’on
m’aime et qu’on me le montre. Je cherche la communion. A l’inverse, j’ai aussi
la capacité d’aimer, d’entourer, de me faire proche de l’autre. J’aime prendre
soin de l’autre, des autres. Je m’enflamme facilement. Je suis une passionnée.
P - Moi je suis plutôt un solitaire de nature. J’ai besoin de respect, de distance,
d’espace de sécurité où je peux être en relation avec l’autre sans me sentir
envahi. Sur le plan relationnel, je suis très indépendant (libre). Par rapport aux
autres j’ai donc cette attitude de respect, de bienveillance qui offre à l’autre son
espace de sécurité, je ne menace en rien son espace…
S’accepter
Quand nous nous sommes connus nous avions déjà fait du chemin par rapport
à ces tempéraments.
V - Moi, j’avais la conscience que la fusion aboutie, c’est la mort. J’avais depuis
longtemps déjà une volonté et un désir profond de respecter l’autre. Ce respect,
je parvenais à le mettre en œuvre tout en ayant souvent besoin de prendre le
recul de la réflexion et de la prière pour accéder à la distance. Mais je restais une
véritable passionnée.
P - De mon côté, j’ai pu découvrir et expérimenter une vie communautaire et
celle-ci m’a ouvert les yeux sur une des exigences inhérentes à mon
épanouissement humain : je ne deviens moi-même, je ne m’épanouis que dans
une nécessaire et juste interdépendance avec les autres. Bref, je découvre que
j’ai besoin des autres non pour me servir d’eux mais parce qu’eux et moi
sommes accueil et don les uns pour les autres et qu’au cœur de cet échange il y
a une promesse d’épanouissement humain pour nous.
S’estimer
Quand nous nous sommes rencontrés nous avons assez rapidement pu estimer
l’autre pour ses capacités et son tempérament propre.
V - J’ai de l’estime pour Pierre, pour sa sagesse que quelques cheveux blancs ne
m’ont pas apportée, pour ce respect des personnes, pour son impartialité, pour
sa droiture, pour sa distance.
P - J’estime Véronique dans ses capacités relationnelles, sa façon d’être proche
des gens, son côté passionnel aussi en ce qu’il a de dynamisant pour elle et ceux
qui l’entourent.
Météo variable
Quand nous allons bien, l’autre est un cadeau sensible. Quand nous allons mal,
nos tempéraments s’exacerbent.
V - Je deviens collante, « houspillante », suppliante, en attente. De même, je
provoque le conflit que je préfère au silence et aux malentendus. Je veux qu’on
crève les abcès ou qu’on mette les cartes sur table.
P - Moi je suis distant, en recherche de solitude et de respect, détestant les
conflits et la violence. Bref je veux qu’on me « fiche la paix ».
Vous avez sans doute compris que, lorsque nous sommes en conflit, l’autre est
pour chacun de nous deux, très difficile à supporter. Il vient mettre le doigt sur
ma principale blessure, sur mon principal besoin.
V - Pierre ne me rejoint pas dans mon besoin d’être aimée, entourée,
réconfortée.
P - Véronique ne respecte pas mon besoin de distance en même temps qu’elle
l’exacerbe. Elle m’étouffe.
La communion en danger
Nous allons vous partager notre plus gros conflit qui a généré bien des
blessures et entravé notre communion.
Véronique et moi, malgré nos efforts et nos tentatives répétées, nous ne
parvenions pas à vivre une communion spirituelle dans la forme de la prière
commune.
Nous vous avons déjà dit que la communion spirituelle est un des lieux de
communion pour tout couple avec la communion des corps et la communion dans le
dialogue et que la communion spirituelle n’était réservée ni aux chrétiens, ni même
aux croyants.
Cependant, pour Véronique et moi, cette communion spirituelle s’exprime
dans la foi au Christ ressuscité et nous pourrions dire que c’est un point central de
notre identité et un besoin fondamental pour tous les deux.
Peu de temps avant de nous rencontrer, nous avons vécu tous les deux une
expérience de vie communautaire chrétienne qui, bien que très différente, donnait
une grande place à la prière.
Nous avons tous les deux le besoin de nourrir, d’habiter, de partager notre foi.
Les retraites que nous avons vécues, les sessions d’approfondissement ou d’étude
des Ecritures et peut-être surtout, les eucharisties vécues en commun nourrissaient
bien cette communion. Ainsi, à certains moments de l’eucharistie, nos mains se
joignaient tant l’expérience de ce qui était célébré est une expérience de communion,
une expérience qui nourrit la communion et nous le vivions ainsi.
Le conflit
La venue de nos enfants qui sont encore bien petits a considérablement
compliqué cela. Les eucharisties ont parfois été cauchemardesques. Elles se passaient
à poursuivre ou surveiller nos gamins. Ou bien encore, nous devions aller à des
eucharisties séparément… Quant aux retraites spirituelles, on n’y accueille pas des
enfants de 1, 2, 3 ans. Pour la prière que nous ne pouvions organiser que le soir, nous
l’avons essayée avec les enfants seulement ou en couple. Avec les enfants, c’était plus
simple bien qu’il m’ait parfois semblé que Pierre préférait la vivre sans moi. Dans
notre prière de couple nous avons tenté différentes formes de prière, des complies
aux vêpres en passant par un tout simple « Réjouis-toi Marie » et un « Notre Père ».
Nous avons essayé aussi la prière spontanée pour une part de ce temps.
Maintenant que vous nous connaissez un peu, vous imaginerez facilement le
ton de l’ « amen » final de Pierre après ma prière spontanée. J’entendais nettement le
« Amen. C’est bon comme ça ». Ca n’allait pas. Moi, j’étais sans cesse en demande et
Pierre de plus en plus en retrait.
Le rejet
« Que vivrais-tu, lui ai-je dit un jour, si pour nos relations sexuelles, tu étais le seul
à les désirer, les demander te heurtant sans cesse à une réponse négative de ma part ? »
Je me sentais humiliée à cause de ce besoin qu’il me semblait que Pierre niait.
D’autant plus que, connaissant mon mari, et lui même le confirmait, la vie spirituelle
était importante pour lui. C’était donc avec moi que ça ne marchait pas.
J’ai tant pleuré à ce sujet. Nous avons tant discuté qu’un jour, j’ai demandé à
Pierre de geler cela, de ne plus faire de tentatives, d’essais, de ne plus avoir de
discussions là-dessus au moins durant un certain temps car avec cela, nous
pourrissions notre vie de couple.
Nous ne prierions pas ni n’essayerions plus de prier en couple. Nous n’en
parlerions plus. Cette demande était sage. Moi, j’étais allée au bout de ce que je
pouvais. Evidemment, nous en avions convenu, nous avons gardé l’espoir,
notamment dans notre prière personnelle que quelque chose, quelqu’un viendrait
dénouer cela et que lorsque l’occasion se présenterait d’un travail ou d’un
dénouement, nous saisirions cette occasion. C’est ce qui est arrivé.
Vers la lumière
Nous étions à une retraite de couples et lors d’une matinée, après un
témoignage sur les conflits, il nous était proposé de partager ensemble sur le
principal sujet de conflit entre nous. C’est en cherchant le pourquoi de ce conflit que
j’ai eu en quelque sorte une lumière. Je me suis rendu compte que j’avais la nostalgie
de la prière monastique que j’avais vécue pendant cinq ans (prière des psaumes 7 fois
par jour). Cela m’empêchait d’accueillir une autre forme de prière dans notre couple.
En m’écoutant parler, Véronique a réalisé que pour elle, il en était de même.
Elle n’arrivait pas à renoncer à cette vie rythmée par de longs temps de prière, prière
de la Parole puis de simple présence. Non seulement nos deux manières de prier
étaient très différentes, cela nous le savions déjà, et nous disions volontiers que tout
couple au niveau spirituel est un couple mixte. Mais en plus, ces formes de prières
n’étaient pas transposables dans une vie de couple avec enfants.
Quel soulagement de découvrir la raison de notre malentendu, raison qui,
comme on nous en avait parlé, se situe souvent en amont de notre relation de couple.
Le sacrement de réconciliation
Ce soir-là, le sacrement de réconciliation était proposé parmi d’autres choses
pour les couples qui le désiraient. Nous nous sommes mis d’accord pour le vivre en
couple. Nous avons dit, en gros « Seigneur, nous ne pouvons pas te rejoindre dans notre
prière de couple à cause de nos idéaux par rapport à la prière. Nous déposons devant toi ces
idéaux pour accueillir ce que tu nous donnes, ce que tu veux nous donner aujourd’hui ». Nos
paroles à chacun étaient chargées d’émotion.
L’accueil de ce prêtre au nom du Seigneur nous ouvrait sur de nouveaux
possibles (c’est bien en partie cela, le sacrement de réconciliation).
Chemin de pardon
Après cela, pour décider de ce que nous vivrions concrètement, nous nous
sommes bien encore disputés mais ces disputes n’ont pas été de même importance.
Nous avons pu nous mettre d’accord sur un rendez-vous hebdomadaire et sur
une forme de prière qui nous rejoint et nous respecte tous deux.
La forme en changera sans doute encore ou le rythme mais, pour le moment, le
mercredi est, pour nous, un véritable rendez-vous d’amour.
Notre communion s’est renforcée de ce chemin d’élucidation et de pardon
dans notre vie spirituelle. Et nous pouvons dire : « Seigneur, quand dans notre vie de
couple, il manque du bon vin – ce vin de passion, ce vin de tendresse, de
compréhension – cette communion – nous ne renonçons pas mais nous avons
confiance que tu nous donneras ce vin si, ensemble, nous le désirons avec Toi ».
Folie de l’amour
Nous désirons pour terminer ce témoignage vous partager un texte qui nous
rejoint beaucoup. Il appartient à un livre de Christiane Singer et il a été lu dans
l’introduction à la messe de notre mariage :
« Mais qui a songé à le dire ? A dire aux époux qu’ils partent sans ticket de retour pour
une odyssée et que le voyage va aussi les mener à travers des forêts sombres, des steppes
désertiques ? et qu’ils vont connaître la lassitude, la sensation de se devenir étrangers
l’un à l’autre et à soi-même ? qu’ils traverseront des contrées dont la langue leur sera
inconnue et où tout ce qu’ils auront appris ne servira de rien ? et qu’il y aura des
moments peut-être où ils seront plus seuls – ensemble – que seul, par une nuit d’orage,
au bout d’une digue battue par les vagues ? Qui a songé à leur dire qu’une seule chose
les portera : la fidélité à leur plus haute espérance – à ce qui leur a été donné de
pressentir en l’instant où ils ont le plus aimé !
Qu’ils sachent que cette folie-là, cette fulgurance, cette clairvoyance qui n’aura peutêtre duré que le temps de battre des cils est pourtant le seul roc sur lequel se construit
une vie, et qu’il n’est de fidélité qu’à cette folie – parce qu’elle seule est à la (dé)mesure
de l’amour.
Véronique et Pierre Tempels – Dacosse