Anne GERARD - La politique culturelle des agglomérations

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Anne GERARD - La politique culturelle des agglomérations
La politique culturelle des agglomérations en France :
vers une nouvelle donne communautaire ?
Sous la direction d'Alain Faure et d'Emmanuel Négrier
Alain Faure (IEP de Grenoble-CNRS) est chercheur en science politique. Ses domaines d'activités sont
concentrés sur l’évolution des systèmes politiques locaux, la transformation du métier d’élu local et l’analyse
des politiques publiques mises en œuvre par les collectivités territoriales.
Emmanuel Négrier (CNRS-Université de Montpellier I) est chercheur en science politique. Ses principaux
domaines d’intérêt sont la comparaison des politiques régionales en Europe, l’analyse des politiques
territoriales et des systèmes politiques locaux, le développement de l’intercommunalité et processus de
métropolisation institutionnelle, les politiques culturelles.
Introduction :
C'est en 1991 que la dimension culturelle de l'aménagement du territoire prend corps et jusqu'en 2001, on
assiste à une démultiplication de l'intercommunalité fonctionnelle, en parallèle à une préservation de
l'autonomie culturelle de chaque commune. En effet, c'est particulièrement dans la politique culturelle qu'il y
a une véritable réticence à dépasser le cadre communal, pour les raisons suivantes : un seuil de crédibilité
difficile à identifier, une pertinence territoriale introuvable, ainsi qu’un attachement durable des élus à la
prééminence de la sphère municipale.
Le livre d'Alain Faure et d'Emmanuel Négrier, nous propose une analyse de l'évolution de la donne
communautaire à travers l'analyse de 7 cas [deux villes situées au cœur d’une région rurale (Amiens et
Rodez), deux métropoles en formation (Le Grand Lyon et l’aire urbaine de Montbéliard) et trois villes centre
rayonnant sur leur agglomération (Montpellier, Rennes et La Rochelle)] et trois angles de lecture, qui sont
autant de pistes de réflexion :
1 – Le cheminement obligé (...) :
Les communautés d'agglomération ne se sont pas construites in abstracto : les cultures locales de
coopération et le leadership politique jouent un rôle majeur dans la conduite de ces nouveau projets.
Avant la loi Chevènement du 12 juillet 1999, on assiste à une explosion de l'intercommunalité,
principalement pour deux raisons :
− la première est liée aux apprentissages préalables : c'est une manière de ratification des initiatives
antérieures au sein de la nouvelle structure qui est en jeu (« L’agglomération reçoit ici la culture en
héritage ») ;
− la seconde est socio-politique : définir un champs large de politique culturelle, c'est ouvrir les possibles
pour de nouveaux partenariats et de nouveaux projets, mais c'est aussi pour le leadership politique
parer la politique de clientèle en posant une vision globale d'équipement sur le territoire et réduire les
charges de centralité.
Ce nouveau territoire doit être doté d'un sens, mais en matière culturelle, tout se passe surtout au centre, la
périphérie est oubliée.
La question de l'intérêt communautaire diffère selon les contextes et les opportunités, mais bien peu de CdA
en formation ont fait l'effort de définir un projet. Pour dépasser cela, il faut une initiative de terrain : c'est la
responsabilité des acteurs.
Parallèlement, il n'y a pas de reconnaissance institutionnelle de ce nouveau périmètre, car l'Etat,
notamment, est encore dans une logique de critères professionnels, non dans une dimension territoriale (les
DRAC ne sont pas en mesure d'identifier un territoire plus pertinent qu'un autre) et les acteurs, plus
concernés, sont dans une cohérence qui varie au gré de leurs partenariats.
Il y a une telle hétérogénéïté dans les manières de penser le territoire qu'il paraît inévitable d'aligner les
dispositifs sur les stratégies politiques, car les élus locaux sont encore ceux qui en ont la vision la plus
claire, et la plus légitime.
Mais alors quelle légitimité du périmètre institué ? Peu de territoires trouvent une coïncidence entre le
périmètre et l'action culturelle à moyen terme : ici, c'est dans une logique politico-institutionnelle que l'on
force la compétence à la communauté urbaine (Montpellier) ; là, l'aire urbaine est déjà la nouvelle frontière
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pertinente (Montbéliard). Et quand cela fonctionne, on se pose la question du bien-fondé de
l'institutionnalisation de ces politiques : faut-il structurer un Service ? Définir des compétences précises ? On
se méfie des effets pervers sur les politiques transversales et le rayonnement de ces espaces singuliers (à
Lyon, la richesse et la diversité est fondée sur une absence d'organisation institutionnelle).
En résumé, dans la mise en oeuvre de cette politique, l'innovation est limitée, la vision, très institutionnelle :
on assiste à des ajustements techniques, plus qu'à la prise en main de l'opportunité de penser les politiques
ensemble. De plus cette échelle ne permet pas de dépasser les frontières sectorielles. Les agglomérations
sont à ce stade des super municipalités plus que de nouveaux espaces publiques.
2 – (...) Mais des interférences sur les conditions d'accès à cette réflexion : les acteurs sont très inégalement
mobilisés.
−
L'atonie des milieux culturels résulte de son découpage en différents cercles qui correspondent à autant
d'enjeux.
Les institutions, de part leur financement pluriels et leur proximité avec les leaders sont concernées en
premier lieu, mais surtout, dans cette première phase, parce qu'il s'agit de réduire les charges de
centralité.
Les structures de création sont fragiles et peu au fait de ces enjeux, même si, de part leurs projets, elles
devraient pouvoir entamer plus simplement une démarche collective, afin de poser les bases d'une
culture d'agglomération.
Les structure de pratique amateur et d'animation devraient être concernés car leur financements sont
moins sectorisés, mais leur capacité d'action semble inhibée par la stabilisation de leur ressource.
Le peu de mobilisation résulte donc des difficultés de mise en oeuvre d'actions collectives par les
artistes, de l'hétérogénéité des positions par rapport à l'institution et des intérêts professionnels et
territoriaux, toujours particuliers.
Parallèlement, on observe que les secteurs jugés prioritaires résultent de l'histoire et sont très différents
selon les endroits. La réflexion est paradoxalement plus sectorielle que territoriale.
−
Le volontarisme des élus locaux est fragmenté : il n'y a pas de dynamique collective non plus. Dans la
plupart des cas, c'est la stratégie du leader politique de l'agglomération qui donne le tempo des
initiatives communautaires (la place de la ville centre est décisive dans le processus politique de
négociation sur de nouvelles compétences). Et si l'on peut également lire un certain engagement
politique des élus à travers les discussions dans les communes périphériques, on constate qu'il y a
autant de cas de figure que de villes. De nouveau, il faut conclure que le dynamisme identitaire est limité
aux priorités de développement : on ne revendique aucune définition d'une politique d'ensemble.
−
Par ailleurs, les institutions partenaires (Conseil Général, Conseil Régional, DRAC) sont tenues à
distances, quand elles ne sont pas elles-mêmes très discrètes.
Il n'y a pas de dialogue entre les différentes instances, pas de prise en considération des relations
préexistantes et des champs futurs de co-intervention possible – mais sans préjuger pour autant du rôle
que joueront demain ces relais. Et cela va parfois jusqu'à une véritable concurrence (la Métropole
Rennaise empiète sur les compétences du Conseil Général) : ainsi certaines configuration reflètent une
autonomie grandissante de ces nouvelles échelles territoriales qui deviennent puissantes, de part leur
assise démographique et leur périmètre.
3 – Quelle métropolisation culturelle pour demain ?
En résumé, si l'on pose la question aux acteurs concernés, une culture originale d'agglomération ne se
dessine pas. C'est avant tout une opportunité financière, à travers les coopérations et les mutualisations –
pour ne pas dire une instrumentalisation ; et la projection dans le futur incite à la prudence.
Trois séries d'enseignements peuvent néanmoins être tirés :
−
Administratifs : les termes sont flous mais ils aboutissent à un modèle inédit de centralité partagée. La
ville-centre maintient certaines prérogatives d'excellence artistique et pèse sur les arbitrages
communautaires. Le financement des institutions est mutualisé, avec une reconnaissance de l'asymétrie
entre commune. La CdA se dote d'une administration qui intervient de façon sélective et ce système
impose aux partenaires extérieurs une globalisation des financements.
−
Artistiques : influence artistique ou courant d'idée, qu'est-ce qui pourrait s'affirmer dans les années à
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venir ? L'avènement d'une véritable politique culturelle est-il probable ? Ce que l'on constate, c'est non
pas une priorité culturelle mais l'imprégnation de cette politique sur d'autres plus transversales, telle la
Politique de la Ville. Notamment, par rapport à la question du devenir des structures d'animation socioculturelle.
Ainsi, dans la négociation de la ville-centre avec la périphérie, l'éducation populaire et l'insertion sociale
retrouvent toute leur place à défaut de la perfection artistique ou de l'innovation esthétique. La
contrepartie de la maîtrise par la ville-centre des orientations culturelles de l’agglomération n’est
apparemment possible qu’en contrepartie d'une véritable politique d'aménagement du territoire et de
cohésion sociale.
Finalement, une seule question vraiment artistique apparaît, celle des cultures émergentes. Des
professionnels plaident en ce sens, en arguant que la reconnaissance de ces pratiques artistiques
jugées mineures valoriserait une identité métropolitaine au sein d’univers urbains surtout identifiés pour
les troubles sociaux qui les traversent.
−
Politiques : le pouvoir d'agglomération pourrait s'approprier, à l'avenir, certains symboles culturels pour
conforter sa légitimité et pérenniser son territoire d'intervention.
L'exercice prospectif a du mal à se dégager de l'histoire intercommunale singulière de chaque territoire
(celle de l'opposition politique et des rapports de force). Pour autant, la passage en CdA promeut de
nouvelles ambitions :
L'agglomération peut asseoir une partie importante de sa communication politique sur ses ambitions
culturelles, à des fins de marketing institutionnel et de rayonnement. Elle aura ainsi plus de poids que la
ville-centre.
L'agglomération peut valoriser symboliquement l'ambition socio-économique sur son territoire. Les
critères culturels de l'identité et des valeurs communes prendront une place croissante dans les
questions d'excellence économique, dans les questions de tourisme également.
La conclusion des auteurs nous ouvre paradoxalement un nouveau champ territorial, en posant la
question du périurbain : sera t’il l'espace par excellence d'un aménagement territorial et d'une
refondation des politiques culturelles urbaines ? Ils semblent impliquer que l'agglomération ne pourra se
consolider qu'en fonction du territoire qui l'entoure.
Conclusion :
L’intervention culturelle dans les agglomérations pourra-t-elle avoir des effets structurants sur les
conditions de définition de l’intérêt communautaire dans les grandes villes en France ? Les auteurs font
l’hypothèse que les indices culturels de centralité partagée, d’intégration sociale et de marketing
identitaire qui se dégagent des réflexions prospectives accompagnent et illustrent le déplacement des
politiques urbaines vers un modèle d’action publique plus territorialisé et plus pragmatique que par le
passé. Ils font le pari que la création des compétences culturelles d’agglomération devrait pousser plus
loin encore l’autonomisation des choix, du sens et de l’institutionnalisation des politiques culturelles
urbaines, se démarquant ainsi d’un modèle qui orientait, depuis l’État culturel, la majorité des villes.
Commentaires :
La réflexion des auteurs a été menée en 2001 et si elle doit être resituée dans son contexte, nous pouvons
néanmoins observer qu'ils n'abordent pas la question de l'échelle territoriale régionale qui paraît aujourd'hui
conditionner plus que jamais l'aménagement du territoire. Les Régions, fortes des compétences culturelles
dont elles se sont emparées, notamment depuis 2004, se posent comme les nouveaux relais du
désenclavement territorial et de l'égal accès des publics. Les territoires vécus supplantent désormais la
logique purement administrative, mais l'échelle de l'agglomération semble toujours être conditionnée par des
enjeux symboliques dès que l'on aborde la question culturelle. Si, à la suite des auteurs, nous pouvons
confirmer que c'est bien parce que la culture est une composante majeure de l'identité et de la spécificité
locale, nous constatons que c'est plutôt la raréfaction et donc la nécessaire redistribution des moyens
attribués à la culture qui implique (qui contraint), aujourd'hui de penser (de définir) un projet de territoire.
Désengagement de l'Etat et engagement des Régions, provoquent une redistribution des cartes à l'heure où
les communes, qui restent les premiers financeurs de la politique culturelle en France, dépendent fortement
des financements extérieurs ; et les agglomérations toutes puissantes sont parfois l'otage de négociations
engagées par l'Etat et les Régions sur le transfert de certaines compétences (exemple des enseignements
artistiques).
Mais la volonté politique partagée existe et il est des cas, que les auteurs n'abordent pas, où les communes
ont compris leur intérêt. Ce sont alors des projets artistiques identifiés nationalement qui ont ouvert la voie à
la politique culturelle d'agglomération.
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