Les « chats - Page personnelle de Jacques Audran
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Les « chats - Page personnelle de Jacques Audran
Les « chats » à l’école : quels apprentissages ? Parmi les différentes modalités qu’offre Internet en matière de communication, les relations langagières synchrones ont peu été étudiées, en France, du point de vue éducatif. Les réseaux informatiques ont pourtant l’intérêt de permettre un affranchissement théorique des contraintes géographiques de ces relations entre humains et l’on sait l’importance des interactions sociales interpersonnelles sur les processus d’apprentissage (VYGOTSKI, 1962 ; BRUNER ET OLSON, 1973). Cette convergence supposée nous a amenés à construire des dispositifs de suivi d’expériences d’échanges télématiques en classe comme ont pu le faire des chercheurs dans un passé récent sur le Minitel (GUIHOT 1996). Bien que les ordinateurs actuels offrent désormais plus de souplesse que les anciens terminaux (notamment en termes de stockage et d’affichage) ces expériences ne suscitent pas l’enthousiasme et l’adhésion spontanée des enseignants et des décideurs institutionnels du monde éducatif. D’une certaine manière, elles perturbent les modes de fonctionnements traditionnels de la classe et demandent à ceux qui désirent les mettre à l’épreuve une aptitude certaine à une forme de « bricolage » pédagogique qui n’est pas du goût de chacun (AUDRAN, 1998). Néanmoins, pour ne pas céder au débat qui oppose les tenants d’une vision idéalement positive de l’évolution technique aux héritiers de la critique post-industrielle d’une société technocratique, nous avons, dans une optique compréhensive, observé des groupes d’élèves utilisant des moyens rudimentaires mais efficaces de communication sur Internet dans le temps scolaire. Un faux consensus institutionnel ? En France, le semblant de consensus à propos de l’utilité, voire la nécessité, de l’usage des TIC dans l’Education Nationale, tant dans le secteur de l’enseignement général que celui de la formation des enseignants, dissimule parfois des divergences de vues importantes aussi bien chez les acteurs de l’école en prise avec le terrain, que dans la sphère institutionnelle en charge de la prise de décision (le ministère de l’Education Nationale mais aussi les collectivités territoriales chargées de l’équipement des établissements). Ces divergences portent aussi bien sur le contenu des enseignements (faut-il faire de l’enseignement des TIC une discipline scolaire ?), que sur les modalités de la formation continue ou initiale des enseignants (faut-il proposer des stages, des ordinateurs, former sur le terrain ?) sans parler des débats sur l’ouverture ou la fermeture de l’école à la société civile (les TIC sont-elles dangereuses par les risques de rencontres inopportunes, ou au contraire permettent-elles, justement, de sortir du cercle scolaire à moindres frais ?). Un de ces sujets « sensibles » concerne le choix instrumental. En effet, le thème 5 du rapport de l’Inspection Générale de l’Education Nationale française, consacré à l’observation des pratiques existantes impliquant l’usage des technologies de la communication, se prononce à propos de la pratique des chats d’une manière quelque peu radicale : « La pratique de la discussion en direct semble très peu répandue, sans qu’il y ait lieu de le regretter en l’état actuel des choses » (MEN, 2000, V, p. 9-10). Les pratiques observées chez les élèves semblent ne porter que sur des échanges vains et régulièrement perturbés par des interventions inopportunes d’automates informatiques sollicitant les élèves en discussion. Il faut noter que cette critique est quasiment le seul élément discordant dans un rapport globalement bienveillant envers l’intégration des technologies réseau dans le système scolaire. 1 La recherche présentée ici est donc partie de cette assertion relative à la mise en doute de l’intérêt pédagogique que peut représenter la pratique de la discussion électronique1 dans les situations concrètes de classe. Cette position nettement tranchée a le mérite d’attirer l’attention sur une modalité des TIC qui, semblant n’offrir vraiment aucun intérêt éducatif pour l’institution, se trouve, du point de vue de la recherche, dotée d’une caractéristique singulière. Cette situation est parfois plus riche en enseignements que l’observation de pratiques qui semblent porter leurs fruits, parce qu’elle permet de comprendre ce qui singularise l’instrument du point de vue de l’usage et ainsi de cerner mieux les caractéristiques qui conditionnent d’éventuels apprentissages. Les conditions sociales et matérielles du dispositif de mise en œuvre, les savoir-faire des enseignants qui intègrent plus ou moins efficacement cet instrument de communication, ainsi que les limites et les potentiels d’usage de l’instrument lui-même peuvent donc faire l’objet d’une observation attentive. Le dispositif de recherche Quel observable ? La question de la pertinence de l’emploi d’un instrument technologique dans une séquence de classe interroge à la fois les modèles d’action pour l’apprentissage (DEL PERUGIA, 2000), les questions pratiques d’ingénierie éducative (POUTS-LAJUS et RICHE-MAGNIER, 1998) et le rôle et les habiletés de l’enseignant comme concepteur du dispositif pédagogique (AUDRAN, 2000). La recherche présentée ici a porté essentiellement sur l’observation des apprentissages en jeu dans une situation de communication s’appuyant sur des chats en ligne. La pratique des chats occupe un espace de communication électronique synchrone au sens où l’entendent BEAUDOIN ET VELKOVSKA (1999) adaptant à la sphère Internet la notion de cadre de participation de GOFFMAN (1971) : au sein de cet espace de communication, le support chats correspond à un type de focalisation caractérisé par des interactions synchrones et bien focalisées (par opposition à d’autres supports comme par exemple le support forum qui est asynchrone et non-focalisé). Les chats seront donc traditionnellement utilisés pour correspondre par écrit « en direct » entre personnes ou entre « classes » (en tenant compte des décalages horaires liés à l’éloignement géographique), et sur des thèmes clairement identifiables par chaque interlocuteur. Les chats ont la particularité, comme d’autres supports de communication sur Internet, de contraindre à expliciter et à rendre manifeste par écrit des éléments appartenant habituellement à l’implicite. En employant la terminologie de LEONTIEV (1978) on pourrait dire que les usagers des chats doivent donc se donner des moyens (une certaine maîtrise de l’environnement, du thème, …) pour atteindre un but (communiquer de manière signifiante) et passer ainsi de la tâche à l’activité. Ces moyens reposent nécessairement sur des habiletés à générer des messages signifiants pour les correspondants. Mais il faut aussi que les messages fassent sens pour chacun. Or, il n’est pas acquis que les élèves de deux classes distantes aient suffisamment d’expériences à partager (ou d’expérience pour partager), de références communes pour donner suffisamment de sens à leurs échanges pour déclencher un processus psychologique de formation (BOURGEOIS, 2000). Nous nous sommes donc particulièrement attachés à varier les situations de causette à travers les consignes afin de voir comment ces variations pouvaient affecter le sens de la conversation à distance et ainsi conduire à différentes situations d’échange aussi bien celles 1 Des causettes au Québec ou plus généralement des chats anglo -saxons. 2 médiatisées par le chat (entre les participants tenus à distance) que localement quand la médiatisation est orale ou gestuelle (les élèves entre eux de part et d’autre du dispositif). La configuration logicielle Pour notre recherche, plutôt que de nous orienter vers l’emploi de canaux IRC 2 classiques, nous avons choisi de nous reposer sur l’emploi du logiciel ICQ3. Le choix de cette messagerie instantanée a été dicté par plusieurs impératifs : le rapport de l’IGEN soulignait que la pratique de chats observée avait été perturbée par des messages automatiques envoyés par des robots qualifiés de « peu convenables », or ICQ est un environnement qui se distingue du support traditionnel IRC par le fait que les communicants peuvent se protéger de l’arrivée intempestive de messages inopportuns par la demande d’une autorisation de participation. De plus, le paramétrage permet de multiples présentations des conversations et, si le mode « talk » est activé, les correspondants peuvent voir le message frappé par le correspondant s’afficher lettre par lettre dès le début de l’action de frappe. Enfin, la légèreté de l’application nous l’a fait préférer à des produits plus performants mais plus exigeants en ressources système comme Netmeeting (qui, de plus, s’éloignait vraiment de l’activité de chatting). Notre espace de communication (chatroom) est donc ici bien particulier puisque limité à deux groupes d’interlocuteurs et se situe clairement dans la famille des salons privés, donc dans un cadre sensiblement plus étroit que celui des pratiques observées par TURKLE (1997) dans les MUD, notamment. Le recueil des traces Cette correspondance par ICQ a été menée dans deux classes d’école primaire (première année de cycle 3, enfants de 8 et 9 ans) distantes d’une centaine de kilomètres dans le sud-est de la France, chaque classe étant équipée depuis plus d’un an d’un ordinateur relié au réseau par modem. Nous avons donc observé des enfants novices en matière de dialogue direct, mais dotés d’une certaine expérience du clavier. Cette recherche s’est appuyée sur l’observation directe de moments de communication et l’étude des dispositifs mis en place par les enseignants pour tirer parti de ces situations. Nous avons fait l’hypothèse qu’il existe des invariants, observables, liés à l’instrument qui peuvent nous éclairer sur la manière dont se réalisent certains apprentissages. Nous nous sommes principalement intéressés à deux types de traces : • d’abord, grâce à ICQ nous avons pu enregistrer les conversations écrites médiatisées dans cet environnement sémio-techno-pragmatique (PERAYA , 2000). La fonction « magnétophone4 » d’ICQ nous a ainsi permis d’observer les opérations de frappe (lettre à lettre nous avons pu observer les effacements, les retours, les tâtonnements). Cette fonction d’ICQ a pu donc être utilisée pour analyser après coup une conversation médiatisée avec les enfants en temps réel ou en accéléré, noter leurs réactions, leurs explications, et ainsi vérifier 2 L’International Relay Chat (IRC) a été le support traditionnel depuis le début d'Internet de la discussion en temps réel sous forme de texte (Cf. Anis, 1998, p. 233-237 pour une étude sur les pratiques de l’IRC). 3 La version utilisée d’ICQ était la 99b bêta 3.19. Depuis plusieurs versions plus performantes ont été proposées par l’éditeur Mirabilis (www.mirabilis.com). 4 « ICQ chat file player » permettant de retracer la conversation est dans le menu Archives, dispose d’une horloge de chronométrage et de fonctions de sauvegarde et d’exportation et d’importation de fichiers .exp. 3 nos hypothèses. • par ailleurs, pour l’observation des interactions verbales locales entre pairs, nous disposions de deux caméras vidéo synchronisées qui filmaient et enregistraient les conversations des groupes d’enfants aux commandes, à chacune des extrémités de la correspondance. Le choix de l’angle de prise de vue nous a toutefois posé quelques problèmes pour à la fois éviter de perturber le groupe aux commandes et pour restituer des indicateurs pertinents. Le dispositif global de recherche était le suivant : Les variations de contexte Comme cela a été dit, plusieurs situations ont été observées et nous avons fait varier les consignes afin de noter quels étaient les observables invariants. Dans les trois cas suivis, les enfants ont pu discuter durant des périodes d’environ quinze minutes à la lisière des moments de récréation et de classe, moments traditionnellement réservés chez les uns et les autres à un travail autonome en ateliers. Ces contraintes expliquent que l’on n’ait pu observer et filmer que trois causettes car plusieurs rendez-vous ont du être différés (une classe manquait parfois à l’appel ou avait un emploi du temps modifié, le serveur ICQ décrochait parfois de manière inopinée…) et le fait de mobiliser des deux côtés un chercheur et un enseignant de manière synchrone a encore alourdi le dispositif. Les trois situations ont été les suivantes : • • • Discussion autour d’un échange de figures géométriques Prise de rendez-vous pour une rencontre Elaboration d’un texte en commun Dans le cadre de cet article court, les deux premières tentatives seront brièvement évoquées et nous insisteront plus sur la troisième situation. 4 Trouver une figure géométrique La première tentative de causette a fait l’objet d’une préparation minutieuse. Des figures géométriques (5 en tout pour chaque classe) élaborées par les enfants en fonction de leurs compétences du moment avaient fait l’objet d’un échange par e-mail, l’idée était de proposer un jeu consistant à les désigner par leurs propriétés géométriques, par chat interposé, afin que les correspondants les reconnaissent. Après quelques tentatives infructueuses, le dialogue s’est malgré tout établi et tour à tour les énigmes ont été résolues. Toutefois, alors que nous attendions des échanges du type “trouvez le dessin avec un carré et un triangle en dessous” pour désigner la figure A, nous avons obtenu “<Moustiques> trouvé la maison posé sur le toit” ou encore “<Rustrel> trouvé le carré qui est come une tortue” pour désigner la figure B. Il semble, à partir de cette expérience, qu’il ait été beaucoup plus simple aux enfants de désigner métaphoriquement les images que de réinvestir, comme le voulait la consigne, le vocabulaire mathématique étudié quelques temps auparavant. On trouve là une forme d’économie d’énergie cognitive (COHEN, 1978) qui n’est pas surprenante. A B Ceci nous a amené à proposer un dispositif reposant sur une consigne beaucoup plus élémentaire qui était la prise de rendez-vous pour une séance de chats ultérieure. Préparer une rencontre Comme précédemment, nous avons constaté que si le sens de l’activité est bien là, la réalisation et termes de normes orthographiques ou de langage écrit glissait vers des graphies phonétisantes ce qui semble être une constante dans les discussions par chats (ANIS, 1999). La nécessaire économie de signes, de temps et la brièveté du message sont au cœur des préoccupations des groupes. Une tentative d’exploration des effets sonores d’ICQ donne : (envoi de “rire”) (envoi de “carreau cassé”) <Moustiques>vousu entend quoi ? <Rustrel>voila <Moustiques> aaaa aoui ? <Rustrel>non ce pas ca Les membres n’hésitent pas à appuyer sur la touche que le préposé au clavier tarde un peu à trouver, à montrer une icône du doigt, à presser le responsable, à lui souffler des mots ou des répliques. Les conseils de rédaction fusent. Certains membres passent ainsi fugitivement du rôle du spectateur-contrôleur attentif à celui d’intervenant dans le déroulement de l’activité. On note bien ici l’importance de la séquence filmée pour la recherche qui seule peut rendre compte des conditions qui ont servi de cadre à ce qui peut hâtivement apparaître comme une erreur 5 si on s’en tient à examiner le texte produit seul. Ce qui est le plus frappant dans cette séquence est la différence d’ambiance qui règne dans les deux classes. Dans la classe rurale celui (ou celle) qui est au clavier prend l’ensemble des décisions (y compris la décision d’expédier la contribution) et les négociations locales sont limitées à quelques points rapidement échangés (la plupart du temps sur des questions qui concernent la forme du message). Dans l’autre classe, en Zone d’Education Prioritaire5 (ZEP) le débat local est beaucoup plus animé ; la négociation (parfois vive) porte autant sur le sens du texte que sur sa mise en forme. Le déroulement du chat semble donc largement marqué par les règles de fonctionnement propres à la classe, par l’influence de ce que HESS et AUTHIER (1981) appellent le groupe institutionnel, et qui définit un mode d’action qui conditionne la majorité des pratiques sociales quand le groupe est réuni. Pourtant, quand on examine les textes produits, on ne constate pas de différences majeures en termes de syntaxe, de richesse de langage ou de coquilles. Les répliques semblent s’accorder, s’ajuster l’une à l’autre à distance dans une architecture qui ne marque pas de rupture. Les rares exceptions sont dues à des erreurs de manipulation (notamment l’appui involontaire sur la touche <entrée>). Le rapprochement entre oral et écrit est donc bien nécessaire pour tirer quelques enseignements. C’est ce qui est montré dans la situation suivante. Elaboration d’un texte en commun Des trois situations c’est la dernière qui a été la plus riche pour la recherche. Nous avons tenté une conversation en ligne sur le principe du « cadavre exquis ». La consigne était simple : chaque groupe devait proposer un début de phrase que l’autre groupe était chargé de compléter afin de réaliser un texte (une histoire) en commun. Le chat reproduit ci-dessous entre le groupe Moustiques et le groupe Rustrel a duré un peu plus de trente minutes (le texte est reproduit avec les erreurs tel qu’il a été composé). Du côté des Moustiques deux enfants sont aux commandes dont un au clavier et du côté de Rustrel deux enfants sont assis dont l’un au clavier et deux autres debout observent mais interviennent fréquemment. Le clavier est parfois “kidnappé” par celui qui veut frapper. <Moustiques> Salut, <Moustiques> On commence une nouvelle histoire. <Rustrel> d'acord <Moustiques> vous commencé. <Rustrel> il était une fois 7géant <Moustiques> qui habitait une grotte. <Rustrel> Le premier s'appelait Bob <Moustiques> le dexième s'appelait John. <Rustrel> le troisième et la quatrième etaient jumaux <Moustiques> et s'appelait tout les deux Tom. <Moustiques> <Rustrel> la cinquième s'appelait fanny <Moustiques> le sixième s'appelait Stèfanie. <Rustrel> et le dernier s'appelait jaque risso <Moustiques> <Moustiques> Un jour , ils avez très faim et décida d partire Chicago. <Rustrel> cela leur pris des dizaine de jours <Rustrel> <Moustiques> Arrivé <Rustrel> il ce reuposère dans l'herbe des heurs 5 En France, les Zones d’Education Prioritaires (ZEP) regroupent des établissements où l’on a constaté que les enfants étaient plus fréquemment en échec scolaire, et qui bénéficient d’aides spécifiques matérielles. 6 <Moustiques> arrivé là bas, ils était très embété parce qu'ils ne parlé pas leurs lang. <Moustiques> Alors , ils prennait des cours de leurs langues. <Rustrel> mais il ne trouvère pas de nouriture a leur taille <Moustiques> Alors, ils mangé les bâtiment et les animaux avec leurs maître. <Rustrel> ils fure obligé de partir <Moustiques> mais ils était trop gros pour partire et ne pouvez plus marché. <Rustrel> allors des personne les ont trouvé <Moustiques> En tombent ils les ont écraser. <Rustrel> d'autre personnes sont arrivé et les ont attaché <Moustiques> grace aux grue. <Rustrel> une gente dame est arrivée et a charmé tous les garçons <Moustiques> Les garçons on quitté Fannie et Stéfanie. <Rustrel> et sont partie a jamais... <Moustiques> les filles se cont débrouiller pour rétrécire. <Rustrel> à suivre... On trouve, sans surprise, dans cette causette en ligne, certains éléments qui montrent que le sens et la volonté de faire vite l’ont emporté sur le soin apporté à la rédaction et à l’orthographe, mais globalement la consigne a conduit les enfants à rédiger plus longuement et à s’éloigner de la graphie phonétisante qui marquait les précédents échanges. On observe aussi quelques ratés et entrelacements habituels dans ce type d’échange (ANIS, 1998) où parfois les éléments textuels se téléchargent avec un temps de décalage. Les quatre premiers échanges et le dernier appartiennent au méta-discours, “accordent” les participants selon des principes de bienséance et, pour la fin, laissent présager une nouvelle rencontre. La structure narrative est peu ou prou celle du conte, ce qui n’a rien d’étonnant car familière aux enfants de ces deux classes. L’histoire est interrompue compte-tenu du temps passé, mais une tentative de conclusion est perceptible. L’histoire, avec sa longue présentation répétitive, montre que si les enfants recourent à des structures bien rodées, ils n’en introduisent pas moins des éléments incongrus (un prénom féminin pour le premier géant) ce clin d’œil étant tout de suite repris par les correspondants (l.12, l.13). Arrivés dans le corps de l’histoire les hésitations sont plus visibles, les erreurs et corrections se font nombreuses. Parfois l’échange tourne à la lutte (l.27-28 <Rl> allors des personne les ont trouvé /<Ms> En tombent ils les ont écraser) pour influer sur le cours de l’histoire. Les incohérences des uns sont immédiatement corrigées par les autres (l.29-30<Rl> d'autre personnes sont arrivé et les ont attaché /<Ms> grace aux grue) par un élément rendant la situation vraisemblable. La fin de l’histoire témoigne de la volonté d’en finir (même si un nouveau rendez-vous est implicitement proposé par le à suivre). Si, en soi, ce texte nous dit peu de choses sur les apprentissages développés par les enfants, sa mise en parallèle avec les élément oraux échangés, comme a pu le faire POUDER (1996) pour l’étude du travail sur traitement de texte, permet de mettre en évidence des indicateurs beaucoup plus intéressants pour l’analyse. Prenons un exemple. Si on observe la vidéo des Moustiques : deux enfants Ch et E sont devant l’ordinateur E est au clavier en début de séquence. Ils viennent tout juste de recevoir un message du groupe Rustrel (min 15) : Ecrit (deux groupes) Oral (Moustiques) <Rustrel> cela leur pris des dizaine de jours <Rustrel> <Ch. et E. lisent la phrase> <Ch. qui dicte sur le ton du conteur> Arrivés là-bas ils ne parlaient pas leur 7 Arrivés là-bas ils ne parlaient pas leur langue… arrivés… <E. au clavier, intrigué> Pourquoi ? <Ch.> J’sais pas. Arrivés là-bas… allez ! <E.> Non… <Ch.> Mais si ! C’est à Chicago c’est pas en France ! … Arrivés la bas… <E. commence à frapper> <Ch.> Eh ! Arrivé … deux R ! <E.> Quoi ? <Ch.> Deux R à arrivés <Moustiques> Arrivé <E. corrige et frappe sur Entrée> <Ch.> Oh ! Non ! Tu as frappé sur <Rustrel> il ce reuposère dans l'herbe des “Entrée”… Vite, vite écris avant qu’ils… ! heurs <Ch. voit la réponse et prend brusquement le clavier des mains de E. et frappe rapidement les lettres en les scandant <Moustiques> arrivé là bas, ils était très phonétiquement> a r r i v é l a b a…. embété parce qu'ils ne parlé pas leurs lang. On observera que les interactions orales et gestuelles entre les participants qui se concertent pour répondre sont très importantes. Ce travail demande à la fois de prendre connaissance sans erreur de l’élément proposé par les correspondants, de se mettre d’accord localement sur les événements du récit à proposer, de se préoccuper du sens global de l’histoire, de gérer les contraintes contingentes (clavier, orthographe), de corriger les correspondants en apportant une précision dans la réponse (orthographe du mot langues, par exemple), voire même d’anticiper les réactions des correspondants (Vite écris avant qu’ils…[oral l.15]). Cet exercice est très contraignant, mais rempli de sens. Il est à la fois très sollicitant en matière de compétences relatives à la maîtrise de l’oral et de l’écrit, mais, de plus, demande à tout moment de sauter du sens général à la procédure locale, de la structure du récit au sens du récit, des préoccupations d’écriture à la recherche des touches du clavier, de la recherche d’une idée à la mise en mots de l’idée, et la négociation pour la faire accepter localement… Ce sont donc de multiples niveaux de négociations sociales et de manipulations de langue qui sont constamment en jeu. Cette activité autour des chats pourrait entraîner une prise de distance dans ces façons de parler repérables au jeu, et aux rôles pour reprendre la métaphore théâtrale de GOFFMAN (1981), à condition que la situation favorise le développement d’une prise de conscience collective des stratégies en actes. Ici, le passage continuel du discours (l’histoire construite) au méta-discours (du moment réel à la fiction intemporelle et inversement), du sens général de l’activité (préservation de la signifiance) à la procédure locale (respect des règles explicites et implicites) montre une variation permanente de la distance à l’activité et une distinction claire entre ce qui est de l’ordre de l’activité et ce qui est de l’ordre de la procédure dans la complexité de la tâche. 8 Chats et apprentissages L’aspect disciplinaire Bien que les compétences en lecture et écriture soient fortement sollicitées, il est difficile d’attribuer à la pratique des chats un bénéfice direct sur ces apprentissages disciplinaires. Nous avons tenté de monter plusieurs scénarii en collaboration avec les enseignants des classes où se sont déroulées les expériences et nous avons eu le plus grand mal à faire en sorte que les enfants réinvestissent au sein de ces activités des connaissances scolaires que l’on puisse nettement identifier (comme cela a été vu avec le vocabulaire géométrique). Le bénéfice didactique que l’on peut espérer de la pratique des chats semble donc fortement lié à l’habileté de l’enseignant à organiser sa séquence sous la forme d’un dispositif intégrant ponctuellement le recours aux chats, mais surtout tissant des liens avec les enseignement ex ante et/ou ex post. Il est donc essentiel, dans tous les cas, que dans la classe se développent des techniques permettant à la fois à l’élève et à l’enseignant de relier la pratique du chat aux contenus disciplinaires, ce que SENSEVY (1998) appelle travail d’institution didactique. C’est ce qui est placé avant ou après la séquence de chats, et en lien avec elle, qui semble déterminant dans la portée du dispositif global. Dans le cas de notre élaboration de texte en commun, on voit bien comment le produit obtenu à la sortie de la causette peut constituer une excellente base de travail pour construire une ou plusieurs séquences de réécriture. L’organisation didactique est donc très importante et le moment des chats nécessite de s’insérer en cohérence avec d’autres activités. Signification, sens et compétences stratégiques Mais pour nous, l’intérêt principal de la pratique des chats se situe ailleurs. Le texte produit et la capture des interactions qui ont présidé à sa création montrent que ce moment a été simultanément un temps de production de significations (approche communicative du langage, au niveau du texte) et de construction de sens (approche cognitive pour chacun des acteurscorrespondants et établissement d’une relation interpersonnelle). Le travail discursif de la causette aura été une situation propice au développement du rapport établi entre une signification donnée à un sens construit singulier (BARBIER, 2000). Nous percevons ici notamment un faisceau d’indices montrant la manière dont la pratique des chats instrumente ce rapport dans les élaborations stratégiques réalisées par les correspondants et de ce fait introduit une relation entre acteurs (locaux et distants). Les indices les plus marquants nous semblent : • L’incorporation d’un rôle (conteur, typographe, correcteur, critique) • La marque du souci de cohérence formelle (il faut être compris) • La marque du souci de gestion du temps (on ne perd pas de temps) • La volonté de coordonner les actions (négociation de la réponse de l’autre) • La marque du souci d’originalité (introduction d’éléments inventifs) • La marque du souci de cohérence sémantique (il faut trouver des astuces pour résoudre les situations proposée par l’autre dans l’histoire) Chaque indice est socialement marqué par la tension entre volonté de contrôler la situation (clôture) et en même temps de proposer des éléments heuristiques au destinataire pour faire durer les dialogue (ouverture). Ces relations ne s’établissent bien sûr pas de la même manière : localement elles prennent la forme d’interactions langagières de négociation telles qu’a pu les décrire GOFFMAN 9 (1981), tandis qu’à distance c’est précisément la réduction aux mots, le jeu des identités semi fictives, l’absence des sens de la vue de l’ouïe et de l’odorat qui alimente l’imaginaire et pimente le jeu (JOUËT, 1993). Pour éclairer mieux la question des apprentissages on peut dire qu’un travail de mise à jour des règles (en termes de préparatifs, de dévoilement…) s’opère sur plusieurs niveaux autorisant une forme sociale d’écologie cognitive. Ici nous avons relevé trois niveaux (procédural, socio-linguistique et sémantique) qui portent plus particulièrement sur des points pouvant laisser penser que les enfants obéissent à des mobiles socio-stratégiques : 1. Développement des pratiques d’évaluation-contrôle (stratégies procédurales) • limitation du temps de concertation pour la prise de décision • contrôle de l’action à la place du partenaire (conseil appuyé) • prises de pouvoir (clavier) momentanée 2. Souci d’économie rhétorique portant sur l’inventio (stratégies socio-linguistiques) • utilisation de la répétition, des schémas structuraux canoniques du récit • réinvestissement des connaissances partagées et reconnues par le groupe • économie de négociations locales sur la signification 3. Développement de stratégies spécifiques à une appréhension globale de la situation (stratégies du sens de l’activité) • Compréhension et réponse aux sollicitations implicites des correspondants • Autonomie qui se manifeste dans l’exploration du logiciel et les concertations durant les temps d’attente • Anticipation des actions des correspondants On peut faire l’hypothèse que, dans cette expérience, l’évaluation de la plus procédurale à la plus processuelle a un caractère formatif très important. Si l’on en croit ARDOINO (1988) une véritable situation de communication (plus soucieuse du paraître que de l’être) est caractérisée par le recours permanent à la stratégie. Ce qui ressort le plus nettement ici, est bien que nous avons affaire à un apprentissage par les élèves de diverses formes de communication qui se réalisent dans les interrelations entre technique, communicationnel et pédagogique. Par ailleurs, les enfants élaborent également de l’informatif (travail du contenu et de l’action sur le contenu) et assurent ainsi un travail d’organisation, de structuration essentiel dans toute activité pédagogique ARDOINO (2000). C’est ce travail simultané sur la communication et l’information qui nous semble caractériser et faire tout l’intérêt de cette situation de chats. En conséquence, l’usage pédagogique de la causette nous semble bien répondre à la définition écologique de niche pédagogique, technologique et communicationnelle que propose PERAYA (2000) pour qualifier les usages de la communication médiatisée sur ordinateur (CMO) qui se développent plus volontiers dans des environnements contextualisés, spécifiques et articulés à d’autres pratiques. Si cet usage nous semble peser moins sur le plan des apprentissages scolaires que sur le développement des stratégies évaluatives développées par les participants, cette activité permet néanmoins de renforcer, selon les niveaux stratégiques, des apprentissages relatifs à la prise de décision rapide (contrôle), mais aussi au repérage, à la négociation sur la signification, à la structuration des contenus ou encore au troisième niveau, le plus distancié, d’activer des processus d’auto-questionnement (VIAL,1997). On voit bien alors l’intérêt pour l’enseignant de se familiariser 10 avec les pratiques de conversation sur les réseaux afin d’intégrer et de faire vivre ces situations dans sa pratique de classe. C’est à ce prix, en sachant ce qu’il peut attendre de cette activité, qu’il concevra des dispositifs innovants où l’apport spécifique de la situation pourra aider l’élève dans ses apprentissages. Jacques AUDRAN [email protected] Brigitte DEL PERUGIA Université de Provence, Département des Sciences de l’Education Laboratoire CIRADE, Groupe de Recherche en Evaluation et Apprentissage (GREA) F-13410 Lambesc (Aix-en-Provence) - France Bibliographie : ANIS J. (1998), Texte et ordinateur, Bruxelles : De Boeck ANIS J. (1999), “Chats et usages graphiques”, in ANIS (Dir.) Internet, communication et langue française, Paris : Hermes-Sciences ARDOINO J. (1988), “Logique de l’information, stratégie de la communication”, in La société de communication, Pour n°114, GREP, Toulouse : Privat ARDOINO J. (2000), “Infomation et communication”, in Ardoino J. Les avatars de l’éducation, Paris : PUF AUDRAN J. (1998), Du bricolage en éducation, mémoire pour le DEA, Aix-en-Provence : Université de Provence AUDRAN J. 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