Le transport maritime face au défi de la mondialisation
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Le transport maritime face au défi de la mondialisation
dossier Le transport maritime face au défi de la mondialisation L Par Éric Banel Délégué général d’Armateurs de France Sur une carte de France, tout semble très prometteur : le deuxième espace maritime au monde, des collectivités d’outre-mer réparties sur quatre océans, des ports sur les multiples façades françaises, plusieurs axes fluviaux majeurs, des bassins de distribution bien répartis… Et pourtant, la réalité économique et sociale est bien différente. Car la carte ne suffit pas ! La géographie ne dicte pas la puissance maritime d’une nation. Et notre économie maritime n’est pas à la hauteur de ce qu’elle devrait être, compte tenu de la carte de notre pays. a France devrait être une grande puissance maritime et logistique. Nous sommes tous d’accord, mais pour cela il nous faut retrousser nos manches ! Les entreprises françaises de transport et de service maritimes, ceux que nous appelons les armateurs, sont au cœur de ce combat, et ils connaissent particulièrement bien les forces et les faiblesses de notre pays. Acteurs d’une économie globalisée, ils sont soumis à une concurrence internationale qui exige de leur part une grande flexibilité. Dans le contexte économique difficile que nous connaissons, nos entreprises, pour la plupart familiales, ont montré une formidable capacité de résilience. Elles ont cherché à anticiper les évolutions à venir, à adapter leurs navires et à innover, pour améliorer la qualité de l’offre de transport et trouver de nouveaux marchés. C’est pourquoi les armateurs restent attachés à cette économie ouverte et mondiale. Ils sont prêts à relever les défis qui en dé coulent et appellent de leurs vœux une France qui saura saisir les opportunités de la mondialisation, à travers ses entreprises et ses ports. Le transport maritime : une chance pour la France dans la mondialisation Les armateurs sont aux avant-postes de la mondialisation, ils la rendent possible ; 90 % des échanges mondiaux de marchandises se font, en effet, par voie maritime, ce qui représente près de 10 milliards de tonnes transportées en 2013.Le transport maritime s’effectue, par nature, dans un contexte très internationalisé. C’est particulièrement vrai pour les armateurs intervenant dans le transport de marchandises. Mais c’est aussi le cas de nombreux services maritimes internationaux, apparus plus récemment, dans l’offshore pétrolier, la pose de câbles sous-marins ou encore la recherche sismique. Géographiquement, les grandes routes maritimes relient aujourd’hui l’Europe et l’Amérique du Nord à l’Asie. Sur 4 milliards de tonnes de vrac sec (charbon, fer, grain), plus du quart est importé par la Chine, qui est aussi le premier importateur de pétrole. Mais, si les lignes régulières vers l’Inde ou la Chine restent les plus importantes et les plus rentables, leur potentiel de développement est aujourd’hui limité. Les grandes compagnies regardent de plus en plus vers l’Amérique du Sud ou, surtout, vers l’Afrique, qui sont les gisements de croissance pour demain. Une économie très concurrentielle Fort logiquement, l’économie mondialisée est le théâtre de stratégies nationales qu’illustre la domination de l’Asie dans la construction navale, le financement des navires ou le classement des ports mondiaux. L’essor des commandes de très grands navires durant les deux dernières années en est le dernier avatar. Elle va entraîner des niveaux record de livraison de navires en 2014-2015, ce qui risque d’accroître la surcapacité mondiale. Ces commandes sont facilitées par des finan cements bon marché souvent soutenus par la puissance publique : les institutions chinoises, les fonds shipping norvégiens et grecs. Pour beaucoup, l’Asie serait donc le nouvel eldorado du transport maritime, du shipping. Mesurés en tonnage, les pavillons européens semblent tous vivre une trajectoire déclinante, même si les situations peuvent être contrastées selon les États. Pourtant, les chiffres sont têtus et ils racontent une réalité plus nuancée. L’erreur, à l’heure de la mondialisation, est d’assimiler la flotte sous pavillon national et la flotte contrôlée par des entreprises nationales. Car les armateurs de la vieille Europe pèsent encore et toujours d’un / juillet-août 2014 / n°443 11 dossier Splendeur et réalité de la mer poids considérable à l’échelle du shipping planétaire. Ainsi, au début de 2014, la flotte totale contrôlée par les États européens représentait 26 % de la flotte mondiale. À titre d’exemple, les 3 plus grandes comp agnies mondiales de conteneurs sont européennes : Maersk (Danemark), MSC (Italie/suisse), CMA/CGM (France). Ensemble, elles contrôlent plus d’un tiers de la flotte mondiale de porte-conteneurs. Quelle place pour le pavillon français dans une activité globalisée ? Les armateurs français ne craignent pas la concurrence internationale. La perte de l’Empire colonial à partir des années 1960 les a obligés à s’adapter pour survivre, à renoncer aux marchés captifs et faciles. Ils ont appris à maîtriser les cycles de la croissance mondiale et ont fait face à la crise de 2008 avec patience. Ils se considèrent eux-mêmes comme des soldats sur le front de la mondialisation, défendant les positions pour nous permettre de continuer à contrôler une partie de nos approvisionnements, notamment stratégiques et énergétiques. – Le pari de la qualité Depuis plus de vingt ans, les armateurs français ont misé sur la qualité sociale et environnementale. En 2012 et 2013, le pavillon français a ainsi été classé premier sur la liste du Mémorandum d’entente de Paris sur le contrôle des navires par l’État du Port. Ce classement tient compte des inspections conduites par 27 États eu ropéens et nord-américains en matière de droit social, de sécurité du navire et de qualité environnementale. Incontestablement, l’offre maritime est aujourd’hui le mode de transport le plus propre et le moins polluant à la tonne transportée. Les entreprises françaises ont également beaucoup investi dans la formation continue de leurs équipages et de leurs personnels à terre, dont le savoir-faire et l’expertise sont aujourd’hui reconnus au niveau international. Pour autant, il faut avoir l’honnêteté de reconnaître que cette politique de responsabilité ne suffit plus. La qualité et l’excellence d’un service peuvent justifier un différentiel de prix, mais celuici doit rester raisonnable. Or la longueur de la crise à laquelle sont confrontées nos entreprises depuis 2008 et la persistante 12 / juillet-août 2014 / n°443 d’une surcapacité sur la plupart des marchés ont tiré les prix inexorablement vers le bas et réduit les marges. politique adaptée et ambitieuse, qui se moque de la géographie et se concentre sur les leviers de la compétitivité. – Le surcoût du pavillon français C’est longtemps resté un tabou et il faut reconnaître au rapport du député Arnaud Leroy, rendu en novembre 2013, de l’avoir brisé. Le rapport Leroy estime ainsi qu’un navire sous pavillon Rif subit un surcoût d’exploitation de 20 à 40 % par rapport à un concurrent européen de réputation similaire (Danemark, Grande-Bretagne, Italie) lié, pour l’essentiel, au poids des charges sociales. En valeur, cela peut représenter de 500 000€ à 1M€/an, ce qui est souvent vital en temps de crise. Les solutions pour un renouveau du pavillon français Qu’est-ce qu’un pavillon ? Un pavillon, c’est la nationalité d’un navire. Il détermine la réglementation sociale et fiscale qui s’applique à son activité. À l’échelle internationale et plus encore à l’intérieur de l’Union européenne, la liberté d’immatriculation est totale et il n’existe pas de marché protégé, sauf en matière de défense et de sécurité stratégique. En l’absence d’harmonisation et à défaut d’un registre européen, cette situation a conduit à une concurrence forte entre les différents pavillons de l’Union européenne. En dépit du geste fort que fut la création du registre international français (Rif) en 2005, la perte d’attractivité du pavillon français est très nette, notamment au regard de nos voisins européens. Force est de constater que la France, même si elle abrite encore des fleurons mondiaux, est aujourd’hui largement distancée par ses principaux concurrents européens : c’est le cas des pays d’Europe du Nord (Norvège, Danemark, Royaume-Uni, Allemagne) mais également méditerranéens (Grèce, Chypre, Malte, Italie). Le cas du Luxembourg est le plus frappant et le plus exemplaire : ce petit État enclavé, sans aucune tradition maritime, est devenu un des pavillons les plus attractifs en Europe, et sa flotte est aujourd’hui comparable à la nôtre. Pourquoi un tel succès? Grâce à une Le déclin n’est pas une fatalité. Si les armateurs nationaux font aujourd’hui face à la concurrence avec difficulté, c’est, avant tout, en raison de contraintes spécifiquement nationales. Certaines sont financières, comme les charges sociales, mais d’autres sont purement réglementaires. L’interdiction de recourir à la protection privée embarquée, que le gouvernement français vient juste de lever, en est un bon exemple. Alors que la piraterie maritime menace notre activité et nos équipages dans l’océan indien et dans le golfe de Guinée, la France est le dernier pays européen à avoir engagé cette réforme pourtant vitale. De la même façon, le refus d’autoriser les casinos à bord des navires pèse sur le développement du transport de passagers et de la croisière sous pavillon français, alors même que ces activités sont pourtant en forte croissance partout dans le monde. La France ne peut se permettre de rester à contre-courant. Cela relève du bon sens mais les exemples cités montrent que les ajustements nécessaires ne sont pas toujours compris. Il importe aussi d’être ambitieux. Il faut que notre pays s’assigne un objectif non pas de sauvetage ou de préservation de l’existant, mais de croissance de sa flotte et de l’emploi. Ce qui suppose une politique volontariste, à l’image de celle menée par le Royaume-Uni, le Danemark ou l’Allemagne. Depuis dix ans, nous construisons des digues et colmatons les brèches, et pourtant nous continuons à perdre des parts de marché. Nous devons maintenant attaquer et reprendre l’initiative. Le premier élément de cette politique est de renforcer l’employabilité de nos navigants en réduisant, autant que faire se peut, les charges qui alourdissent le coût du travail et affecte la compétitivité. Le deuxième élément est d’engager enfin pour le maritime le chantier de la sim plification : simplifier la réglementation, moderniser les procédures, améliorer le service rendu, lever les interdictions désuètes comme celles pesant sur les jeux embarqués. dossier Il faut enfin permettre aux armements français de renouveler leur flotte en usant, là aussi, de toutes les potentialités ouvertes par l’Union européenne en matière d’aides d’État. La crise bancaire a, en effet, tari les financements traditionnels destinés au shipping, alors que le prix d’un navire neuf peut atteindre jusqu’à 200 millions d’euros pour un ferry. Cela exige de conforter les modalités de la taxation au tonnage qui leur est applicable. C’est à ces conditions que nous continuerons à conserver et à attirer en France des centres de décision maritime capables de se déployer internationalement. Conclusion L’économie maritime française a la chance inestimable de pouvoir s’appuyer sur une industrie, des services et un savoir-faire reconnu mondialement. En dépit de ces atouts évidents, la France a négligé sa dimension maritime. Il faut donc cesser de répéter comme une incantation que la France dispose, derrière les États-Unis, du deuxième espace maritime au monde. Ce qu’elle doit à la géographie, elle le doit avant tout à ses outre-mer et, comme tout ce dont nous disposons par la naissance, c’est à nous qu’il appartient d’en tirer le meilleur parti. Quant aux armateurs, ils n’ont pas seulement accompagné la mondialisation. Ils l’ont dynamisé, et accéléré, car ils l’ont toujours vécu comme une opportunité. Le marché mondial est leur univers et ils veulent y trouver leur place. Ce qu’ils demandent, c’est simplement de pouvoir concourir à armes égales avec leurs principaux concurrents, notamment européens. La France a tout à y gagner. Elle aussi doit trouver sa place au sein d’une économie mondialisée et elle pourra, pour cela, s’appuyer sur des acteurs qui la connaissent bien. ■ / juillet-août 2014 / n°443 13