La politique internationale du Venezuela après Chavez

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La politique internationale du Venezuela après Chavez
La politique internationale du Venezuela après Chavez
D
urant les mandats d’Hugo Chavez, le Venezuela a développé
une politique internationale inédite. En utilisant ses ressources
énergétiques, Chavez a réussi à mettre en place un processus d’intégration socio-économique complètement différent de tout ce qui a
été fait auparavant en s’inspirant davantage d’une logique plus
proche du troc que celle du commerce capitaliste. Il a aussi encouragé la constitution d’un ordre multipolaire et, pour ce faire, il n’a
pas hésité à s’associer à tout leader s’opposant ouvertement à l’hégémonie des États-Unis. Or, sa disparition physique pose une série
d’interrogations sur l’avenir du comportement international du Venezuela.
Nicolas Falomir Lockhart
Doctorat en Études internationales
Université Laval
[email protected]
Père de la «révolution bolivarienne» et président depuis 1999
grâce à différentes réformes constitutionnelles, Chavez a réussi à donner
sa propre empreinte au pays. En effet,
quelle que soit l’opinion que l’on
puisse avoir de lui, son impact sur la
société vénézuélienne, aussi bien que
sur la politique internationale de son
pays, est indéniable. Pourtant, sa
construction du pouvoir personnaliste
entraîne aujourd’hui l’incertitude sur la
survie de son projet et ouvre la porte à
de possibles changements.
Comme l’explique Ana María Sanjuan, spécialiste à l’Université Centrale
du Venezuela, la politique internationale de Chavez n’est que la projection
internationale de ladite «révolution bolivarienne». Le projet politique de
celle-ci consiste, d’une part, en la promotion d’un modèle d’économie sociale comme alternative au modèle
néolibéral de la mondialisation économico-financière et, d’autre part, en un
dépassement de l’impérialisme grâce
à la constitution d’un ordre mondial
multilatéral. En ce sens, pour saisir la
politique internationale bolivarienne, il
faut comprendre le succès (relatif) de
ce programme au niveau interne.
L’exceptionnalité du pouvoir de
Chavez, affirme Sanjuan, est due à
l’amélioration des conditions de vie
des populations les moins favorisées
et à la récupération du rôle actif de
l’État. En effet, la révolution bolivarienne a profondément transformé
l’agenda politique du pays en donnant
priorité à l’action sociale. Pour ce faire,
Chavez a réarticulé l’État qui agit désormais comme recteur de développement de la société. Parmi ses
réalisations les plus remarquables, on
doit mentionner la réduction de la pauvreté et de l’analphabétisme. C’est
ainsi que les bénéficiaires de ses poli-
tiques sociales sont devenus rapidement la base de légitimation du
processus bolivarien. Appui qu’ils ont
réitéré à plusieurs reprises tout au
long des quatorze dernières années.
Pourtant, l’héritage de Chavez est
riche en contrastes et la société vénézuélienne se retrouve aujourd’hui virtuellement divisée en deux.
Sur la scène internationale, la défense des revendications des secteurs
démunis et le discours anti-néolibéral
ont été canalisés à travers des expériences d’intégration basées sur la solidarité internationale, telles que
l’ALBA (Alliance bolivarienne pour les
peuples des Amériques) et Petrocaribe. En outre, la recherche d’un ordre
plus multilatéral, perçu comme davantage respectueux de l’autodétermination des peuples et opposé à
l’impérialisme, s’est concrétisée en
priorisant des relations avec des gouvernements qui s’opposaient aux
États-Unis. Cette politique de grande
visibilité a attiré l’attention sur le pays,
mais elle a été aussi un jeu dangereux
pour la crédibilité et la réputation du
Venezuela, car elle l’a amené à tisser
des liens avec des leaders (certes critiquables) comme Mouammar Kadhafi
(Libye), Bashar al-Assad (Syrie) ou
Mahmoud Ahmadinejad (Iran).
Or, aucune de ces politiques n’auraient pu voir le jour sans l’utilisation
stratégique du pétrole. En effet, les revenus considérables de la manne pétrolière vénézuélienne, qui se sont
accus avec l’augmentation des prix
des hydrocarbures, ont été mis à la
disposition de la politique alternative
de Chavez.
L’entreprise
pétrolière
vénézuélienne, PDVSA, a abandonné la logique de l’offre et la demande pour
opérer, sous la direction de l’État, en
fonction des nouveaux objectifs de développement de la société. Au niveau
interne, le pétrole a été utilisé comme
levier du développement de la société,
en finançant un éventail de mesures
sociales, particulièrement celles des «
Missions ». Celles-ci constituent un
ensemble de programmes axés sur la
prestation de services sociaux à des
classes sociales qui, jusqu’alors, en
avaient été privées. C’est précisément
grâce aux « Missions » éducatives que
le Venezuela a obtenu le statut de
pays libre d’analphabétisme, déclaré
par l’UNESCO en 2005.
Sur le plan international, l’utilisation
stratégique du pétrole lui a fourni les
moyens de mettre en pratique les relations internationales solidaires, institutionnalisées dans l’ALBA et le
Petrocaribe. Toutes les deux sont des
expériences internationales inédites.
Petrocaribe est un mécanisme de
vente du pétrole qui permet à ses
membres l’accès à des prêts bonifiés
lorsque le prix du baril dépasse les 50
$US, en finançant jusqu’à 40% de
l’achat à un taux d’intérêt annuel de
1%. Selon la propre définition de Chavez : l’idée était de transformer les
dettes en un mécanisme d’intégration.
L’ALBA, pour sa part, est un schéma
d’intégration qui fonctionne avec des
règles beaucoup plus proches du troc
que des pratiques du commerce capitaliste.
Ainsi, ses membres peuvent compenser les dettes d’achat du pétrole
vénézuélien par des services ou des
produits élaborés dans leur territoire.
L’ALBA est le projet bolivarien le plus
ambitieux : il comprend aussi un fonds
de développement d’infrastructure
(principalement énergétique) des pays
membres, et fonctionne comme plateforme pour d’autres propositions
(moins fructueuses) comme : la
Banque du Sud – conçue comme alternative au FMI – ou l’Alliance militaire défensive de l’ALBA – une sorte
d’« OTAN du Sud ».
Malgré l’augmentation du nombre
de membres de l’ALBA et de Petrocaribe, il faut noter que ces derniers sont
des phénomènes qui ont demandé des
efforts démesurés à son promoteur par
rapport aux profits qu’ils ont rapportés.
Dans le cas de Petrocaribe, la plupart
des membres semblent en faire une
utilisation pragmatique, sans compromis idéologique ni politique avec le bolivarianisme. Le décès de Chavez
sème donc le doute quant à l’avenir de
ces processus d’intégration, ainsi que
de celui de ses relations préférentielles
de grande visibilité avec certains dirigeants opposés aux États-Unis.
La réponse dépendra, en partie, de
la succession du président vénézuélien. Trois scénarios semblent se
dessiner selon trois possibles successeurs. Le premier serait rendu possible
par la victoire de Nicolas Maduro, candidat qui a reçu la bénédiction de Chavez, aux prochaines élections du mois
d’avril. Maduro représente ainsi la
continuité de la révolution bolivarienne. En tant qu’ancien ministre des
Relations internationales des six dernières années, on peut s’attendre à
une continuité de l’ALBA et de Petrocaribe, ainsi qu’à celle des dossiers
plus récents tels que celui de l’adhésion du Venezuela au Mercosur.
Pourtant, Maduro n’est pas Chavez et
on assistera probablement à un léger
changement de style : aussi virulent
dans son discours, mais plus mesuré
dans ses actions. En outre, en tant
que civil, son plus grand défi relèvera
du plan interne du pays : maintenir
l’aile militaire du mouvement bolivarien
alignée sous son commandement.
Le deuxième scénario, moins probable dans le futur proche, mais possible à moyen terme, est celui de la
succession en faveur
de Diosdado Cabello.
Confrère d’armes et
homme de confiance
de Chavez depuis
toujours, il a été le
grand perdant lorsque
ce dernier a choisi
Maduro comme successeur. Une éventuelle succession en
sa faveur garantirait
un rôle actif du secteur
militaire dans le mouvement et l’endurcissement des positions de confrontation
du Venezuela à l’international.
Finalement, un scénario de changement pourrait avoir lieu avec une
victoire de Henrique Capriles. Dans ce
cas, on pourrait prévoir un abandon
des positions les plus radicales du
Venezuela, en commençant par la
confrontation avec les États-Unis et
les relations d’amitié avec les leaders
fortement questionnés par la communauté internationale. Les programmes
de coopération internationale au sein
de l’ALBA, c'est-à-dire avec une définition idéologique, risquent aussi
d’être abandonnés.
Or, il sera intéressant de voir quels
seront les éléments de la politique de
Chavez que le nouveau président se
verra obligé de maintenir. Le cas des «
Missions » formerait l’un de ces
éléments, car même le candidat de
l’opposition s’est manifesté en faveur
et il a en plus l’intention de les garantir
par la loi. Le prochain président aura
probablement aussi l’obligation de
continuer le travail amorcé par Chavez
en ce qui concerne la diversification
des marchés d’exportation et le partenariat accru avec la Chine. Peu
importe l’issue de vote, les élections
du 14 avril ouvriront la porte à une
nouvelle période pour le Venezuela :
celle de la survie de la politique internationale de Chavez.