Epuration individuelle requise en milieu rural
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Epuration individuelle requise en milieu rural
EAUX USÉES Epuration individuelle requise en milieu rural Les réseaux d’égout conduisant à une station d’épuration sont la solution la plus efficace et la moins onéreuse pour traiter les eaux usées. Ce constat ne tient plus lorsque l’habitat est dispersé, comme en zone rurale. Une solution d’épuration individuelle est alors nécessaire: sur le territoire communal de Château d’Œx par exemple, plus de 300 habitations y sont astreintes. Partout en Suisse, le robinet livre une eau de bonne qualité, potable, dont on n’utilise que 3% à des fins alimentaires. Les autres usages dégradent le précieux liquide, d’une part en eau dite «grise» par les spécialistes – celle qui s’écoule des cuisines, des salles de bain, des machines à laver … – et en eau dite «noire», issue des WC, mélange d’eau «brune» (excréments) et d’eau «jaune» (urine). «En Suisse, plus de 95% des habitations sont aujourd’hui raccordées à un réseau de canalisations qui collecte ces eaux usées pour les emporter vers une station d’épuration (STEP)», se réjouit l’Association suisse des professionnels de la protection des eaux (VSA). Cette association édicte des normes suivies par la Confédération quand elle légifère pour la préservation de la qualité des eaux suisses, et par les cantons lorsqu’ils mettent en œuvre la législation fédérale. Mais si le raccordement à un réseau d’égouts ne pose guère de difficulté en zone urbaine, il en va tout autrement dans les zones rurales, où la dispersion des constructions, voire l’isolement de certaines d’entre elles, empêche souvent leur raccordement à un coût raisonnable, qu’il s’agisse d’exploitations agricoles, de fermes d’alpage, d’habitations occupées en permanence ou utilisées comme résidences secondaires, de centres de vacances en nature, de restaurants de montagne … La loi ne leur impose pas moins une évacuation hygiénique de leurs eaux usées «en fonction de l’état de la technique» (Loi fédérale sur la protection des eaux, art. 13). Or la technique est aujourd’hui généreuse de solutions individuelles pour l’épuration des eaux, adaptables à des bâtiments de toute taille, comme le souligne la commission spéciale Eaux usées en milieu rural de la VSA. Château d’Œx, plus grande commune vaudoise, est bénie des eaux Nichée dans les Préalpes vaudoises, à 1000 mètres d’altitude, la Commune de Château d’Œx connaît bien l’habitat ruCommune Suisse 10/11 Un habitat dispersé, issu d’une longue tradition agricole mêlée d’une vocation touristique, ne peut être relié à un coût raisonnable à un réseau collectif d’épuration des eaux usées. Photo: Jean-Luc Renck ral dispersé, aux vocations diverses, où dominent les activités agricoles et le tourisme. Avec six autres villages plus petits (Les Moulins, L’Etivaz, La Lécherette, Les Granges, Gérignoz, Les Combes), Château d’Œx constitue la plus grande commune du Canton de Vaud. «11 374 hectares», précise Eric Grandjean, municipal responsable des travaux publics et également instituteur. Un peu plus de 3100 personnes vivent sur ce territoire joliment verdoyant: «Nous avons la chance d’habiter une région riche de sources, où l’eau potable est abondante», souligne Roland Oguey, chef du Service des travaux. Afin de traiter avec les meilleurs égards – et les meilleurs effets – la part de ces eaux qui transite par les installations humaines, la commune s’appuie sur trois STEP à Château d’Œx, La Lécherette et L’Etivaz. «La proportion d’habitations reliées au réseau d’égout est très élevée dans les zones où le raccordement est possible», précise le technicien. «Mais hors de ces zones, plus de 300 habita- tions doivent recourir à une épuration individuelle.» Un coût bien supérieur à celui d’un raccordement à l’égout C’est la Municipalité qui, lors d’une mise à l’enquête, constate l’impossibilité d’un raccordement. La décision finale, toutefois, revient au service compétent du canton – pour Vaud, le Service des eaux, sols et assainissement (SESA). Une étude par un bureau technique agréé détermine alors le système d’épuration à mettre en œuvre et son dimensionnement, selon le contexte (situation et volume des bâtiments, nombre d’habitants et fréquence de l’occupation, voies d’accès, espace disponible pour les équipements d’épuration, etc.) et bien sûr en fonction des conditions hydrogéologiques. Le coût de l’épuration individuelle, bien supérieur à celui d’un raccordement à l’égout, est à la charge des propriétaires (de l’ordre de 30 000 francs pour la planification, les équipements et l’installation, auxquels 53 EAUX USÉES s’ajoutent 500 à 600 francs par an pour l’entretien, essentiellement la vidange de la fosse). «Il n’existe pas de subsides cantonaux. Et encore moins municipaux», indique Eric Grandjean, ajoutant: «Toutefois, forme de compensation, les habitations isolées, en raison de leur situation, bénéficient souvent de prestations communales, en hiver notamment.» L’art de mobiliser des légions de bactéries L’option privilégiée dans le Canton de Vaud est, classiquement, la fosse septique, succession de deux chambres ou plus, enterrées, dans lesquelles les eaux usées sont d’abord décantées, éventuellement filtrées, avant que des bactéries ne digèrent partiellement les matières encore en suspension. Le liquide ainsi apprêté est ensuite confié aux capacités d’épuration d’un sol voisin via un drain qui court dans une tranchée dite «absorbante». Les boues de décantation doivent être pompées régulièrement par une entreprise agréée. «Jusque très récemment, un paysan pouvait effectuer librement cette opération chez quiconque le sollicitait. La loi a été changée», précise Jean-Claude Morier, responsable des STEP de L’Etivaz et de La Lécherette. Les boues sont ensuite exportées vers une STEP, où elles seront séchées, puis incinérées – on n’en autorise plus l’usage agricole. Dans la fosse, un résidu permettra le redéploiement de la flore bactérienne. «Une vidange annuelle, comme la loi l’impose, me semble un rythme excessif: on intervient quand la fosse commence tout juste à fonctionner de manière optimale», remarque toutefois, en praticien, Jean-Claude Morier – dont l’habitation est équipée d’une épuration individuelle. Au SESA, Emmanuel Poget nuance: «La vidange annuelle, qui ne concerne que les résidences permanentes, évite la minéralisation des matières organiques, qui peut diminuer le volume de la fosse avec le temps.» Ce dispositif classique de la fosse septique peut être complété au besoin par d’autres équipements, ainsi en amont une ministation d’épuration par exemple, dans laquelle la microflore bactérienne est stimulée continuellement par oxygénation. En amont toujours, lorsque les eaux proviennent d’une cuisine professionnelle, un séparateur de graisse permet d’éviter le colmatage des canalisations en piégeant par gravité les graisses présentes dans les effluents. En aval, si l’infiltration des eaux usées décantées n’est pas possible du fait de la présence d’une source 54 ou d’une nappe phréatique à faible profondeur, ou pour cause d’imperméabilité du sous-sol, il est possible de recourir à une pompe et de transporter l’eau préépurée vers un sol plus propice. Une alternative est la mise en place d’une tranchée dite «filtrante» remplie de sable – une surveillance régulière de la qualité des effluents est prescrite par la loi. S’agissant de surveillance, Roland Oguey souligne que celle-ci est «particulièrement étroite pour les exploitations agricoles – et davantage encore pour celles labellisées biologiques», en raison évidemment des volumes et de la nature des matières organiques mêlées aux eaux dans ces installations, s’ajoutant aux effluents de l’habitation. Un rejet particulier aux élevages à fins laitières est le petit-lait ou lactosérum, qui est encombrant en particulier sur les alpages et que les techniques d’épuration traditionnelles ne peuvent traiter. «Un projet pilote a été mené par le SESA au début des années 2000, notamment sur un alpage de la commune de Château d’Œx», se souvient le chef du Service des travaux. Dans ce traitement innovateur, dérivé des observations privées d’un ingénieur passionné, le lactosérum traverse un filtre de compost où il subit une dégradation rapide par l’activité de petits vers innombrables. Epurer les eaux usées et économiser aussi S’agissant d’améliorer encore les performances d’épuration, la VSA prône une utilisation plus consciente, parcimonieuse, de l’eau, encourageant l’usage d’appareils ménagers moins gourmands d’eau, de toilettes sèches ou de dispositifs économes de l’eau des WC, etc. Un autre progrès, plus fondamental, tant pour l’épuration individuelle que pour celle en réseau, serait la séparation, dans les habitations, entre les eaux «noires», qui exigent un traitement poussé, et les eaux «grises», dont l’épuration est plus aisée. La VSA en rêve. A Château-d’Œx, Jean-Claude Morier, qui dans les années 80 avait transformé une grange en habitation, avait été contraint par l’administration à appliquer ce principe. Un élan sans suites de grande ampleur, pour l’instant: il est vrai qu’une application à l’échelle des réseaux d’égout supposerait des investissements considérables … Un regard particulier vers l’avenir est celui que porte le municipal Eric Grandjean en tant qu’instituteur. Avec les jeunes générations, il aborde l’eau et son bon usage: «L’eau est au programme de 8e, avec deux visites obligées: à une source d’abord, puis à une de nos STEP.» Avec, entre les deux, une réflexion sur ce cadeau précieux que sont les ressources aquatiques et sur notre rôle à tous dans leur préservation … Jean-Luc Renck Informations: www.vsa.ch (voir en particulier rubrique «Abwasser im ländlichen Raum», traduction française partielle); brochure VSA «Eaux usées en milieu rural – limiter, collecter, épurer, évacuer», 2005 (publication gratuite, en allemand seulement, www. vsa.ch (uploads > media > Broschüre); manuel VSA «Eaux usées en milieu rural», 2006 (publication payante); projet pilote «lactosérum», site du Service vaudois des eaux, sols et assainissement, www.vd.ch (recherche par mot-clé: petit-lait) Sur des sites où la surface est suffisante, une part de l’épuration peut être confiée à une suite de bassins ou d’étangs où bactéries et végétation se complètent pour minéraliser et recycler les matières organiques des eaux usées. Photo: Peter Baeriswyl, Amt für Wasser und Abfall, Kanton Bern Commune Suisse 10/11