Old Man of the Lake, est-ce ainsi que l`on parle de François Chauvin
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Old Man of the Lake, est-ce ainsi que l`on parle de François Chauvin
Old Man of the Lake, est-ce ainsi que l’on parle de François Chauvin ? Non, bien sûr, mais comment résister au désir de rapprocher cette étrange silhouette « plantée » au beau milieu des eaux du lac du Cratère, dans l’Oregon, du bois flotté posé là sur son lest de tuffeau, se partageant le paysage avec le nombril de Vénus et dialoguant avec la pierre taillée dans un jardin juché aux confins de la Loire, site bucolique digne des jardins orientaux, celui du Manoir de Hautes Roches où, par une matinée d’été, j’ai fait la connaissance de François Chauvin. Le bois, le tuffeau, le sireuil, l’ardoise, l’osier….. font alliance dans l’œuvre de François pour défier les lois de la pesanteur et la notion d’équilibre. Dans cette performance, assemblage permanent et parfaitement désaxé, mise en scène de superpositions, d’imbrications, point d’honneur à provoquer le porte à faux, la patience et la sérénité de l’artiste s’imposent. L’échelle de mesure, la source d’inspiration de François Chauvin : la nature seule. A la manière de Giuseppe Penone, à mi-chemin entre l’art Povera et le Land Art, c’est en miniature que le sculpteur excelle lorsqu’il exporte l’art hors les murs des galeries. Bien qu’aux prises avec un chaos ancestral, les pièces hybrides de François ne se cachent pas. Intentionnelle ou non, la sculpture de François Chauvin laisse échapper une sensibilité à la philosophie orientale, au langage des arts martiaux. Le matériau pour le matériau ? Certainement pas, puisque pas à pas les formes humaines s’imposent avec cette douce intimité des corps liés, posés ici en équilibre sur un banc, au bord du chemin surplombant la vallée où paissent quelques moutons. Là, sous l’arbre, ils se rapprochent, à la manière des bergers des scènes pastorales de Jean-Baptiste Huet destinées aux indiennes de Christophe-Philippe Oberkampf, les toiles de Jouy. Les personnages de François seraient-il un clin d’œil au poète et sa compagne, aux amoureux de Peynet qui ont inspiré ceux des bancs publics de Brassens? Qu’importe, ils vous touchent et vous laissent pensifs. Tristes, non. Romantiques, certainement. Attirants, sans aucun doute. Difficile de passer son chemin sans leur accorder quelques instants, rien que pour en admirer le recto et le verso, comme on aime le faire en tournant autour des rondes-bosses des siècles passés, en notant l’étrange ressemblance avec ce couple en pierre des Iles Marquises du XIXe siècle ; un homme et une femme debout accolés, placés au rang des œuvres majeures des collections lapidaires du Musée Dobrée. Le tuffeau de la vallée de la Loire, son extraction et ces galeries, ces caves sur des kilomètres dans le sous-sol des coteaux bordant la rivière, les blocs de roche chargés à fond de cale des gabares, tout cela plaît au sculpteur tourangeau. Il l’exprime, généreusement, dans sa manière de graver en champlevé la marque de cette complice rencontre. La noblesse des matériaux suffit dans ce programme à créer le dialogue entre l’homme et la nature, expression « renouvelée » des arts premiers tellement raffinée, élégante, envoûtante. Même dans la négation de la forme, François Chauvin forme des couples. Sur le chemin, le tuffeau et l’ardoise se marient en plein air alors que s’invitent à la noce un ou deux rejetons d’osier ; en contrebas une souche torse enlace l’ardoise ; au degré supérieur, le tuffeau enserre un bois flotté. Tendre et docile est la pierre aquifère aux dominantes blanches et blondes qui accroche la lumière au miroir de la Loire. Majestueuse est l’ardoise fissile « scellée » dans le bois gravé par les flots. A la hardiesse des constructeurs de la Renaissance, François Chauvin oppose une retenue toute délicate. A la manière des métaux nobles, la pierre comme l’ardoise, se laisse creuser, trouer, graver, strier, poncer, façonner et parfois même pigmenter par l’artiste qui ose la couleur pour mieux la retirer. Retirer est le propre du sculpteur. François Chauvin retourne aux sources à chaque fois qu’il dialogue avec le minéral, berceau des enfants troglodytes nés sur les bords de Loire, comme il se nourrit de toutes ces formes qui germent et éclosent inopinément au gré de son geste , soumises au bon vouloir de son imagination. Quand il fait sienne la rencontre entre la craie micacée et le bois flotté, entre l’ardoise et le roseau, François fait de la poésie. Il écrit le mariage du fleuve et de la mer dans cette alliance organique et rocheuse déposée au creux des eaux peu profondes. N’estil pas en train de revisiter l’histoire des premiers hommes à la lumière diaphane de la mythologie nordique, celle d’Ask et Embla créés à partir de deux rondins de bois flotté, un frêne et un orme, par le dieu Odin et ses frères? De quoi fasciner le promeneur, de quoi s’enivrer des nectars du conte, genre littéraire invitant au voyage. Et voila que le dépaysement prend un goût nouveau. L’œuvre de François est à la merci du temps, du temps qu’il fera, et du temps qu’il faudra pour voir s’opérer les métamorphoses de la matière minérale, végétale, organique, quand les cristaux se laisseront polir par la caresse des feuillages et que le bois mort deviendra peu à peu la niche ou l’abri d’espèces vivantes, dans l’hybridation de la nature et de la sculpture, apprivoisement de l’enraciné et de l’installé qui s’impose dans un concert de notes sérielles. « J'ai travaillé le contrepoint en même temps que l'harmonie. » …. De l’autre côté de la vallée, Pierre Boulez doit entendre l’écho de ce concert silencieux, méditatif, où seul le chant des oiseaux vient fendre le silence, recueil de petites compositions japonisantes, de frêles silhouettes martiales subtilement cachées derrière les arbres vénérables des jardins de nos demeures ligériennes. Log Jam…. si Messiaen pouvait l’écrire. Yanou Josse, historienne de l’art, 25 juin 2013