« Private equitize yourself or someone else will »
Transcription
« Private equitize yourself or someone else will »
entretIen avec Hanna Moukanas Président d’Oliver Wyman Delta « Private equitize yourself or someone else will » propos recueIllIs par cHarlotte cabaton et Jean-Marc danIel La crise va-t-elle voir émerger un nouveau modèle de management ? Hanna Moukanas – Beaucoup d’éléments poussent à le croire. Cette crise a à mon sens mis à nu de façon très nette les maladies chroniques dont souffrent les entreprises aujourd’hui. Ces maladies sont au nombre de quatre. La première est la complexité. Alors que la taille des entreprises n’a cessé de croître, les états-majors sont restés à taille humaine. Or, comment un comité exécutif, composé en moyenne d’une quinzaine de personnes, peut-il diriger des dizaines, voire des centaines de milliers de salariés répartis à la surface du globe ? Comment un groupe mondialisé intègre-t-il des cultures, des valeurs, des modes de fonctionnement très différents ? La réponse est à la fois claire et problématique : les entreprises engendrent des systèmes de plus en plus complexes. La deuxième de ces maladies est un mélange de complaisance et de consanguinité. Vous avez d’une part des comités exécutifs qui ne sont pas aussi intrusifs qu’ils le devraient sur le fonctionnement au quotidien de leurs unités opérationnelles. Certes, ces unités, pour des raisons fonctionnelles, sont de plus en plus nombreuses et de plus en plus indépendantes. Vous avez d’autre part des conseils d’administration composés toujours des mêmes personnes, issues des mêmes écoles, qui ne jouent pas leur rôle de définition et de remise en cause des choix stratégiques. Je ne nie pas qu’ils sont soumis à une pression grandissante, mais il faut regarder les choses en face : combien d’heures en moyenne passentils par société ? Très peu. Je dirais même, trop peu ! Ce problème de complaisance est pour moi crucial. Je considère qu’à cause de cela les entreprises ne tournent aujourd’hui qu’à 80-85 % de leur potentiel. La preuve 2 ème trimestre 2010 • 37 repenser le management de cette assertion, c’est un constat assez général qui est que dès que des sociétés sortent de grands groupes, elles créent immédiatement davantage de valeur. Que faut-il en déduire ? HM – Qu’un tel modèle de management n’est pas optimal et donc qu’il en existe d’autres qui méritent notre attention. J’utilise beaucoup, à titre de référence, le modèle des fonds de private equity. Car si on met de côté les travers que sont la dette ou la création de valeur par effet de levier, ce modèle comporte de nombreuses vertus. D’abord, les fonds de private equity n’ont pas leur pareil pour traquer la complexité : tout ce qu’ils ne comprennent pas, ils le suppriment. Ensuite, ils sont étrangers à toute forme de complaisance ou consanguinité. Il existe une frontière très claire entre les sociétés en portefeuille et les personnes qui sont dans ces fonds. Enfin, ils exercent un challenge stratégique constant, une vraie gouvernance, une vraie intrusion qui, comme je viens de le dire et de le déplorer, fait souvent défaut dans les entreprises classiques. Dans un fonds de private equity, l’équipe est là pour sept ans. À l’issue de ces sept ans, il lui faut avoir créé de la valeur, avoir un business case en sortie qui permette de vendre la société beaucoup plus cher qu’elle a été achetée. La stratégie à la sortie doit être encore plus solide qu’à l’entrée. 38 • Sociétal n°68 « Private equitize yourself or someone else will » : voilà le conseil le plus important que je puisse donner aux chefs d’entreprise. Plutôt que de gérer la complexité par la complexité, ils doivent se montrer audacieux et révolutionner vraiment leurs modes de management. Sont-ils correctement armés pour une telle ambition ? HM – La réponse est délicate. On assiste en effet à un désengagement progressif des dirigeants sur certains sujets. Il y a là une difficulté qu’il ne faut pas sousestimer et qui tient fondamentalement à un problème de relation au temps. Les dirigeants se voient désormais davantage comme des ambassadeurs. Qu’est-ce que j’entends par cette image ? Qu’ils ne se considèrent souvent que comme étant de passage. Un ambassadeur passe un temps déterminé dans un pays. Quand il arrive, la maison qu’on lui confie est propre, les relations avec le pays où il est nommé sont en général courtoises et il est convaincu que ce que l’on attend de lui est de maintenir tout cela en l’état pendant trois ans… Eh bien, beaucoup de dirigeants ont ce genre de comportement. Ce qui m’amène à la troisième des maladies chroniques de l’entreprise : le corporatisme. Les centres ont perdu le sens des réalités. Ils ont construit des tours d’ivoire et regroupé en leur sein l’ensemble des services dits partagés, Entretien avec Hanna Moukanas donnant naissance à de véritables usines à gaz centralisant les technologies de l’information, les ressources humaines, la finance, le juridique, la communication, etc. Se faisant, les comités exécutifs se sont totalement détachés des unités opérationnelles ; ils ont cessé de les suivre et de les stimuler. Ils se sont mis à ne plus faire que de l’administratif. Si vous regardez les agendas des P-DG, une trop grande partie de leur temps est passée à gérer des tâches qui n’ont pas vraiment de valeur stratégique. Le corporate doit renouer avec sa mission régalienne : le développement et la stratégie. Dans le même temps, il faut un retour au principe de base de subsidiarité : faire redescendre l’administratif au niveau des unités de production, redonner de l’autonomie aux leaders les plus proches du terrain, donner les moyens aux managers de construire la croissance de leur activité et d’assurer la maîtrise de leurs coûts. Comment y parvenir ? HM – En commençant par s’attaquer à la quatrième maladie chronique de l’entreprise, liée aux cycles budgétaires, à la Bourse, pour faire simple à la dictature du court terme : cette maladie, pour être précis, c’est l’incapacité à remettre en cause l’existant. Aujourd’hui, quand on construit un budget dans une entreprise, on part toujours du budget de l’année précédente et on voit comment en modifier certains postes afin de l’améliorer. Alors qu’il faudrait sans cesse en repenser le contenu, en redéfinir les contours, accepter de repartir à chaque fois d’une feuille blanche et se mettre continuellement en situation de crise. Derrière cette approche, il y a une idée forte pour moi, c’est que la pression exercée sur les managers doit être constructive. C’est-à-dire qu’on attend d’eux qu’ils soient tournés vers l’avenir plutôt que mus par une pulsion de conservation et de reproduction de schémas préétablis. C’est ainsi que l’on redonnera le goût de la responsabilité. PARCOURS HANNA MOUKANAS Son diplôme d’ingénieur civil de l’université américaine de Beyrouth en poche, Hanna Moukanas quitte le Liban direction l’Arabie Saoudite puis, trois ans plus tard, la France où il obtient en 1986 un MBA de l’Insead. C’est alors que débute sa carrière comme consultant en stratégie chez MID. À la suite de l’acquisition du cabinet par Mercer Management Consulting – aujourd’hui Oliver Wyman –, il est nommé directeur, puis envoyé à Boston en tant que responsable mondial de la pratique stratégie de 1999 à 2002. De retour en France, il devient directeur associé puis gérant du bureau parisien avant d’être nommé, en octobre 2009, président de l’entité Oliver Wyman Delta au niveau mondial et d’intégrer le comité exécutif mondial du groupe. 2 ème trimestre 2010 • 39