JG Ballard| Rêveur illimité, Michael Powell
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JG Ballard| Rêveur illimité, Michael Powell
J. G. Ballard| Rêveur illimité, Michael Powell Les films, comme les souvenirs, semblent se « re-tourner » au fil des années pour refléter nos obsessions et nos besoins les plus récents. Dans de nombreux cas, ils peuvent se transformer totalement, révéler des profondeurs et des futilités inattendues. Quatre mariages et un enterrement sera-t-il vu un jour comme une satire sociale virulente ? Les Dents de la mer pourrait-il devenir aussi larmoyant et sentimental que Bambi ? Crash pourrait-il être regardé comme une tendre histoire d’amour ? Plus précisément, en cette année où l’on fête le centenaire de la naissance de Michael Powell, ses films flamboyants et excessifs pourraient-ils passer pour des drames psychologiques acérés sur la nature de la conscience humaine ? Ces films remarquables, qui planent vertigineusement tels des cerfs-volants au-dessus des sommets du cinéma de divertissement, sont-ils en fait beaucoup plus proches des cas psychiatriques que leurs spectateurs ne l’ont jamais soupçonné ? Je me suis mis à aller au cinéma à mon arrivée en Angleterre en 1946, un peu perdu parmi ses foules grises et désemparées. Comme il n’y avait rien d’autre à faire, une bonne partie de la population allait au cinéma trois fois par semaine. Dans d’immenses Odeons art déco pareils à des cathédrales enfumées, j’ai vu à leur sortie les films réalisés après-guerre par Alfred Hitchcock, Howard Hawks, John Ford et Roberto Rossellini. Encore plus excitant, j’ai vu Robert Mitchum, Marlon Brando et James Dean avant qu’ils deviennent des stars. Par de mornes après-midi, alors que j’aurais dû être en train de disséquer des cadavres 1, j’allais voir Sunset Boulevard, Orphée et Rome, ville ouverte. Une culture et un climat social totalement neufs étaient en train de se former, plus internationaux dans l’esprit et d’une plus grande urgence que n’importe quel roman. Je savais qu’il était plus important de voir T-Men ou White Heat que d’écouter une conférence de F. R. Leavis sur Virginia Woolf. Compte tenu de leur énorme impact à l’époque, on s’étonne de voir comme ces films ont paru changer au cours du dernier demi-siècle. Le Troisième Homme semble aujourd’hui un peu opératique, conte d’amour terni et de pénicilline, sa scène jonchée de gravats dominée par un Orson Welles affecté. Pourtant, à sa sortie dans une Angleterre grisâtre et soumise au rationnement, le Troisième Homme avait le grain du réalisme. Les ruines et les gravats sur l’écran se confondaient avec les zones bombardées à l’extérieur de la plupart des cinémas anglais. | | 1 Ballard entreprit des études de médecine qu'il n'acheva pas. [NdT.] Mark Rappaport| Le touriste qui en savait trop Il y a des années, si on allait à San Francisco et connaissait là-bas quelqu’un qui s’intéresse tant soit peu au cinéma, il vous proposait invariablement de vous faire faire l’itinéraire Vertigo. Ça se fait toujours aujourd’hui, que je sache. Pourquoi pas ? J’imagine que n’importe quel passionné du film peut vous indiquer les neuf ou dix sites qui y figurent. J’ai décliné l’invitation. Aujourd’hui, il est probable que nombre de ces sites ont disparu : le fleuriste, le restaurant Chez Ernie, l’extérieur de la maison où vit Scottie. Quand j’habitais San Francisco, je suis tombé sur la mission Delores, dans le quartier de la Mission. Pas difficile d’y arriver, cachée en pleine vue comme elle était et donnant sur la rue. Pas de frisson, pas de chair de poule. Même pas quand je suis entré. J’ai fait une excursion à Muir Woods, pas parce que la forêt figure dans Vertigo, mais pour voir les séquoias, qui sont impressionnants. Mais soudain… il était là ! La section du séquoia où Kim Novak avait dit un jour, en montrant les cercles concentriques : « Je suis née là et je suis morte là. » Ce n’était pas juste un accessoire du film. C’était réel. Hitchcock l’a utilisé parce que c’était là. Comme dans le film, les cercles sont accompagnés de dates : la naissance du Christ, la Magna Carta, la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, la Révolution américaine, la Révolution française, la guerre de Sécession, et ainsi de suite. Je suis né ici et je suis mort ici. Quelque part – même si je ne l’ai pas vue depuis des années – j’ai une photo de moi qui tends le doigt vers l’arbre, exactement comme Kim Novak. On ne peut pas se trouver plus près d’être dans le film. Moi et Kim. Je ne suis sans doute pas le seul à s’être fait prendre en photo dans ce geste. Chris Marker, explorateur intrépide, a visité les lieux de Vertigo et rapporte ses aventures à la recherche d’artefacts dans Sans soleil. Il cherche la maison victorienne transformée en hôtel louche, où Madeleine passe des heures l’après-midi avant de continuer ses errances sans but apparent. Il découvre que la maison, l’hôtel, autrefois au coin des rues Eddy et Gough, a disparu. Le commentaire anglais de Sans soleil, dit par Alexandra Stewart, prononce « Gough » « Go », au lieu de « Guff », la prononciation correcte. Cela a déclenché les rires quand le film est passé à San Francisco. Plus tôt encore, je m’intéressais beaucoup aux palais et aux églises baroques. Lors d’un séjour à Cologne, j’ai fait plusieurs excursions en prenant des photos. L’un des palais que je tenais le plus à voir était celui de Würzburg. Le Treppenhaus – le grand escalier – passe pour un exemple majeur d’architecture baroque. J’en avais vu beaucoup de photos et il paraissait splendide. En personne, pourtant, il ne ressemblait pas du tout aux photos, qui suggéraient une échelle plus impériale. Quelle déception ! C’était un escalier commun qui avait l’air – puis-je le dire ? – un peu vulgaire, comme un escalier d’hôtel. Le tapis rouge, si grandiose dans les photos, avait un aspect fatigué et lugubre. Le lustre était poussiéreux et n’avait pas l’air vrai. Et il était si petit. D’accord, les gens étaient plus petits à l’époque Émile Breton| Thomas Mann, Jean-Claude Guiguet Du leurre au mirage « Wie wäre der Frühling ohne den Tod ? » dit à la dernière page de la nouvelle Die Betrogene 1 (le Mirage) Rosalie, la femme de cinquante ans, amoureuse du jeune précepteur de son fils, qui avait cru voir, un matin de printemps, dans les saignements marquant l’attaque d’un cancer, le retour de ses règles. Tout près de la mort, elle s’adresse ainsi à sa fille : « Anna, ne parle pas de leurre ou de cruelle raillerie. C’est à regret, certes, que je m’en vais loin de vous, et de la vie en ce printemps. Mais que serait donc le printemps sans la mort ? C’est elle qui est la grande pourvoyeuse de la vie et quand elle prend pour moi les couleurs de la renaissance et de la joie de vivre, ce n’est pas mensonge, mais bonté et miséricorde 2. » Cette mort acceptée d’une femme qui tint longtemps pour évident que le printemps venait toujours après l’automne, les crocus de février après les colchiques d’octobre, cette association du déclin et du renouveau, on les retrouve dans le film le Mirage (1992) que Jean-Claude Guiguet a tiré de la nouvelle, la transportant d’Allemagne vers une région qu’il connaissait et aimait, les rives du lac d’Évian. Le cinéaste, qui n’a pas besoin comme le romancier de présenter d’abord de l’extérieur ses personnages et le cadre dans lequel ils évoluent, introduit ce thème de l’exubérante générosité de la nature dès les tout premiers plans, glissant lentement des montagnes proches à une prairie sur laquelle flottent, neige légère, les éclats des bourgeons de peuplier. S’avancent et se parlent, l’une suivant l’autre, la mère et la fille. Ainsi est donnée à voir et à entendre l’étroitesse du lien entre ce qui se passe dans ce pré bruissant d’une vie neuve et ce que vont vivre les deux femmes. « Im Abendroth » (« Au crépuscule »), un des Quatre Derniers Lieder de Richard Strauss, s’est tu, on entend un merle, puis un coucou, la mère dit à sa fille : « Le printemps m’adresse un sourire. » Tout y est, aussi bien la montée de la sève et les bourdonnements d’insectes que les rapports inversés entre une mère sensuelle « fille du printemps » et une fille intellectuelle, « née une nuit de l’Avent », mère mutine et fille maternelle. Cette rencontre d’un romancier et d’un cinéaste n’est pas le fait du hasard. Malade, et le sachant, Jean-Claude Guiguet a sans doute trouvé dans la nouvelle de Thomas Mann réponse à des questions qu’il se posait. En témoigne cette lettre 3 non datée mais sans doute écrite au milieu des années 1980. Il parle de sa mère, morte depuis peu. « […] Ma mère, écrit-il, n’était pas venue là sur les galets par curiosité. Elle était déjà envahie par ce mal qui la faisait tellement souffrir en silence. Elle était venue “prendre l’air” et voir la mer de près | | | 1 In Sämtliche Erzählungen, S. Fischer Verlag, 1971. | 2 Les traductions sont de Louise Servicen pour l’édition | française (Albin Michel, 1954, rééd. 10/18, 1999), à l’exception de celle-ci, légèrement modifiée. |3 Communiquée par Jacques Parsi dont l’aide fut précieuse pour la rédaction de cet article. Luc Moullet| Le raptus chez King Vidor S’il me fallait définir par un seul trait l’art de Vidor, je choisirais, sans l’ombre d’une hésitation, la faculté à créer le raptus chez le spectateur : son pouls, sa tension montent, il a la chair de poule. C’est un domaine où aucun autre cinéaste ne peut surpasser Vidor, pas même Hitchcock, où le raptus est plus réduit, j’y reviendrai. On pourrait certes déprécier Vidor en soutenant que le raptus filmique est toujours créé par des effets très artificiels, physiques et donc superficiels. Un art de l’extraordinaire, primaire, un art de la grosse caisse (mais c’est la plus grosse de toutes), probablement moins digne d’estime que cet art classique qui reproduit ou respecte la monotonie de la vie humaine ordinaire, celui, parfois, de Griffith (True Heart Susie), Pialat (Nous ne vieillirons pas ensemble), Straub (Bach), Bresson (Une femme douce), Kazan (Wild River), les Ray (They Live by Night, Aparajito), Mizoguchi (Zangiku monogatari) et bien sûr Ozu : un art peut-être plus oriental qu’occidental. II serait facile d’abonder en ce sens en soulignant que Vidor ne dépasse guère une médiocrité insipide lorsqu’il doit se cantonner dans la convention (Wine of Youth, Billy the Kid, Texas Rangers, Solomon and Sheba) ou dans la normalité (Cynara, H.M. Pulham, Esq., Japanese War Bride). C’est vrai, mais il a quand même tourné un chef-d’œuvre du quotidien, The Crowd, lequel, sans doute en raison de sa nature, l’emporte auprès des critiques sur tous les autres Vidor : au référendum du Bicentenaire, en 1976, il obtint 67 voix, contre 22 seulement au Vidor suivant. En outre, certains films comme Street Scene, Truth and Illusion ou la trilogie Marion Davies, séduisent pour des raisons qui n’ont guère à voir avec le raptus. Éclectisme de Vidor. Ceci dit, on se refuserait de grands plaisirs si l’on rejetait les romantiques au seul profit des classiques, le rêve au nom de la réalité (ou l’inverse d’ailleurs). À bas Wagner, vive Mozart, ce n’est pas un discours très intéressant... Chez Vidor, la stratégie du raptus se présente sous plusieurs formes. La première, c’est le raptus unique. Dans la vie, le phénomène est déjà assez rare : certaines personnes ne l’ont jamais connu. Alors à plus forte raison, en deux petites heures de film... Il est donc normal qu’il soit exceptionnel, unique. On pourrait d’ailleurs prétendre qu’une suite de scènes destinées à créer divers raptus serait difficile à envisager, la répétition amoindrissant considérablement le choc. Mais ce n’est pas impossible, nous le verrons. S’il n’y a qu’un seul raptus dans le film, il est logique qu’il arrive à la fin. S’il se situe au milieu de la projection (I comme Icare d’Henri Verneuil) ou, pire, tout au début (Dark Passage de Delmer Daves), le public sera fort déçu par la baisse de tension qui perdure après la scène-choc… Stéfani de Loppinot| Play it again, King Hallelujah (1929) Hallelujah est connu en tant que premier film parlant de King Vidor, c’est aussi le premier film issu du système hollywodien entièrement joué par des Noirs, acteurs professionnels ou non. Il a été projeté dans le Nord et dans le Sud des États-Unis, et y a rencontré un vrai succès auprès des populations blanches ou noires. Vidor, qui a grandi à Galveston au Texas, a côtoyé pendant toute son enfance les communautés noires ; il a partagé leurs jeux et leurs berceuses – il en témoigne, de façon presque jalouse dans son autobiographie A Tree Is a Tree 1 : sa petite sœur y avait droit, manifestement pas lui, c’est très exactement ce qui arrive dans le film pour le plus grand des enfants –, et a eu le désir de raconter leur manière de vivre, directement de l’expérience qu’il en avait eue, c’est-à-dire directement de ses phantasmes d’enfant sans doute extrêmement impressionné par cette force et spontanéité des corps. Hallelujah n’a rien de réaliste, et ne prétend pas l’être. Vidor ne se prive d’ailleurs pas d’accuser certains traits (les corps touchent souvent à la caricature, comme cette femme bonne à marier et mère de onze enfants, bâtie comme la fiancée de Popeye). Le réalisme en soi ne l’a jamais intéressé, même si ses réalisations sont souvent fortement documentées : The Big Parade s’ouvre sur de vrais plans d’usine au travail alors que la suite, en France, est totalement fantasmée (dans Metaphor, il se moque avec Andrew Wyeth du costume de bohémienne que porte la petite froggie) ; An American Romance est bluffant par le circuit de l’acier qu’il retrace – extraction du minerai, travail en hauts-fourneaux, jusqu’aux différentes étapes de fabrication d’automobiles puis de bombardiers lourds (!) à la chaîne –, mais lorsque le film a dû être raccourci, Vidor a toujours regretté qu’un employé de la MGM ait choisi de garder ces scènes hallucinantes aux dépens de la continuité de l’histoire d’amour (nous, on ne le regrettera pas). Certains passages de Hallelujah seront donc de précieux témoignages sur le travail du coton, depuis leur cueillette à leur envoi en balles serrées dans un bateau vers la Nouvelle-Orléans (on pense à la scène similaire de travail du jute dans le Fleuve de Renoir). Plus que l’aspect document, il semble que ce soient les différentes étapes de transformation du matériau qui retiennent l’attention de Vidor, ce processus s’accompagnant d’un rythme, ce qui a été à l’origine de son désir de filmer. Dans A Tree Is a Tree, un passage très émouvant décrit sa première émotion « cinématographique » : au bout d’une jetée, King, 10 ans, attend de prendre sa première leçon de natation. Il voit au loin des garçons | | 1 King Vidor, A Tree Is a Tree, Hartcourt, Brace and Company, New York, 1953. Trad. la Grande Parade. Autobiographie, Catherine Berge et Marquita Doassans [trad.], Paris, J.C. Lattès, 1981. Jean Narboni| Dangers de la voie droite Northwest Passage (le Grand Passage, 1940) Premier film en couleurs de leur auteur, Northwest Passage (le Grand Passage) de King Vidor et Drums Along The Mohawk (Sur la piste des Mohawks) de John Ford datent tous deux de 1939 et traitent d’épisodes fondateurs de l’Amérique, mais presque vingt années et une guerre séparent les événements qu’ils relatent. Dans le film de John Ford, qui commence en 1776, la guerre d’Indépendance est engagée, les Américains combattent les Anglais alliés aux Indiens Mohawks, et le récit se clôt sur leur victoire et la proclamation de la naissance des États-Unis. Dans celui de Vidor, qui s’ouvre en 1759 à Portsmouth en Nouvelle-Angleterre, les futurs Américains sont encore Anglais, ici déjà alliés aux Mohawks (alliés d’ailleurs montrés comme peu sûrs, que le héros du film et la fiction évacuent assez vite), et disputent des territoires aux Français appuyés sur les Indiens Abénakis, qui vivent dans la région de la rivière Saint-François et sont décrits dès le début comme extrêmement cruels. Le Grand Passage relate la périlleuse expédition punitive en deux temps menée non par des troupes régulières anglaises, Tuniques rouges à l’uniforme trop vite repérable par l’ennemi, mais par un groupe de Rangers habillés d’un vert éteint facilement confondu avec la couleur des paysages qu’ils traversent (Vidor, on le verra, attachait la plus grand importance au rendu de ce vert à l’écran). Ils sont commandés et conduits par le célèbre major Rogers (qui a vraiment existé), explorateur, aventurier, considéré comme l’inventeur des opérations commando et de la tactique de guérilla, adepte de l’offensive à outrance (porter le combat au cœur même du fief ennemi au lieu d’attendre qu’il se manifeste), homme de fer et de miel que ses hommes adulent, redouté de ses ennemis et dont la tête a été mise à prix par les Français. La différence principale entre le film de Vidor et celui de Ford, décisive pour l’image de l’un et l’autre cinéaste qu’elle a contribué à forger, ne tient pas à la nature de l’intrigue et des personnages qui y sont engagés, ni à l’écart dans le temps de l’histoire. Elle porte sur ce qui s’y dit, se montre, s’éprouve et se donne à ressentir de la violence et de la guerre. Il est aujourd’hui largement reconnu que chez Ford, guerre et violence, loin d’être valorisées ou exaltées, sont parcimonieusement montrées et parfois même seulement restituées dans le récit de ceux qui en ont soutenu l’épreuve avec angoisse et dégoût, comme celui, célèbre, que Henry Fonda halluciné, fiévreux, délirant fait après coup de la bataille d’Oriskany, là où Zanuck souhaitait que cette bataille fût mise en images. Dans le Grand Passage, Vidor ne nous épargne rien de ce que Tag Gallagher désignait dans un numéro de Trafic comme « ce qui reste aujourd’hui encore le plus terrifiant carnage de l’histoire du cinéma1 », celui des Abénakis attaqués par les Rangers dans leur campement, moment central | | 1 Trafic, n° 14, printemps 1995. Jean-François Buiré| Banjo, whisky et sarsaparilla Man Without a Star (l’Homme qui n’a pas d’étoile, 1955) « Un jour, en 1954, mon agent m’appela. Il voulait me rencontrer aux studios Universal pour un film. Et c’est là que le producteur m’annonça qu’il avait en contrat l’acteur Kirk Douglas pour quatre semaines, entre deux autres films. Il me demandait si je voulais tourner un western. À cette époque ma réponse fut, je me le rappelle très bien : “Si n’importe qui peut le faire, pourquoi pas moi !” [...] Le film ensuite fut réalisé très rapidement, en vingt-deux jours au lieu des vingt-quatre prévus. Nous finissions deux jours en avance sur notre emploi du temps ! » « Après The Racers (le Cercle infernal), je tournai pour Universal Man Without a Star, un western simple, divertissant, commercial, écrit par de bons scénaristes, Borden Chase et D. D. Beauchamp. Je cherchais un bon réalisateur. Ray Stark me demanda de donner une chance à son client, King Vidor. Celui-ci avait eu son heure de gloire dans les premiers temps de Hollywood, depuis 1915, mais il n’avait rien réalisé depuis longtemps. Il avait tourné tellement de films importants dans le passé, The Big Parade, The Crowd, Duel in the Sun. Nous faisions un petit film, avec un budget et un temps de tournage limités. Ray Stark se portait garant de Vidor. Je pris le risque. J’avais l’impression qu’en réalisant l’Homme qui n’a pas d’étoile, King Vidor s’encanaillait. Je n’étais pas seulement la vedette du film, j’étais aussi producteur associé. Pour moi, c’était un coup de poker. Je devais sans cesse le pousser en avant. “Allez, King, c’est un petit film, il faut y aller.” Lui, il me parlait du bon vieux temps, et moi je ne pensais qu’au film que nous tournions. » « La scène du bar où Douglas danse avec un banjo, c’est du Vidor. Il a ajouté des trucs merveilleux... Voilà un film totalement influencé par son metteur en scène. » Soit trois citations : la première de King Vidor 1, réalisateur de l’Homme qui n’a pas d’étoile, la deuxième et la troisième de Kirk Douglas 2 et de Borden Chase 3, respectivement vedette et scénariste du film. Les deux premières inclinent à considérer l’antépénultième œuvre hollywoodienne de Vidor comme une sorte de série B améliorée, tournée un peu par-dessus l’épaule, à la manière désinvolte de Kirk Douglas/Dempsey Rae faisant jongler | | | 1 La Grande Parade (trad. fr.), Jean-Claude Lattès, coll. « Cinéma et littérature », Paris, 1981, p. 225.| 2 Le Fils du | chiffonnier (trad. fr.), Presses de la Renaissance, Paris, 1989, p. 252.| 3 Jim Kitses, « Borden Chase, An Interview », in Richard Corliss (dir.), The Hollywood Screenwriters, A Film Comment Book, New York, Avon Books, 1972, p. 160. Bernard Cohn| Ombre et substance Truth and Illusion. An Introduction to Metaphysics (1965) Poètes et romanciers, peintres et sculpteurs n’ont jamais cessé de s’exprimer sur leurs créations. Sous toutes les latitudes, ils ont, par des manifestes, préfaces, interviews, essais, conférences, voulu dire le pourquoi et le comment de leur art. De Renoir à Eisenstein, de Bergman à Truffaut et Pasolini, les cinéastes aussi ont volontiers théorisé et valorisé leur moyen d’expression, jusqu’à en faire, du moins certains d’entre eux, une philosophie de la vie. Or on peut compter sur les doigts d’une main les réalisateurs classiques qui ont utilisé la caméra et le magnétophone pour transmettre cette philosophie, ou ce qui en tenait lieu. Aux ÉtatsUnis, de sa génération (Ford, Walsh, DeMille, Dwan, pour ne citer que ceux-là) Vidor est le seul, tout au long de sa carrière, à avoir émis des théories sur le septième art. S’il réalise, à plus de 70 ans, en 16 mm, un court métrage de vingt-cinq minutes, ce n’est pas seulement parce qu’il n’arrive pas à financer les projets qui lui tiennent à cœur. On le sait, Vidor a sauvé du désastre Solomon and Sheba (Salomon et la reine de Saba, 1959) après la mort de Tyrone Power en plein tournage, et le film a été un grand succès. Au début des années 1960, il n’est donc pas un réalisateur sur la touche. Pourtant, il n’arrive à matérialiser aucun de ses projets. D’après lui, Max Youngstein, de United Artists (qui a produit Solomon and Sheba), et les autres responsables des studios ne comprennent rien à ses intentions. « Ils ne comprenaient simplement pas ce que je faisais quand je mettais ma propre individualité dans le script. C’était comme si un peintre expliquait à quelqu’un ce qu’il va peindre . » (Oral History 1, p. 279-281) Les projets ne manquent pas : Bright Answer, une vie de Mary Baker Eddy, fondatrice de la Christian Science dont Vidor est un adepte, interprétée par Audrey Hepburn. Une biographie de Cervantès, scénario de Vidor et Herbert Dalmas (son collaborateur déjà pour An American Romance), d’après A Man Called Cervantes de Bruno Frank. Le film aurait dû être produit en 1965 par Oliver A. Unger, interprété par Horst Buchholz et Yul Brynner, sur un scénario de Charles Peck Jr. Cervantes (Young Rebel) est finalement réalisé deux ans plus tard, de manière très différente, par Vincent Sherman. Jusque dans cette production, un des thèmes chers à Vidor apparaît : l’opposition entre l’artiste et le soldat (cf. Northwest Passage). | | 1 King Vidor Interviewed by Nancy Dowd and David Shepard, A Directors Guild of America Oral History, Metuchen, N.J. and London, The Directors Guild of America and The Scarecrow Press, Inc., 1988 (ci-après : OH). Tag Gallagher| Une colline en partage Metaphor (1980), Truth and Illusion « Filmer n’est rien d’autre que voir », a dit un artiste. « Non pas ce que vous voyez, mais comment vous le voyez. N’importe qui peut apprendre à filmer les choses qui sont là. Mais filmer les choses qu’on soupçonne simplement d’être là, voilà le genre de tâche qui rend la vie intéressante. » L’artiste était Rembrandt, paraît-il, et il disait « peindre », non pas « filmer 1 ». Mais l’attitude paradoxale de Rembrandt envers le réalisme a été partagée par des cinéastes et des peintres du XXe siècle. Et ce que certains des Américains parmi eux, notablement King Vidor et Andrew Wyeth, « soupçonnaient d’être là », était ce que Wyeth a appelé « une qualité américaine ». Wyeth a beau être formé à l’école de Dürer et tracer le détail de chaque pousse d’herbe, il s’assure que c’est de l’herbe américaine, car ce qu’il cherche, c’est une conscience américaine, indépendante de l’Europe. « [C’est] quelque chose d’indigène, d’inné […] C’est la qualité des girouettes primitives, des charnières des portes. C’est très difficile à définir précisément 2. Il faut regarder sous la surface des choses. Le lieu commun, voilà la solution, mais il est difficile à trouver. Puis, si on y croit, si on a de l’amour pour elle, cette chose spécifique deviendra universelle 3. » « Connais spirituellement », avait enseigné à Wyeth son père, peintre lui aussi. « Soisen part 4. » Et tel avait été le cours suivi par les sages vénérés d’Amérique – Emerson, Thoreau, Whitman – et par Mary Baker Eddy, fondatrice de la Christian Science, à laquelle Vidor consacra l’œuvre de sa vie. Les deux artistes cherchaient à exprimer une conscience américaine des hommes, des choses et des lieux américains. C’est ainsi qu’en 1975, à la fin de sa vie, à quatre-vingt-un ans, Vidor fut « ému » de recevoir une lettre de Wyeth. Vidor n’avait jamais rencontré Wyeth, mais, dit-il, « je savais qu’il avait les mêmes sentiments que moi sur l’Amérique 5 ». En effet, Wyeth lui expliqua qu’il avait vu son film The Big Parade (la Grande Parade, 1925) « cent quatre-vingt fois, littéralement » et que, par toutes sortes de cheminements abstraits, ce film avait été la plus | | 1 Hendrick Willem Van Loon, R.v.R.: The Life and Times of Rembrandt van Rijn, New York, Horace Liveright, 1930, cité par Rouger Housden, How Rembrandt Reveals Your Beautiful, Imperfect Self, New York, Harmony Books, 2005, p. 33, qui ajoute (p. 231) : « Van Loon prétendait que ce livre était tiré du journal de son ancêtre, Joan- | nis Van Loon, qui, à l’en croire, était le médecin de Rembrandt. »| 2 Richard Meryman, « Andrew Wyeth: An Interview », Life, 14 mai 1965, reproduit in Wanda M. Corn (dir.), Art of Andrew Wyeth, Greenwich, Connecticut, | New York Graphic Society, 1973, p. 77.| 3 Dans « Two Realists », Newsweek, 16 juin 1952, p. 95, cité par Corn, | p. 102.| 4 Betsy James Wyeth (dir.), The Wyeths: The Letters of N. C. Wyeth, 1901-1945, Boston, Gambit, 1971, | p. 205, cité par Corn, p. 126. | 5 Carol A. Crotta, » Masters of Metaphor », 1ère partie, Los Angeles Herald Exami- | ner, 30 mars 1980. | Crotta, op. cit. 6 Bernard Eisenschitz| La réponse de Godard Pour Susan Ray Le visiteur de l’exposition conçue par Jean-Luc Godard est libre*. Qu’il soit érudit ou non, que les artefacts lui fassent des signes de reconnaissance ou non, rien ne s’impose à son admiration. À lui de décider. 1. Avant l’entrée des « galeries Sud », une planche portant deux reproductions du Verrou de Fragonard, l’image d’un monstre attendant une jeune femme nommée Goddard à l’arrièreplan (Paulette G., dans The Cat and the Canary, Elliott Nugent 1939), et une phrase : « Ce qui est montré ne peut être dit. » Le Verrou, qui montre dans la simultanéité des temps successifs, défie la description chronologique, comme le fait un cinéma anonyme de genre. Il y a quelques autres motifs d’effroi pour les enfants. Dans le couloir d’entrée, une image destinée aux petits Allemands du XIXe siècle : le Struwwelpeter (« Pierre l’ébouriffé »), qui ne taille ni ses cheveux ni ses ongles et sera puni par où il a péché : on lui coupera les doigts en même temps que les ongles. En face, un boucher qui met trois enfants dans un saloir, selon la légende de saint Nicolas, nom parfois attribué au boucher, ainsi dans cette planche. Selon les inscriptions portées sur le collage, ce Nicklaus représente l’exposition 2, « l’inconscient », celle où nous entrons, alors que Françoise Dolto jeune représente l’exposition 1, « l’utopie », qui ne s’est pas réalisée. (C’est aussi une piste : le polyglottisme de Godard, depuis le « Reiters Morgenlied » de Wilhelm Hauff, dit par Michel Subor dans le Petit Soldat, jusqu’à ses jeux de mots franglais, ses « traductions » de l’arabe ici et ailleurs, les nuances de la langue russe pour désigner l’image, son éloge de la bella lingua italiana, la Babel de Cinecittà dans le Mépris et de Sarajevo dans Notre musique, et ici pas mal d’espagnol, sans oublier le latin.) Ce collage, comme tout un parcours possible, est un commentaire de l’annonce affichée à l’entrée, qui reproduit un communiqué du Centre Pompidou expliquant qu’en raison de « difficultés artistiques, techniques et financières », il a fallu renoncer au projet et se replier sur un autre, plus ancien. Jean-Luc Godard a barré les deux derniers adjectifs, ne reconnaissant que les différences « artistiques ». | | * Voyage(s) en utopie, JLG, 1946-2006, À la recherche d’un théorème perdu, exposition au Centre Pompidou, Paris, du 11 mai au 14 août 2006, conception : Jean-Luc Godard. Dominique Païni| Ballet d’ombres Autour d’Adebar de Peter Kubelka Le noir et blanc traite d’une proximité poétique constitutive du moi : suis-je une chose, une personne, tantôt chose et tantôt personne, susceptible de fondre au milieu des autres corps ou capable d’action ? Jean Louis Schefer La collection de films d’avant-garde du Musée national d’art moderne abrite un ensemble d’œuvres qui, à plus d’un titre, sont fondatrices de l’institution et reflètent une conception poétique et théorique du cinéma. L’un des artistes les plus importants représenté dans cette collection est Peter Kubelka. Appartenant essentiellement à l’univers cinématographique, il n’a pas la visibilité qu’il mérite, à l’instar de bien d’autres artistes cinéastes dont les œuvres-films sont conservées au Mnam. Si Peter Kubelka avait été un plasticien « ordinaire », s’il avait accroché aux cimaises du musée ses pellicules comme des objets plastiques, sans doute aurait-il été plus largement reconnu comme l’artiste majeur qu’il est. Le fait est que, d’ailleurs, Kubelka a bel et bien accroché ses pellicules. Mais il est important à un autre titre : il fut l’un des fondateurs de la collection de films conservée au Centre Pompidou. D’une certaine manière il collectionna, cette entreprise systématique n’étant pas sans rapport avec l’esthétique de son œuvre filmique. Peter Kubelka est né le 23 mars 1934 à Vienne. Au début des années 1950 il étudie la musique, et peu après le cinéma, au Centro Sperimentale di Cinematografia de Rome. À 20 ans, il réalise Mosaik im Vertrauen, à 22 ans, Adebar ; dès 1956, ses deux premiers films sont projetés en Europe, aux États-Unis et au Japon. Puis viennent Schwechater (1957-58) et Arnulf Rainer (1958-60). En 1962, il détruit les travaux métriques préparatoires de ses deux premiers films ; en 1964 il fonde avec Peter Konlechner l’Österreichisches Filmmuseum. En 1966, il termine Unsere Afrikareise (Notre Voyage en Afrique), commencé cinq ans auparavant. En 1970, il s’associe à la création de l’Anthology Film Archive de New York et y conçoit une salle baptisée The Invisible Cinema. En 1973, il restaure le film de Dziga Vertov Enthousiasme 1. En 1976, il propose les éléments fondateurs de la collection de films d’avant-garde du Centre Pompidou, et dans la foulée programme une | | 1 La restauration par Peter Kubelka d’Entuziasm (Simfonija Donbassa) a été éditée en DVD il y a un an par l’Österreichische Filmmuseum, Vienne (Edition Filmmuseum 01, www.edition-filmmuseum.de). Le double DVD comprend également la version non restaurée, ainsi qu’un essai de 65 minutes de Peter Kubelka (en anglais), Restoring Entuziasm. Un compte rendu de ce coffret par Christa Blümlinger figurera dans Cinéma 013 [NdlR]. David E. James| Une avant-garde impossible ? Newsreel et cinéma prolétarien à Los Angeles 1 D’origine britannique, David E. James est professeur au Département Cinéma-Télévision de la University of Southern California (USC). Ses recherches s’organisent selon trois axes complémentaires : l’articulation entre histoire du cinéma et histoire des idées (Allegories of Cinema. American Film in the Sixties et The Most Typical Avant-Garde. History and Geography of Minor Cinema in Los Angeles), les monographies d’auteurs encore marginalisés aux États-Unis (Jonas Mekas, Im Kwon-Taek, Stan Brakhage) et l’interrogation des sources théoriques de cinématographies de la contre-culture (Power Misses. Essays Across (Un)popular Culture et The Hidden Foundation. Cinema and the Question of Class). Chaque ouvrage solitaire ou collectif de David E. James offre un voyage chronologique dans l’histoire du cinéma en général et des cinémas d’avant-garde en particulier. À ce jour, aucun de ces livres pionniers n’est traduit en français. Le prochain devrait concerner les rapports entre cinéma et rock’n ’roll. Nicole Brenez I. Le cinéma prolétarien à Los Angeles Dans son article « Movies and Revolution » publié par New Masses en 1932, Harry A. Potamkin considère que la Tragédie de la mine (Kameradschaft, 1931), le film de G. W. Pabst décrivant le combat commun de mineurs allemands et français contre un incendie souterrain, soulève une question fondamentale : « Est-il possible de créer un cinéma prolétaire dans l’Amérique capitaliste ? Est-il vrai que, de tous les médias hormis la radio, le cinéma est le plus réfractaire à tout changement ? » Pour construire sa réponse, le critique communiste argumente qu’un véritable cinéma ouvrier se heurte à plusieurs obstacles : « La nature même du cinéma, les difficultés inhérentes à la réalisation des films, les coûts de fabrication, le monopole exercé par Hollywood, le code Hays et Wall Street 2. » De telles formulations, identifiant Hollywood aux intérêts du capital et à la répression d’État, étaient courantes à l’époque. L’année précédente par exemple, dans son article « A Working-Class Cinema for America? », Seymour Stern avait appelé de ses vœux « un | | 1 Cet essai est extrait de David E. James, The Most Typical Avant-Garde: History and Geography of Minor Cinemas in Los Angeles, Berkeley, University of California Press, 2005 ; © 2005, The Regents of the University of Califor- | nia, University of California Press. |2 Toutes les citations de « Movies and Revolution » datent de décembre 1932. Article repris in Lewis Jacobs, (dir.), The Compound Cinema: The Film Writings of Harry Alan Potamkin, New York, Teachers College Press, 1977, p. 513. Kevin Brownlow| Note sur From Dusk to Dawn (1913) Quatre fois candidat socialiste à la présidence, Eugene Debs paraissait en 1912 à portée de la Maison-Blanche. Quelques années plus tard, il était en prison. Tandis que le socialisme enflammait l’Europe, ses feux s’alimentaient plus faiblement aux États-Unis. La classe ouvrière était divisée. Les travailleurs américains (nombre d’entre eux nés à l’étranger), alarmés par l’afflux croissant de main-d’œuvre immigrée, formèrent des syndicats pour protéger leurs propres intérêts, syndicats qui n’étaient alliés à aucun parti politique, comme c’était le cas en Angleterre. Samuel Gompers, anglais de naissance, dirigeant de l’American Federation of Labor, rejetait le socialisme et comptait sur l’intérêt individuel des ouvriers pour améliorer leurs conditions. La presse – intentionnellement – et le grand public – involontairement – confondaient socialisme et anarchisme. Chaque fois que les ouvriers avaient recours à la violence, les autorités en profitaient pour agir indistinctement contre les socialistes, les anarchistes et les syndicalistes 1. En avril 1911, John J. McNamara, secrétaire de l’International Association of Bridge and Structural Iron Workers, et son frère James B., furent inculpés sous le chef d’accusation d’avoir, le 1er octobre 1910, dynamité l’immeuble du Los Angeles Times. Vingt et une personnes avaient été tuées. François Thomas| Un film d’Orson Welles en cache un autre (2) Deuxième livraison d’un feuilleton sur le préjudice qu’ont subi les films mutilés de Welles et sur les variantes présentées par les versions concurrentes dans lesquelles sont connus la moitié de ses longs métrages terminés. Où l’auteur aborde les deux versions « autorisées » d’Othello et sa refonte posthume et les huit Mr. Arkadin 1. Othello (The Tragedy of Othello, Mercury, 1949-1952) Welles, producteur d’Othello, a tourné l’essentiel de son film en 1949-1950. Il a opéré le montage par à-coups, le remettant en chantier dans plusieurs pays avec des techniciens différents au gré d’un emploi du temps surchargé d’autres activités. En novembre 1951, il a laissé sortir en Italie une version doublée qu’il considérait encore comme un brouillon de son montage, mais qui permettait à son associé initial et créditeur, Scalera Film, au bord de la faillite, de récupérer une partie des coûts engagés. Je n’ai pu encore découvrir ce montage dont l’existence vient d’être confirmée par Alberto Anile 2. La première projection publique de la version anglaise s’est faite, elle aussi, dans l’urgence. En mai 1952, faute d’avoir accès au négatif bloqué à Rome, Welles n’a projeté au festival de Cannes, où il allait obtenir le Grand Prix ex æquo, qu’une copie de travail obsolète. Puis Welles a livré et entièrement cautionné deux versions successives d’Othello. L’une, longue de 1h 33, est celle sortie en France et ailleurs en 1952. L’autre, plus courte de trois minutes, a probablement été établie dès 1953, quand Welles a trouvé un distributeur anglo-saxon, les Artistes associés, bien que les sorties américaine et britannique n’aient eu lieu qu’en 1955 et 1956. J’ai déjà eu l’occasion de recenser les variantes que proposent ces deux versions 3, et ne fais ici qu’en résumer l’essentiel. | | 1 Je remercie de nouveau Jean-Pierre Berthomé, Gilles Pierre, Esteve Riambau et Jonathan Rosenbaum de l’aide amicale qu’ils ont apportée à cette série d’articles. Les pages consacrées à Mr. Arkadin sont enrichies par des renseignements et documents fournis par Christophe Cognet, Richard Evangelista (Corinth Films), Catherine Gautier (Filmoteca española, Madrid) et John Oliver (The National Film and Television Archive, Londres) ainsi que par la consultation des archives de la société de production Filmorsa que m’ont généreusement ouvertes Véronique Loth | | et Jacqueline Cirrincione (Gray Film). | 2 Voir Orson Welles in Italia, Il Castoro, Milan, à paraître. | 3 Voir François Thomas, « La tragédie d’Othello », Positif n° 424, juin 1996. Erich Kettelhut| Construire Metropolis Erich Kettelhut (1er novembre 1893-13 mars 1979) a créé les décors de plus de cent films, collaborant avec Fritz Lang sur Dr. Mabuse, der Spieler (1921-1922), Die Nibelungen (1922-1924) et Metropolis (1925-1926). Par la suite, il travaille essentiellement pour la Ufa et – sous le Troisième Reich et après – les revues musicales du couple Georg Jacoby (réalisation) et Marika Rökk. Il retrouve Lang à la fin de sa carrière pour Die 1000 Augen des Dr. Mabuse. Ses archives se trouvent à la Cinémathèque française et à la Deutsche Kinemathek-Museum für Film und Fersehen. C'est probablement vers la fin des années 1960 que Kettelhut entreprit la rédaction de ses mémoires. Dans l'espoir d'une publication, il envoya un manuscrit de 1350 pages environ, mais toujours inachevé, à des amis et à la Deutsche Kinemathek. On ne sait pas s'il en a jamais terminé la rédaction. L'extraordinaire exactitude, confinant à la pédanterie, de ce texte en a empêché (et risque d'en empêcher encore) la publication. Kettelhut y décrit chacun de ses travaux avec la passion du détail, dans des formulations minutieuses et parfois prolixes. En Allemagne, de brefs passages du manuscrit inédit sont cités dans les livres d'histoire du cinéma. Une sélection de ses textes sur les films déterminants de la république de Weimar est en préparation. Le chapitre sur Metropolis reproduit ici a dû être abrégé, lui aussi, le texte complet débordant le cadre d'une revue. Je remercie Freya Gräfe pour l'autorisation d'adapter le texte pour la publication et de le publier. Werner Sudendorf Nous commençâmes à nous occuper de Metropolis aussitôt après la présentation de la deuxième partie des Nibelungen. « Erich », me dit Otto Hunte, « j’ai lu le manuscrit, il y a une masse de choses pour nous là-dedans. Sois demain à 3 h de l’après-midi chez Mme von Harbou, Hohenzollerndamm, tu liras le scénario. Pour l’instant, il n’en existe que l’original et deux copies. Alors, prends des notes. » Le lendemain, je me trouvais donc dans la belle pièce que j’appelais « musée chinois » ; derrière moi une tapisserie avec un dragon rouge, en face de moi une tête monumentale de Bouddha, je lus le volumineux scénario. En effet, il y avait là-dedans une masse de choses pour nous. Tous les truquages les plus raffinés dont nous disposions à l’époque devaient être mis en œuvre. Il y avait de plus des constructions imposantes où devaient évoluer de grandes masses humaines. Il fallait différencier trois niveaux : la ville de la lumière, de la circulation et de la joie de vivre ; le monde du travail et de la production ; la ville de l’ombre, la cité des travailleurs esclaves. Tous les décors et visions nécessaires étaient décrits de manière si impressionnante qu’il ne pouvait y avoir aucun doute sur leur caractère et leurs dimensions. Comptes rendus rien ne doit gâcher, surtout pas un présage ou un mauvais signe. Qu’est-ce que ce plan ? Un équivalent possible à Samson Raphaelson, Amitié. La l’image anamorphosée dans les Ambassadeurs dernière retouche d’Ernst Lubitsch, (1533), le tableau du peintre et dessinateur alle- 1981, traduit de l’anglais mand Hans Holbein, dit le Jeune. Et son équiva- par Hélène Frappat, lent, d’un art à l’autre, tant pour sa valeur d’in- éditions Allia, Paris, 2006, 69 p. trusion incongrue (que fait cette image dans l’image ? ce plan entre les plans ?) que pour ce qu’il représente ; dans le cas de Holbein, une tête de mort, un crâne. La petite feuille, cette Dans les premières minutes de Trouble in « Lubitsch touch », vient troubler, « rider » le Paradise (Haute Pègre, 1932), Ernst Lubitsch moment et sa surface en rappelant par sa seule glisse un plan insolite, presque un insert muet, et présence que tout n’est que de saison, tout n’est dans ce plan un détail, l’un et l’autre d’une utilité que vanités, et l’amour, le bonheur, les corps narrative et comique égale à zéro, au point que impeccables, immanquablement défaits par le les deux protagonistes ne s’en émeuvent appa- temps – même si, dit aussi Lubitsch, le jeu en remment pas, dans ce film pourtant si « parlant » vaut et en vaudra toujours la chandelle. Cette n’en font aucun commentaire, Lubitsch lui- feuille, c’est l’heure qui tourne (One Hour With même n’y revenant plus de tout le film, laissant You, 1932), et dans Trouble in Paradise on n’en le mystère entier et le spectateur se débrouiller finira pas de regarder horloges et pendules faire comme un grand : le beau Gaston Monescu leur travail, imperturbables tic-tac comme si, (Herbert Marshall), véritable gentleman cam- finalement, la feuille s’était métamorphosée en brioleur, fume une cigarette au balcon de sa cadran. Et quand la femme tant désirée apparaî- luxueuse chambre d’hôtel en contemplant la nuit tra, de nouveau la fête recommence, les bons vénitienne et dans l’attente d’une femme. Pas mots, l’esprit virevoltant, le temps comme sus- n’importe laquelle, celle qu’il pressent, lui le pendu, plus que la fête le ravissement d’une pré- monte-en-l’air, comme la femme de sa vie. sence qui dépasse les espérances de l’homme S’ensuit un dialogue très drôle avec le major- (parce qu’il découvre qu’en tout point elle lui dome de service où l’on discute du menu de la ressemble ?…), jusqu’au baiser sur le canapé… soirée. Bref, Herbert Marshall est tout à l’impor- filmé en une sorte de fondu qui laisse le canapé tance de l’instant, oublieux du reste, quand s’in- mais fait disparaître les deux corps enlacés avant sère le plan inattendu : celui d’une toute petite que ne s’ajoute sur du vide un passage au noir feuille d’arbre qu’on n’a pas vue tomber et qui qui dit la messe (des morts). s’est posée sur un pan de sa veste. Le major- Cette conscience entêtante du temps (début de dome, habitué à soigner les détails, la remarque, définition d’un cinéaste) et du temps qui passe la recueille et la tend à Marshall comme s’il avait pour lui comme pour les autres, mais lui d’une reçu une lettre. Marshall l’observe, perplexe, sur sensibilité maladive à cet écoulement, Lubitsch son visage une moue minimale, l’ombre blanche (1892-1947), quand il n’aura plus le temps de d’un soupçon de tristesse, puis n’y pensant plus faire court et devra en quelque sorte s’assurer ou ne voulant plus y penser s’en débarrasse et d’être compris avant qu’il ne soit trop tard, n’en passe à la suite, ce moment tant attendu et que fera plus un plan furtif mais son film le plus 186 | Comptes rendus d’heures que de jouer à jouer la montre et Il y a, tout à la fin de l’ouvrage que Jean Lubitsch, dans le corps même du film, d’accélérer Narboni consacre à Mikio Naruse, une photo- encore et encore à coups de rencontres précipi- graphie pleine page du cinéaste. Il peut avoir tées (là, juste derrière la porte), de contrechamps 35 ans. Sur ses genoux, on devine un scénario. obstinément refusés, de distances abolies et d’el- Assis à côté d’une caméra, le bras droit légère- lipses supersoniques. Jouer la montre pour ment relevé, il tient un crayon. Une scène se met prendre le temps de vitesse, jouer la montre en place. Dirige-t-il une séparation, une étreinte, jusqu’à y croire (principe de plaisir), jusqu’à une fuite ? S’agit-il de désespérance, d’attraction faire tourner les aiguilles dans le sens inverse des amoureuse ? Espère-t-il un regard transparent, bobines. Car seule la projection remet les choses le rire tranchant d’une actrice ? Mais ce qui dans l’ordre et la fin à sa place, obligeant les pointe ici, c’est la tenue du crayon, pincé entre le deux compères à rêver un autre film pour que le pouce et l’index. Mikio Naruse semble peindre charme opère encore… un temps. une toile fictive, un espace invisible plaisant à Qu’espérait Raphaelson de ce texte de 1981 ? Le imaginer. L’inclinaison est celle d’un pinceau et retour cette fois du fantôme de Lubitsch ? Ou le geste ressemble à un habile et impalpable tou- plutôt ce qu’il disait déjà de son oraison de ché, comparable au nécessaire et excitant travail 1943 : « Il ne m’était jamais apparu par le passé du livre : si Naruse procède ici par touches, les aussi clair, précis, décisif, grâce à cette mise au Temps incertains aussi. L’approche, l’évocation, point qu’opérait la mort. » Mais cette fois, c’est l’étude d’un cinéaste qui devra désormais se voir celle de Raphaelson qui vient, et le point pas debout. encore net sur les plus belles années de leur vie. Pour porter une œuvre, peut-être faut-il partir Un texte testament donc, mais inachevé à son du hasard, ou plus justement de l’imperceptible, tour et de toute façon interminable, avant que de identique à celui qui traverse les actes, desseins rejoindre son ami en enfer, ce paradis des mau- et affects de bien des personnages narusiens. vais garçons qu’en d’autres temps – Heaven Jean Narboni remarque combien la salle où fut Can Wait encore – ils avaient rêvé ensemble en récemment montrée une partie de l’œuvre du Technicolor. Mais n’était-ce pas justement leur cinéaste – la Cinémathèque des Grands meilleur trait d’esprit, leur chef-d’œuvre, la plus Boulevards, une des plus anciennes salles de belle des conjurations : d’avoir tout le temps Paris –, est proche par nature du quartier où se représenté les vivants en noir et blanc et, au déroule la première fiction parlante de Naruse. final, les morts en couleurs ? Un quartier populaire où, là encore, fut ouvert Bernard Benoliel en 1903 le premier espace entièrement dévolu au cinéma. Une fois happé par cette boucle, ce raccourci de temps, d’espace et d’esprit, le récit peut se bâtir en vagues et élever Mikio Naruse Jean Narboni, Mikio Naruse, les dans une historicité éclairant ses vies et périodes Temps incertains. créatrices successives. Cahiers du cinéma, Collection L’ouvrage ressemble à une œuvre de Naruse : il Auteurs, mai 2006, 288 p. se confond non seulement avec la chair des films mais aussi avec leur construction, cet ensemble de rythmes, de sensations, d’instants perméables aux sursauts, aux retours en arrière et aux pauses Comptes rendus | 189 faire une histoire de famille, elle ne pourrait être t-on pas de liaisons orageuses, de dépressions que fraternelle et s’éloigner des litanies compa- qui conduisent parfois à des éclaircies résolues ratives sur les deux cinéastes. On y apprend ou fatales ? Grondements, pluies soudaines, l’admiration du réalisateur de Voyage à Tokyo printemps mités... les temps qui se couvrent per- pour celui qui lui fut longtemps comparé défa- mettent parfois de s’abriter de toutes évidences, vorablement. Découvrant Nuages flottants Ozu de toutes vérités, de toute éternité. Les fragilités est bouleversé, son travail de cinéaste l’est aussi ; réelles vécues par les personnages et ressenties l’empreinte de cette œuvre le marquera sur par les spectateurs prouvent bien que les desti- Crépuscule à Tokyo, tout comme Bon courage nées et les avancées chez Mikio Naruse sont larbin !, film de 1931 réalisé à la Shochiku, avait proches des prévisions atmosphériques : ce qui précédé dans sa forme et ses préoccupations doit arriver ne s’inscrit pas toujours immuable- Gosses de Tokyo. ment dans le cours d’une vie ; les gestes, respira- Les œuvres de Naruse étant aussi des histoires, tions, regards suffisent tel un battement d’ailes la seconde partie des Temps incertains, « Films de papillon à provoquer un ouragan ou convo- au gré du courant », est consacrée à une impor- quer une accalmie... Et il nous plaît de penser tante description des films. Trente œuvres sont que le jour ou Mikio Naruse est mort, peut-être très précisément racontées, une filmographie à l’approche d’un automne, l’emploi du temps complémentaire approchant les autres suit ce de plusieurs éléments naturels fut chargé ; le chapitre. Loin des synopsis lapidaires, c’est un vent se leva et fit place aux pluies, aux éclairs, long et détaillé voyage au cœur des fictions. aux nuages. Épars. Et flottants. Récits à part entière, le plaisir et l’instruction Alain Keit retirés y sont multiples. Au-delà de leur déroulé, les scénarios de Naruse n’apparaissent pas comme des squelettes sur lesquels le cinéaste impose sa forme ou sa modernité. On suit ce qui Elena Dagrada, Le varianti se passe, on y découvre non pas une trame mais trasparenti. I film con Ingrid un tramé, ce qui se joue des drames, idylles, Bergman di Roberto Rossellini, morts, et rebondissements qui soulignent des Università degli Studi di Milano, constructions narratives souvent passionnantes. Led (Il Filarete), 2005, 478 p. On pourrait, tenté par le jeu des comparaisons, apposer ce qui sera vu – ou l’a été – à la lecture de ces instants de vie contés ; on n’y trouverait Le varianti trasparenti sera désormais un livre pas le retour à l’identique, mais un plaisir com- incontournable 1 pour tout chercheur qui s’inté- plété ; d’autres histoires, et pourtant les mêmes. resse à Rossellini. Il porte sur les films faits avec Ingrid Bergman dans les années 1950, ceux qui Quant aux « Temps incertains », ce titre en bulle- ont été à la fois un échec public et commercial, en tin cinémétéographique pourrait laisser croire particulier en Italie, et un mythe cinéphilique, que l’œuvre ne tient qu’en déséquilibres d’affec- surtout en France : « S’il est un cinéma tions, en inconstances régulières ou en promesses moderne, le voilà ! » (Rivette, à propos de de tempêtes toutes humaines... Ce n’est pas que Voyage en Italie 2). En les constituant comme un vrai. Certes les termes climatiques sont propices ensemble, un « polyptyque », Elena Dagrada aux atmosphères familiales et aux comporte- permet de reconsidérer aussi bien les ennuis ments amoureux peints par Naruse. Ne parle- d’Ingrid Bergman aux prises avec une poule 194 | Comptes rendus Jean-Luc Godard / Documents précisément reconfigurer, c’est-à-dire revisiter Nicole Brenez, David Faroult, en ajoutant aux films eux-mêmes les disques, Michael James livres, et nombreuses interventions de Godard Williams, Michael Witt (collectif Temple, dans d’autres films que les siens ou à la télévi- de direction), Paris, Éditions du sion ou dans la presse, mais aussi les bandes- Centre Pompidou, 2006, 448 p annonces de ses propres films ou d’autres 1 ; 2/ + DVD. envisager l’Œuvre de Godard comme une pensée en mouvement, qui évolue de manière organique dans des directions imprévues, qui implique de Jean-Luc Godard / Documents est paru à l’occa- ne pas s’en tenir à des acquis théoriques, sans sion de l’exposition « Voyage(s) en utopie, Jean- cesse amenés à évoluer ; 3/ affirmer que cette Luc Godard, 1946-2006 » et de la rétrospective œuvre reste encore à découvrir et à analyser ; 4/ intégrale des films de Jean-Luc Godard au et qu’il faut pour cela de nouveaux outils et de Centre Pompidou à Paris, d’avril à août 2006. nouvelles méthodes dont ce chantier d’études ne On ne peut pas le qualifier de catalogue d’expo- serait qu’une ébauche, c’est-à-dire une proposi- sition, au sens traditionnel du terme, puisque au tion méthodologique. moment où s’achevait le livre, personne (Godard Si de tels propos peuvent paraître présomp- lui-même ?) ne savait encore ce que serait l’expo- tueux, il suffit de se plonger dans l’ouvrage, et sition, et que le livre n’en rend donc pas compte pourquoi pas de comparer ce qui a pu être écrit directement. Ce livre imposant et ambitieux ailleurs sur tel ou tel film, pour comprendre consiste en une présentation chronologique effectivement une certaine distance parcourue d’un choix de documents de natures diverses : entre les analyses existantes et ce travail de pré- ceux qui ont servi à la conception et à la prépa- sentation factuelle. Il est par exemple tout à fait ration des films ; ceux qui ont accompagné leur éclairant de lire Alain Bergala demander à sortie (dossiers de presse, bandes-annonces…) ; Godard avec malice : « C’est un moment où vos et ceux qui sont issus des films (publications déri- films ont un côté enquête du Nouvel vées ou concomitantes, parfois sans lien direct Observateur 2. », à propos des films des années avec le film, mais dont le propos recoupe des 1960, et d’apprendre dans le détail grâce à préoccupations cinématographiques). Tous Michael Uwemedimo que l’Express du 3 octobre donnent des éclairages et explicitent les posi- 1957 publiait un questionnaire « destiné à tous tions politiques, esthétiques et éthiques du les Français, hommes et femmes, qui ont entre cinéaste. Nicole Brenez et Michael Witt précisent 18 et 30 ans » intitulé la « Nouvelle Vague » la démarche en ouverture : « À partir d’une [p. 20-21], ou de lire Émile Breton citer une reconfiguration du corpus à la lumière de enquête sur « les mères de famille prostituées “Voyages(s) en utopie”, et tout en reconnaissant occasionnelles » que l’évolution organique continuelle du projet Observateur du 10 mai 1966, année de la réalisa- godardien dans des directions imprévues néces- tion de Deux ou trois choses que je sais d’elle. On sitera d’autres méthodes d’examen dans le futur, peut mesurer les différences d’appréhension des nous avons souhaité commencer à documenter sources entre le texte de James S. Williams, cette entreprise, dont bien des pans restent à ce approfondissant l’apport du livre du juge jour méconnus. » [p. 11] Soit quatre hypothèses Sacotte sur la prostitution, qui a manifestement de départ qui structurent le projet : 1/ parler de servi de base à Godard pour l’écriture et la réa- corpus plutôt que de filmographie, qu’il faudrait lisation de Vivre sa vie, et le peu de place (une parue dans le Nouvel | 203 Génériques du dvd Truth and Illusion An Introduction to Metaphysics (Vérité et Illusion - Introduction à la métaphysique) Ce film a été Écrit Réalisé Photographié Commenté par Nicholas Rodiv Assistant : Michael Neary Monteur : Fred Y. Smith Caméra Beaulieu 1965 Couleur 16 mm 25 mn Metaphor King Vidor Meets With Andrew Wyeth (Métaphore - King Vidor rencontre Andrew Wyeth) Photographes : Bri Murphy Deone Hanson Monteurs : Rex McGee Chris Cooke © 1980 by King Vidor Productions Le film comporte des extraits de The Big Parade (la Grande Parade) de King Vidor (1925) Couleur 16 mm 35 mn Nous remercions David V. Adams et le King Vidor Trust de nous avoir autorisés à éditer ces deux films ; Martin Scorsese et Mark McElhatten à avoir mis à notre disposition les éléments en leur possession de Truth and Illusion - An Introduction to Metaphysics ; Catherine Berge d'avoir mis à notre disposition sa copie 16 mm sous-titrée de Metaphor - King Vidor Meets With Andrew Wyeth ; Tag Gallagher pour son dévouement à ce projet, ses informations et ses suggestions de chaque instant.