protocole pour les douleurs du membre fantôme

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protocole pour les douleurs du membre fantôme
PROTOCOLE POUR LES DOULEURS DU
MEMBRE FANTÔME
Robert H. Tinker et Sandra A. Wilson
[Traduction des pages 151-154 de l'ouvrage EMDR Solutions: , Robin Shapiro ED., Norton, New York, 2005.
Seul un usage strictement personnel de cette traduction est autorisé. ]
Trad. F. Mousnier-Lompré - Août 2007
[...]
Globalement, le protocole pour les DMF comprend trois parties : recueil de l'histoire et
construction de la relation, puis ciblage du traumatisme de l'expérience, et enfin ciblage
de la douleur elle-même.
PREMIERE ETAPE : HISTOIRE DU CLIENT, PREPARATION (DEUX A TROIS HEURES)
La première séance est consacrée à comprendre ce qui s'est passé, quelles blessures le
patient a subies, ce qui les a causées, ce que l'amputé ressent envers tout cela, ce qu'il
peut faire. En tant que thérapeute, vous construisez d'abord de la confiance entre vous,
de sorte que la personne se rende compte que vous ne pensez pas qu'elle est cinglée.
Prenez une demi-heure pour lui faire comprendre que vous prenez très au sérieux le
traitement d'un phénomène comme la douleur du membre fantôme qui "n'existe" pourtant pas physiquement. Vous normalisez ainsi son expérience. Ces personnes ont sou-
vent des images mentales ; presque tous les amputés ont des images bloquées du moignon, ou de leur accident, et ils veulent que vous les voyiez à travers leurs yeux. Demandez-leur comment ils ont obtenu une prothèse, comment c'était la première fois qu'ils
ont vu le moignon, et la première fois qu'un membre de leur famille les a vus sans leur
membre.
Vous risquez de perdre toute efficacité si vous montrez la moindre répulsion. Devenez
amis avec le moignon. Souvent, ils voudront vous faire toucher le moignon, ou retirer
leur prothèse pour que vous la regardiez et en disiez quelque chose. Ils parlent souvent
des fonctions qu'ils ont avec la prothèse et sans elle.
Au cours de la deuxième heure, demandez les changements survenus dans leur mode de
vie, dans leur estime d'eux-mêmes, et enquérez-vous des thérapies et des traitements
médicamenteux qu'ils ont déjà eus. Demandez les changements survenus dans leur vie
au plan social, professionnel, des loisirs, au plan sexuel, au niveau de la qualité de vie, de
l'impact sur leur famille, et sur leurs activités en général. Vous allez obtenir le récit de la
réorganisation de leur vie toute entière. Ils mettaient 20 ou 30 minutes à se préparer le
matin ; maintenant, cela leur prend une heure et demie. Cela prend une heure et demie
pour se coucher ou pour prendre un bain. Je leur demande : "Qu'est-ce qui vous manque
le plus depuis que vous avez perdu votre jambe ?" Ils disent que ce qui leur manque le
plus, c'est de pouvoir passer la tondeuse à gazon, faire les courses facilement, faire de
l'escalade, de la randonnée, ou du cheval. La perte et le chagrin sont symbolisés dans la
perte d'une activité. Après la disparition des DMF et du traumatisme, ils reprennent
souvent cette activité. Ils refont du golf, leurs courses, ou s'ajoutent de nouvelles activités, comme le ski.
Enquérez-vous des réactions de la famille. La plupart des familles ont des symptômes de
SSPT liés au traumatisme du patient. Par exemple, les enfants sont traumatisés parce
que leur mère a perdu une partie de sa jambe. En conséquence, le comportement des
enfants change.
Les patients développent des problèmes d'estime de soi après une amputation. Ils se
sentent diminués par la réaction des gens face à l'absence d'un de leurs membres. Tous
parlent des regards systématiques et des réactions de sursaut des étrangers, particulièrement les enfants. Ceux-ci montrent du doigt et regardent fixement, parce qu'il est in-
concevable pour eux de ne pas se représenter entiers. Les patients ont tendance à se
retirer de plus en plus au fil du temps. Vous parlez de tout cela, et puis de la question de
la séduction. Les femmes se sentent moins attirantes si on les a amputées d'une jambe
que si elles ont perdu un bras ; de même pour la perte d'un sein. Les hommes ressentent
davantage une perte d'estime de soi en cas d'amputation d'un bras, que d'une jambe.
Au cours de la troisième heure, nous revenons au membre, et nous faisons un relevé détaillé de chaque partie du membre qui fait mal, et comment elle fait mal. Nous utilisons
la très courante échelle NAS (Numeric Analog Scale, de 0 à10, où 10 est la pire douleur
imaginable) pour évaluer l'intensité de la douleur. J'utilise aussi l'Echelle de douleur de
McGill dans l'entretien. Elle contient un dessin du membre, avec toutes les questions
mentionnées ci-dessus. Elle évalue plusieurs sortes de douleurs sur quatre niveaux (aucune douleur, douleur légère, modérée, forte), comprenant des descriptions comme
"élancements, coups, coups de poignard, crampe, douleur lancinante, brûlante, déchirante, sourde, douce, terrible". Elle évalue aussi la réaction du patient à la douleur de
"aucune" à "forte", en termes de "fatigue-épuisement, écœurement, peur, punitioncruauté".
En général, lorsque les amputés nous arrivent, ils ont essayé à peu près tout pour se débarrasser de leurs douleurs : thérapies corporelles, massages, médicaments et diverses
techniques. Souvent un neurome (un paquet de nerfs) se forme à l'extrémité du moignon, et ils vous en parleront. Cela devient une question centrale ; le traitement qui vient
en quatrième position pour les douleurs du membre fantôme est l'excision chirurgicale
du neurome, ce qui raccourcit le membre. Mais plus le chirurgien raccourcit le moignon,
plus le patient risque de perdre sa fonction. Si les chirurgiens accusent le neurome de la
douleur du patient et amputent davantage du membre, c'est parce qu'ils ne comprennent pas la cause des DMF.
EVALUATION ET DESENSIBILISATION (DEUX A CINQ SEANCES)
A la fin de la troisième heure d'entretien clinique, nous définissons la première cible
EMDR. Nous commençons par demander : "Qu'est-ce qui a été le plus traumatisant
dans votre amputation ?" Nous complétons notre évaluation EMDR sur ce pont, et
c'est notre première cible. Dans la séance suivante et, si nécessaire, d'autres, nous
traitons toutes les cibles traumatiques autour de l'amputation.
Quand ces cibles ont disparu, nous revenons à l'échelle de douleur. Au préalable, les
patients ont rempli une description approfondie de leurs douleurs. Ils ont indiqué
leurs doigts de pied ou leur poignet, ou leur cheville, qui ne sont plus là, comme
siège de la douleur, ce qui constitue une véritable validation de ce qu'ils vivent. Nous
avons mesuré ensemble la quantité de douleur logée dans le gros orteil (absent) qui
est recroquevillé. Ils ont fini par parler en détail de leur douleur, ils ont obtenu une
certaine validation de celle-ci. Quand nous sommes prêt à faire le retraitement, nous
sommes déjà familier de cette douleur, nous avons traité le traumatisme psychol ogique, et il est alors facile de dire :"On va se centrer sur la douleur la pire, le gros
orteil tiré en arrière, qui est à 8 ; on va commencer par ça." Souvent, si vous co mmencez avec la douleur la pire, le reste de la douleur est soulagé également. Si vous
n'obtenez pas de généralisation complète, passez à la douleur suivante, puis à la su ivante encore.
Cependant, la douleur peut être très compliquée : dans un pied, vous pouvez avoir
une crampe dans les orteils, une sensation de brûlure, et une sensation de torsion. Il
faut obtenir une description détaillée du membre manquant, de l'emplacement de la
douleur et de la nature exacte de la douleur. Vous allez avoir une crampe au mollet,
une cheville tordue, une crampe aux doigts de pied, une crampe au pied, et vo us ciblez exactement chaque douleur, en les prenant une par une, en commençant par la
pire. Chacune reçoit une mesure NAS. Vous continuez l'EMDR, le patient centré sur
sa douleur, jusqu'à ce que celle-ci change ou disparaisse. Souvent, en effet, la douleur change avant d'être éliminée, de façon assez similaire aux émotions qui se modifient en EMDR au fil de leur diminution. Le patient vous rapportera parfois des
sensations de picotement ou de grattement, suivies d'autres changements, avec par
exemple le pied qui se détend. Depuis que je fais ce travail, le mot "détente" est
probablement devenu mon mot préféré, avec "amour". Quand les gens me disent que
le membre se détend, je sais que la douleur est en train de s'en aller.
Les amputations du bras et de la main nécessitent plus de séances EMDR que les
amputations de la jambe. L'explication physiologique de ce fait est en rapport avec
la taille et la complexité de la représentation de la main dans l'homoncule au niveau
cérébral. Les plus grosses parties de l'homoncule sont celles de la lèvre et de la
main, la jambe a une part moindre. La représentation de la main dans le cerveau occupe une grande surface ; le pouce a sa propre zone, considérable aussi ; les zones
des doigts, de la main et du poignet sont plus petites.
Avec un patient qui avait été amputé d'un bras, nous avons mieux réussi le trait ement des DMF en stimulant la lèvre supérieure, à gauche et à droite, qu'avec les
mouvements oculaires. En termes d'homoncule, la lèvre est contiguë à la main. Nous
avons stimulé la lèvre avec le Tac/Audioscan, en scotchant les contacts de chaque
côté de la lèvre. Nous avons également fait en même temps des tapotements sur les
genoux ou les épaules, et nous avons utilisé seulement les stimulations bilatérales
sur la lèvre ; c'est efficace, mais on avance plus vite avec les amputations du bras et
de la main en se servant de plus d'une sorte de stimulation bilatérale.
Pour nous résumer : vous faites trois heures de construction de la relation, de r ecueil du récit, et de sélection des cibles. Vous faites une séance (ou plusieurs)
d'EMDR sur le traumatisme de l'accident et la détresse qui lui est liée. Puis vous travaillez directement sur la douleur jusqu'à ce qu'elle disparaisse. Quand il s'agit
d'une amputation de jambe, ou d'un doigt, ou d'une mastectomie, cela prend en général une seule séance. Pour un bras ou une main, cela peut prendre plus. La stimulation de la lèvre supérieure peut traiter plus vite la douleurs des amputations du
bras et de la main.
Quand la douleur est traitée, vous pouvez prendre contact avec le médecin prescripteur, pour obtenir l'arrêt des médicaments antidouleur. Ces médicaments supprimés, vous faites un suivi de votre patient pour vous assurer que la douleur n'est pas
revenue.[...]
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