Maxime Gontier_L3_Comme une lettre à la poste_Nouvelle_Efrei
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Maxime Gontier_L3_Comme une lettre à la poste_Nouvelle_Efrei
Maxime Gontier Promo 2016 Comme une lettre à la poste Nouvelle Collection « Et si j’étais un écrivain ? » / 2014 – Ecole Efrei Projet de création d’une nouvelle littéraire, cursus L3 Département Culture et Communication, Jean Soma En ce mercredi après-midi ensoleillé du 11 mai 1960, au Havre, c’est jour de fête pour la centaine de milliers de spectateurs qui assistent au lancement du « France », LE paquebot, LE fleuron, LA fierté de la marine marchande et commerciale française. Tout le monde est là. Le Président de la République et Madame (la marraine), des ministres, un évêque, la majeure partie des ouvriers des chantiers navals de Saint-Nazaire et de Normandie, une bouteille de champagne et son ruban, le commandant, les musiciens pour la Marseillaise, des marins, les curieux, des journalistes, mon arrière-grand-père, Hector Duval , qui a travaillé comme menuisier naval sur le paquebot, grand-mamy, mon père Jean, bref, que du beau monde. Lorsqu’il se lance enfin, dans un de ses élans dramatiques dont le Général a le secret, son « Vive le France, vive la France ! » fait frémir la foule. C’est beau comme du De Gaulle, tout le monde retient son souffle. Sauf Jean, qui en a un peu marre lui. Il a faim, soif. Il est fatigué, trop de bruit l’entoure, mal aux pieds, envie de faire pipi, bref c’est un enfant de 5 ans qui ne comprend pas trop ce qu’il fait là et qui serait mieux ailleurs, dans sa chambre, avec son jouet préféré : une panoplie de cow-boy apportée par le Père Noël par exemple. Alors on rentre vite à la maison, mais juste avant de partir, grand-papa Hector a la drôle d’idée de s’envoyer, chez lui à Rouen, une carte postale en couleur dans une enveloppe timbrée, une oblitération pour un jour inoubliable. Un beau souvenir en perspective, qui ne manquera pas de faire l’admiration de son entourage et pourquoi pas des générations futures. On ne rigole pas avec ça chez les Duval. Les visites et les évènements importants sont marqués d’une pierre blanche, voire d’une carte postale lorsqu’on est de sortie. On a vu pire à la maison en matière de souvenirs hétéroclites : poupées, petites cuillères, assiettes, coquetiers, médailles, tableaux étranges, que du beau… Toujours est-il que quarante ans plus tard, moi, Mathis Duval, j’ai hérité des souvenirs et donc de la carte postale en couleur, de l’enveloppe et de son timbre oblitéré. J’avoue, à ma grande honte, que j’ai trouvé une utilisation plus pratique du « trésor familial », après l’avoir rangé dans une petite pochette en plastique transparent pour le protéger. Malgré sa grande valeur sentimentale et pécuniaire, c’est devenu un marque-page. Ce n’est pas que l’argent me laisse indifférent : en cas de besoin, j’ai toujours l’enveloppe sous la main. Je ne suis finalement qu’un pauvre petit étudiant et comme dit mon grand-père : « il te restera toujours une poire pour la soif ! ». Cinquante ans plus tard, à l’occasion d’un séjour improvisé de quelques semaines en Angleterre, fin 2013, j’ai eu l’opportunité de me rendre, à peu de frais, en Norvège, pour un week-end prolongé de 3 jours. Magnifique voyage, plein de rebondissements. Visite d’Oslo, de son fjord, du palais royal, de la citadelle, du musée consacré à Munch dont le cri résonne encore en moi, de la cathédrale, bref, la tournée obligatoire du touriste moyen. Sans oublier, bien sûr, le café Christiania, lieu mythique de la vie nocturne d’Oslo, l’endroit idéal pour goûter les bières et la cuisine locale (bio), mais surtout pour rencontrer les autochtones. Eh bien ! ça marche, car c’est là que j’ai fait la connaissance de Sofie. Sofie Iversen est une jeune fille évidemment blonde, grande, athlétique, toujours souriante, saine, ouverte aux autres, sans complexe. C’est l’archétype de la scandinave pour le latin que je suis malgré tout. Mais j’en suis très satisfait, pour des raisons qui m’échappent encore aujourd’hui, l’habitude et les traditions peut-être ou l’arrogance française comme disent nos voisins jaloux. Sofie est étudiante en économie à l’université pour les sciences de la vie d’Oslo. Elle me raconte, entre autres, qu’elle est la petite fille de Tage Wandborg, ce dont elle est très fière. Il est le dernier architecte naval qu’ait connu le paquebot France lorsqu’il est devenu le Norway en 1979. Un miracle, enfin un point commun avec la belle norvégienne que je pense pouvoir éblouir avec mon histoire familiale. Par contre, je m’aperçois bien vite que les exploits navals de mes aïeux font pâle figure en comparaison des siens. Pensez donc, un architecte comparé à un ouvrier et à de simples spectateurs. Alors, je sors de ma poche le livre qui contient l‘enveloppe marque-page, l’arme fatale, le graal, la relique sainte, l’objet mythique, le trésor. Peut-être par compassion ou par intérêt soudain, elle daigne y jeter un coup d’œil et semble tout à coup émue. J’ai même l’impression qu’elle me regarde différemment. Je suis sur un nuage. Aurais-je le sésame pour que la belle s’intéresse un peu plus à moi ? Elle m’apprend que son grand-père Tage fait collection de tout ce qui se rapporte de près ou de loin au paquebot et qu’elle va m’organiser une entrevue avec le patriarche pour le lendemain. Devant la porte de la grande maison de M. Wandborg, je suis à l’heure, sur mon trente et un, dans mes petits souliers et j’offre un petit bouquet de fleurs pour Sofie. Pas facile d’éviter que les fleurs ne gèlent, on est en novembre et en Norvège. L’enveloppe est dans ma poche, bien au chaud, et j’ai révisé l’histoire du bateau. Vive internet ! Car J’ai appris beaucoup de choses et je suis prêt à affronter le grand-papa norvégien. Le vieil homme s’avère être quelqu’un de charmant, d’érudit en ce qui concerne LE bateau, de très intéressant mais sans pour autant vouloir absolument éblouir son auditoire. Je visite le petit musée familial pour lequel une pièce entière de la maison a été consacrée. Magnifique ! J’admire. Le vieux guide est très fier. Sofie me sourit. Arrive enfin le moment tant attendu, le seul pour moi, en présence de Sofie. Tout en tremblant et en rougissant, je sors l’enveloppe de ma poche et la présente à Tage. Il plisse le front, sort une loupe d’un tiroir, s’empresse d’ausculter la lettre et, après un moment d’indécision, se met à rire, mais à rire comme si on venait de lui raconter la dernière blague du Toto norvégien, celle où le gamin pêche un saumon poilu dans un fjord, mais c’est une autre histoire. Papy Tage me tend l’enveloppe, la loupe et me montre l’oblitération. Je lis : « Le havre, jeudi 12 mai 1960, 7 heures 42 ». Je ne comprends pas tout de suite l’hilarité générale, mais c’est de courte durée. De rouge, je deviens cramoisi. La date ! La mythique enveloppe est datée du lendemain du grand jour. On nous aurait menti durant toutes ces années, ma famille et moi, spoliés de ce souvenir parfait, de cet objet qui faisait que Sofie m’avait écouté, regardé et qui ne valait plus rien, ni pour elle, ni pour moi ? De retour à Paris, j’ai souhaité en savoir plus sur cet échec norvégien et personnel, savoir pourquoi la lettre n’était pas datée du 11, mais du 12 mai 1960. J’ai fait ma petite enquête. J’ai appris, après quelques recherches, que la direction de La Poste du Havre a accordé, le jour du lancement du France et à titre exceptionnel, un après-midi de repos à son personnel afin que les postiers qui le souhaitent puissent se rendre à la manifestation. Un pareil évènement dans la région, c’est plutôt rare et pas banal. Pensez donc, ma pauvre dame, le Général sera là et il fait beau ! Les souvenirs des uns ne sont pas ceux des autres, on ne peut pas et on ne doit pas se les approprier. En tout état de cause, le courrier peut bien attendre quelques heures mais, pour moi, c’est trop tard. Cette histoire s’appuie sur des faits et des personnages réels (l’inauguration, l’enfant, le papy menuisier du France, l’architecte norvégien, ma visite en Norvège) et sur des épisodes dont j’aurais aimé qu’ils soient vrais pour certains et pas du tout pour d’autres.