171111 Egypte

Transcription

171111 Egypte
47
rue
de
Babylone
•
75007
Paris
•
France
Tél.
:
33
(0)1
53
63
37
70
•
Fax
:
33
(0)1
42
22
65
54
[email protected]
•
www.futuribles.com
Note de veille, 17 novembre 2011
L’Égypte, huit mois plus tard… : quelles perspectives politiques ?
Le processus électoral a été entamé en Égypte, le 12 octobre 2011, par l’ouverture des
candidatures aux parlementaires. Le processus révèle une réelle complexification du champ
politique égyptien et se déroule dans un contexte gouvernemental fortement controversé. Le
chaos sécuritaire, la persistance des problèmes sociaux et économiques, et le manque de
conscience politique en toile de fond représentent des défis qui alourdissent les doutes sur
l’avenir. Un tableau qui mérite cependant d’être nuancé.
Un champ politique complexe
La subsistance de figures de l’ex-parti au pouvoir
Malgré la chute de Mohammed Housni Moubarak, le 11 février 2011, la dissolution du Parti
national démocratique (PND) par décision de justice le 16 avril, et l’engagement de
procédures judiciaires contre des figures emblématiques du parti, de nombreux cadres du
PND restent encore fortement présents dans la vie politique égyptienne. Ainsi, certains
d’entre eux ont annoncé officiellement leur intention de prendre part aux élections
parlementaires, à travers la création de nouveaux partis. Il conviendra d’analyser la suite
donnée à cette volonté et son impact sur la société égyptienne, d’autant plus que de nombreux
jeunes, hommes et femmes, qui ont occupé la Place Tahrir dès le 25 janvier, se sont portés
candidats.
C’est un mouvement massif et très nouveau qu’il convient d’apprécier comme une
conséquence prometteuse des événements révolutionnaires. Il importera de mesurer si la
légitimité accordée par la participation aux mouvements de libération sera suffisante pour
s’opposer efficacement à l’expérience de terrain et au soutien des réseaux clientélistes dont
bénéficient les figures du PND. La sociologie du parlement égyptien s’en trouverait alors
transformée, et des changements radicaux pourraient émerger quant à la représentation du
peuple égyptien et à sa participation à la vie politique en Égypte.
Comment interpréter la multitude des partis à référence islamique ?
À ces deux extrêmes (PND et Coalition des jeunes révolutionnaires ou jeunes indépendants)
viennent se rajouter de nombreux candidats issus des différentes mouvances des Frères
musulmans (Al Wasat, le Centre, créé dès 1996, le Parti de la liberté et de la justice, créé en
juin 2011, Parti officiel des Frères musulmans aujourd’hui et d’autres tendances plus ouvertes
à la modernité comme le Parti de la renaissance, créé en mars 2011 et le Parti du courant
égyptien, créé en juin, plus jeune et très proche des idées démocratiques). Il importe de
souligner la multitude des partis à référents islamiques, qui pourrait sembler alarmante. Mais
© Futuribles, Système Vigie, 17 novembre 2011
1
ces partis prônent des idées très différentes et il serait réducteur de toutes les qualifier
d’« islamistes » ou de « rigoristes », ce qui leur conférerait une connotation qui ne reflète pas
leur diversité.
Les jeunes Frères musulmans, notamment, utilisent un discours qui mérite d’être interprété
selon une grille de lecture différente de celle que l’on a pu appliquer aux discours des
générations précédentes, sous l’influence de la propagande du régime Moubarak contre ces
organisations politiques relevant de la mouvance religieuse. Si la société égyptienne, dans son
ensemble, montre un certain attachement aux valeurs du conservatisme religieux, pour autant
elle n’adhère pas à l’extrémisme. Aussi ces partis trouvent-ils un public très réceptif, y
compris auprès d’une jeunesse à la fois conservatrice et tournée vers la modernisation et
l’ouverture politique.
Des partis multiples, une conscience réduite
Le système électoral adopté étant celui des listes électorales à deux tiers des sièges et des
candidatures indépendantes au tiers restant, deux coalitions principales se sont formées dès
juin 2011 (la Coalition démocratique) et août 2011 (la Masse égyptienne). La première
rapprochait plus de 40 partis et organisations politiques, dont les plus populaires sont le
Wafd 1, le parti Liberté t la justice, Al Ghadd 2, la Dignité, de tendance nassériste et la
Lumière, de tendance salafiste rigoriste. Cependant, le Wafd ainsi que le parti salafiste s’en
sont retirés pour conduire, chacun, une liste à part.
La seconde coalition regroupe 15 partis politiques de tendances non religieuses mais plutôt
libérales ou de gauche. Cette multiplicité des partis politiques a vu le jour au lendemain de la
révolution, comme une réaction à chaud au manque de liberté d’expression politique pendant
plusieurs décennies. Il est difficile d’y voir le reflet d’une conscience politique profonde ou
d’un intérêt exacerbé et généralisé pour l’actualité politique dans le pays. Cependant, de
nombreuses initiatives de la société civile se sont développées pour informer les citoyens des
différentes orientations politiques en présence. Elles manquent, néanmoins, parfois de
visibilité et de promotion, et souvent ne touchent pas les régions et les quartiers non centraux.
Avec le même souci, de nombreuses chaînes télévisées s’emploient à retransmettre des
rencontres ou à organiser des entretiens ayant pour objectif de définir des concepts ou de
présenter les tendances politiques proposées.
Quelques statistiques significatives
Les chiffres fournis par le Centre Al Ahram pour les études politiques et stratégiques
concernant l’évolution des intentions de vote des électeurs sont assez intéressants.
En août 2011, les résultats des trois partis en tête étaient les suivants : 31,5 % pour le parti
Liberté et justice (Frères Musulmans), 17,2 % pour la Coalition des Jeunes révolutionnaires et
14,8 % pour le parti Wafd.
En septembre, les deux partis les plus cités dans les intentions de vote des électeurs sont le
parti Liberté et justice avec 39 % et le parti Wafd avec 20 %. La Coalition des jeunes
révolutionnaires chute à 2 %, et se trouve devancée par des partis salafistes et même par des
partis créés par des membres de l’ex-parti PND au pouvoir.
1
Le parti Wafd (Wafd signifie délégation en arabe) est né d’une délégation nationaliste égyptienne
créée après la Première Guerre mondiale, dans le but de négocier l’indépendance de l’Egypte. Le
Wafd prend toujours plus d’importance jusque dans les années 1950 et devient l’un des plus anciens
partis politiques égyptiens. C’est un parti de tendance laïque nationaliste.
2
Le parti Al Ghad (Demain ou le lendemain en arabe) est un parti d’opposition égyptien créé vers
2004, de tendance libérale et non religieuse. La figure la plus connue au sein de ce parti est Ayman
Nour, qui s’était présenté aux élections présidentielles de 2005 face à M. H. Moubarak.
© Futuribles, Système Vigie, 17 novembre 2011
2
Si les tendances d’août restent compréhensibles avec une préférence pour un parti
conservateur à référence islamique, suivi par un parti représentant la jeunesse impliquée dans
la révolution, puis un parti de l’opposition classique, les chiffres de septembre méritent
explication. Mise à part la hausse des intentions de vote pour le parti des Frères musulmans et
pour le Wafd, la Coalition des jeunes révolutionnaires perd largement de sa popularité,
comme si une rupture s’était produite. Un travail régulier sur le terrain révèle que le chaos
sécuritaire, l’inefficacité du gouvernement Charaf et la persistance des problèmes sociaux et
économiques qui avaient mené à la révolte expliquent cette inflexion.
Un contexte gouvernemental critique
L’omniprésence non contestée de l’armée
Le soutien de l’armée aux révolutionnaires, ou du moins l’absence de répression systématique
et sanglante dès le début des mouvements en Égypte, lui a permis de préserver sa réputation
d’alliée du peuple. La perception que les Égyptiens ont de l’armée, garante de la sécurité du
pays, et, jusqu’à récemment, de la révolution, est plutôt positive. Cette appréciation perdure
même si les citoyens sont bien conscients que l’armée bénéficie de privilèges privés
professionnels, sociaux, économiques, qu’il est difficile de remettre en cause. Rares ont été les
mouvements d’opposition aux forces armées dans l’après-révolution. C’est souvent le retard
pris à traiter des questions jugées centrales par les masses révoltées (le jugement des figures
de la corruption politique et économique) ou la gestion inadaptée de certains dossiers délicats
(le statut des lieux de culte copte) qui poussent parfois à organiser des manifestations ou à
s’attaquer au statut de l’armée par le biais des réseaux sociaux. On peut penser que cette
tendance s’amplifie, surtout quand on voit que l’armée n’en prend pas acte pour combler
efficacement le déficit sécuritaire dans le pays.
Les heurts qui ont eu lieu le dimanche 9 octobre 2011 entre manifestants coptes et membres
de l’armée égyptienne devant les locaux de la Télévision égyptienne ont causé au moins 25
morts et plus de 200 blessés. Ils confèrent une dimension dramatique à l’omniprésence de
cette armée à la tête du pouvoir en Égypte. Sur ce drame, il importe tout d’abord de souligner
que ces incidents avaient commencé par un mouvement de protestation pacifique (des
citoyens coptes protestaient contre la décision de détruire une église à Assouan, demandant la
révision des lois régulant la construction des lieux de culte en Égypte). De plus, les discours
officiels, médiatiques ou populaires, se contredisent quant aux agissements des acteurs et aux
raisons du dérapage.
Mais, pour mieux comprendre la portée de ces incidents, il convient aussi de les resituer dans
le cadre de l’explosion des mécontentements que connaît l’Égypte aujourd’hui. Depuis
décembre 2010, des actes commis contre des églises et des citoyens coptes éclatent dans
l’ensemble du pays à des intervalles très courts, mais suffisants pour exacerber les conflits et
multiplier les rumeurs. Si, jusqu’à présent, nous assistions à des séries d’affrontements
intercommunautaires — et l’armée en a géré au moins une de manière très efficace, les
incidents d’Atfih —, nous sommes aujourd’hui face à un front des deux communautés contre
une armée présentée comme répressive. Pourquoi cette attitude à ce moment précis, à moins
d’une semaine de l’ouverture du processus électoral ?
Dans ce contexte, l’hypothèse que des membres de l’ex-parti au pouvoir puissent avoir intérêt
à profiter d’une situation sécuritaire chaotique et du manque de clarté quant aux projets de
l’armée par rapport au régime à venir, ne peut pas être exclue. La persistance des baltaggiya
(voyous) dans les rues des grandes villes égyptiennes, plus ou moins liés aux membres du
© Futuribles, Système Vigie, 17 novembre 2011
3
PND, et un sentiment général d’énervement quant à la stagnation de la situation du pays après
la révolution peuvent également expliquer en partie la tournure qu’ont pris les événements.
Mais tout cela ne justifie en rien l’usage de la force contre un mouvement de protestation
pacifique.
Le gouvernement d’Essam Charaf, ambitions et désillusions
La légitimité que Charaf a trouvée sur la place Tahrir lui a permis de jouir d’une réelle
confiance de larges tranches de la population égyptienne. Son accessibilité et son engagement
à traiter les questions les plus pressantes et les plus problématiques dès son entrée en fonction
ont fait de lui une figure populaire. Cependant, à plus de six mois de sa désignation à la tête
du gouvernement, les membres de son cabinet ne montrent pas beaucoup d’efficacité dans le
traitement des dossiers. Ces derniers sont lourds, nombreux et concernent une population de
plus de 85 millions d’Égyptiens. Ainsi, de nombreux points ont été soulevés mais jamais
complètement traités (le salaire minimum et maximum, le budget de l’État, les problèmes de
l’emploi et de l’éducation, le redéploiement des forces de l’ordre dans les rues). Sur certaines
questions d’actualité, comme les incidents entre les manifestants coptes et l’armée, ce n’est
pas tant le gouvernement qui est intervenu que des organisations de la société civile et surtout
Al Azhar, qui joue aujourd’hui le rôle d’intermédiaire entre le peuple et le gouvernement
et / ou l’armée sur de nombreuses questions sociales.
Aussi le gouvernement Charaf se trouve-t-il assez contesté aujourd’hui. L’absence de figures
jeunes au sein de ce gouvernement peut expliquer que les nombreuses initiatives proposées
par les technocrates qui le composent ne trouvent pas toujours d’échos auprès de la jeunesse
ou qu’elles ne soient pas adaptées à leurs demandes. Si une réelle transparence marquait ce
gouvernement à son début, on note aujourd’hui un manque de communication sur les projets à
long terme. De nombreux acteurs de la société civile qui interviennent sur des dossiers
communs avec le gouvernement (la pauvreté, la déscolarisation) dénoncent aussi le manque
de planification et de coordination entre les deux instances.
Un rapprochement entre les jeunes impliqués dans la société civile et les institutions
gouvernementales spécialisées principalement sur les questions sociales, pourrait constituer
une stratégie intelligente permettant de réduire le sentiment de désillusion qu’éprouve
beaucoup d’Égyptiens, jeunes et moins jeunes.
Lamiss Azab
Groupe vigilance JFC Conseil
© Futuribles, Système Vigie, 17 novembre 2011
4