171111 Egypte
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Un champ politique complexe La subsistance de figures de l’ex-parti au pouvoir Malgré la chute de Mohammed Housni Moubarak, le 11 février 2011, la dissolution du Parti national démocratique (PND) par décision de justice le 16 avril, et l’engagement de procédures judiciaires contre des figures emblématiques du parti, de nombreux cadres du PND restent encore fortement présents dans la vie politique égyptienne. Ainsi, certains d’entre eux ont annoncé officiellement leur intention de prendre part aux élections parlementaires, à travers la création de nouveaux partis. Il conviendra d’analyser la suite donnée à cette volonté et son impact sur la société égyptienne, d’autant plus que de nombreux jeunes, hommes et femmes, qui ont occupé la Place Tahrir dès le 25 janvier, se sont portés candidats. C’est un mouvement massif et très nouveau qu’il convient d’apprécier comme une conséquence prometteuse des événements révolutionnaires. Il importera de mesurer si la légitimité accordée par la participation aux mouvements de libération sera suffisante pour s’opposer efficacement à l’expérience de terrain et au soutien des réseaux clientélistes dont bénéficient les figures du PND. La sociologie du parlement égyptien s’en trouverait alors transformée, et des changements radicaux pourraient émerger quant à la représentation du peuple égyptien et à sa participation à la vie politique en Égypte. Comment interpréter la multitude des partis à référence islamique ? À ces deux extrêmes (PND et Coalition des jeunes révolutionnaires ou jeunes indépendants) viennent se rajouter de nombreux candidats issus des différentes mouvances des Frères musulmans (Al Wasat, le Centre, créé dès 1996, le Parti de la liberté et de la justice, créé en juin 2011, Parti officiel des Frères musulmans aujourd’hui et d’autres tendances plus ouvertes à la modernité comme le Parti de la renaissance, créé en mars 2011 et le Parti du courant égyptien, créé en juin, plus jeune et très proche des idées démocratiques). Il importe de souligner la multitude des partis à référents islamiques, qui pourrait sembler alarmante. Mais © Futuribles, Système Vigie, 17 novembre 2011 1 ces partis prônent des idées très différentes et il serait réducteur de toutes les qualifier d’« islamistes » ou de « rigoristes », ce qui leur conférerait une connotation qui ne reflète pas leur diversité. Les jeunes Frères musulmans, notamment, utilisent un discours qui mérite d’être interprété selon une grille de lecture différente de celle que l’on a pu appliquer aux discours des générations précédentes, sous l’influence de la propagande du régime Moubarak contre ces organisations politiques relevant de la mouvance religieuse. Si la société égyptienne, dans son ensemble, montre un certain attachement aux valeurs du conservatisme religieux, pour autant elle n’adhère pas à l’extrémisme. Aussi ces partis trouvent-ils un public très réceptif, y compris auprès d’une jeunesse à la fois conservatrice et tournée vers la modernisation et l’ouverture politique. Des partis multiples, une conscience réduite Le système électoral adopté étant celui des listes électorales à deux tiers des sièges et des candidatures indépendantes au tiers restant, deux coalitions principales se sont formées dès juin 2011 (la Coalition démocratique) et août 2011 (la Masse égyptienne). La première rapprochait plus de 40 partis et organisations politiques, dont les plus populaires sont le Wafd 1, le parti Liberté t la justice, Al Ghadd 2, la Dignité, de tendance nassériste et la Lumière, de tendance salafiste rigoriste. Cependant, le Wafd ainsi que le parti salafiste s’en sont retirés pour conduire, chacun, une liste à part. La seconde coalition regroupe 15 partis politiques de tendances non religieuses mais plutôt libérales ou de gauche. Cette multiplicité des partis politiques a vu le jour au lendemain de la révolution, comme une réaction à chaud au manque de liberté d’expression politique pendant plusieurs décennies. Il est difficile d’y voir le reflet d’une conscience politique profonde ou d’un intérêt exacerbé et généralisé pour l’actualité politique dans le pays. Cependant, de nombreuses initiatives de la société civile se sont développées pour informer les citoyens des différentes orientations politiques en présence. Elles manquent, néanmoins, parfois de visibilité et de promotion, et souvent ne touchent pas les régions et les quartiers non centraux. Avec le même souci, de nombreuses chaînes télévisées s’emploient à retransmettre des rencontres ou à organiser des entretiens ayant pour objectif de définir des concepts ou de présenter les tendances politiques proposées. Quelques statistiques significatives Les chiffres fournis par le Centre Al Ahram pour les études politiques et stratégiques concernant l’évolution des intentions de vote des électeurs sont assez intéressants. En août 2011, les résultats des trois partis en tête étaient les suivants : 31,5 % pour le parti Liberté et justice (Frères Musulmans), 17,2 % pour la Coalition des Jeunes révolutionnaires et 14,8 % pour le parti Wafd. En septembre, les deux partis les plus cités dans les intentions de vote des électeurs sont le parti Liberté et justice avec 39 % et le parti Wafd avec 20 %. La Coalition des jeunes révolutionnaires chute à 2 %, et se trouve devancée par des partis salafistes et même par des partis créés par des membres de l’ex-parti PND au pouvoir. 1 Le parti Wafd (Wafd signifie délégation en arabe) est né d’une délégation nationaliste égyptienne créée après la Première Guerre mondiale, dans le but de négocier l’indépendance de l’Egypte. Le Wafd prend toujours plus d’importance jusque dans les années 1950 et devient l’un des plus anciens partis politiques égyptiens. C’est un parti de tendance laïque nationaliste. 2 Le parti Al Ghad (Demain ou le lendemain en arabe) est un parti d’opposition égyptien créé vers 2004, de tendance libérale et non religieuse. La figure la plus connue au sein de ce parti est Ayman Nour, qui s’était présenté aux élections présidentielles de 2005 face à M. H. Moubarak. © Futuribles, Système Vigie, 17 novembre 2011 2 Si les tendances d’août restent compréhensibles avec une préférence pour un parti conservateur à référence islamique, suivi par un parti représentant la jeunesse impliquée dans la révolution, puis un parti de l’opposition classique, les chiffres de septembre méritent explication. Mise à part la hausse des intentions de vote pour le parti des Frères musulmans et pour le Wafd, la Coalition des jeunes révolutionnaires perd largement de sa popularité, comme si une rupture s’était produite. Un travail régulier sur le terrain révèle que le chaos sécuritaire, l’inefficacité du gouvernement Charaf et la persistance des problèmes sociaux et économiques qui avaient mené à la révolte expliquent cette inflexion. Un contexte gouvernemental critique L’omniprésence non contestée de l’armée Le soutien de l’armée aux révolutionnaires, ou du moins l’absence de répression systématique et sanglante dès le début des mouvements en Égypte, lui a permis de préserver sa réputation d’alliée du peuple. La perception que les Égyptiens ont de l’armée, garante de la sécurité du pays, et, jusqu’à récemment, de la révolution, est plutôt positive. Cette appréciation perdure même si les citoyens sont bien conscients que l’armée bénéficie de privilèges privés professionnels, sociaux, économiques, qu’il est difficile de remettre en cause. Rares ont été les mouvements d’opposition aux forces armées dans l’après-révolution. C’est souvent le retard pris à traiter des questions jugées centrales par les masses révoltées (le jugement des figures de la corruption politique et économique) ou la gestion inadaptée de certains dossiers délicats (le statut des lieux de culte copte) qui poussent parfois à organiser des manifestations ou à s’attaquer au statut de l’armée par le biais des réseaux sociaux. On peut penser que cette tendance s’amplifie, surtout quand on voit que l’armée n’en prend pas acte pour combler efficacement le déficit sécuritaire dans le pays. Les heurts qui ont eu lieu le dimanche 9 octobre 2011 entre manifestants coptes et membres de l’armée égyptienne devant les locaux de la Télévision égyptienne ont causé au moins 25 morts et plus de 200 blessés. Ils confèrent une dimension dramatique à l’omniprésence de cette armée à la tête du pouvoir en Égypte. Sur ce drame, il importe tout d’abord de souligner que ces incidents avaient commencé par un mouvement de protestation pacifique (des citoyens coptes protestaient contre la décision de détruire une église à Assouan, demandant la révision des lois régulant la construction des lieux de culte en Égypte). De plus, les discours officiels, médiatiques ou populaires, se contredisent quant aux agissements des acteurs et aux raisons du dérapage. Mais, pour mieux comprendre la portée de ces incidents, il convient aussi de les resituer dans le cadre de l’explosion des mécontentements que connaît l’Égypte aujourd’hui. Depuis décembre 2010, des actes commis contre des églises et des citoyens coptes éclatent dans l’ensemble du pays à des intervalles très courts, mais suffisants pour exacerber les conflits et multiplier les rumeurs. Si, jusqu’à présent, nous assistions à des séries d’affrontements intercommunautaires — et l’armée en a géré au moins une de manière très efficace, les incidents d’Atfih —, nous sommes aujourd’hui face à un front des deux communautés contre une armée présentée comme répressive. Pourquoi cette attitude à ce moment précis, à moins d’une semaine de l’ouverture du processus électoral ? Dans ce contexte, l’hypothèse que des membres de l’ex-parti au pouvoir puissent avoir intérêt à profiter d’une situation sécuritaire chaotique et du manque de clarté quant aux projets de l’armée par rapport au régime à venir, ne peut pas être exclue. La persistance des baltaggiya (voyous) dans les rues des grandes villes égyptiennes, plus ou moins liés aux membres du © Futuribles, Système Vigie, 17 novembre 2011 3 PND, et un sentiment général d’énervement quant à la stagnation de la situation du pays après la révolution peuvent également expliquer en partie la tournure qu’ont pris les événements. Mais tout cela ne justifie en rien l’usage de la force contre un mouvement de protestation pacifique. Le gouvernement d’Essam Charaf, ambitions et désillusions La légitimité que Charaf a trouvée sur la place Tahrir lui a permis de jouir d’une réelle confiance de larges tranches de la population égyptienne. Son accessibilité et son engagement à traiter les questions les plus pressantes et les plus problématiques dès son entrée en fonction ont fait de lui une figure populaire. Cependant, à plus de six mois de sa désignation à la tête du gouvernement, les membres de son cabinet ne montrent pas beaucoup d’efficacité dans le traitement des dossiers. Ces derniers sont lourds, nombreux et concernent une population de plus de 85 millions d’Égyptiens. Ainsi, de nombreux points ont été soulevés mais jamais complètement traités (le salaire minimum et maximum, le budget de l’État, les problèmes de l’emploi et de l’éducation, le redéploiement des forces de l’ordre dans les rues). Sur certaines questions d’actualité, comme les incidents entre les manifestants coptes et l’armée, ce n’est pas tant le gouvernement qui est intervenu que des organisations de la société civile et surtout Al Azhar, qui joue aujourd’hui le rôle d’intermédiaire entre le peuple et le gouvernement et / ou l’armée sur de nombreuses questions sociales. Aussi le gouvernement Charaf se trouve-t-il assez contesté aujourd’hui. L’absence de figures jeunes au sein de ce gouvernement peut expliquer que les nombreuses initiatives proposées par les technocrates qui le composent ne trouvent pas toujours d’échos auprès de la jeunesse ou qu’elles ne soient pas adaptées à leurs demandes. Si une réelle transparence marquait ce gouvernement à son début, on note aujourd’hui un manque de communication sur les projets à long terme. De nombreux acteurs de la société civile qui interviennent sur des dossiers communs avec le gouvernement (la pauvreté, la déscolarisation) dénoncent aussi le manque de planification et de coordination entre les deux instances. Un rapprochement entre les jeunes impliqués dans la société civile et les institutions gouvernementales spécialisées principalement sur les questions sociales, pourrait constituer une stratégie intelligente permettant de réduire le sentiment de désillusion qu’éprouve beaucoup d’Égyptiens, jeunes et moins jeunes. Lamiss Azab Groupe vigilance JFC Conseil © Futuribles, Système Vigie, 17 novembre 2011 4