Entretien avec Mme Marcelle TRIPOTIN, Saint
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Entretien avec Mme Marcelle TRIPOTIN, Saint
Marcelle TRIPOTIN : T Enquêteur (Julien ROCIPON – Association Le Son des Choses) : J J: Alors nous sommes le dix-neuf avril deux mille douze. T: Oui. J: Je vais vous demander de vous présenter. T: Eh ben, de mon nom de fille, parce que j'ai jamais renié mon nom de fille, je m'appelle GROMAND, le nom de mon père. J: Alors ça s'écrit ? T: G, R, O, M, A, N, D. Née à SAINT-URBAIN, Haute-Marne, un pays que, que j'adore. Voilà, bon, ben… J: Et alors, votre prénom et votre nom de famille ? T: Mon prénom, c'est Marcelle, née le seize juillet mil neuf cent vingt-neuf. Et mon nom, mon nom de femme, mon nom de femme, c'est TRIPOTIN, comme ça se prononce. J: Et alors vous êtes née où exactement ? T: Je suis née à SAINT-URBAIN, Haute-Marne. J: Mais où à SAINT-URBAIN ? T: Dans la rue de Poissons. J: Chez vous ? T: Oui. Chez, chez, chez mes parents. Chez mes parents, hein. J: C'était une sage-femme ? T: Alors là... Je pense, oui, une sage-femme ou alors, parce qu'à cette époque-là, oui, oui. Mais dans la maison, dans la maison de mes parents, hein. Mes parents, mes grandsparents parce qu'à cette époque-là, je me souviens de, de mon grand-père, de mes grands-parents, de mes arrière-grands-parents, qui avaient toute la rue de Poissons, d'ailleurs, et donc je me souviens des tas de choses et, pas, pas de ma naissance, hein, je me souviens pas de ma naissance quand même, hein. Mais, bon, voilà, c'était comme ça, je pense que je, j'ai accouché à la maison, c'est sûr. J : Que faisaient vos parents ? T: Ma mère, ma mère qui était née à JOINVILLE a perdu sa mère à onze ans. Elle est donc partie bonne à STRASBOURG. Ça, parce que je, ça m'a été raconté, hein, et après donc elle est revenue, elle a rencontré mon père dans une ferme, ben, dans la région de, de SAINT-URBAIN, dans les Hauts-Pays qu'ils appelaient, mais je me souviens plus de trop. Et mon père qui était natif de SAINT-URBAIN, son père, son grand-père et, c'était une grande famille, hein. Et donc ils avaient beaucoup de vignes. Il était, ils étaient donc de SAINT-URBAIN. Et ils se sont mariés à SAINT-URBAIN. Ça c'est sûr. J'ai encore une sœur qui, qui passe sa vie à SAINT-URBAIN, d'ailleurs. Et ça, c'est une chose que je voudrais bien y retourner un jour quand même. Bon, là, il s'est passé que j'ai beaucoup de souvenirs de SAINT-URBAIN, de mes premières années, jusque disons mes huit-neuf ans. J: De quoi vous vous souvenez ? T: Je me souviens de certaines choses, disons, des, des fêtes de village, des fêtes de l'église, des choses comme ça. Collectage de la Mémoire orale de Champagne-Ardenne 1/16 J: Ça se passait comment ? T: Ça se passait comment ? Je me souviens de ma petite enfance. Par exemple, alors, on allait, enfin, on était famille. Tout le village c'était famille, de toute façon. Moi, je ne me souviens que des oncles, des tantes, des cousins, des cousines. C'était ça. Et puis lorsque, par contre, je me rappelle d'une fois, alors là, ça m'avait vraiment choquée pour m'en souvenir encore à mon âge, on avait été dans une des familles, qui était notre famille en fin de compte, et les, y avait eu un truc, un truc, disons, c'était un de mes oncles qui s'était déguisé et que j'avais eu très, très peur, c'est pour ça. J'avais peut-être trois ou quatre ans, c'est pour ça que ça m'a frappée. Mais c'était des, des choses, comment vous dirais-je, mon grand-père paternel avait beaucoup de vignes. Il avait trois ou quatre maisons, à cette époque-là, c'est pour ça, je comprends pas aujourd'hui qu'on en est là. Il avait trois ou quatre maisons, il avait une bergerie, il avait, enfin, il avait, nous avions, parce que moi je me souviens avoir couché auprès des moutons, on avait des tas de choses comme ça et, et c’est vrai, je, j'arrive pas à comprendre qu'aujourd'hui on en est là. J: Et que faisait votre papa ? T: Donc mon père, bon, ben, il a beaucoup travaillé donc avec ses parents, hein. Mon grand-père s'appelait Vital, ma grand-mère s'appelait Marthe. Parce que de, des parents de ma mère, je me souviens pas beaucoup parce que c'était JOINVILLE, et puis sa, sa mère est morte, ma mère avait onze ans. Alors donc je pouvais pas me souvenir, mais des grands, des, mes grands-parents paternels, oui. Bon, on allait dans, beaucoup dans les vignes, et donc mon père a beaucoup travaillé là. Après ça, il a travaillé en culture, et en fin de compte, alors là, y a eu une époque il a fini par partir dans l'armée parce qu'y avait plus suffisamment de travail, je suppose, pour, bon, parce que, bon, ben, quand on a, alors là, de SAINT-URBAIN, je me suis retrouvée à MARNAVAL. De MARNAVAL où il a travaillé en usine, de là, il est parti à l'armée, je me suis retrouvée à JOIGNY dans l'Yonne, où j'ai un frère et une sœur qui sont nés là-bas. Ensuite, on est revenus parce que mon père voulait toujours revenir dans la région. Mais on s'est retrouvés dans les Ardennes, déjà. C'est de là que, oui, parce qu'avant les Ardennes, mon père avait postulé sûrement, ben, j'étais jeune, hein, il avait postulé et il s'est, on s'est retrouvés au HAVRE. C'est loin. J: Pour faire quoi ? T: Pontier, il était éclusier-pontier. Voilà, éclusier, pontier et scaphandrier. Voilà, il faisait les trois. Et ça, j'ai vu mon père, quand je vois des trucs à la télé, je me dis: -Tiens, c'est Papa. J: C'était quoi, être scaphandrier ? T: Eh ben, disons, il mettait la grande combinaison, le truc sur la tête, aujourd'hui c'est plus simple, hein. Mais j'ai vu mon père réellement, je l'ai vu au HAVRE, et je l'ai vu après, en, en dessous, au-dessus de PARIS aussi, dans la Seine. Parce que, bon, on a été donc au HAVRE, comme je vous disais, alors là c'est l'histoire de mes parents, hein. Donc on s'est retrouvés au HAVRE et y a arrivé mil neuf cent trente-neuf. Alors mon père a été, il avait quatre enfants, on l'a mobilisé sur place dans les Ardennes, dans une écluse, voilà. J: Où ça ? T: ACY-ROMANCE. En dessous de RETHEL. En dessous de RETHEL, que c'était, ACYROMANCE. D'ailleurs, j'ai eu des petits frères qui ont été enterrés là. Je vous redirai après au-dessus. Donc ACY-ROMANCE, là, nous avons été, ben, y a eu mai, nous avons été après, comment donc, évacués par péniche. Mais les hommes restaient dans les écluses, hein. Donc Maman et puis les enfants, on était quatre ou cinq de, à cette époque-là, nous nous sommes retrouvés à, oh, nous nous sommes retrouvés, oh, je l'avais noté... J: Vous aviez quel âge ? T: Moi, je suis de vingt-neuf. Lorsque j'ai quitté LE HAVRE, j'avais dix, j'avais dix ans, voilà. Et je me, je me souviens que lorsque la guerre est arrivée, lorsque les cloches sonnaient Collectage de la Mémoire orale de Champagne-Ardenne 2/16 au HAVRE, tout ça, les gens qui pleuraient, tout, moi d'ailleurs quand je vois encore des trucs, j'en frissonne. J'avais dix ans, ça m'a marqué. J: Et vous vous souvenez comment ça s'est passé au niveau de l'évacuation ? Qui c'est qui a alerté ? T: Ouais. Ouais. Qui c'est qui a alerté ? On avait les, bon, ben, on savait pas trop, on était des gosses. Moi j'étais l'aînée parce que j'ai, je, je suis l'aînée de dix-sept, voilà. J'étais l'aînée. Bon, y en a eu de, bon, qui sont décédés entre-temps, mais, je comprends pas que je sois encore du monde, mais enfin, c'est comme ça, quoi. Je dis : j'ai eu des parents qui m'ont donné toutes leurs forces, leurs forces. Et puis, donc, lorsque ça s'est passé, qu'on, qu'on a entendu, c'est vrai que je me souviens quand même y a des trucs, hein. Parce que c'était, lorsque nous sommes, donc, lorsque c'est arrivé, nous étions au HAVRE, et lorsque les cloches sonnaient partout, je me rappelle que j'étais avec ma mère et puis un de mes frères, peut-être deux de mes sœurs, une de mes sœurs parce que l'autre était trop jeune, nous étions en ville, ce qu'on appelle vraiment en ville, quoi, au HAVRE. Et, bon, ben, les parents savaient et nous, lorsque ça sonnait partout, ça je me rappelle, hein, et puis nous avions des voisins, des voisins vraiment bien, la, la femme était, la grand-mère était Allemande, elle pleurait, elle pleurait. Elle se rappelait de la guerre de devant et puis donc ça s'est passé comme ça. Puis nous, on était des gosses. Je me rappelle que, enfin, bon. Et puis là, c'est, ben, oui, ben, mon père, et voilà, je me souviens qu'on avait des amis. J'avais une copine qui avait un an de plus que moi. Elle se prénommait Yvette et son nom de famille s'était VISSIYOUR. Et c'était une, c'étaient des gens de, qui venaient de Bretagne. Pareil, ils ont été, parce que, bon, ben, au port du HAVRE, c'était les gens, enfin, les hommes, suivant le, le nombre d'enfants qu'ils avaient, y en a qui restaient mais y en a qu'ils, qu'ils renvoyaient ailleurs. Donc ces gens-là étaient renvoyés en Bretagne, je ne sais pas où, j'ai jamais eu de nouvelles. Et nous, dont mon père a été envoyé dans les Ardennes. Et donc nous nous sommes retrouvés à ACYROMANCE. Et à ACY-ROMANCE, ben, après, ben, quelques mois après, c'était l'évacuation. J: Et vous vous souvenez de la journée de l'évacuation ? Comment ça s'est passé ? T: Comment vous dire ? La journée vraiment, non, mais tous les jours qui ont suivi, oui. J: Alors comment ça s'est passé ? Vous avez, vous vous souvenez d'avoir... T: Bon, au départ, nous, les, les familles, les, sauf les hommes, hein, les femmes, les enfants, on était en, en, comment donc, entassés dans des péniches. C'était ça, dans des péniches. Et puis nous sommes arrivés jusque, alors dans les péniches, nous sommes arrivés jusque, oh là là, j'avais noté ça... Et nous avons, bon, je, je regarderai, là, je vous le dirai, parce que j'ai noté. Je suis pas toute seule, j'ai une de mes sœurs aussi qui note des choses. Donc, nous sommes arrivés… J: Dans les Ardennes, toujours ? T: Non. Parce qu'après nous sommes,… J: Dans la, non ? T: Des Ardennes, nous sommes partis donc dans les péniches et nous avons, nous sommes arrivés jusqu'au-dessus de PARIS, par là. Donc, en, dans la Seine, quoi. Là-bas, y a eu un moment donné, y a eu un moment donné, je me rappelle, avec ma mère, j'avais mon frère, qui est décédé malheureusement, parce qu'on était très proches tous les deux, une de mes sœurs qui vit dans la région parisienne, et la dernière qui avait quelques mois. Nous sommes arrivés donc un petit peu dans la région de PARIS. Nous avions été, nous sommes descendus pour chercher à manger, ma mère cherchait à manger. Et donc pour nous, oui, nous avions rentré dans un grand parc, une grande maison que c'était. Et, et je me rappelle que ma mère tenait un lapin, ah, ça, je m'en rappelle très bien, ma mère tenait un lapin, pour nous donner à manger, et, et y a eu un bombardement. Le pont où nous Collectage de la Mémoire orale de Champagne-Ardenne 3/16 étions, où était la péniche, où était arrêté, tout a sauté. Alors ça je m'en souviens bien, hein. Ça, ça, ma mère a lâché le lapin, mais c'est vrai que… Oh, y a eu des trucs, y a eu des trucs. J: Vous étiez où à ce moment-là, quand la péniche a sauté ? T: Alors, attendez. C'était, oh, j'ai des trucs de notés, ouais. Pardon. J: Attention. T: Ouais. J: Allez-y. T: Parce que c'est vrai qu'avec une de mes sœurs, on a encore des souvenirs et… Alors, c'est pas ça. Oh ! C'était du côté de, non, non, c'est mis dans mes souvenirs, ça, c'était du côté de, c'était du côté de... J: Revenez. On verra plus tard. T: Ouais. C'était du côté d’ABLON, ABLON, tout à fait au-dessus de PARIS, c'était, bon, parce que pour moi, j'ai des sacrés souvenirs quand même. J: Dans l'Oise, non ? T: On a été à SAINTE-HONORINE, on a été, SAINTE-HONORINE, c'est le, c'est presque la capitale des, des mariniers. J: Asseyez-vous. T: Je sais pas si ça vous dit quelque chose. SAINTE-HONORINE, c'est presque la capitale des mariniers. C'est là qu'ils se retrouvent. J: Et de là, alors ? T: Et de là, ben,... J : Et vous étiez sur le bord, c'est ça, quand la péniche a explosé ? T: Oui, nous nous étions sortis, il y avait encore du monde dedans, mais, bon, ben, les gens cherchaient à manger, mais y en avait d'autres, y en avait d'autres, franchement, qui, qui pillaient les magasins à cette époque-là, déjà. Hé oui, hé oui. Mais ma mère elle cherchait à manger pour ses quatre gosses, hein. Et puis après, bon, ben, ça s'est passé qu'on est partis à pied après sur les routes de France. On est partis à pied, tout simplement. Alors je me rappelle, nous avions une petite remorque, qu'on poussait à la main, bien sûr, et un landau, puisque nous étions quatre gosses avec Maman. Et puis, bon, nous sommes partis sur les routes de France. Après, je me rappelle aussi, la première fois que j'ai vu un homme noir, oui, la première fois, j'avais pas dix ans. Si, j'avais dix ans, quoi, tout juste, hein, et qui nous a aidé, c'était la première fois de ma vie que je voyais un homme noir. Et pourtant, ils sont comme nous, hein. Et donc qui nous a aidé, qui, et puis nous sommes allés, alors à pied, de, mais c'était avant PARIS, que la, que la péniche et le pont avaient sauté. C'était avant. Y avait ABLON, y avait... Et donc, nous sommes, oh là là, ça y est, c'est perdu. J: Alors, vous, vous êtes partis donc de PARIS, pour aller où ? T: Oui, en dessous de PARIS. Nous sommes retrouvés jusque MONTARGIS, voilà, à pied. Jusque MONTARGIS, sur les routes. J: Y avait du monde ? T: Oh là, oh oui, y avait du monde. Y avait du monde. Là, c'était une drôle d'histoire, y avait du monde, hein. Et, là, c'était la guerre, hein. C'était vraiment la guerre, hein. J: Ah oui ? T: Ah oui. Ah oui, c'était la guerre, hein. On voyait, on était bombardés, mitraillés sans arrêt, et là, ça, ça, moi, je peux vous dire que tous les mois lorsque la sirène elle sonne, là derrière, je suis comme ça. J'en ai des souvenirs terribles. Ouais. Et j'ai vu, j'ai vu des morts le long des, des routes, là, mes dix ans ils ont été marqués, hein. Les morts, les, des êtres humains, des chevaux, tout ça, ah non, non, non, là, ça a été… Et puis bon, après, donc, nous sommes allés jusque, nous étions à quinze cents mètres, si je me souviens Collectage de la Mémoire orale de Champagne-Ardenne 4/16 bien, quinze cents mètres, deux kilomètres de MONTARGIS. Nous étions dans les prés, ça je me rappelle, nous étions dans les près et on nous a dit : -N'allez pas plus loin. Les Allemands sont devant vous. On le croyait pas et puis tout d'un coup, et avec nous y avait, donc je vous ai dit, y avait un soldat noir, ensuite on a eu un soldat blanc, un, des Français, de toute façon, qui nous avaient aidés, puisqu'on était quatre gosses avec Maman. Et quand ces, cette truc est arrivée, qu'on nous a dit : -N'allez pas plus loin. C'est, alors c'était la débandade partout. Et là, je me rappelle lorsque les Allemands sont arrivés. Bon, ça fait pas partie de mon travail, mais enfin, ça tirait dans tous les sens, bon, ben, les pauvres gars, ils, ils se sauvaient, ils... Bon, après, donc après, donc, nous sommes revenus sur, sur CONFLANS-SAINTE-HONORINE. Nous sommes revenus, oh là là, oh, je sais, et puis après nous avons, nous sommes revenus jusque CORBEIL, à pied. Donc au-dessus, c'est presque PARIS, hein, si je me souviens bien, à pied. Et puis, et je me rappelle qu'on crevait de faim, parce que je peux vous dire, alors là, j'en ai un souvenir, qu'on crevait de faim, c'était le cas de le dire. Et y avait donc les Allemands qui étaient dans leurs charrettes à cette, y avait beaucoup de, de chevaux, à cette époque-là, hein. Et y en a un qui mangeait, alors ça c'est vrai, qui mangeait une tranche de pain avec du saindoux dessus et qui nous a donné sa tartine de saindoux. Ça, je me rappelle de ça, aussi. Parce qu'on crevait de faim, c'est vrai. Et puis donc, nous sommes revenus, donc, sur PARIS. Alors pas bien loin, nous étions au-dessus, et puis mon père, alors là, mon père, on s'est retrouvés là. Parce que lui il avait été évacué par contre par les Ponts et Chaussées, donc avec les, avec les, comment donc, avec les ingénieurs, tout ça. Mais les familles étaient, nous, nous étions déjà partis avant. Ils avaient été évacués, et donc nous nous sommes retrouvés donc là. Et il a été nommé là, à ABLON, c'était à ABLON, et puis, oh là là, c'étaient des grandes écluses. Y a, y avait dix bateaux qui rentraient dans ces écluses, là, c'était des, des écluses électriques, hein. Et y avait dix bateaux qui rentraient, ABLON, VIGNEUX, VILLENEUVE-SAINT-GEORGES. VILLENEUVE-SAINT-GEORGES, oui. Alors c'était ABLON, VIGNEUX, VILLENEUVE-SAINT-GEORGES et y avait encore un autre patelin, parce que ça faisait un truc comme ça. Et donc c'était des écluses où il rentrait dix bateaux, là. Bon, c'était électrique. Nous sommes restés peut-être un an et demi, deux ans. Et puis après ils ont demandé aux, aux éclusiers, quoi, donc mon père et puis d'autres, s'ils voulaient repartir dans leur région. Et mon père était Haut-marnais. Lui, il voulait se rapprocher de la Haute-Marne : SAINT-URBAIN. Alors il avait demandé à revenir. Mais au départ, au lieu, on l'a remis dans les Ardennes, mais pas d'où nous étions partis, parce que nous sommes partis d'ACY-ROMANCE. Mais nous nous sommes retrouvés à THUGNY-TRUGNY. C'est-à-dire, vous aviez RETHEL, je sais pas si RETHEL peut vous dire quelque chose, alors nous étions en dessous, à ACY-ROMANCE, et ensuite au-dessus. Voilà. Et j'ai eu des petits frères à ACY-ROMANCE et des petits frères à THUGNY-TRUGNY, de, bon, on a eu pas mal de problèmes, c'est tout. Puisque je vous dis, j'étais l'aînée de dix-sept, alors… J: Et elle était comment, cette écluse-là ? T: Alors, donc, ben, c'était une écluse un peu comme SAINT-DIZIER, hein. Voilà. Alors, bon, là, là, ben, nous sommes restés une paire d'années. Nous sommes restés une paire d'années. On a donc eu là, que je raconte pas des bêtises, je crois que, oui, c'est là qu'on a eu la Libération. Donc nous sommes restés une paire d'années. Et puis, mais mon père voulait toujours se rapprocher de la Haute-Marne, voilà. Et, ben, il était natif de SAINTURBAIN, ma mère de JOINVILLE, ils voulaient se rapprocher, eux. Et puis un, un jour, on leur a proposé donc un poste dans la région. Donc, déjà FRONCLES, puis MUSSEY. Ça, c'est les photos de MUSSEY. Collectage de la Mémoire orale de Champagne-Ardenne 5/16 J: Alors pour en revenir un petit peu... T: Oui ? J: À l'Occupation ? T: À l'Occupation ? Oh là là, ça a pas été toujours chouette, hein. J: Ça a pas été toujours chouette ? T: Non. Non, non. J: Comment ça ? T: Comment vous expliquer ? Nous, là, donc on se trouvait dans, on s'est retrouvés donc dans les Ardennes, durant l'Occupation surtout. Et y avait l'Aisne qui faisait, c'est-à-dire RETHEL, la rivière c'était l'Aisne, c'était la ligne de démarcation. Donc à partir de dix ans, on avait une carte d'identité. On ne pouvait pas aller à RETHEL sans, parce qu'y avait, ben, y avait des, des postes, des sentinelles, des postes-frontière. Et donc voilà, c'est comme ça que ça s'est passé. Lorsque nous étions encore à ACY-ROMANCE, y avait toujours l'Aisne qui, qui séparait, ça faisait le poste-frontière, si vous voulez. Et donc, y avait des, des soldats qui avaient été prisonniers qui s'enfuyaient de l'autre côté, qui passaient l'Aisne. Et par contre, vous aviez des, des gens qui voulaient rentrer chez eux en Belgique, au Luxembourg, qui passaient l'Aisne. Bon, ben, ma foi, mon père, on était ce qu'on appelait un peu des trucs, je vous dirai après. Alors on les aidait à passer, tout ça, d'un côté comme de l'autre, et ma foi, un jour, on s'est fait prendre. C'est-à-dire qu'on a été dénoncés. Parce que, bon, les soldats qui essayaient de passer, qui se sauvaient, si vous voulez, de l'autre côté, qui voulaient retrouver la France libre, c'était ça, qui voulaient retrouver la France libre, bon, ben, pour passer l'Aisne, il fallait quelqu'un pour les faire passer, hein. Et par contre, les, les civils qui voulaient repartir en Belgique ou en Luxembourg, fallait aussi les faire passer de l'autre côté. Mais RETHEL c'était le point de repère. J: Et il les faisait passer comment ? T: Eh ben, dans l'eau, hein. Ouais, dans l'eau. Ça je m'en souviens, hein. Elle était pas toujours chaude, hein. Et puis un jour, un, un jour pas comme un autre, bon, moi et puis mon, mon frère, ben, il est pas là pour le dire, malheureusement, hein, on avait dix-huit mois d'écart, eh ben, en revenant, parce qu'on faisait le guet, et puis en revenant, ben, on s'est fait arrêter par une patrouille allemande. Et puis alors on, je sais pas, je sais pas si on ignorait le danger, non, on l'ignorait pas, hein, mais on leur, on leur a tenu tête mordicus qu'on allait aux noisettes. Je sais même plus si c'était la région. Si. Mais c'est vrai. Et puis y a passé un grand-père. Il a dit : -Oui, oui, oui. Ils étaient aux noisettes avec moi. Et ci, et ça. Mais seulement, le, le lendemain matin, quand même, les Feldwebels ils ont arrivé, hein. Ils ont emmené mon père, qui s'est retrouvé en cellule. Ils ont emmené ma mère qui était enceinte de je sais pas combien de mois, moi et mon frère, ben, je vous assure que, je sais pas si on était inconscients ou si quoi. On leur a dit : -Oui, on a, on était aux noisettes et on... Parce qu'on avait été dénoncés. Voilà. Parce que là, c'était, bon, alors après, bon, au bout de quelque temps, mon, mon père a été relâché. On nous a, d'ailleurs, je me rappelle, alors ça, c'est, c'est ma vie, hein, un gros commandant allemand, oh, bon, comme ça, comme ça, moi c'était ma vision, c'est toujours ma vision, qui disait : -BUCHENWALD ! BUCHENWALD ! BUCHENWALD ! Ah ça, je m'en souviens. Et ça aurait été six mois plus tard, je serais pas là pour vous le dire. Je serais pas là pour vous le dire, non. J: Et vous saviez ce que ça voulait dire ? T: Oui. On avait compris. On avait compris. Oui, oui. J: Ça voulait dire quoi ? Collectage de la Mémoire orale de Champagne-Ardenne 6/16 T: Ben, ça voulait dire que, qu'ils nous emmenaient, hein. Et puis qu'on serait jamais revenus. Parce que, bon, ben, parce que voilà, y avait les, des soldats français qui essayaient de, de se sauver pour passer en zone libre. Parce que là, on était sur la ligne de démarcation à cette époque-là, hein. À cette époque-là, parce que ça n'a pas duré. Mais à cette époque-là. Et donc ils voulaient aller dans, dans le sud de la France, quoi, ils voulaient passer de l'autre côté. Et donc, donc l'Aisne, fallait les faire passer, les pauvres. Et par contre, ceux qui voulaient repartir chez eux, mais, mais enfin, on avait été dénoncés, quoi. Et c'est vrai qu'y avait, y a toujours eu des salopards, hein. J: Et y avait du trafic, sur le canal ? T: Y en a eu, oui. Y en a eu. Oui, y en a eu après. Y en a eu. J: Quoi ? T: Mais après. Après y en a eu parce que, parce que, bon, y avait les, vous aviez des, des, des pétroliers, vous aviez des, vous aviez des, des bateaux de, comment donc, y avait les Solvay. Alors les Solvay, c'est, ben, oui : S, O, L, V, A, Y. Alors c'était une compagnie, d'ailleurs j'ai, j'ai fréquenté un des gars de là, et donc, donc ils avaient de la marchandise. Ils avaient du vin, ils avaient pas mal de trucs. Donc c'est vrai qu'y a eu une époque, parce qu'après on, on a été obligés de quitter les Ardennes. Parce que de, d'ACY, d'ACYROMANCE, il a fallu qu'on parte à THUGNY-TRUGNY, là. Parce que les, l'ingénieur, la DDE, ils ont dit à mon père : -Vous pouvez plus rester là, parce que, pour vous et votre famille, c'est la déportation. C'était très simple. Et donc, nous avons été donc quelques kilomètres plus haut. Et ils ont dit à mon père : -Il faut être un peu plus sage, hein. C'était ça. Mais nous on a vécu quand même dans ça, en fin de compte, hein. Moi je me souviens très bien avoir vécu dans ça, je me souviens des parachutages, des, tous ces trucs-là. Bon, après, donc nous sommes repartis, parce qu'en fin de compte il fallait plutôt quitter cette, cette région. Y a eu une époque, mais on a vécu longtemps quand même, cette, cette région. J: Mais sous l'Occupation, y avait des transports de, par péniche ? T: Oui. Oui, oui. Par péniche, et moi je me rappelle, je me rappelle des transports aussi par camion et tout ça, sur les routes, de gens, de, quand je vois des films, moi, ça, ça me rend malade parce que je me dis, j'étais gosse, je, j'ai pas tout compris, j'ai compris qu'après, mais quand je vois, je dis : oui. Y a des choses que je vois, ben, je me dis : oui j'ai vu ça. J: Et les Allemands venaient, ou pas ? T: Ah oui ! Ils venaient à la maison. Alors, alors là, pour vous dire, ils venaient à la maison, bon, une écluse c'est un peu isolé, hein. Vous voyez ce que c'est, c'est un peu isolé. Donc on avait des lapins, on avait des poules, on avait des trucs comme ça. Et ils venaient toutes les semaines. Ils réquisitionnaient, si vous aviez dix poules, eh ben, pour eux il fallait leur donner deux, huit œufs ou douze œufs, c'était des trucs comme ça. Bon, c'était ça, c'était ces, ces choses-là. Ça, je m'en souviens aussi. Et d'ailleurs, nous on avait un ruisseau. J'ai un petit, un petit frère qui s'est noyé dans ce ruisseau. Le ruisseau, c'est vrai, c'est pas des bons souvenirs pour moi, hein. J: Ils étaient corrects les Allemands ? T: Oui, y en a eu. Si. Si, y en a eu, pendant deux ans. J: Comment ça ? T: Pour vous dire, pendant deux ans, quarante et un jusque peut-être fin quarante-deux, pas plus. Parce que, parce que pour eux, ils nous considéraient un peu comme leurs, comment je vous dirais, un peu comme leurs amis, un peu comme leur famille, un peu comme, c'est vrai qu'y en avait que, mais après, mais après, fallait drôlement se méfier, hein. Ah oui, oui, parce qu'après on a eu les SS, hein. Question de ça, c'était plus les Collectage de la Mémoire orale de Champagne-Ardenne 7/16 mêmes, hein. J: Vous en avez vu ? T: Oui. J'en ai vu. Ouais, ouais. Oui, j'en ai, j'ai vu des Allemands pleurer, j'ai vu des Américains pleurer. Voilà, pour vous dire. Oui, donc, oui, parce qu'au début, bon, ben, les Allemands c'était le triomphe, c'était tout ça. Bon, ils étaient arrivés, nous… Et puis, puis après, ç'a été autre chose, hein. Et donc, et puis, et puis après, bon, ben, mais je vous dis, mon père était en cellule, ma mère enceinte comme ça, arrêtée, moi qui avais donc onze ans et demi, mon frère dix ans et demi, puisqu'on, même pas, on avait dix-huit mois d'écart. Eh ben, tout le monde arrêté et, et que c'est vrai que si, si ça avait été six mois plus tard, on aurait, de toute façon, on serait jamais revenus, hein. On l'a compris après, hein. J: Et vous aviez la télévision ? La, la, la radio ? T: Nous avions la radio, oui, pas de télévision, bien sûr, mais la radio qu'on mettait de temps en temps. De temps en temps, je vous dis. J: On mettait quoi ? T: On mettait des trucs, je peux pas vous dire, on entendait, bon, ben, j'étais quand même gamine, mais on entendait des choses. Des choses que petit à petit j'ai assimilées, mon frère aussi d'ailleurs, nous assimilions et, ben, c'est vrai qu'y avait certains messages, bon, au départ on comprenait pas, on n'était quand même que des gosses, hein. Mais après, c'est vrai qu'à douze ans, on avait tout compris. J: Tout compris ? T: Tout compris, oui. Tout. Tout compris. J: Compris quoi ? T: Compris qu'on était en guerre, compris que le moindre faux pas, on pouvait se retrouver à l'autre bout du monde, c'est-à-dire, c'est-à-dire plus rien, plus rien. Et puis, bon, après on, c'est vrai que, on, après on a eu les résistants. Ça, j'ai connu ça, j'ai connu. Donc, donc mon père en a fait partie, d'ailleurs. Et puis, bon, ben, quand vous voyez, des fois, vous avez beau avoir onze ans, douze ans, quand vous voyez, parce que j'ai vu des, des gens pas, des hommes pas très mal, pas très mal rasés, par exemple, tout ça. Maman faisait du café, du café, toujours, café, chicorée, c'était, on faisait dix fois la même chose, hein, une espèce de soupe. On avait la chance, on avait la chance, parce qu'on était à la campagne quand même, hein. Les, les écluses, c'est quand même à la campagne. Donc on avait quand même cette chance-là, on avait quand même des légumes, si on veut. Ben, combien de fois, je me rappelle que Maman elle faisait, elle refaisait, elle refaisait, hein. C'était du bouillon qui était pas très gras à la fin. Mais enfin, j'ai vu des trucs comme ça, c'est vrai. Et à douze ans, on commence à comprendre. Et puis, ma foi, bon, ben, on commence à se, à, à se méfier des Feldwebels. Voilà, voilà. C'était ça et puis, ça j'ai vécu, c'est, c'est mon adolescence, ça, parce que j'avais dix ans lorsque les, les comment donc, les, les trucs sonnaient au HAVRE, puisque je suis du mois de juillet, ça a commencé début septembre. Alors, je me souviens trop, on était en plein dans LE HAVRE avec Maman quand ça sonnait partout, que les cloches sonnaient, que les sirènes, les gens qui pleuraient partout. Et puis après, ben, ça a été mon adolescence, hein. J: Et l'adolescence, on a envie de, de sortir un peu, de, de loisirs, non ? T: Oh, arrêtez ! Vous étiez, de toute façon, même si, si par hasard, vous alliez au cinéma, vous aviez quand même les, les soldats qui gardaient les, on ne voyait pas n'importe quoi. Parce que, écoutez, j'ai, j'ai regardé un truc hier soir, c'est vrai, je me suis dit c'est vrai que j'ai été un peu, la chanson de Lily Marlène, bon, et c'est vrai que je la sais, je la sais. Eh ben, c'était des trucs qu'au cinéma c'était ça, c'était ces trucs-là. Et, et donc y avait, y avait des gardes aux portes de cinéma, y avait, on y allait très rarement d'ailleurs, hein. Parce que c'était tellement risqué ! Oui, c'était risqué, on peut pas dire autrement, hein. C'était Collectage de la Mémoire orale de Champagne-Ardenne 8/16 risqué. Et puis après c'était de pire en pire, hein. J: Et y avait pas de bals ? T: J'étais un peu jeune, mais je peux vous dire que quand même je pense qu'y en avait, mais c'était des bals clandestins, dans des granges, dans des fermes, dans des trucs comme ça. Ouais. D'après ce que je peux me souvenir. Puis c'est vrai, j'avais un père assez strict, hein, là-dessus, mais de toute façon c'était, non, c'était clandestin. Tout ce qui, qu'il pouvait y avoir, c'était clandestin, hein. J: Et vous vous souvenez de la Libération ? T: Ah ben, ça, oui ! Alors là, oui ! J: De quoi ? Alors racontez-moi. T: Alors là, alors là, oui. Lorsque, alors j'étais, donc, alors c'est très simple, lorsque certains sont arrivés... J: Qui ça ? T: Attendez, je vais vous le dire après. J'étais seule avec mes frères et sœurs à l'écluse donc de THUGNY-TRUGNY. Bon. Y avait un pont. Mon père était parti à la maternité, Maman était à la maternité de RETHEL. J'étais donc seule avec mes frères et sœurs. On était plusieurs. On voit des gars d'abord arriver, oh là là, sur le coup... Alors les premiers qui sont arrivés, ils étaient plutôt mal habillés, mal rasés, tout ça, oh, alors moi, moi j'avais quinze ans, oui, à cette époque. Bon, j'ai fait rentrer mes frères et sœurs dans la maison, puis on a été à la fenêtre et puis après, je vois des hommes donc en habit. Mais les premiers qui étaient arrivés, c'était les maquisards. Alors là, et puis après les autres, alors je commence à sortir, je me suis fait enguirlander par mon père quand, lorsqu'il est rentré, d'ailleurs, il m'a dit : -Oui, tu vois pas ce que vous avez risqué. Tout ça. Oh ! Bon. Et puis alors un des hommes en uniforme, c'était un Américain, il nous avait donné des paquets qui sentaient bon le pain d'épices. Alors là, je me rappelle ! Nous, on avait cru que c'était du pain d'épices, c'était des cigarettes ! Oh, la déception ! Parce que ça faisait X années qu'on n'avait pas mangé de pain d'épices, hein. Donc, nous, elle s'est passée comme ça parce qu'on était seuls, j'étais seule avec mes frères et sœurs, ça s'est passé comme ça. Alors les premiers, c'était des maquisards qui étaient, ben, ma foi, ils sortaient des bois, tout ça. Je connaissais un petit peu, hein, quand même, ils m'avaient pas fait trop peur, mais j'avais fait rentrer mes frères et sœurs, hein, quand même. Et puis après les autres en uniforme, je savais plus de trop, mais c'était pas l'uniforme allemand, hein, quand même. Et puis là, ben, oui, et puis après c'était, oh là là, c'était la joie, après. Alors quand mon père rentré, il m'a dit : -Oui, t'es cinglée ! Ça, je m'en souviens. -Tu te rends compte, vous auriez pu vous faire tuer tous ! Ben oui, ben, on avait été au-devant, hein. Voilà, hein. Et puis voilà, c'était comme ça, quoi. Ouais. J: Parce que vous étiez le seul lieu de passage, non ? T: Oui, oui. Oui, oui. Oui, parce qu'on était toujours, y avait toujours l'Aisne, et nous on était, donc ils traversaient l'Aisne et on était l'écluse qui était là. Donc c'était le pont, c'était l'écluse. Et y avait que nous, y avait pas d'autres maisons. J: Et là, vous n'avez pas vu les Allemands partir, avant ? T: Ah si. Ah si, on en a vu partir. J: De ? T: On en a vu partir sur les routes. J: De quoi ? T: Comment vous expliquer ? Si. Si. Collectage de la Mémoire orale de Champagne-Ardenne 9/16 J: Alors qui est-ce que vous avez vu partir ? T: J'en ai vu, j'en ai vu partir, j'en ai vu partir en camion, j'en ai vu, pff … J: De qui vous parlez, là ? T: Des Allemands, là, qui partaient. Et c'est vrai qu'on a eu de la chance, nous, dans, dans le coin où on était, je sais pas, on a quand même eu de la chance, parce qu'y a des régions qui n'ont pas eu la même chance, hein. Bon, ben, c'est vrai que les parents nous disaient, que les gens nous disaient : -Surtout, méfiez-vous, hein. D'ailleurs je me rappelle, au début, des Italiens, hein, aussi. Parce que ça, on n'en a pas beaucoup parlé, des Italiens, au début, en quarante. Mais en attendant, ça, je m'en souviens, hein. Donc quand les Allemands sont partis, c'est vrai, on les voyait sur les camions, et nous on était sur le bord de la route. Et c'est vrai qu'on se faisait tout petits quand même, parce que nous, et puis on voyait bien quand même, bon, y en a, comment vous dire, je suppose que, y a de tout dans le monde, hein, y a des bons et des méchants. La preuve que, moi je me souviens de celui qui nous a donné sa tartine de, sa tartine de saindoux, ça, j'ai toujours dit. Mais par contre, y en avait, ils étaient là avec leurs trucs, ça, je m'en rappelle aussi, ça, hein. J: Mais les Italiens, à quoi vous avez reconnu que c'était des Italiens ? T : Les Italiens, parce que, figurez-vous, là, c'était au début de la guerre. Bon, les Italiens, normalement, ils étaient avec les Français. Et lorsqu'on voyait les avions italiens, on leur faisait coucou. Et y a eu une époque, un jour, ben, ils nous ont tiré dessus. Ça, je m'en rappelle. On savait pas où on, et on, on se cachait dans les marécages. J: Et vous étiez ou à ce moment-là ? T: À ACY-ROMANCE. Et ils étaient là, ben, ils passaient, parce qu'on savait que c'était normalement des amis, d'après ce qu'on avait entendu par, par nos parents, par tout ça. Et donc, on faisait coucou, et un moment donné, ils nous ont mitraillés. Ça, je m'en rappelle, avoir été mitraillée. J: C'était avec qui ? Vous étiez avec qui ? T: Ben, avec mon, mon frère, surtout, mes petites sœurs, mes parents, à cette époque-là, et puis des, et puis des amis. On a été… Oui, oui. Nous, on, on leur faisait coucou, quoi. On était tout contents. J: Et alors après ? T: Après ? J: Après la guerre, vous êtes arrivés comment ? T : Alors, après la guerre, donc, nous sommes revenus, alors attendez, que je raconte pas des bêtises, nous sommes revenus dans la région de CHÂLONS-EN-CHAMPAGNE. C'est comme ça que ça s'appelle maintenant : CHÂLONS-SUR-MARNE. Voilà. Et donc mon père a été nommé, donc à l'écluse de CHÂLONS, puis nous avons fini par revenir en Haute-Marne. Voilà, en Haute-Marne, où je me suis mariée à FRONCLES. Mais moi, j'avais demandé une écluse. C'est comme ça que je suis arrivée en écluse. Bon, mon père avait toujours été éclusier, hein, en fin de compte. Mais au départ, il était pontier, éclusier, scaphandrier, et moi je me suis retrouvée éclusière. Et donc, de FRONCLES, c'est pas très loin, j'avais fait une demande, et je me suis retrouvée d'abord auxiliaire à l'écluse de BREUIL. Et j'ai un frère qui s'est marié avec une marinière, qui, elle, s'est retrouvée éclusière à BREUIL. Mon frère est décédé, ben oui, c'est toujours mon frère, hein. Lui il est décédé mais, bon, ben, et donc il s'est, sa femme s'est retrouvée éclusière à l'écluse de BREUIL. Moi, j'ai été presque deux ans remplaçante à l'écluse de BREUIL. Après j'ai fait plusieurs, à cette époque-là, mes parents habitaient déjà à FRONCLES, ensuite à MUSSEY-SUR-MARNE. Et puis après, j'ai donc eu, moi, mon écluse à SAPIGNICOURT. Voilà. Je suis restée à peu près trois ans, ah oui, oh, plus de ça, même, que j'ai donc été Collectage de la Mémoire orale de Champagne-Ardenne 10/16 éclusière moi-même. Voilà. J: Et après ? T: Après, ben, comme mon mari, mon mari travaillait à HAIRONVILLE, il faisait la route. Bon, après, j'ai dit : -J'en ai marre. Puis j'avais déjà trois enfants, je suis partie à HAIRONVILLE. J'ai regretté, d'ailleurs. J'ai pas peur de le dire, parce que, par la suite, comme on est revenus au Vert Bois, j'avais refait une demande d'écluse, mais, bon, ben, j'ai pas été reprise, hélas. Mais c'est vrai que, bon, ben, la vie de la marine c'était autre chose, la vie d'éclusière c'était autre chose. Voilà. C'est tout simple. C'est vrai que j'ai fréquenté donc un gars qui était marinier sur les Solvay. C'était une compagnie. Et puis, et puis, bon, ben, je me suis mariée avec un terrien. C'est comme ça. Puis voilà. J: Et alors, ça consiste à quoi, à être éclusière ? T: Alors, être éclusière, bon, je vous dirai : ça consiste à passer les bateaux. Bon, l'écluse, vous avez, comment vous expliquer, moi, bon, vous avez les, y a l'amont, y a l'aval, donc vous montez pour, y a les crémaillères à monter, alors y a beaucoup de, maintenant ils le font tout seul. J: Oui, mais vous, à l'époque ? T: À l'époque, ben, à l'époque c'était nous qui travaillaient tout le temps. De toute façon, on était sur l'écluse, pas trop la nuit, hein, pas la nuit, mais le jour, toute la journée, hein. Parce qu'on faisait le tour de l'écluse, vous aviez un bateau qui arrivait de là, fallait, y en avait un, quand on le voyait arriver pas trop loin, on disait : -Oh, on va attendre. On va pas... Pour que, parce que, voilà. Ben, c'était quand même dur, hein, monter les, les vannes, hein. Et puis, pour ouvrir les portes, fallait tourner, hein. Et puis voilà, ça se, ça se passait bien, hein. Ça se passait bien, et puis, moi je me rappelle, j'ai quitté, j'avais quand même un troisième enfant, hein. Alors, quand j'entendais un gosse crier chez moi, puis que j'étais de l'autre côté de l'écluse, ben oui, ben, il fallait faire le tour, hein. Et c'est vrai qu'une fois, j'ai failli, j'ai failli tomber dans, ben, à SAPI, à SAPI, c'est un de mes beaux-frères qui m'a récupérée. Mais j'étais tellement fatiguée que, c'est vrai que c'était du boulot, hein. Mais où était mon père, par contre, lui, il avait en plus un bureau. Il avait un bureau, c'est-à-dire il fallait noter tous les bateaux qui passaient, leur carte d'identité, si vous voulez, tous ces trucs-là, hein. Moi j'avais pas ça, mais j'avais un déversoir qui se trouvait en bas, à gauche de l'écluse de SAPIGNICOURT. Alors y avait, oui, c'était à gauche, y avait des moments donnés, fallait faire des, comment je vous dirais maintenant, des mouvements d'eau. Donc il fallait soit aller lever, parce qu'y avait trop d'eau qu'il fallait rejeter dans la Marne, donc c'était toujours à la main, tous ces trucs-là, hein, et c'était pas toujours facile, hein, c'était dur, hein. C'est vrai que c'était dur. Mais donc, oui, y avait, mais enfin, j'ai regretté d'avoir quitté. Ça, je peux vous le dire, hein. Bon, on avait des bons contacts avec les mariniers. Je me rappelle certains hivers, alors certains hivers où alors y avait de la glace, hein, avoir hébergé des mariniers chez moi, donc à l'écluse de SAPIGNICOURT. Et entre autres un grand-père, oh, qu'est-ce qu'il était heureux ! Qu'est-ce qu'il était heureux ce grand-père ! Ça je me souviens. J'avais mon premier enfant. Mon Dieu, comme il pouvait le bercer. Il était heureux, cet homme-là. Et puis, bon, parce que les, les bateaux, une fois coincés, il fallait casser la glace tout autour, hein, parce qu'autrement, si la glace trop, ben, ça aurait fini par crever les bateaux, quoi, c'est, les esquinter, hein. Fallait casser la glace, hein. Et il fallait casser la glace aussi autour des écluses, autour des portes, des crémaillères. Parce que c'était pas les hivers de maintenant. Quand vous aviez des épaisseurs comme ça, fallait la casser, hein. Moi je me rappelle avoir fait du patinage sur la glace sur le canal. Je le ferais plus maintenant. Non, mais c'est vrai, quand même, hein. C'est pas des Collectage de la Mémoire orale de Champagne-Ardenne 11/16 conneries. Et donc il fallait, y avait tous ces trucs-là, quoi. Et puis c'est, c'est vrai que c'était une vie, comment vous expliquer, moi, c'était une vie où on était, on était, j'étais bien. J'ai été conne de, de quitter. Parce que, mais c'est vrai que j'ai passé depuis mes dix ans, je peux dire, du jour où on a quitté LE HAVRE, j'ai toujours été dans des, dans des lieux où mon père avait toujours des, des écluses, mais loin de tout. On a été dans la vallée de Condé, entre autres, que je vous ai pas dit. Donc dans la vallée de Condé, c'est en dessous de Reims. Alors vous aviez une écluse tous les sept ou huit cents mètres. Y avait aucune maison entre, hein. Y avait rien, y avait pas d'école, y avait rien. Parce que je me souviens que mes petits frères et sœurs qui allaient à l'école, ben, ils partaient pour la journée. Ils emmenaient leur gamelle, c'était le cas de le dire, hein. Donc j'ai toujours eu, bon, ben, le jour où mon mari a travaillé à HAIRONVILLE, ben, j'ai quitté. J'ai eu tort. J: Vous êtes partie donc en quelle année ? T: Alors attendez. Ma dernière est née en cinquante-cinq, donc je suis arrivée, ben, en cinquante-cinq a HAIRONVILLE. Enfin, c'était pas ma dernière, mais, voilà. Mais autrement, autrement on avait tout. Donc, bon, on avait notre travail sur place. Ce qui était dur pour beaucoup, mais enfin, on avait nos gosses avec nous, enfin, c'est tout un ensemble, hein. La maison, les gosses, les, le ménage, enfin tout. Bon, on faisait beaucoup de, ben, on faisait des légumes, on avait nos arbres fruitiers, on faisait nos bêtes. Moi je me rappelle d'ailleurs ma mère, parce que moi j'ai pas été capable, ma mère avait une vache. Ouais, ma mère avait une vache. Moi j'ai pas été capable, j'arrivais jamais à la traire. Voilà. Et par contre, moi, mais c'est pas moi qui le faisais, j'ai eu des chèvres et des moutons, mais c'est mon mari qui les, qui les trayait. Moi je savais pas, j'ai jamais su. Ouais. Donc c'est vrai que c'était une autre vie, quoi. J: Et y avait des tâches administratives à faire ? T: Ah ben, oui, hein, quand même, hein. Fallait quand même noter les bateaux que, parce qu'à cette époque-là, si, fallait les, quand même, vous aviez, noter les bateaux qui passaient, donc on en avait tant par jour. Ils avaient quand même des, comment je vous dirais, si vous voulez, des cartes d'identité, hein. Bon, on savait d'où ils venaient, où ils allaient, le chargement. Ça c'est sûr. On connaissait les gens. À force, c'était une famille. On connaissait les gens, parce qu'il y en a qui repassait tous les trois, quatre mois, parfois six mois, mais on se connaissait. On se connaissait. Voilà. Alors voilà, c'était ça, quoi. Puis c'est vrai qu'on faisait du troc avec eux. Ben oui, nous on avait des légumes, on avait des fruits, on avait des œufs, on avait de la volaille. Eux, ben, eux ils avaient des fois autre chose. Bon, y a eu, y en a qui, y en a qui avaient du vin, bon, ben, ça m'intéressait pas, mais y en a qui avaient, je me souviens, tout, au début qu'y a eu les Américains, y a eu beaucoup de, de trucs américains qu'on avait. Des, des, pas des portions, des, enfin, si vous voulez, c'est des portions, mais c'était pas comme ça que ça s'appelait. On avait des, des colis. Alors y avait un peu de tout dedans : y avait de la confiture, y avait des gâteaux, y avait du chocolat, y avait des pâtes, y avait, je sais plus comment on appelait ça. Je m'en souviens plus, je vais vous dire des portions, mais c'était pas des portions qu'on appelait. Alors des, donc, on faisait du troc. J: Des rations ? T: Des rations ! Voilà, c'est plutôt ça. Avec l'armée américaine. Y a eu beaucoup, d'ailleurs, dans l'armée de Condé, dans, dans la vallée de Condé. Ça, beaucoup. D'ailleurs, j'ai eu un petit frère dans la vallée de Condé, qui a été sauvé par un Américain. Ouais, j'avais un petit, eh ben, un de mes petits frères qui est décédé aussi, dont sa femme était batelière, et qu'elle a été éclusière, il est décédé aussi. Pas de chance, moi, avec mes frères. J'en ai plus qu'un. Il est en Bretagne. Alors je dis à ma belle-sœur : -Garde le bien, hein. Parce qu'il était tombé à l'eau. Bon, moi, je sais pas comment j'ai su nager. J'ai, j'ai dû Collectage de la Mémoire orale de Champagne-Ardenne 12/16 savoir nager en venant au monde, hein. Mon frère après moi, ça a dû être pareil. Mais les autres, non, je sais pas. Et donc ce petit frère-là, donc, dans la vallée de Condé, il est tombé à l'eau. Et puis on s'en est pas rendu compte sur le coup. Mais tout d'un coup, on a vu un short rouge. Et mon, j'étais pas toute seule, hein, on a crié. On a crié. Et c'est un Américain qui s'est jeté à l'eau, ça je m'en rappelle. C'est un Américain qui s'est jeté à l'eau, qui l'a récupéré et qui lui a fait le bouche-à-bouche, hein. Voilà. Ah si, nous, on a eu des problèmes comme ça. Parce que j'ai même eu un petit frère qui s'est noyé, ben, dans les Ardennes, hein. Parce qu'on avait un ruisseau qui passait le long et, donc derrière la maison éclusière, y avait ce ruisseau. On avait un, une espèce de passerelle en bois et de l'autre côté on avait, on avait des écuries, quoi. Y avait des lapins, y avait des poules, tout ça. Et ça c'est, ça c'est un truc qui, qui me marquera jusqu'à la fin de ma vie parce que, bon, comme j'étais la plus vieille, j'avais parlé à ma mère par la fenêtre et puis, bon, elle m'a dit : -Tu vas aller donner à manger aux lapins. Tu vas aller fermer les, les poules, tout ça. Et donc j'y suis allée. Et là, et là... Bon, ben, j'y suis allée. Et puis, un moment après, j'étais rentrée. Elle m'a dit : -Ben, où est Bernard ? Bernard… Ben, j'ai dit : -Je sais pas. Il est à la maison. Et pour la première et dernière fois de sa vie, mon petit frère a ouvert la porte et il m'a suivie. Je l'ai pas vu. Et sur la passerelle, qui était comme ça, il a tombé dans le ruisseau. On l'a retrouvé le lendemain. Et ça, c'est, je m'en suis toujours voulu. On m'a dit non, mais moi je m'en suis toujours voulu. J: C'était dangereux alors de, d'habiter là ? T: Ah ben, oui. Ben oui parce que, bon, j'ai eu mon frère Daniel, il a quand même tombé, ben, lui, deux fois dans l'eau. Ah ben oui, c'est, c'est quand même des endroits très dangereux pour les enfants, hein. Bon, y a une fois, il est tombé en amont de l'écluse, eh ben, c'est à FRONCLES, oui, ça doit être Daniel, il est tombé à FRONCLES, au-dessus. Bon, nous, par contre, moi je vous dis, personnellement, avec mon, mon frère qui, nous, je sais pas comment on a appris à nager. Je sais pas. On, nous, on ne, on a parti comme des, je sais pas, mais les autres, c'est vrai, on n'a jamais appris. Ma mère n'a jamais appris à nager, tout ça. Nous, on, on n'avait pas peur de l'eau. Moi je me souviens, lorsqu'on était dans la région parisienne, là au-dessus, à ABLON, avec mon frère on faisait toujours des conneries. Donc on, bon, y avait l'écluse, alors l'écluse électrique, y avait une dizaine de bateaux qui rentraient, de l'autre côté, y avait un barrage qui reliait une autre écluse de l'autre côté, sur la Seine, hein, que c'était. Alors nous, moi avec mon frère, on s'amusait, quelles cloches qu'on était, enfin, on s'amusait à sauter dans les barges. Et un jour j'ai sauté trop loin. Je me suis retrouvée, ben, carrément dans la Seine, au-dessus du barrage. Comment je m'en suis sortie, j'en sais rien. Voilà. C'était ça, moi, moi et mon frère, c'est pour ça, enfin, il pourrait vous en raconter autant que moi, hein. J: Et vous parliez quand vous, quand vous étiez dans, en Haute-Marne ? T: Alors lorsqu'on est revenus en Haute-Marne, donc, ben oui... Je vous fais perdre votre temps ? J: Pas du tout. T: Ah bon ! Ben, lorsqu'on est revenus en Haute-Marne, bon, parce que mes, mes parents voulaient se, se rapprocher, ben, de SAINT-URBAIN. Mon père surtout, hein. Parce que sa famille était de SAINT-URBAIN, Maman, de JOINVILLE, c'était là. J : Et ça, ça changeait ? C'était pas le même type d'écluses, ou ? T : Ah ben, non! Ah ben, non, parce que là, il passe qu'un bateau, hein. Là-bas, y en passait dix. Collectage de la Mémoire orale de Champagne-Ardenne 13/16 J : Mais pas dans la, non, non, mais par rapport à, aux Ardennes ? T: Ah ben, aux Ardennes, c'était quand même un bateau. Mais bon, ben, c'était autre chose quand même. C'était le même trafic en fin de compte. Mais à cette époque-là, le trafic était intense, hein. Vous savez, vous n'aviez pas le temps de vous amuser, hein. J: Et quand vous êtes revenus dans, dans la Haute-Marne.... T: Oui ? Oui ? J: Y avait aucun trafic sur la Marne ? T: Non. Non, non. J: Ni, que, que sur les canaux ? T: Que sur les canaux. Que sur les canaux. J : Et vous savez pourquoi la Marne était pas utilisée du tout ? T: Ah ! Je ne sais pas. Par contre, ce que, non, non, je sais pas. Mais par contre, je sais que bien plus haut, comment je vous dirais, moi, parce que j'ai vu ça quand même, hein, j'ai vu deux fois en allant, pff, oh, sur DIJON, peut-être plus loin, parce que j'y suis allée deux fois quand même, et par là, le, la rivière, si on veut, parce que je sais plus comment que ça s'appelle, est utilisée. Mais pas ici, hein. Non, jamais, hein. Jamais. Si, on y allait en barque, on y allait, ça, on a fait des sacrées conneries en barque, hein. Mais pas, non, non, pas de bateau, hein. Non, j'ai jamais vu de bateau sur la Marne, hein. Si... J: Et, et par rapport au type de péniches ? T : Oui ? J: Y a eu une évolution des péniches ? T: Oh ben, oui ! Parce qu'au début, vous aviez les péniches que les hommes tiraient, les hommes et les femmes, d'ailleurs. Oui, c'était, c'était à main. Ça, j'ai connu ça à main. Ils tiraient leur bateau à main, alors avec des cordes, des cordes au dos, ils étaient deuxtrois, des fois quatre, et ils tiraient leur bateau, surtout quand ils étaient pleins, hein, les pauvres, hein. Ah oui, là, c'était dur, hein. On les voyait les hommes, les hommes et puis les femmes, des fois des grands gosses qui tiraient leur péniche, hein. Après, y a eu les chevaux. J: Quand ça ? T: Pff... Dans le milieu de la guerre. Parce qu'y a eu les tracteurs, aussi. Je me souviens aussi des tracteurs. Mais dans le milieu de la guerre, que c'était, vers quarante-deux, ça. Les chevaux, les tracteurs. Mais au départ, c'était, c'était les hommes qui tiraient leur péniche, hein. Ah oui, alors là, c'était autre chose. Ça je m'en souviens quand même, hein. Quand vous voyez les gens qui tirent leur péniche, ils avaient, ils avaient le harnachement, les cordes derrière, et puis… Ah oui, ça c'est vrai. Oui. J: Et pour passer les écluses, alors ? T: Ben, c'était pareil. Bon, les gosses arrivaient devant, les gosses arrivaient les premiers, les plus petits gosses, parce que voilà, on travaillait de bonne heure, les plus petits gosses arrivaient devant. Bon: -Papa, Maman, ils arrivent. On commençait à préparer l'écluse pour qu'elle s'ouvre pour quand ils arrivaient, les gens. Mais c'est vrai qu'ils tiraient leur bateau à, à dos d'homme, hein, c'était le cas de le dire, hein. Là, c'était du dur, hein. Parce que tirer les bateaux, c'était une, une sacrée histoire. Ça je l'ai vu, je dis pas que je l'ai fait. Presque, mais je dis pas que je l'ai fait, quand même, hein. Mais à dos d'homme, parce qu'on leur donnait des, des coups de main quand ils arrivaient à l'écluse, hein, quand ils lançaient les amarres, fallait quand même courir pour les rattraper, tirer sur les filins, et tout ça. C'est vrai. Ça c'était dur quand même, hein. Là, après, ça a dû s'arranger, bon, après, y a eu les chevaux, y a eu les tracteurs. Ça a dû s'arranger, oh, je dirais, je ne sais plus, moi, parce que, pas durant la guerre, après, après. J: Et les péniches étaient pas motorisées ? Collectage de la Mémoire orale de Champagne-Ardenne 14/16 T: Pas toutes. Non, y en avait pas beaucoup. Pas beaucoup, au départ. J: De ? T: En quarante, quarante-deux, quarante-trois, non. Non, non. Après, quand y a eu les compagnies. Donc la compagnie Solvay, puis y en a, je me souviens surtout de celle-ci, parce que j'ai fréquenté un des gars, c'est pour ça que je me souviens, hein, mais y en avait d'autres aussi, des pétroliers. J: Alors elles marchaient comment ? T: Comment ? J: Comment elles fonctionnaient ? T: Ben, ils avaient leurs moteurs à l'intérieur, sur la voiture, sur la voiture, moi, sur, sur leur, sur leur bateau, quoi. Ils avaient, mais après, ils étaient bien, c'était des, leurs bateaux, c'était drôlement bien, hein, c'est, à l'intérieur, tout ça, c'est des vrais logements, hein. J: Alors comment vous l'avez rencontré, votre marinier ? T: Mon marinier ? Ben, simplement, parce que tous les deux-trois mois, ben, il passait l'écluse. Avec ses parents, au départ. Et moi, j'étais chez mes parents, au départ aussi. Puis après, voilà, c'est vrai, puis, bon, les parents étaient d'accord d'un côté comme de l'autre, et puis nous, ben, après tout, bon, moi je connaissais pas grand monde, hein. Je voyais que les mariniers qui passaient. Les mariniers qui passaient ne voyaient que les, les enfants d'éclusier. Ça s'était passé comme ça, quoi. Et puis c'est vrai qu'on avait décidé, et puis un moment donné, ben, je sais pas. On a changé de département, déjà, ça a fait. Et puis je sais pas, j'ai connu un autre, et puis voilà. Mais, mais je, je sais pas, j'aurais mieux fait. Enfin, c'est comme ça, c'est la vie, quoi. Oui, oui, mais c'est vrai que c'était une autre vie. Parce que je vois, bon, ben, j'ai une belle-sœur qui était marinière, qui a, était chez ses parents dans un bateau. Elle a conduit un bateau elle-même. Ensuite elle s'est mariée. Mon frère, qui était fils d'éclusier, elle s'est retrouvée éclusière ellemême. Et puis voilà, hein. Non, mais je crois que c'était, bon, ben, comment je vous dirais, moi, bon, ben, c'était les gens de la marine, quoi. Bon, les mariniers, les bateliers, c'était les gens de la marine. Les éclusiers c'était des gens de la marine, quoi. C'est tout. On connaissait guère personne d'autre. Parce que les écluses, c'était loin des villages bien souvent. Donc on connaissait personne d'autre, que ce soit les filles ou les garçons. Et les gens sur les bateaux, c'était pareil, voilà, les filles ou les garçons, ben, voilà. C'était ça. C'était une bonne vie. C'était une belle vie. Ouais. J'aurais pu, oui, j'ai un petit peu voyagé, mais pas… Enfin, c'est cloche, quoi. C'est la vie. Voilà. Et donc, là, c'est l'écluse de MUSSEY-SUR-MARNE. Alors là, je peux vous dire, bon, là, c'est mon père qui était éclusier. J: Alors asseyez-vous. Je vais regarder avec vous. T: Ah bon ? J: Oui. T: Alors mon père, éclusier à MUSSEY-SUR-MARNE, qu'il a démarré au port du HAVRE. Y a ma mère. Là, mon frère dont je vous parle tant. Attendez, j'ai mes frères et sœurs, là, c'est mon mari, c'était. Mais... J: Alors y a vous aussi ? T: Oui, ben, je suis à côté, là. J'ai changé, hein. Mes petites sœurs, parce qu'on était plus de monde, beaucoup de, là, c'est un de mes fils qui n'est plus, hélas, aussi. Enfin tout le monde a eu des trucs, quoi. J: Rappelez-moi, vous étiez combien de frères et sœurs ? T: J'étais l'aînée de dix-sept. Oui. Ouais. L'aînée de dix-sept enfants. Moi j'en ai eu huit. Aujourd'hui, je ne compte plus mes arrière-petits-enfants. Ouais. Ben oui. Alors là, là, donc, y a mon frère. J: Et vos enfants sont tous nés à l'hôpital, ou… ? Collectage de la Mémoire orale de Champagne-Ardenne 15/16 T: Non. Non, non, non, non. Que je raconte pas de bêtises, j'ai d'ailleurs ma, ma, ma deuxième enfant, ma, ma fille aînée, elle, elle est née à l'écluse de SAPIGNICOURT. Et quand, lorsque la sage-femme est venue de SAINT-DIZIER, simplement elle avait mis de l'eau de Javel dans l'eau pour la laver, qu'elle s'est trompée. Ça, je m'en, je m'en souviens. Ça nous a marqués. Non, non, non, j'en ai eu plusieurs, non, j'ai pas tous : mon premier, j'ai été à la maternité de SAINT-DIZIER, donc ça fait X temps, ma deuxième donc à l'écluse de SAPIGNICOURT, ma troisième j'habitais à HAIRONVILLE, mais je suis venue en catastrophe à la maternité. J'en ai eu à la maison, à, ouais. J: D'accord. Ben, je vous remercie bien. T: C'est moi qui vous remercie. Collectage de la Mémoire orale de Champagne-Ardenne 16/16