1937 GRAND ORIENT DE France GRAND COLLÈGE DES RITES
Transcription
1937 GRAND ORIENT DE France GRAND COLLÈGE DES RITES
1937 GRAND ORIENT DE France GRAND COLLÈGE DES RITES SUPRÊME CONSEIL POUR LA FRANCE ET LES POSSESSIONS FRANÇAISES 1937 Bulletin N° 18 des Ateliers Supérieurs LUQUET, FRANC-MAÇON ET PHILOSOPHE F... Luquet. — Je dois tout d'abord remercier le T... P... S... Grand Commandeur et le Grand Collège des Rites de l'honneur qu'ils m'ont fait en me chargeant de remplacer le Grand Orateur et le Grand Orateur Adjoint, absents tous deux pour cause de maladie. N'ayant pas eu le temps matériel de préparer cette participation inattendue aux travaux du Grand Chapitre, je sollicite votre frat... indulgence pour mon improvisation. Mais avant de prendre la parole ès qualités de représentant du Grand Collège des Rites, je voudrais faire une brève allusion à ce qui vient d'être dit tout à l'heure à propos de nos méthodes de travail. Et tout d'abord, je m'offre à vos coups, car je suis le philosophe auquel on a fait allusion. Mais j'ai des excuses. Et, puisque je suis pour le moment Orateur, je vais tout naturellement relire la Constitution1. Son article premier dit : « La Franc-Maçonnerie, Institution essentiellement philanthropique, philosophique et progressive... » Si c'est une tare, dans cette institution, d'être un philosophe, voire un philosophe professionnel, alors, je vous le demande, qui restera-t-il sur nos colonnes ? Et maintenant, sans récriminer sur le passé, je voudrais m'appliquer à préparer l'avenir. Pour nos Grandes Tenues de septembre, il y a un sujet qui vous a été proposé. A propos de ce sujet, il faut laisser à chacun sa responsabilité. Si c'est le Grand Collège des Rites, représenté par son Grand Commandeur, qui l'a soumis à votre étude, c'est moi qui l'avais proposé. Et c'est ici que vous retrouvez le philosophe. Eh bien ! d'avoir proposé ce sujet, je prends la responsabilité entière, à la fois philosophique et maçonnique. Au point de vue philosophique, des gens bien intentionnés, et d'autres aussi, nous reprochent ... c'est un fait qu'on reproche au Grand Orient de France, dans son ensemble, de faire trop de philosophie et pas suffisamment de Maçonnerie. Pour ne pas donner prise à ce reproche, qui est sincère de la part de certains, le Grand Collège des Rites a précisément écarté un certain nombre de sujets qui figuraient sur une liste proposée à son examen. Et cela, je le sais bien, puisque c'est moi qui lui avais soumis cette liste. Or, après élimination des sujets jugés litigieux, que restait-il de cette liste, et que peutil rester, si l'on obéit au même scrupule, d'une liste quelconque ? Uniquement des sujets de bachot, de ces sujets qui ne cassent rien qui ne gênent personne et qui fournissent tout au plus matière — à moins que les gens qui sont chargés de les traiter ne veuillent pas s'en donner la peine — à des laïus, c'est-à-dire à des développements plus ou moins littéraires et élégants, mais purement verbaux, et qui, vides de substance, sont aussi incapables d'instruire que de choquer. 1 Il s’agit de la constitution du Grand Orient de France, ses fondements. Ce n'est pas ma faute si l'on ne veut pas d'autres sujets ; ce n'est pas ma faute si l'on n'en propose pas d'autres à votre étude, qui seraient assurément intéressants, mais que certains, de ce fait même, trouveraient choquants. J'ajoute que si je qualifie de « sujets de bachot » ceux qui vous sont soumis, c'est parce que j'appartiens à l'enseignement du second degré ou « secondaire », épithète employée parfois avec une intention péjorative. Je suis toutefois persuadé que dans l'enseignement de base, au brevet supérieur et même élémentaire, on donne aussi des sujets de ce genre-là. Et alors, laissez-moi vous dire que vous vous calomniez en prétendant qu'ils sont audessus de vos moyens, de vos possibilités. Je ne parle pas seulement du sujet qui nous a occupés tout à l'heure, dont un certain nombre de nos FF... vraiment trop modestes, nous ont dit : « Nous n'y avons rien compris », mais aussi du sujet que nous examinerons au prochain Grand Chapitre, parce que d'autres FF., nous ont dit: « Nous n'y comprenons rien ». Eh bien, laissez-moi vous répondre : Ce n'est pas vrai. Vous comprenez très bien, seulement vous êtes Français, et, comme moi aussi, vous êtes frondeurs. Une voix. — Vous aussi. F... Luquet. — Naturellement. Il ne s'agit d'ailleurs pas de vengeance, mais de Justice. Certains d'entre vous se sont dit : Le Grand Collège des Rites nous donne à étudier ce sujet. On va lui dire que c'est un mauvais sujet. Dans cette circonstance, je vous dis simplement : Prenons la chose pour ce qu'elle est, pour une manifestation tout simplement sympathique, et n'en parlons plus. Eh bien ! Mes FF..., puisque je suis le philosophe officiel, je vais vous montrer que ce sujet est bien simple et en outre qu'il n'est pas permis à un Franc-Maçon de ne pas le comprendre. N'oublions pas que nous sommes sortis, que cela vous plaise ou non, de la Grande Loge d'Angleterre, laquelle Grande Loge d'Angleterre repose sur les Constitutions d'Anderson, Constitutions inspirées par ce qu'on appelle les anciens devoirs. Et alors, voilà des Francs-Maçons, l'élite des Francs-Maçons, les Francs-Maçons supérieurs, qui nous disent : Voilà un terme de la Maçonnerie bleue, — Maçonnerie bleue dont il faut faire partie, nécessairement, pour accéder aux plus Hauts Grades, —- voilà un terme que nous ne comprenons pas. Devoirs, Obligations, Landmarks, tout cela, c'est la même chose. Et alors, comment pouvez-vous nous dire que vous ne comprenez pas ? Et j'irai plus loin. Je vais — ce sera d'ailleurs à mon bénéfice, puisque c'est moi qui dois être le rapporteur de ce sujet au mois de septembre —-vous dire non pas, bien entendu, comment doit être traité le sujet, mais ce que, dans mon esprit, signifie son énoncé. Voilà trois ans que je lis des rapports. Notez que j'aime bien cela. Cela m'a permis de faire certaines constatations objectives. Eh bien ! le Rapporteur, même lorsque, comme cette année, pour la première fois, c'est lui qui a proposé le sujet, ne sait pas du tout, je vous en donne ma parole d'honnête homme et de Franc-Maçon, ne sait pas du tout, dis-je, quand il commence son rapport, quelles en seront les conclusions. Seulement, ce qu'il sait, ce qu'il demande aux rapports particuliers, ce qu'il trouve bien rarement aussi, c'est de s'être demandé, avant de traiter le sujet, ce qu'il veut dire. Eh bien ! Ces mots devoir et obligation ont la même signification. J'avais d'abord mis devoir tout seul, et ensuite je me suis dit : pour ceux qui n'auront pas compris ce mot devoir, je vais ajouter obligation, donc devoir ou obligation. Et c'est précisément là-dessus que j'ai été repris, très fraternellement d'ailleurs, par des FF... qui m'ont dit : Vous mettez devoir ou obligation, première nouvelle que c'est la même chose. J'ai donc fait mon devoir en leur apprenant que c'était la même chose, alors qu'ils ne s'en doutaient pas. Et alors, pour ceux qui affectent de n'avoir pas compris le sujet, quel était le sens précis dudit sujet ? Non seulement dans l'enseignement supérieur et dans l'enseignement secondaire, mais même dans l'enseignement primaire, on n'oublie pas de parler d'un certain Kant, dont je peux dire d'ailleurs que c'était un Maçon sans tablier2, et qui est l'auteur d'une morale qui repose sur l'idée d'obligation ou devoir3. Eh bien ! Je ne peux pas admettre que dans un Atelier Supérieur il n'y ait pas au moins un F... qui n’ait entendu parler de la morale de Kant et qui ne soit capable de donner, au nom de son Atelier et après les travaux de son Atelier, son opinion sur une doctrine qui a de nombreux points communs avec les conceptions morales et politiques de la Révolution Française et la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen. Je m'excuse, mes FF..., je souffrais d'une intervention rentrée, il a fallu qu'elle sorte, puisque je n'avais rien dit au cours de la discussion tout à l'heure. Au point de vue maçonnique, il est une chose qu'il faut tout de même dire, c'est qu'il y a deux conceptions de la Maçonnerie, dont je vais schématiser l'opposition. Evidemment, comme toutes les généralisations, ce sera inexact par excès de simplification mais dans l'ensemble, ce sera vrai. II y a la Franc-Maçonnerie anglo-Saxonne, et il y a la Franc-Maçonnerie latine, dont, au point de vue de l'action, nous pouvons prendre comme type le Grand Orient de France. L'une et l'autre ont historiquement la même origine, l'une et l'autre invoquent dogmatiquement les mêmes textes; les fameux landmarks; mais il y a entre les deux, à cause du climat national et historique dans lequel elles se sont respectivement développées, une différence très nette. Je n'ai pas dans la mémoire le texte exact des landmarks, mais je ne trahis rien, je ne mens pas à leur sens, en disant que le but de la Maçonnerie, c'est l'amélioration de l'individu et de l'humanité. Eh bien ! De ces deux termes qui se complètent mutuellement, je crois que la Maçonnerie anglo-Saxonne et la nôtre se sont attachées, avec des nuances, plus spécialement à l'un des deux termes : la Maçonnerie anglo-Saxonne cherche surtout l'amélioration individuelle, tandis que la Maçonnerie latine, et le Grand Orient de France en particulier, cherche surtout l'amélioration de la société. Je laisse de côté tous les à-côtés de la question. II est bien entendu que la Maçonnerie latine, que le Grand Orient de France, sur la question des améliorations sociales, travaillent dans l'abstrait. II ne s'agit nullement pour la Maçonnerie en tant que corps, ès qualités, comme le prétendent les adversaires plus ou moins bien intentionnés de notre Ordre, d'intervenir sur le forum. Mais il s'agit d'étudier entre nous — sans jamais dépasser les données objectives — les questions qui intéressent le plus la majorité de nos FF... questions d'ordre général, politique et social. A cela, pour mon compte, je ne vois aucun inconvénient. Le mal, précisément, peut se définir à ces deux points de vue-là. Vous me faites du mal, à moi, citoyen. Je fais ce que je veux. Libre à moi, comme à Jésus de tendre l'autre joue pour recevoir une autre gifle: cela me regarde. Il y a des femmes, à ce qu'on dit, qui aiment à être battues, Mais n'oublions pas qu'en Maçonnerie nous avons signé une « obligation » — ce mot dont certains prétendent ignorer le sens. Qu'est-ce donc que l'obligation ? C'est le devoir qu'on s'engage à s'efforcer d'accomplir selon ses moyens. Par cette obligation que vous avez signée, « Maçon sans tablier » désigne une personne dont la pensée ou l’action s’accorde avec les principes de la franc-maçonnerie bien qu’elle n’y fût pas initiée. 3 Ici Luquet suit scrupuleusement la Critique de la raison pratique, particulièrement le chapitre « Des mobiles de la raison pratique » (I, 1, ch.3). 2 vous vous êtes engagés à travailler au bien-être de l'humanité en même temps qu'à votre amélioration personnelle. Eh bien, mais le méchant, celui qui vous fait du tort à vous, il ne fait pas de tort qu'à vous, en réalité. Vous avez le droit de pardonner les injures qui ne sont faites qu'à vous personnellement, mais par contre vous n'avez pas le droit de pardonner celles qui sont faites aux autres, y compris celles qui sont, pour ainsi dire, faites à autrui à travers vous. La punition d'un mal déjà accompli, si elle ne concernait que lui, ne serait que vengeance, car le mal fait au méchant ne peut réparer le mal fait par le méchant, et il ne peut pas davantage améliorer le méchant, le laver de sa faute. La punition ne vise pas le passé, mais l'avenir. Elle a d'abord pour rôle d'empêcher le coupable de récidiver; c'est pour cette raison que, dans la justice pénale, le sursis suspend l'application de la peine, si sa menace suffit pour empêcher une nouvelle faute. Et elle s'adresse surtout, à titre d'exemple, aux coupables éventuels; c'est un obstacle dressé devant ceux qui seraient tentés dans l'avenir de faire du tort à quelqu'un des hommes qui, même en dehors de la Maçonnerie, sont nos Frères. Ne pas tenter d'empêcher ce mal futur, alors qu'on le pourrait, serait s'en rendre complice, et le seul moyen de s'y opposer, si imparfait qu'il soit, c'est la peur. La punition du coupable passé ne s'adresse pas en réalité a lui, et elle ne vise peut-être même pas les hommes qui ont, si l'on peut dire, une âme de criminel, de méchant. Elle s'adresse essentiellement à la majorité, qui n'est composée ni de héros ni de canailles, mais d'hommes comme vous et moi, qui sont en somme de braves gens dans le cours ordinaire de l'existence, mais qui ne seraient pas incapables de commettre, sous la pression des circonstances, quelqu'une de ces fautes dont auparavant ils pensaient en toute bonne foi : Jamais je ne ferai cela. Ils pourront être tentés de commettre cet acte coupable en se donnant comme excuse : Après tout, ce ne sera peut-être pas si grave que cela. Mais si l'on a dit d'avance, sans s'adresser à personne en particulier : Pour celui qui agirait ainsi, voici la trique, et vous avez vu que nous n'hésitons pas à l'employer, cela donne à réfléchir à celui qui songeait à commettre une faute, l'aide à vaincre sa tentation, et l'empêche de faire du tort, soit à vous, soit à d'autres. Tel est, selon moi, le rôle de la punition du méchant. Elle n'est certainement pas vengeance; elle n'est même pas en un sens justice. Elle est précaution et défense à l'égard des victimes éventuelles, en même temps qu'assistance à la moralité chancelante des gens que la crainte d'un châtiment empêchera de faire le mal qu'ils auraient fait sans cela. Et maintenant, mes TT... CC... FF... Chev..., je reprends la parole à titre officiel. Puisque vous êtes membres des Ateliers Supérieurs, je vous demande de redoubler d'efforts pour donner à vos FF... les preuves de cette supériorité. Vous êtes une élite: montrez-le par votre zèle et par vos résultats et ne vous plaignez pas lorsqu'on vous propose des sujets de méditations qui, à vous entendre, seraient au-dessus de vos moyens. J'ajoute que vous avez, en tant que membres des Ateliers Supérieurs, une tâche maçonnique à remplir. Une fois entrés dans les Ateliers Supérieurs, vous continuez obligatoirement à faire partie des Ateliers Symboliques. Or vous n'ignorez pas que certains des FF... qui les composent — ce sont parfois ceux-là mêmes qui sollicitent avec le plus d'avidité les grades supérieurs — accusent nos Ateliers Supérieurs de réactionnarisme. A les en croire, par une application bizarre du symbolisme des couleurs, les bleus seraient les bleus, les rouges, les noirs et les blancs seraient les blancs. Mais cela, même faux, c'est de la politique, et pour cette raison, je veux le laisser entièrement de côté. Mais on accuse aussi les titulaires des grades supérieurs, et cela est plus grave, d'un certain « distantisme », sinon même d' « absentéisme » à l'égard des Ateliers symboliques. Eh bien ! Mes TT... CC... FF... Chev..., dans la mesure où c'est ma fonction de vous morigéner officiellement, je vous demande de ne pas donner prise à ces accusations qui parfois ne sont pas des calomnies, mais simplement de la médisance. Certes, je le sais mieux que personne, dans notre vie trépidante on ne fait pas toujours ce qu'on voudrait, et quand on est sollicité par plusieurs tâches, il est matériellement impossible d'en faire plus d'une à fois. Même, au régiment, d après mes souvenirs, quand les débrouillards étaient commandés par le sergent de semaine et le caporal d'ordinaire pour deux corvées à faire en même temps, ils prenaient prétexte de chacune d'elles pour ne pas faire l'autre. Sans aller si loin, dans la vie civile, profane ou maçonnique, il peut arriver que placé entre deux besognes qui ne sont pas des corvées, mais dont on n'aperçoit aucune raison de sacrifier l'une à l'autre, on imite la conduite légendaire de l'âne de Buridan et ne se décide à faire ni l'une ni l'autre. Je sais tout cela. Mais, compte tenu de toutes vos occupations, je vous remets au tribunal de votre conscience, et je vous demande de témoigner aux Ateliers bleus, dont vous êtes membres non seulement par votre présence mais par votre collaboration active, que vous avez conscience que les grades supérieurs dont vous êtes porteurs ne sont pas des dignités, mais des charges et qu'en les acceptant vous vous êtes reconnus capables d'essayer, après avoir été instruits vous-mêmes, d'aller instruire vos FF... chez eux, dans la mesure de vos moyens et de leurs désirs, en vous appliquant à faire du nivellement, non pas par en bas, mais par en haut.