Chambre disciplinaire de 1ère instance de l`Ordre des Médecins de

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Chambre disciplinaire de 1ère instance de l`Ordre des Médecins de
ORDRE NATIONAL DES MEDECINS
Chambre disciplinaire de 1ère instance de
l’Ordre des Médecins de Franche-Comté
N° 12/07
__________
Conseil Départemental de la Haute-Saône
c/
Dr A.
__________
Audience du 21 janvier 2013
Décision rendue publique
par affichage le 12 février 2013
LA CHAMBRE DISCIPLINAIRE DE PREMIERE INSTANCE,
1/
Vu, enregistrée le 16 mai 2012, la lettre par laquelle le Président du conseil de l’ordre
départemental des médecins de la Haute-Saône, dont le siège est Immeuble « Le Galaxy 1», Zone
Technologia, 6, rue Victor Dollé à VESOUL (70000), transmet à la chambre disciplinaire de première
instance le procès-verbal de la séance du 12 avril 2012 par laquelle le conseil départemental a décidé de
porter plainte devant la chambre disciplinaire de première instance le Dr A., exerçant (…) et inscrit au
tableau de l’Ordre des médecins de la Haute-Saône sous le n° (…) :
Le conseil départemental a décidé de porter plainte contre le Dr A. après avoir été lui-même saisi
d’une plainte par M. et Mme B., demeurant (…), dont il s’approprie les griefs articulés par eux à
l’encontre du Dr A. ;
M. et Mme B. reprochent au Dr A., praticien hospitalier exerçant dans le service de gastroentérologie, une prise en charge inappropriée qui a conduit à un retard dans la découverte de l’affection
pancréatique dont souffrait M. B., d’avoir tardé à tenir son engagement de prendre lui-même un rendezvous en vue d’un IRM et d’avoir tardé à présenter les excuses qu’il s’était engagé à exprimer par écrit, à
l’occasion de la rencontre organisée par le conseil départemental de l’ordre ;
2/
Vu, enregistré le 14 juin 2012, le mémoire en défense produit pour le Dr A., par Me LAVALLEE,
avocate au Barreau de la Haute-Saône ;
Le Dr A. y conclut :
- à titre principal, à l’irrecevabilité de la plainte déposée par les époux B., et transmise par le
conseil départemental, par les motifs que les délais pour concilier et pour saisir la chambre disciplinaire
n’ont pas été respectés, et que la décision du conseil départemental n’était pas motivée ;
- à titre subsidiaire, au rejet de la plainte comme non fondée ;
A l’appui de ses conclusions tendant au rejet au fond de la plainte, le Dr A. soutient que les époux
B. ne précisent pas les articles du code de déontologie qui motivent leur plainte, ce qui le place dans
l’impossibilité juridique de savoir quel manquement lui est reproché ; que, toutefois, pour le cas où il
serait admis que les époux B. lui reprochent des négligences dans les soins prescrits, tenant à l’absence de
prescription du marqueur CA 19-9 et à l’absence de prise de rendez-vous IRM, le Dr A. soutient :
- que le marqueur CA 19-9 n’est pas recommandé par la Haute Autorité de Santé ;
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- que le diagnostic de cancer du pancréas résulte normalement d’une analyse histologique à
laquelle il n’y a lieu d’avoir recours qu’en présence d’un faisceau d’indices qui, dans le cas de M. B.,
faisait défaut ;
- que les résultats du scanner, et la circonstance que le radiologue qui l’a pratiqué n’a pas cru
devoir prescrire d’IRM, lui ont paru permettre de poser le diagnostic de kyste de la famille des TIPMP ;
que s’il a bien envisagé de prescrire lui-même un IRM aux fins d’infirmer ou confirmer son diagnostic,
son intention n’a pu être concrétisée, eu égard à la circonstance que M. B. a changé de médecin ;
- qu’ainsi, le Dr A. a respecté son obligation de donner des soins appropriés à la situation ;
- que M. B. n’a subi aucune perte de chance ;
- que, dès lors, le seul reproche que celui-ci pourrait formuler est celui d’avoir oublié de prendre le
rendez-vous IRM ; que cet oubli, pour lequel il a présenté des excuses écrites personnalisées, s’explique
par l’importance de ses contraintes de service ;
Vu le code de la santé publique, notamment le code de déontologie médicale figurant aux articles
R. 4127-1 à R. 4127-112 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 21 janvier 2013 :
- le rapport du Dr CHAPUIS ;
- les observations orales du Dr BACUS, Président du Conseil départemental de la Haute-Saône ;
- les observations orales de Me LAVALLEE, avocate du Dr A., ainsi que celui-ci en ses
explications ;
Le Dr A. a eu la parole en dernier ;
APRES EN AVOIR DELIBERE
Sur la recevabilité de la plainte
Considérant qu’aux termes de l’article L. 4124-2 du code de la santé publique : « Les médecins, les
chirurgiens-dentistes ou les sages-femmes chargés d'un service public et inscrits au tableau de l'ordre ne
peuvent être traduits devant la chambre disciplinaire de première instance, à l'occasion des actes de leur
fonction publique, que par le ministre chargé de la santé, le représentant de l'Etat dans le département, le
directeur général de l'agence régionale de santé, le procureur de la République, le conseil national ou le
conseil départemental au tableau duquel le praticien est inscrit » et qu’aux termes de l’article R. 4126-1
du même code : « L'action disciplinaire contre un médecin, un chirurgien-dentiste ou une sage-femme ne
peut être introduite devant la chambre disciplinaire de première instance que par l'une des personnes ou
autorités suivantes :
1° Le conseil national ou le conseil départemental de l'ordre au tableau duquel le praticien poursuivi est
inscrit à la date de la saisine de la juridiction, agissant de leur propre initiative ou à la suite de plaintes,
formées notamment par les patients… » ;
Considérant qu’il résulte de ces dispositions que, lorsqu’il décide de traduire un praticien
hospitalier à raison de faits commis dans le cadre de sa fonction publique, le conseil départemental doit
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être regardé comme ayant porté plainte lui-même, qu’il ait été ou non saisi par la plainte d’un tiers, celleci n’ayant d’autre statut, dans ce dernier cas, que celle d’un simple signalement ; qu’il suit de là que, dans
cette hypothèse, où l’organisation d’une conciliation n’est pas obligatoire, même si elle est vivement
recommandée, les vices qui auraient, le cas échéant, entaché la procédure de conciliation ne sont pas
susceptibles d’affecter la régularité de la saisie de la chambre disciplinaire ; qu’au demeurant, les délais
mentionnés à l’article L. 4123-2 du code de la santé publique ne sont qu’indicatifs et ne sont pas prescrits
à peine de nullité de la saisie ;
Considérant, par ailleurs, qu’il résulte du procès-verbal, dressé le 14 mai 2012, de la réunion du 12
avril 2012 par laquelle le conseil départemental de la Haute-Saône a décidé de porter plainte contre le Dr
A. que ce document énonce clairement que celui-ci est poursuivi pour les faits relatifs à la prise en charge
de M. B. énoncés dans les doléances de son épouse, faits que le Dr A. avait été mis à même de discuter, et
pour n’avoir pas formulé, du moins de manière appropriée, les excuses qu’il s’était engagé à présenter
dans le cadre de la conciliation ; qu’ainsi, le Dr A. a été mis à même de discuter devant la chambre
disciplinaire les reproches qui lui étaient faits et, ce, alors même que le conseil départemental n’a pas
désigné les articles du code de déontologie des médecins qu’il estime avoir été méconnues ;
Sur le bien-fondé des poursuites disciplinaires
Considérant que M. B. a été hospitalisé au Centre Hospitalier de Vesoul du 12 au 19 septembre
2011 pour une pancréatite et y a été pris en charge par le Dr A., qui a fait procéder à divers examens, et
notamment à un scanner ; qu’à l’examen de celui-ci a été décelé une lésion du pancréas que le Dr A. a cru
devoir interpréter comme une lésion kystique bénigne à potentiel évolutif justifiant une IRM
complémentaire pour laquelle il a proposé de prendre lui-même rendez-vous pour M. B. ; que, ce rendezvous n’ayant pas été pris, M. B. s’est adressé à un autre praticien qui, au scanner, a identifié la tumeur
comme étant une grosse tumeur suspecte, qui devait au final s’avérer cancéreuse ; que Mme B. reproche
au Dr A. :
- de n’avoir pas fait procéder à des examens complémentaires dans le but d’éliminer l’hypothèse
d’une tumeur cancéreuse, et notamment de n’avoir pas fait procéder au dosage du marqueur CA 19-9 ;
- d’avoir manifesté une grande désinvolture dans la prise en charge de son mari, marquée par sa
négligence à prendre le rendez-vous IRM et par le caractère tardif et inapproprié des excuses qu’il a
présentées ;
Considérant, sur le premier point, que le diagnostic de petite tumeur bénigne porté par le Dr A., s’il
s’est au final avéré erroné, était un diagnostic possible, en l’absence de toute autre signe clinique pouvant
pointer vers une lésion cancéreuse ; qu’il était dans ce cas naturel de faire prescrire, comme l’a fait le Dr
A., un IRM dans le but de préciser le diagnostic, qu’il s’agisse de préciser la position de la lésion ou
d’éliminer l’hypothèse qu’elle pourrait être cancéreuse ; que, par ailleurs, il ne peut être reproché au Dr A.
de n’avoir pas fait procéder au dosage du marqueur CA 19-9, ce dosage n’étant jugé pertinent par la
Haute Autorité de Santé que pour le suivi d’un cancer du pancréas installé, mais pas comme outil de
diagnostic du cancer ;
Considérant qu’en revanche l’abstention du Dr A. à prendre le rendez-vous IRM traduit une
désinvolture certaine dans la prise en charge de M. B. ; que, toutefois, elle peut au moins en partie être
expliquée par la surcharge de service du Dr A. et par des difficultés à maîtriser son organisation
personnelle ; que, dans un contexte dans lequel le retard apporté à l’identification du caractère cancéreux
de la lésion n’a pas eu d’incidence sur sa prise en charge et sur son pronostic, cette désinvolture n’aurait
pu être regardée comme une infraction pouvant prêter à sanction, au regard des dispositions de l’article R.
4127-32 du code de la santé publique, que si elle était confirmée et renforcée par une abstention à
présenter les excuses sincères auxquelles il s’était engagé à la séance de conciliation organisée par le
conseil départemental ;
Considérant, il est vrai, que les excuses présentées par le Dr A. l’ont été tardivement, ce que
toutefois peut expliquer les difficultés personnelles qu’il a invoquées ; que, par ailleurs, la forme
manuscrite qu’il a donnée à sa lettre d’excuse est le plus souvent un signe de considération personnelle
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adressé au destinataire ; que l’expression « plates excuses » employée par le Dr A. relève plutôt d’une
maladresse de style qu’elle n’est l’expression d’une désinvolture envers M. B., de même que le caractère
peu soigné de l’écriture révèle surtout la personne plus habituée à utiliser le clavier de son ordinateur que
le stylo ;
Considérant qu’au final, la chambre disciplinaire estime que le Dr A. n’a pas commis d’infraction
caractérisée aux dispositions de l’article R. 4127-32 du code de déontologie ; que, dès lors, il y a lieu de
rejeter la plainte du Conseil Départemental de la Haute-Saône ;
Sur les dépens
Considérant que les dépens, qui se résument au timbre de 35 € acquitté par le Conseil
Départemental de la Haute-Saône, qui, dans la présente instance, est la partie perdante, doivent être
laissés à sa charge ;
PAR CES MOTIFS
DECIDE
Article 1er : La plainte du Conseil Départemental de l’Ordre des Médecins de la Haute-Saône est rejetée.
Article 2 : Les dépens, qui s’élèvent à 35 €, sont laissés à la charge du Conseil Départemental de la HauteSaône.
Article 3 : La présente décision sera notifiée : au Conseil Départemental de la Haute-Saône, au Dr A., à
Me LAVALLEE, au Préfet de la Haute-Saône, à la Directrice Générale de l’Agence Régionale de Santé,
au Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de Vesoul, au Conseil National de
l’Ordre des Médecins, au Ministre chargé de la santé.
Ainsi fait et délibéré par : M. José THOMAS, Président honoraire de tribunal administratif,
Président, les Drs Philippe CHAPUIS, François DUVERNE, Michel BOUVARD,Yves MERCELAT,
Christian LORENTZ, membres.
Le Président honoraire de
tribunal administratif
Président de la chambre disciplinaire de première
instance
José THOMAS
La Greffière
Marianne PETIT