En savoir plus

Transcription

En savoir plus
LE DEVOIR
Le 2 mars 2012
Kent se fout du caribou
Par : Louis-Gilles Francoeur
La semaine dernière, le groupe Écojustice déposait en Cour fédérale une requête à l'encontre du
ministre fédéral de l'Environnement, Peter Kent, pour obtenir une ordonnance le forçant à décréter
des mesures d'urgence pour protéger les hardes menacées de caribous des bois à travers tout le
Canada en conformité avec les exigences de la Loi sur les espèces en péril (LEP).
C'est la deuxième fois qu'Écojustice, dont le mandat émane de l'Institut Pembina et de l'Alberta
Wilderness Association, traîne le ministre devant la Cour fédérale qui lui avait pourtant donné
clairement raison sur cette question dans une autre requête déposée par l'Athabasca Chipewyan, Swan
River et Beaver Lake and Cold Lake First Nations.
Selon Me Melissa Gorie, d'Écojustice, «le refus du ministre de protéger le caribou et l'habitat dont il
dépend pour sa survie est illégal et constitue une abdication de ses responsabilités, établies par la LEP.
Le ministre a ignoré les faits établis par ses propres scientifiques ainsi que les directives de la Cour en
refusant, encore une fois, de mettre en place des mesures d'urgence en matière de protection» de
l'espèce.
En juillet 2011, la Cour fédérale avait pulvérisé les raisons invoquées par le ministre Kent pour mieux
protéger les troupeaux du nord-est de l'Alberta, disant qu'il «sortait des nues» avec ses raisonnements
contraires aux constats de ses propres chercheurs. Le tribunal avait alors invité le ministre à revoir sa
position, ce qu'il n'a pas fait.
Le test juridique en cours est majeur, car il va préciser la marge d'arbitraire laissée au ministre, ce qui
n'est pas sans conséquence pour l'expansion de l'exploitation des sables bitumineux. Cette marge de
manoeuvre masque d'ailleurs une mauvaise foi étonnante. Dans une déclaration à La Presse
canadienne, Peter Kent justifiait sa position en déclarant qu'«au niveau national», l'espèce n'est pas en
danger. En somme, tant qu'il y a encore quelques grands troupeaux en santé quelque part, tant pis
pour les petits que menacent les industriels.
Pour Sean Nixon, d'Écojustice, c'est toute la stratégie d'Environnement Canada concernant les
différents troupeaux de caribous canadiens qui est en cause avec cette logique. Selon lui, «les
stratégies de restauration des troupeaux doivent être basées sur une science libre d'influence
politique. Des pans entiers de la stratégie fédérale actuelle donnent l'impression d'avoir été écrits par
des politiciens dont le seul but est de s'assurer que les besoins des espèces menacées ne deviendront
pas des entraves à l'expansion rampante des sables bitumineux.»
Jusqu'ici, plusieurs hardes de caribous ont perdu jusqu'à 70 % de leurs effectifs dans les 15 dernières
années. On peut d'ailleurs se demander si les impacts cumulatifs du Plan Nord n'auront pas à moyen
terme les mêmes impacts au Québec où le troupeau de la rivière George est, lui aussi, en déclin
prononcé ainsi que plusieurs hardes de caribous des bois.
Le Sierra Club du Canada avait publié en 2006 un bilan alarmant sur l'état du caribou des bois au pays.
Dans un mémoire récent sur le projet de politique fédérale de protection de cette espèce, le Sierra
démontre comment l'ajout de distinctions entre les différents troupeaux menacés, caractérisés les uns
en bleu, les autres en gris, pour mieux réduire la protection accordée à chacun, n'a strictement aucune
base scientifique.
Tout comme d'ailleurs le seuil proposé de protection de l'habitat des hardes menacées,
qu'Environnement Canada veut ramener aux deux tiers du territoire fréquenté par les caribous alors
que les scientifiques gouvernementaux disent qu'il faut protéger ce territoire à 100 % sous peine de
faire passer d'autres troupeaux en santé au stade de menacé ou en déclin. Le plan conservateur va
jusqu'à réduire davantage les habitats protégés si un plan d'élimination des prédateurs est mis en
place, une mesure dont l'efficacité n'aurait jamais été démontrée scientifiquement, selon le Sierra.
Pesticides bannis
L'Agence de protection de l'environnement (EPA) des États-Unis vient de révoquer les licences de deux
pesticides, de Dimethoate, qu'on utilise sur de petits fruits sauvages et autres aliments, ainsi que du
Méthidathion, utilisé pour limiter les insectes dans les plantations de fruits, les champs de légumes, de
tabac, de luzerne et de... tournesol. La raison: trop d'empoisonnements d'oiseaux qui s'alimentent
dans ces cultures. Et sur les mangeoires remplies de certaines variétés de tournesol.
Malheureusement, les lois et règlements n'exigent pas d'afficher sur les produits commerciaux avec
quel insecticide les cultures ont été «protégées». On peut aussi se demander aussi pourquoi dans un
régime de libre-échange, le Canada ne suspend pas automatiquement l'homologation des produits
interdits par l'EPA. On adopte bien les politiques américaines en matière d'émissions des voitures...
Voilà un bel exemple de laxisme institutionnel en contravention du principe de précaution.