Il se réveilla cinq minutes avant que son portable ne sonne. L`odeur

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Il se réveilla cinq minutes avant que son portable ne sonne. L`odeur
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Il se réveilla cinq minutes avant que son
portable ne sonne. L’odeur du café envahissait déjà agréablement son penthouse. Ses
parents lui avaient fait un magnifique cadeau avec
cette cafetière programmable. Il mit deux croissants
dans le micro-ondes. Debout dans sa cuisine américaine, une grande tasse à la
main, il regarda les informations sur CNN.
La météo était excellente, il mettrait son costume Armani en lin clair.
Il gara sa Corvette sur le parking de la banque,
adressa un bonjour rapide à la fille de la réception,
puis se rendit directement dans la salle des marchés.
Il consulta son agenda et s’aperçut avec plaisir qu’il
n’avait aucun rendez-vous prévu pour le repas de midi.
Il mangerait quelques sashimis, puis irait se faire masser.
C’était la manière qu’il avait trouvée pour tenir de longs mois
sans vacances.
Depuis qu’il était à la Lloyds Bank,
il avait à peine pris une semaine
de congé et cela faisait déjà plus
de trois ans qu’il y travaillait. Il
aurait droit à une demi-année
sabbatique, s’il comptait aussi ses
heures supplémentaires. Malgré
la tension et la fatigue auxquelles
le soumettait son poste, il devait
admettre qu’il adorait son travail. Il
avait trouvé l’univers qui lui convenait, et se demandait souvent ce
qu’il serait devenu s’il ne s’était
pas découvert cette passion. Il
n’aurait pas pu faire comme son
frère, se marier. Ce dernier, un
architecte renommé, était aussi
passionné par son travail que lui,
mais il avait besoin de sa famille pour se ressourcer. Pour lui, au
contraire, construire une famille représentait avant tout un ensemble de contraintes qui lui demanderaient de l’énergie au moment
même où il en serait dépourvu. Parfois, il aimait bien aller boire un
verre after work, surtout si quelques-unes de ses jolies collègues
se joignaient au groupe. Il se sentait en verve, comme s’il devait, là
aussi, convaincre qu’il y avait une bonne affaire à conclure. Quelquefois, il invitait à dîner la fille qui lui paraissait la plus enthousiaste. Il lui proposait ensuite de déguster un de ses délicieux whiskies sur sa terrasse au-dessus des toits. Il passait une courte nuit
avec elle, et se réveillait de très mauvaise humeur. Tout son corps
le faisait souffrir et il rentrait du travail le plus tôt possible, se faisait
couler un bain et se couchait après avoir mangé quelques tranches
de pizza. Parfois, il faisait encore jour quand il allait dormir. Il avait
essayé de se priver de ces nuits qui ruinaient une journée complète de travail, mais il devenait la proie de pénibles insomnies. Le
désir le taraudait. Il lui semblait qu’une armée de fourmis rouges
envahissait son bas-ventre et entamait une longue ascension en
direction de son torse. Il devenait fou. La seule chose qui parvenait
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à le calmer était de soulager son désir puis de prendre une douche
fraîche. Il se masturbait régulièrement sans que cela ne lui pose
de problème, mais le sentiment de nécessité absolue qui l’habitait à ces moments-là l’humiliait. Comme son sommeil en pâtissait
encore plus pendant ces périodes, car il ne cédait à ses impulsions
que lorsqu’il était persuadé qu’il ne parviendrait pas à dompter son
désir et n’arrivait généralement à ce constat que quelques heures
avant la sonnerie du réveil, il avait conclu qu’il était préférable de
faire l’amour à intervalles réguliers plutôt que de passer plusieurs
jours dans un état de quasi-somnambulisme. Il avait poussé le
cynisme jusqu’à écrire tous les dix jours dans son agenda: accepter les after work, car il lui prenait souvent l’envie de les éluder.
Il trouvait ses collègues relativement sympathiques, mais il s’ennuyait souvent en leur compagnie. En comparaison du stress de la
salle des marchés, le reste de l’existence lui semblait terriblement
morne. Ses collègues lui paraissaient un peu frustes. Il n’aimait
pas toujours les entendre parler de sexe, d’argent et de voitures. Si
parfois leur conversation l’amusait, s’il lui arrivait d’être curieux de
savoir ce que les autres aimaient, pensaient ou voulaient, la plupart
du temps leurs propos lui paraissaient inconsistants et vains.
Il s’était déterminé pour le métier qui était le sien, parce qu’on lui
avait dit qu’il avait de sérieuses aptitudes pour cette discipline.
Jamais il n’avait considéré l’argent comme un argument important
dans son choix. Certes, il était content de bénéficier d’un certain
confort matériel. Il n’aurait pas le courage de batailler avec les
objets, une fois quitté le front de la Bourse. Cependant, s’il avait
exercé un métier plus reposant, il aurait pu sacrifier les deux tiers
de son confort sans problème. Ses dépenses n’étaient pas ostentatoires, elles montraient au contraire son peu d’attachement aux
choses matérielles. Il aimait le design et non le luxe. Chez lui tout
était sobre, beau, mais fonctionnel.
Il fut tiré de sa rêverie par la voix de la masseuse qui lui dit que la
séance était terminée. Il s’étira en grognant de plaisir. Il se sentait
comme s’il avait fait une grasse matinée. Il se rappelait vaguement
ce que ce terme signifiait, car en vérité il profitait du week-end non
pas pour se relaxer, mais pour réaliser tout ce qu’il avait négligé de
faire pendant la semaine : du shopping alimentaire et beaucoup de
sport. Le samedi matin, il allait faire un footing et
passait la matinée du dimanche à la piscine.
Il détestait l’odeur et les conversations
des salles de fitness. Un ami lui avait
offert un abonnement, mais il n’y
avait mis les pieds qu’une seule
fois et de très mauvaise grâce.
Les couleurs criardes des
tenues des gens qui étaient
venus là pour se remettre en
forme l’agressaient. Il préférait aller courir dans
la nature. Cela lui permettait de mettre de l’ordre
dans ses idées.
L’après-midi se déroula rapidement et, quand Valérie, la nouvelle stagiaire, passa la tête par la porte
de son bureau pour lui proposer de se joindre aux
autres pour aller prendre un apéritif, il réalisa que
la soirée avait déjà commencé. Il déclina l’invitation poliment.
Il gara sa voiture devant le meilleur traiteur de la
ville. Il commanda des portions doubles. Il acheta
cinq cents grammes de pata negra, deux feuilletés de magret de
canard au foie gras, quelques figues apprêtées, deux coquilles
Saint-Jacques garnies de morilles et deux tartelettes aux fraises
des bois.
Arrivé chez lui, il enleva ses chaussures en cuir italien sable, retira
ses boutons de manchettes, retroussa les manches de sa chemise
blanche, troqua son pantalon écru pour un short kaki et mit un
DVD d’Albator dans le lecteur qu’il enclencha. Il coupa le son et
mit à la place un disque de Kurt Weill, car il connaissait toutes les
répliques du dessin animé par cœur. Il laissa s’échapper un grand
soupir d’aise de son torse musclé, glabre et bronzé, puis croqua
dans un feuilleté.
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