Le nom sans déterminant : étude contrastive du français et du grec

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Le nom sans déterminant : étude contrastive du français et du grec
Le nom sans déterminant : étude contrastive du français et du grec moderne
Antoniou Maria
Université Nationale et Capodistrienne d’Athènes
Abstract
The aim of the present essay consists in examining nouns that do not accept determiners. We put in contrast various examples in
Greek and their translation in French, with a view to enlightening aspects of syntactic/semantic difference as well as constraints
involved in the process of translating in terms of presence/absence of determination. The data verify aspects of difference or
symmetry? Do they allow to come to conclusions that will help learners avoid committing faults in the future? The study also
assesses to what extent the relationships (for instance qualification/quantification, determination, subjectivity, intensity) in one
language are maintained into the other. And, the changes that have been made, do they exhibit the same or a different tension in the
target language? The theoretical framework adopted is professor Antoine Culioli's Theory of Enunciation.
1. Introduction
Le but de cette communication consiste à examiner le cas des noms qui ne reçoivent pas de
déterminant. Nous allons essayer de mettre en contraste divers emplois de la détermination du nom
en grec et en français, afin de dégager les ressemblances et les divergences quant à l'absence de
détermination. Nos deux langues d’étude témoignent-elles d'emplois symétriques ou
dissymétriques ? Est-ce qu’il y aurait des aspects syntaxiques (fonctions du nom dans la phrase :
sujet, attribut du sujet, objet direct, complément prépositionnel) ou sémantiques qui nous
permettent de mieux appréhender l’emploi des noms sans déterminants ? Le cadre théorique que
nous adoptons est celui de la théorie des opérations énonciatives du professeur Culioli.
Nos deux langues d'étude se servent de mêmes outils (articles, adjectifs) afin d'exprimer les
différentes opérations de détermination. Cependant, les contraintes qui régissent l'emploi de tel ou
tel déterminant varient selon les cas. Nous allons nous concentrer sur l'emploi des articles, puisque
il s'agit d'un domaine qui est assez sensible et dont les dissymétries rendent le passage d'une langue
à l'autre pénible. Nous allons nous arrêter sur les cas qui posent le plus souvent problème. Ce sont
surtout les cas du nom sans déterminant en position sujet, objet direct, attribut du sujet qui nous
offrent des comparaisons intéressantes.
2. Cadre théorique
Commençons par quelque précisions d'ordre théorique. Selon la théorie des opérations
énonciatives, la détermination est définie comme:
le degré de généralité/spécificité référentielle entre d'une part la généralité absolue et
de l'autre part la singularité absolue de l'occurrence individuelle irréductible à toute
autre. Par ex., le degré le plus bas est représenté par la notion "life", telle qu'elle est
exprimée dans a matter of life and death. A l'opposé, le degré le plus fort est
l'occurrence spécifique unique à laquelle renvoie the life dans I woudn't object to
sparing the life of this tiny snail if it wasn't eating my marigolds to shreds (Groussier
et Rivière, 1996: 58).
Il s'en suit que plus on s'éloigne de la généralité, plus la détermination augmente.
Cependant, Bouscaren vient compliquer un peu les choses en considérant que (1991: 77):
«chaque déterminant a une composante quantitative (QNT) et une composante qualitative (QLT).
Parfois, l'une des deux se neutralise au profit de l'autre. C'est en étudiant la nature de l'opération
qu'on saura si la valeur QNT ou QLT est prépondérante ».1
Dans un tel contexte scientifique, nous essayons alors de repérer la composante qui prédomine
dans chaque cas, ainsi que les éventuelles dissymétries posant problème lors du passage d'une
langue à l'autre, rendant explicites les conditions d'emploi des articles, évitant des erreurs aux
apprenants.
3. Méthode
Gross et Valli (1991: 36) dans leur ouvrage intitulé « Déterminants zéro et verbes supports en
moyen français et en français moderne » critiquent une classification proposée par Grévisse, car
celle-ci a l'inconvénient des énumérations: elle met tout sur le même plan, ce qui revient à dire
qu'elle évacue la syntaxe. Il est clair que l'absence d'article n'a pas la même fonction linguistique
selon qu'elle se manifeste pour des raisons stylistiques, syntaxiques ou de figement.
Dans notre étude, nous allons essayer de toucher à tous ces différents emplois, dans un effort de
relever les opérations sous-jacentes qui caractérisent cet éventail diversifié. Nous allons procéder à
notre étude en tenant compte des critères syntaxiques. Précisons dès le début, que nous nous
arrêterons sur les points les plus épineux lors du passage d'une langue à l'autre: la position attribut
du sujet, la position objet direct, la position sujet/complément de rang 0.
4. Analyse de cas
4.1. Le nom sans déterminant en position attribut
Commençons par des noms comportant le déterminant zéro et qui sont des noms compacts, des
noms qui ne peuvent pas être découpés notionellement, selon la théorie de l'énonciation. Notons
que dans nos deux langues d'étude ce cas de figure est symétrique, comme en témoignent les
exemples (1)-(3) ci-après:
(1) Ο Κύξηνο Ρνκπέξ είλαη Ø θαζεγεηήο αγγιηθώλ / Monsieur Robert est Ø professeur d'anglais
(1a) Ο Κύξηνο Ρνκπέξ θαη ε γπλαίθα ηνπ είλαη Ø θαζεγεηέο αγγιηθώλ / Monsieur Robert et sa
femme sont Ø professeurs d'anglais
(2) Ο παηέξαο ηνπ είλαη Ø ππξνζβέζηεο / Son père est Ø pompier
1
En ce qui concerne le grec, Tsamadou (1993: 119) avait distingué trois cas des figures:
1. lorsqu'il y a renvoi à la notion
2. lorsqu'il s'agit d'un repérage en bloc par rapport à la situation d'énonciation
3. lorsqu'il y a construction d'une occurrence particulière et spécification qualitative d'une
occurrence non identifiée.
(3) Σνλ εμέιεμαλ Ø βνπιεπηή / Οn l’a élu Ø député
La symétrie concerne aussi bien les noms au singulier qu'au pluriel (1a). Ceci parce que,
comme l'explique Bouscaren (1991: 77), les marqueurs du pluriel, bien qu'indiquant une
pluralisation, ne suffisent pas à opérer la quantifiabilisation, car la valeur qualitative prédomine.
Les noms agissent comme des prédicats nominalisés, relevant d'une opération purement qualitative.
Les noms « renvoient toujours à la notion, c'est-à-dire à la prédication sous-jacente du domaine
notionnel construit. [...] Il s'agit de la valeur qualitative du nom sans aucune spécification de
quantité » (Bouscaren et Chuquet, 1987: 83). Le caractère purement qualitatif qui est prépondérant
dans tous les cas (même dans ceux où l'interprétation vers la généralité ou vers la spécificité
dépendra du contexte) est illustré par le fait que les noms nus agissent comme des adjectifs,
attribuant une propriété au sujet (Tsamadou, 1993: 119), d'où l'identification avec la structure
attributive comme en (4)-(5):
(4) Ο Ρνκπέξ είλαη Ø επγεληθόο / Ø γελλαηόδσξνο Ø /θιύαξνο / Ø γάιινο, θιπ. /
Robert est Ø gentil / Ø généreux/ Ø bavard/ Ø français, etc.
(5) Ο παηέξαο ζνπ είλαη Ø θαζεγεηήο Ø / γηαηξόο / Ø νδεγόο, θιπ.
Ton père est Ø professeur / Ø médecin / Ø conducteur, etc.
De ces exemples, il ressort incontestablement que, en grec, le déterminant zéro attribue une
qualification au nom, qualification, qui, néanmoins, est neutre et objective. Afin de mieux illustrer
notre propos, nous pouvons avoir recours à la comparaison de cette construction attributive avec
celle comportant l'article indéfini (toujours en position attribut) :
(6) Απηό ην ζπίηη είλαη Ø αίζρνο (exemple de Tsamadou, 1993:124) / litt. Cette maison est Ø
horreur / Cette maison est une horreur
(6a) Απηό ην ζπίηη είλαη έλα αίζρνο / litt. Cette maison est une horreur
(7) Απηό είλαη Ø ζπίηη! / litt. Ca est Ø maison! : accent mis sur l'identification;
prononcé avec emphase sur le sujet Απηό/Ca / →Ca c'est une maison!
(7a) Απηό είλαη έλα ζπίηη / litt. Ça est une maison: grammatical lorsqu'on sous-entend une maison
comme toute autre maison/rien de plus ou lorsqu'on met l'accent sur l'énumération
(7b) Απηό είλαη έλα παλέκνξθν ζπίηη / litt. Ça est une très jolie maison
(8) Απηόο είλαη Ø γηαηξόο / litt. Il est Ø médecin
(8a) Απηόο είλαη έλαο γηαηξόο / litt. Il est un médecin: lorsqu'on insiste sur son caractère
exceptionnel (bon/mauvais) (cf. aussi Giannakidou, 2012: 296)
(8b) Απηόο είλαη έλαο θεκηζκέλνο γηαηξόο / litt. Il est un médecin de renom
(9) Δίκαη κία θαζεγήηξηα / litt. Je suis une prof (on sous-entend: rien de plus) à comparer avec
Δίκαη θαζεγήηξηα / Je suis prof
(9a) Δίκαη κία ειηθησκέλε θαζεγήηξηα / litt. Je suis une prof âgée
(10) Δίλαη Ø ηνπξίζηεο / litt. Sont Ø touristes) / Ce sont des touristes
(11) Οη θάιαηλεο είλαη Ø ζειαζηηθά / litt. Les baleines sont Ø mammifères / Les baleines sont des
mammifères
(12) A la négation: Γελ είκαζηε Ø παηδηά / litt. Nous ne sommes pas Ø enfants / Nous ne sommes
pas des enfants.
L'étude contrastive des exemples (6)-(12) nous amènent à dire que, dans le cas de l'attribution
d'une propriété, ainsi que d'une identification, la présence de l'indéfini apporte une détermination
supplémentaire qui ne caractérise pas le déterminant zéro. L'article zéro attribue une qualification
non-marquée, neutre et objective au nom (cf. aussi Tamba, 1983: 5-6, Tsamadou, 1993: 124). En
revanche, dans les exemples avec l'article indéfini, le nom renvoie à « une occurrence abstraite de
la notion » (Tsamadou, 1993:124) et converge à exprimer une qualification plus subjective et, par
conséquent, plus intense. D'où, d'ailleurs, la compatibilité de l'indéfini avec les énoncés
exclamatifs, dont la valeur intensive a été démontrée à maintes reprises (Culioli, Tsamadou,
1993:124, Antoniou, 2000, Antoniou 2002: 43-44, Antoniou, 2005). Dans le cadre de la théorie de
l'énonciation, cette valeur d'intensité est associé au terme de haut degré (Tsamadou, 1993:124).
Il est par conséquent à retenir que cette intensité renforcée (à cause du haut degré) égale à une
détermination supplémentaire à comparer avec la neutralité, à savoir avec le minimum
d'information / de détermination fourni par la construction du déterminant zéro. Cette option (à
savoir l'article indéfini attribuant une intensité renforcée à l'énoncé) est de loin plus fréquente en
français qu'en grec.
Parlant de haut degré et d'intensité des énoncés, signalons une dissymétrie:
 alors qu'en grec les marqueurs du haut degré/d'intensité peuvent être aussi bien l'article
indéfini [cf. exemples (6)-(9) ci-dessus] que le déterminant zéro (Απηό2είλαη απηνθίλεην / litt. Ca est
voiture > ça, c'est une voiture (Tsamadou, 1993: 123, 125),
 en français, le déterminant zéro est exclus. Seul l'indéfini entreprend cet emploi (exprimer
l'intensité): Απηό είλαη ζπίηη! / Ca est une maison! / ? *Ca c'est Ø maison! ΢θαζκόο! = Ta gueule!
Il importe ici d'approfondir davantage en attirant l'attention sur le fait que, selon la théorie des
opérations énonciatives, l'article indéfini est « la trace d'une opération d'extraction d'un élément
unique sur une classe » (Bouscaren, 1991: 79). Par « opération d'extraction » on sous-entend: « une
opération de détermination consistant, pour l'énonciateur à isoler soit un ou plusieurs éléments
d'une classe d'occurrences (discontinu) soit une quantité d'une classe de quantités (continu
quantifiable) en les repérant par rapport à une Situation » (Groussier et Rivière, 1996: 77). Par
conséquent, des exemples comme :
(13) Έρσ κία γάηα / J'ai un chat (énoncé spécifique)
(14) Μνπ αξέζεη λα ππάξρεη κία γάηα ζην ζπίηη / litt. J'aime qu'il y ait un chat à la maison (énoncé
générique)
relèvent d'une opération d'extraction et mettent l'accent sur l'aspect plutôt quantitatif que qualitatif.
En d'autres termes, dans les deux cas on extrait un élément unique de la classe des chats, mais dans
(13) on l'associe à une situation unique, lui conférant ainsi une valeur quantitative, d'où la
possibilité de permuter κία (un) par un quantifieur subjectif comme κεξηθέο (quelques) (cf. aussi
Giannakidou, 2012: 296, 303). Dans (14) il y a aussi extraction d'un élément unique sur la classe
des chats, sans pour autant faire référence à une situation précise ; la situation est réitérée, donc
généralisée.
A noter sur ce point que le verbe de la principale (κνπ αξέζεη/j'aime), qui est un verbe d'état,
contribue à orienter davantage le point de vue de l'occurrence extraite vers l'état générique. Notons,
également, qu'en grec un énoncé comme
2
Le haut degré est peut aussi être exprimé par le dét. 0 et un marquage prosodique obligatoire du
pronom démonstratif dans des constructions exclamatives comme : Ασηό είναι ασηοκίνηηο!
(Tsamadou, 1993: 125).
(14a) Μνπ αξέζεη λα ππάξρεη Ø γάηα ζην ζπίηη / litt. J'aime qu'il y ait Ø chat à la maison (énoncé
générique)
est tout à fait grammatical, parce que, comme nous l'avons expliqué auparavant, le déterminant
zéro opère un renvoi à une notion. Dans l'exemple (14a), le nom nu fait tout simplement référence à
la notion de chat en la distinguant de toute autre notion d'animal. Cet énoncé ne peut, toutefois, pas
être traduit en français par un déterminant zéro. Cette dissymétrie nous permet de nous prononcer
quant à l'incompatibilité du déterminant zéro du français avec une opération d'extraction, donc de
forte détermination (cf. aussi Chuquet et Paillard, 1989: 48). Le grec, en revanche, ne pose aucune
contrainte de ce genre, d'où la compatibilité du déterminant zéro avec une opération d'extraction
(dans le dit exemple).
4.2. Le nom sans déterminant en position sujet
(15) Ø Φνηηήηξηα παξαδίδεη καζήκαηα / litt. Ø étudiante donne cours
(15a) Η θνηηήηξηα παξαδίδεη καζήκαηα / litt. L'étudiante donne cours
(15b) Μία θνηηήηξηα παξαδίδεη καζήκαηα /litt. Une étudiante donne cours
Dans (15) encore, le déterminant zéro est requis en grec, justement parce que la petite-annonce fait
simplement référence à la notion / à la qualité de la personne qui donne les cours; il ne s'agit pas
d'un professeur mais d'une étudiante. La présence de l'article défini H/La, comme dans (15a),
opérerait une détermination supplémentaire à l'énoncé et renverrait à une étudiante particulière dont
il a déjà été question, vu que l'article défini est « la trace d'une opération de fléchage, c'est-à-dire
d'une détermination particulière» (Bouscaren, 1991: 91). Le Bryn (2014) associe, également, le
définit à l'existence d'un référent de discours. Cela dit, dans l'exemple (11):
(11) Οη θάιαηλεο είλαη Ø ζειαζηηθά / litt. Les baleines sont Ø mammifères / Les baleines sont des
mammifères
l'emploi de l'article défini en position sujet est obligatoire, puisqu'il attribue au nom une
détermination supplémentaire: le concept de baleine est en opposition sous-entendue avec tout
autre concept d'animal (chat, poule, etc.) (cf. aussi Bouscaren, 1991: 95, Chuquet et Paillard, 1989:
52). Cette raison suffit, selon Bouscaren (1991: 95), pour que l'article défini soit prédominant dans
« les ouvrages scientifiques ou à caractère généralisant ».
4.3. Le nom sans déterminant en position d'objet direct
Comparons maintenant des exemples où le nom sans déterminant se trouve en position d'objet
direct, comme dans:
(16) Έθαγε Ø ηεγαλεηέο παηάηεο / litt. il a mangé Ø frites / Il a mangé des frites.
(17) Παίδεη Ø πηάλν / litt. Il joue Ø piano / Il joue du piano
(18) Έρσ Ø θίινπο Βέιγνπο / litt. J’ai Ø amis belges / J'ai des amis belges L’article indéfini au
pluriel
(19) Έρεη Ø ζάξξνο / litt. Il a Ø courage / Il a du courage
(20) Σνπ δεηά Ø έιενο / litt. Il lui demande Ø grâce / Il lui demande de la grâce
(21) Έρεηε Ø ηειέθσλν; ( litt. Est-ce que vous avez Ø téléphone?) / Est-ce que vous avez le
téléphone?
(22) Γελ θάλσ πηα/πνηέ Ø ιάζε / litt. Je ne fais plus/jamais Ø fautes / Je ne fais plus/jamais de
fautes Les déterminants indéfinis et partitifs du français dans la négative
(23) Γελ ζα αγνξάζνπκε Ø ςπγείν αιιά Ø ππνινγηζηή / Nous n'achèterons pas un réfrigérateur,
mais un pc.
Dans ces exemples (16)-(23), en grec, le dénominateur en commun est le déterminant zéro,
dont l'emploi est obligatoire, justement parce que les procès renvoient à la notion. L'énonciateur
fait référence à telle ou telle notion en la distinguant de toute autre (i.e. j'ai mangé des frites et pas
du poulet). Lors du passage en français, on constate que c'est majoritairement l'article indéfini ou
partitif qui l'emporte.
Pour ce qui est du grec, on peut soutenir que les constatations jusqu'à présent formées sont
valables pour les prédicats du type V+N, les cas de έρεη (avoir) et είλαη (être) y étant, également,
inclus, comme dans les exemples (24)-(25):
(24) Έρεη Ø θίλεζε (avoir_impersonnel circulation/embouteillage) / Il a embouteillage.
(25) Σηον Βόρειο Πόλο έρεη Ø / ππάξρνπλ Ø πολικές αρκούδες / Au pôle Nord il y a des / existent
des ours polaires.
Remarquons dès le début que ces prédicats du type V+N agissent en tant que prédicats
compacts, insécables (Tsamadou, 1993: 128). Le nom ne pouvant aucunement être quantifié, ces
prédicats peuvent, par conséquent, être glosés par une structure attributive. Ainsi, (17) Παίδεη Ø
πηάλν / litt. Il joue Ø piano peut être glosé comme Il est joueur de piano/pianiste. La possibilité de
cette glose rend clair, à nos yeux, le caractère purement qualitatif de ces énoncés comportant le
déterminant zéro (cf. aussi Tsamadou, 1993: 126). Il en est de même pour le cas des verbes
existentiels tels έρεη/il y a [cf. exemple (24) Au pôle Nord il y a des ours]. Dans tous ces cas, le
dénominateur commun est le fait que le déterminant zéro sert à attribuer une qualification tout en
renvoyant à une certaine notion: au pôle Nord il y a des ours polaires = pas de chèvres, pas de
moutons juste des ours polaires. D'où, d'ailleurs, l'impossibilité de quantifiabilisation de ces noms:
(17a) Παίδεη Ø πηάλν / litt. Il joue Ø piano ou même Παίδεη ένα πηάλν / litt. Il joue un piano mais
pas * Παίδεη 2-3 πηάλν/πηάλα / litt. Il joue 2-3 piano.
Dans (19), il est possible d'énoncer Έρεη Ø ζάξξνο / litt. Il a Ø courage ou même Έρεη έλα
ζάξξνο / litt. il a un courage, mais pas * Έρεη 2-3 ζάξξνο/ζάξξε / litt. Il a 2-3 courages. Ces
remarquent valent aussi pour (23), où l'on peut avoir Έρεη Ø θίλεζε / litt. Il y a Ø circulation ou
même Έρεη μία θίλεζε / litt. il y a une circulation mais pas *Έρεη 2-3 θίλεζε/θηλήζεηο / litt. Il y a 23 circulations (dans la rue). D'où également la possibilité de gloser ces exemples en se servant d'un
adjectif ou même adverbe Έρεη κεγάιν/πνιύ ζάξξνο / litt. Il a grand/beaucoup de courage, Παίδεη
ππέξνρν/ππέξνρα πηάλν / litt. Il joue formidable piano/ formidablement piano.
Nous devons nous attarder ici sur la traduction en français. Il est évident que le déterminant
zéro est traduit en français soit par l'article partitif (Il a mangé des frites), soit par l'article indéfini
(Au pôle Nord il y a des / existent des ours polaires) soit par l'article défini (Est-ce que vous avez le
téléphone?) Cependant, l'article partitif et l'indéfini apparaissent beaucoup plus en français que le
déterminant zéro, qui est de loin plus récurrent en grec. Alors, à quoi est due cette dissymétrie ?
Delfitto et Schroten (1991) ainsi que Farkas et De Swart (2003) fournissent une explication
suffisante en mentionnant que les noms nus se manifestent dans une langue uniquement s’ils
satisfont à une ou plusieurs contraintes. Une de ces contraintes impose un marquage explicite
(morphologiquement) du nombre. Le fait que les noms du français sont en général démunis d’une
telle marque de nombre (le marquage pluriel n’existe qu’avec une liste restreinte de noms, comme
journal-journaux, ou dans des contextes de liaison) explique l’absence des noms nus en français.
Cette approche semble être partagée également par Vasillaki (1993: 153), qui attribue l'emploi
très fréquent du déterminant zéro en grec à l'absence « de partitif et d'indéfini pluriel
morphologiquement marqué en grec ». Vassilaki (1993: 153) explique aussi qu'en grec le
déterminant zéro « peut renvoyer, selon les conditions contextuelles soit à Qlt soit à Qlt (Qnt) ».
5. Conclusion
En guise de conclusion, retenons que l'attribution d'une qualification en grec est opérée à l'aide
du déterminant zéro. L'intensité s'effectue à l'aide du déterminant zéro et de l'indéfini. Dans nos
deux langues, le déterminant zéro exprime une détermination minimale et une qualification
objective. L'indéfini renvoie à une opération d'extraction, témoignant d'un degré supérieur de
détermination, la qualification apportée étant subjective et intense. Le déterminant zéro du grec est
traduit soit par l'article partitif, soit par l'indéfini, soit par le défini. Le déterminant zéro du français
est incompatible avec une opération d'extraction. Le partitif et l'indéfini apparaissent beaucoup plus
en français que le déterminant zéro, de loin plus fréquent en grec. Ces constatations aideront, nous
l'espérons, les apprenants à ne pas tomber dans les pièges habituels au passage d'une langue à
l'autre.
Maria Antoniou
Département de Langue et Littérature françaises
Université Nationale et Capodistrienne d'Athènes
[email protected]
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Curriculum vitae
Maria Antoniou has a Bachelor degree from the Department of French Language and
Literature, Aristotle University of Thessaloniki, Greece. She has a Ph.D. from Paris 7-Denis
Diderot University in Theoretical, Formal and Computational Linguistics. She works as a Lecturer
in the Department of French Language and Literature, in the National and Kapodistrian University
of Athens. She participated in many Greek and International Conferences presenting
communications, some of which are included in Selected Papers. Her research interests involve:
Translation/Translation Studies, Contrastive Syntax (Greek-French), Pragmatics, Semantics,
Morphology.