« Un itinéraire dans la philosophie de Thomas d`Aquin » Plan :

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« Un itinéraire dans la philosophie de Thomas d`Aquin » Plan :
Prof. Tiziana SUAREZ-NANI
Cours de philosophie médiévale, semestre d’automne 2013
Mercredi 15h-17h
Ch. I
« Un itinéraire dans la philosophie de Thomas d’Aquin »
Plan :
1 : Présentation sommaire de la vie et des œuvres
2 : Origine, finalité et structure de la philosophie
2.1 : Structure et division de la philosophie
2.2 : Qu’est-ce que la science ?
2.3 : Le retour de la philosophie politique
3 : La conception thomasienne de l’être humain
3.1 : Le traité de l’homme dans la Somme de Théologie
3.2 : La nature de l’être humain
3.3 : Le statut de l’âme humaine
3.4 : L’immortalité de l’âme
3.5 : L’union de l’âme et du corps
Intermède : regard critique sur la conception thomasienne de l’âme et de son
immortalité
3.6 : L’âme : image de Dieu
1
Bibliographie
A. Œuvres :
EDITIONS CRITIQUES
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5
Annexe I : Thomas d’Aquin
I. 2 : Origine, finalité et structure de la philosophie
1. Thomas d’Aquin, Somme Théologique, 1-llae, qu. 3, a. 8.
Voilà pourquoi l'homme garde naturellement le désir, quand il connaît un effet et l'existence de sa
cause, de savoir en outre, au sujet de cette cause, « ce qu'elle est ». Et c'est là un désir d'admiration ou
d'étonnement qui provoque la recherche, comme dit Aristote au début de sa Métaphysique. Par
exemple quelqu'un, voyant une éclipse de soleil, comprend qu'elle doit avoir une cause, et parce qu'il
ignore ce qu'elle est, s'étonne, et son étonnement le pousse à chercher. Et son investigation n'aura pas
de repos avant qu'il soit parvenu à connaître l'essence de cette cause.
2. Somme contre les Gentils, III, ch. 25.
Qui plus est. Il y a naturellement en tous les hommes le désir de connaître les causes de ce qu'ils
voient : aussi est-ce à cause de l'étonnement devant les choses qu'ils voyaient, et dont les causes
étaient cachées, que les hommes commencèrent de philosopher, s'apaisant seulement quand ils
découvraient la cause. Mais la recherche ne cesse pas tant que l'on n'est pas parvenu à la cause
première : et nous pensons que nous savons parfaitement, quand nous connaissons la cause première
[cf. Mét., I, 983a25-26]. L'homme désire donc naturellement, à titre de fin ultime, connaître la cause
première. Or, la première cause de toutes choses, c'est Dieu. La fin ultime de l'homme est donc de
connaître Dieu.
3. Commentaire du traité « De ebdomadibus » de Boèce, Prologue.
L'étude de la sagesse jouit d'un privilège : en accomplissant sa tâche, elle se suffit largement à ellemême. Dans les œuvres extérieures en effet, l’homme a besoin d'une foule d’instruments, mais dans
la contemplation de la sagesse, on agit avec d'autant plus d'efficacité qu'on reste seul avec soi-même.
(...)
Sur quoi, il faut songer que la contemplation de la sagesse est à juste titre comparée à un jeu,
pour deux aspects qui se retrouvent dans le jeu. D'abord, le jeu procure du plaisir, et la contemplation
de la sagesse porte en effet la plus grande jouissance ; c'est pourquoi l'Ecclésiaste dit par la
bouche de la Sagesse : « Mon esprit est plus doux que le miel ». Ensuite, les activités ludiques ne
visent pas quelque chose d'autre : elles sont recherchées pour elles-mêmes. Il en va de même dans les
plaisirs de la sagesse
4. [36] Prologue du Commentaire du Livre des causes
Comme le dit le Philosophe au livre X de l'Éthique, la félicité dernière de l'homme consiste en son
opération la meilleure, celle de sa faculté suprême, c'est-à-dire l'intellect, rapportée à l'intelligible le
meilleur. Or, parce que l'effet est connu par la cause, il est manifeste que la cause est, par sa nature,
plus intelligible que l’effet – même si parfois, pour nous, les effets sont plus connus que les causes, en
raison du fait que c'est à partir des êtres particuliers qui tombent sous nos sens que nous parvenons à
la connaissance des causes universelles et intelligibles.
Il est donc nécessaire que, les causes premières des choses au sens absolu soient, par elles-mêmes, les
intelligibles les plus nobles et les meilleurs, dans la mesure où elles sont étants par excellence, vraies
par excellence, puisqu'elles sont causes de l'essence et de la vérité des autres étants, comme cela
apparaît clairement si l'on suit l'explication du Philosophe au livre II de la Métaphysique, même si,
6
pour nous, ces causes premières sont moins connues et qu'elles ne le sont qu'a posteriori. Notre
intellect est face à elles comme l'œil de la chouette face à la lumière du soleil qu'il ne peut percevoir
parfaitement à cause de son excessive clarté.
Il faut donc que la félicité dernière de l'homme, telle qu'il peut la posséder en cette vie, réside dans la
contemplation des causes premières, car le peu qu'il est possible de connaître d'elles est plus désirable
et plus digne d'être connu que tout ce que l'on peut connaître des réalités inférieures, comme cela
résulte clairement des propos du Philosophe au livre 1 du traité sur Les parties des animaux. Et c'est
dans la mesure où cette connaissance devient parfaite en nous après cette vie que l'homme est rendu
parfaitement heureux, selon ce mot de l'Évangile : « La vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, Toi,
le seul Dieu véritable».
5. [36] Prologue du Commentaire du Livre des causes
Et voilà pourquoi l'effort des philosophes avait pour but premier de parvenir, à travers tout ce
qu'ils considéraient dans la réalité, à la connaissance des causes premières. C'est pourquoi ils
plaçaient la science des causes premières au rang d'ultime discipline et qu'ils réservaient à son étude
la dernière période de leur vie. Dans un premier temps, ils commençaient par la logique qui enseigne
la méthode des sciences. Dans un deuxième temps, ils passaient aux mathématiques qui est à la portée
même des enfants. Dans un troisième temps, [ils se consacraient] à la philosophie naturelle, qui
demande du temps à cause de l'expérience et, dans un quatrième temps, à la philosophie morale, dont
l'étude ne convient pas aux jeunes gens. Enfin dans un tout dernier temps, ils s'appliquaient à la
science divine qui étudie les causes premières des étants.
6.
1. Commentaire de la Métaphysique III, lect. l, n. 342 :
De même qu'au tribunal on ne peut prononcer de jugement sans avoir entendu les raisons des deux
parties, de même celui qui s'occupe de philosophie arrivera plus facilement à une solution s'il connaît
la pensée et les doutes des divers auteurs.
2. Commentaire de la Métaphysique II, lect. 1, n. 287 :
Quiconque veut sonder la vérité est aidé de deux manières par les autres. Nous recevons un secours
direct de ceux qui ont déjà trouvé la vérité. Si chacun des penseurs antérieurs a trouvé une parcelle de
vérité, ces trouvailles réunies en un tout, sont pour le chercheur qui vient après eux un moyen
puissant d'arriver à une connaissance plus compréhensive de la vérité. Les penseurs sont en outre
aidés indirectement par leurs prédécesseurs en ce que 1es erreurs de ceux-ci fournissent aux autres
l'occasion de découvrir la vérité par une réflexion plus sérieuse. Il convient donc que nous soyons
reconnaissants à tous ceux qui nous ont aidés à conquérir le bien de la vérité.
3. Commentaire de la Métaphysique XII, lect. 9, n. 2566 :
Lorsqu'il faut choisir lesquelles des opinions sont à retenir ou à rejeter, l'homme ne doit pas être guidé
par l'amour ou la haine, mais il doit suivre la certitude de la vérité. Pour cette raison Aristote dit qu'il
faut aimer l'un et 1'autre, celui dont nous adoptons 1'opinion et celui dont nous nous séparons ; car
l'un et l'autre s'appliquèrent à la recherche de la vérité, et l'un et l'autre sont nos collaborateurs.
4. Commentaire du traité Du ciel I, Iect. 22, n. 228 :
L'étude de la philosophie n'est pas destinée à nous faire connaître ce que les hommes ont pensé, mais
ce qu’i1 en est réellement de la vérité
5. Commentaire de Job, c. 13, lect. 2 :
L'inégalité des interlocuteurs n'affecte en rien la vérité de ce qu'ils disent; si ce que quelqu'un dit est
vrai, personne ne peut l'emporter sur lui, quel que soit son opposant dans la discussion.
7
7. [34] Prologue du Commentaire de l'Éthique
Comme le dit le Philosophe au début de la Métaphysique, il appartient au sage d'ordonner.
La raison en est que la sagesse est la suprême perfection de la raison, dont le propre est de
connaître l'ordre. Car, quoique les puissances sensitives puissent connaître certaines réalités
d'une façon absolue, connaître le rapport d'une réalité à une autre est cependant réservé au
seul intellect ou à la raison.
Mais on découvre deux ordres dans les choses. Il y a l'ordre réciproque des parties d'un tout
ou d'un ensemble quelconque; ainsi les parties de la maison sont-elles réciproquement
ordonnées. Mais il y a également la relation ordonnée des choses à leur fin. Et cette dernière
prime l'ordre des parties. Car, comme le dit le Philosophe au livre XI de la Métaphysique,
l'ordre réciproque des parties d'une armée est en vue de la relation ordonnée de toute l'armée
à son chef.
D'autre part, un ordre peut entretenir quatre types de rapports avec la raison. Il est en
effet un certain ordre que la raison ne produit pas mais qu'elle contemple seulement; tel est
l'ordre des réalités naturelles. Un deuxième ordre est celui que la raison, tout en demeurant
contemplative, produit en son acte propre lorsqu'elle ordonne entre eux ses concepts et les
signes de ses concepts, les mots dotés de signification. Le troisième ordre est celui que la
raison, tout en demeurant contemplative, produit dans les actes de la volonté. Le quatrième
ordre est celui que la raison, demeurant contemplative, produit dans les réalités extérieures
dont elle est cause, comme [elle le fait lorsqu'elle produit] un coffre ou une maison.
Et parce que l'activité connaissante de la raison atteint sa perfection dans la science, comme
disposition habituelle, il y a, selon ces divers ordres qu'il appartient à la raison de
contempler, diverses sciences.
Ainsi, il revient à la philosophie naturelle de contempler l'ordre des réalités que la raison
humaine contemple mais ne produit pas; de telle sorte que dans «philosophie naturelle »
nous incluons les mathématiques et la métaphysique.
Pour ce qui est de l'ordre que la raison, tout en demeurant contemplative, produit en son acte
propre, il concerne la philosophie rationnelle, à qui il appartient de considérer l'ordre
réciproque des parties du discours, et le rapport des principes aux conclusions.
Et l'ordre des actes volontaires est celui que considère la philosophie morale.
Quant à l'ordre que la raison, tout en demeurant contemplative, produit dans les
réalités extérieures produites par la raison humaine, il regarde les arts mécaniques.
8. Quaestiones disputatae de potentia VII, 11 :
Ad hoc quod aliqua habent ordinem, oportet quod utrumque sit ens, et utrumque
distinctum et utrumque ordinabile ad aliud. (Afin qu’un ordre existe entre plusieurs
éléments, il faut que chaque partie soit un étant, soit distincte et susceptible d’être ordonnée
à un autre).
9. Questions disputées sur la vérité, q. l, art 2:
Donc les choses naturelles (res naturales), constituées entre deux intellects (inter duos
intellectus constituta), sont dites vraies en fonction de la conformité qu'elles ont avec
(1'intellect divin et l’intellect humain).
10. Somme contre les Gentils, II, 24
Qui plus est. Selon le Philosophe, au premier livre de la Métaphysique [982a18], le propre
du sage est de mettre de l'ordre, car l'ordonnancement de plusieurs choses ne peut se faire
que par la connaissance du rapport et de la proportion que les choses ordonnées ont entre
elles, et à quelque chose de plus haut qu'elles, qui est leur fin; car l'ordre de plusieurs choses
entre elles est subordonné à leur ordonnancement à la fin. Or connaître les rapports et les
proportions de certaines choses, c'est le propre de celui qui a l'intellect, et juger de certaines
choses par la cause la plus haute est le propre de la sagesse. Tout ordonnancement doit donc
se faire par la sagesse d'un être pensant.
11. Commentaire du De Trinitate de Boèce, q. 5, art. 1
.
L'intellect théorétique ou spéculatif (theoricus sive speculativus intellectus) se distingue
proprement de l’opératif ou pratique (operativus sive practicus) en ce ceci que : tandis que
l'un, le spéculatif, a pour fin la vérité qu'il considère, l'autre, le pratique, ordonne à
l'opération comme à sa fin la dite vérité. C'est pourquoi le Philosophe affirme, au Traité de
l’âme (III, c. 10, 1433a14s), qu’ils diffèrent l’un et l’autre par leur fin, et dans la
Métaphysique (II, c. l, 993b20s.) « que la fin de la science spéculative est la vérité, celle
de la science opérative étant l’action. La matière devant, par
ailleurs, être
proportionnée à la fin, il convient que les sciences pratiques aient pour matière des choses
qui puissent être produites par notre action (res quae a nostro opere fieri possunt), de telle
sorte que la connaissance que nous en avons soit susceptible d'être ordonnée à l'opération
comme à sa fin. Quant à la matière des sciences spéculatives, il est nécessaire qu'elle soit
constituée par des choses qui ne soient pas produites par nous (res quae a nostro opere non
fiunt).
12. Commentaire du De Trinitate de Boèce, q. 5, art. 1, ad. 2 :
La connaissance des choses dont traite la logique n'est pas recherchée pour elle-même, mais
comme une aide pour les autres sciences (adminiculum). Il en résulte que la logique n'est pas
comprise dans la philosophie spéculative à titre de partie principale, mais à titre réductif,
pour autant qu'elle assure à la spéculation ses instruments (instrumenta), syl1ogismes,
définitions etc. desquels on ne peut se passer dans les sciences spéculatives. Aussi Boèce,
dans son Commentaire sur Porphyre, déclare-t-il, qu'elle est moins une science que
1'instrument de la science (scientiae instrurnentum).
13. Thomas d’Aquin, Prologue du Commentaire des Analytiques postérieurs d’Aristote
(1) Comme le dit Aristote au début de la Métaphysique (I, 1, 980b2/28), le genre des
hommes vit par 1'art et les raisonnements. Le Philosophe semble toucher là un propre de
l'homme par quoi il se distingue des autres animaux. En effet, les autres animaux sont mus
dans 1eurs actes par une sorte d'instinct naturel tandis que 1'homme est dirigé dans ses
actions par le jugement de la raison (rationis iudicium). De là vient que divers arts
concourent à l'accomplissement des actes humains avec facilité et ordre. En effet, l'art n'est,
semble-t-il, rien d'autre qu'une ordonnance déterminée de la raison [indiquant] comment on
parvient par des moyens déterminés à la fin appropriée de l'acte humain.
9
(2) Or, la raison peut non seulement diriger les actes des parties inférieures mais elle est
capable de diriger aussi son propre acte. C'est en effet le propre de la partie intellective que
de réfléchir sur elle-même (ut in seipsam reflectatur), car l'intellect s'intellige lui-même et,
pareillement, la raison peut raisonner sur son acte. Si donc le raisonnement de la raison sur
l'acte de la main est à l’origine de l'art de construire ou de forger grâce auxquels l'homme
peut avec facilité et ordre exercer ces actes-là, de même un certain art est nécessaire pour
diriger 1'acte de la raison elle-même (directiva ipsius actus rationis), c'est-à-dire (un art)
grâce auquel l'homme progresse avec ordre, facilité et sans erreur dans l'acte même de la
raison.
(3) Cet art est la logique (logica), c'est-à-dire la science rationnelle (scientia rationalis). Elle
n'est pas rationnelle seulement parce qu'elle est conforme à la raison - ce qui est commun à
tous les arts - mais parce qu'elle porte sur l'acte de la raison comme sur sa matière propre.
Voilà pourquoi elle semble être 1'art des arts (ars artium) puisqu'elle nous dirige dans 1'acte
de la raison dont procèdent tous les arts. Il faut donc distinguer les parties de la logique selon
la diversité des actes de la raison.
(4) Or, il y a trois actes de la raison. Les deux premiers appartiennent à la raison en tant
qu'elle est une sorte d'intellect. En effet, la première action de l'intellect est l'intellection
des indivisibles (intelligentia indivisibilium), c'est-à-dire des incomplexes, par laquelle il
conçoit ce qu'est la chose (quid est res). Certains appellent cette opération "information de
l'intellect" ou ''imagination par l'intellect". A cette opération de la raison est ordonné
l'enseignement qu'Aristote donne dans les Catégories.
(5) La deuxième opération de l'intellect est la composition ou la division des concepts. Il y a
déjà en elle le vrai et le faux. La doctrine transmise par Aristote dans le Peri Hermeneias est
consacrée à cet acte de la raison.
(6) Le troisième acte de la raison correspond à ce qui est le propre de la raison, à savoir
passer discursivement d'une chose à une autre (discurrere ab uno in aliud) afin de parvenir à
connaître ce qui est inconnu au moyen de ce qui est connu. Les autres livres de la logique
sont consacrés à cet acte.
(7) Il faut cependant bien observer que les actes de la raison ont une certaine ressemblance
avec les actes de la nature. C'est pour cela que 1'art imite la nature autant qu'il le peut. Or, on
constate trois sortes d'actes de la nature. En effet, pour certaines choses, la nature agit par
nécessité de sorte qu'elle ne peut faillir. En revanche, pour d'autres, la nature agit dans la
plupart des cas (avec fréquence), bien qu'elle puisse parfois faillir son propre acte. Il est donc
nécessaire qu'il y ait pour ces choses deux actes. L'un qui arrive dans la plupart des cas (ut in
pluribus), comme, par exemple, lorsque la semence engendre un animal parfait. L'autre
lorsque la nature faillit à ce qui lui convient, comme, par exemple, lorsqu'un monstre est
engendré à partir de la semence à cause de la corruption d'un principe.
(8) On retrouve ces trois cas dans les actes de la raison. Il y a en effet une démarche de la
raison conduisant à la nécessité dans laquelle il n'est pas possible qu'il y ait un quelconque
défaut de vérité. Par cette démarche de la raison on acquiert la certitude de la science
(scientia). Il y a une autre démarche de la raison par laquelle on conclut, comme dans la
plupart des cas, le vrai mais qui ne comporte pas de nécessité. Il y a une troisième démarche
de la raison dans laquelle la raison s'écarte du vrai à cause de la négligence d'un principe
qu'il fallait observer dans le raisonnement.
(9) La partie de la logique qui est au service de la première démarche est appelée judicative
par le fait que le jugement s'accompagne de la certitude de la science. Et, parce qu'on ne peut
tenir pour certain un jugement sur les effets qu'en faisant une réduction aux premiers
principes, cette partie est appelée analytique, c'est-à-dire réductive. La certitude du jugement
que l'on obtient par réduction vient d'une part seulement de la forme du syllogisme - à cela
sont ordonnés les Premiers Analytiques qui portent sur le syllogisme comme tel - d'autre
10
part, et en sus, de la matière, du fait qu'on prend comme prémisses des propositions connues
par soi et nécessaires - et à cela sont ordonnés les Seconds Analytiques qui portent sur le
syllogisme démonstratif.
(10) Une autre partie de la logique, qu'on appelle inventive, est au service de la deuxième
démarche de la raison, car la démarche inventive ne s'accompagne pas toujours de certitude.
Aussi, pour obtenir la certitude, faut-il un jugement sur ce qui a été découvert. Or; de même
que 1'on observe une certaine gradation dans les choses de la nature qui se réalisent dans la
plupart des cas, plus la force de la nature est intense, plus rarement elle manque son effet, on
trouve ainsi dans la démarche de la raison qui ne s'accompagne pas d'une complète certitude,
une gradation selon que 1'on approche plus ou moins de la parfaite certitude.
(11) Parfois, en effet, cette démarche, même si elle n'aboutit pas à la science, aboutit
cependant à la foi (fides) ou à l'opinion (opinio) à cause du caractère probable des
propositions dont elle part, parce que la raison penche totalement vers l'un des membres de
la contradiction, tout en ayant la crainte que 1'autre soit vraie. A cela est ordonnée la topique
ou dialectique car le syllogisme dialectique part de (prémisses) probables. Aristote en traite
dans les Topiques.
(12)Parfois, (la démarche de la raison) n'aboutit pas complètement à la foi ou à l'opinion
mais à un certain soupçon (suspicio). Parce qu'on ne penche pas totalement vers un
des membres de la contradiction, bien qu'on incline plutôt vers 1'un que vers l'autre. C'est
1'objet de la Rhétorique.
Parfois seul le sentiment (existimatio) incline vers un des membres de la contradiction à
cause d'une certaine représentation, comme on dégoûte l'homme d'une nourriture en la
représentant à la ressemblance de quelque chose de dégoûtant. A cela est ordonnée la
Poétique, car il incombe au poète de conduire à quelque chose de vertueux au moyen d'une
représentation appropriée. Tout cela relève de la philosophie rationnelle. En effet, il
appartient à la raison de conduire d'une chose à une autre (inducere enim ex uno in aliud
rationis est).
(13) La partie de la logique que l'on appelle sophistique est au service de 1a troisième
démarche de la raison. Aristote en traite dans les Réfutations sophistiques.
14. THOMAS D'AQUIN, Somme de Théologie, Ia-II ae, qu. 57, a. 2
Respondeo dicendum quod virtus intellectualis speculativa est per quam intellectus
speculativus perficiter ad considerandum verum; hoc enim est bonum opus eius.
Verum autem est dupliciter considerabile : uno modo, sicut per se motum; alio modo, sicut
per aliud notum.
Quod autem est per se notum, se habet ut principium, et percipitur statim ab intellectu. Et
ideo habitus perficiens intellectum ad huiusmodi veri considerationem, vocatur intellectus,
qui est habitus principiorum. Verum autem quod est per aliud notum, non statim percipitur
ab intellectu, sed per inquisitionem rationis et se habet in ratione termini.
Quod quidem potest esse dupliciter : uno modo, ut sit ultimum in aliquo genere
[cognoscibilium]; alio modo, ut sit ultimum respectu totius cognitionis humanae.
(...)
Ad id quod est ultimum in hoc vel in illo genere cognoscibilium, perficit intellectum
scientia.
(...)
Circa illud [quod est ultimum respectu totius cognitionis humanae] est sapientia, quae
considerat altissimas causas ut dicitur in I Metaphysicorum.
11
15. Thomas d’Aquin, Prologue du Commentaire de la Politique
1. Comme l'enseigne Aristote au deuxième livre de la Physique, les techniques s'inspirent
de la nature. La raison en est la suivante : le rapport entre deux séries d'opérations et
d'effets demeure proportionnel à celui de leurs principes réciproques. Or le principe de toutes
les productions humaines est l'intelligence ; et celle-ci dérive - selon une certaine
similitude - de l'Intelligence divine, elle-même Principe des choses naturelles. Il s'ensuit
que les opérations et les produits de nos techniques se conforment, nécessairement, aux
opérations et aux produits de la nature.
Ain si, lorsqu'un homme de métier effectue une démonstration devant l'apprenti qui attend
de lui le savoir-faire, il faut bien que ce dernier prête toute son attention à la façon dont
le maître procède, afin d'opérer lui-même pareillement.
Voilà pourquoi l'esprit humain, qui reçoit de Dieu toutes les lumières de son intelligence,
doit nécessairement s'instruire pour ses propres productions de l'observation des choses
naturelles, et agir à leur ressemblance.
2. De là cette remarque d'Aristote sur nos techniques : si l'homme pouvait - dit-il - fabriquer
des choses totalement naturelles,
il opérerait exactement de la même façon que
la nature ; et la nature à l'inverse ne s'y prendrait pas autrement que lui, si elle devait
produire des choses identiques aux siennes.
Cependant, il est vrai, la nature n'entreprend aucune des réalisations de la technique : elle se
contente d'en disposer certains principes, offrant ainsi aux hommes le modèle dont leurs
actions devront en quelque sorte s'inspirer.
Certes, l'homme d'action peut examiner avec beaucoup d'attention les œuvres de l'univers,
et s'en servir pour mener à bien ce qu'il cherche à faire. Il ne saurait pourtant réaliser la
moindre chose naturelle.
D'où il ressort que la connaissance des réalités naturelles est seulement théorique, tandis
que celle des œuvres humaines est à la fois théorique et productrice ; que par suite les
sciences traitant des choses de la nature sont spéculatives, et que celles ayant pour objet
quelque réalisation sont pratiques, c'est-à-dire opèrent en s'inspirant de la nature.
3. Or la nature procède, dans ses opérations, du simple au composé. Et cela de telle sorte
qu'en elle, la réalisation la plus complexe est aussi son œuvre parfaite, achevée, raison d'être
de toutes les autres. On peut ainsi le constater de chaque ensemble, par rapport aux
parties qui le composent.
C'est pourquoi la raison pratique de l'homme, en allant du simple au complexe, va, elle
aussi, des choses les moins parfaites à celles qui le sont le plus.
4. Mais la raison humaine ne doit pas seulement pouvoir disposer des matériaux qui s'offrent
à son usage ; elle doit encore disposer des hommes eux-mêmes, en tant qu'elle les gouverne.
Et dans ces deux domaines, elle procède du simple au complexe.
Ces matériaux qui s'offrent à l'usage de la raison, c'est le bois dont elle fait un navire les
pierres et les poutres qui lui servent à édifier une maison. Quant aux hommes eux-mêmes, la
raison doit, par exemple, faire que plusieurs d'entre eux se ressemblent au sein de telle ou
telle com­munauté unie.
Et puisque les communautés humaines diffèrent entre elles, selon leur rang et ordre
respectifs, la réunion suprême sera la communauté civile, ordonnée en vue de suffire par
elle-même à la vie humaine : aussi, entre toutes, celle-là est la plus parfaite.
Or les choses offertes à l'usage de l'homme s'ordonnent toutes à celui-ci, qui leur est
supérieur.
12
5. De ces considérations sur la science politique, qu'Aristote nous livre dans cet ouvrage,
nous pouvons maintenant tirer quatre choses :
La première concerne, comme il est normal, la nécessité d'une telle science. Tout ce que
nous pouvons connaître rationnellement, il faut bien en effet que quelque doctrine l'élève
vers cette perfection de la sagesse humaine recherchée par la philosophie. Or ce « tout »
constitué par la cité est, lui aussi, sujet de certains jugements rationnels. Il s'est donc révélé
nécessaire à l'achèvement de la philosophie d'élaborer sur la cité une doctrine appelée «
politique » - autrement dit, une science sociale.
6. Nous pouvons, deuxièmement, en déduire le genre auquel cette science appartient. Les
sciences pratiques, on le sait, se distinguent des sciences spéculatives en cela que ces
dernières sont axées sur la seule connaissance de la vérité, tandis qu'elles-mêmes sont
orientées vers l’action. Nous devrons donc inclure la science politique dans le domaine
de la philosophie pratique : la cité est un certain ensemble que la raison humaine ne se
contente pas de connaître, mais qu'elle fait.
Mais il nous faut encore distinguer deux sortes de raison (pratique). La première opère selon
un mode de fabrication dont l'activité se transmet à la matière extérieure : cela appartient en
propre aux techniques appelées mécaniques, comme celle du forgeron, de l'ingénieur, etc. La
seconde, selon une manière d'agir dont l'activité reste au contraire immanente à celui qui agit
: ainsi lorsque nous délibérons, choisissons, voulons, etc. - actions qui relèvent toutes de la
philosophie morale. Or la science politique a pour objet l'ordonnance des hommes. Il est
donc clair qu'elle ne doit pas être insérée parmi les sciences de production (ou techniques
mécaniques), mais parmi celles de l'action, c'est-à-dire parmi les sciences morales.
7. En troisième lieu, nous pouvons établir quelle est, par rapport à toutes les autres sciences
pratiques, la dignité de la politique, son rang. On a vu en effet que, toutes les autres
communautés humaines devant y être rapportées, la cité se présente comme l'œuvre
maîtresse des produits de la raison.
De plus, tous les ensembles constitués par les sciences de production à partir des matériaux
qui s'offrent à leur usage sont ordonnés aux hommes comme à leur fin. Si donc la science
principale est celle qui traite de l'objet le plus noble et le plus parfait, la politique sera
nécessairement cette science principale, autrement dit architectonique, à l'égard de toutes les
autres sciences pratiques. Tel est du moins ce qui ressort de la considération du bien ultime
et parfait, dans les choses humaines. Et c'est pourquoi Aristote affirme, à la fin du dixième
livre de l'Ethique, que la philosophie des choses humaines « s'achève » avec la politique.
8. Nous pouvons enfin définir à partir de tout ce qui vient d'être dit le mode et l'ordre propres
à cette sorte de science.
Quand les sciences spéculatives s'attachent à l'examen d'un tout quelconque, que font-elles
? Elles élaborent, en se fondant sur l'observation des parties et principes de l'ensemble
considéré, un concept susceptible de rendre compte de ce à quoi cet ensemble se trouve
soumis, aussi bien que des processus qu'il met lui-même en jeu. De même notre science,
considérant les parties et les principes constitutifs de la cité, définira le concept rendant
compte : de ces parties dont elle est faite, de ce à quoi elle se trouve soumise, et des
processus qu'elle-même met en jeu.
Et comme elle reste « pratique », la politique expliquera aussi par quels moyens chacun de
ces trois éléments peut être mené à sa perfection propre, ainsi que toute science pratique est
tenue de le faire.
13
Annexe II : Thomas d’Aquin
I. 3 : La conception thomasienne de l’être humain
Somme Théologique : Première partie
Dieu en soi :
- l’essence divine
qu. 2-26
- Dieu trine
qu. 27-43
Dieu en tant que
principe :
- la production des
choses
qu. 44-46
- la distinction des
choses
qu. 47-102
- l’existence de Dieu
qu. 2
- ce que Dieu n’est pas
qu. 3-13
- l’agir de Dieu
qu. 14-26
- en général
qu. 47
- distinction du bien et
du mal
qu. 48
- distinction de la
créature matérielle et
spirituelle
qu. 50-102
- l’essence de
l’âme
qu. 75-76
- la créature
purement
spirituelle
qu. 50-64
- la créature
matérielle
qu. 65-74
- l’homme
qu. 75-102
- en général
qu. 77
- les sens
qu. 78
- l’intellect
qu. 79
- les facultés appétitives
qu. 80-83
- les puissances
de l’âme
qu. 77-89
- nature de
l’homme
qu. 75- 89
- production de
l’homme
qu. 90-102
- les opérations
de l’âme
intellective
qu. 84-89
- la connaissance de
l’âme unie au corps
qu. 84-88
- la connaissance de
l’âme séparée
qu.89